Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à LCI le 1er avril 2015, sur le projet de loi de réforme de la santé publique, l'accès aux soins et la généralisation du tiers payant.

Prononcé le 1er avril 2015

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral


INTERVENANT
Il est 8 h 15, l'heure de retrouver l'invité politique de LCI Matin et de Radio Classique, ce matin c'est Marisol TOURAINE, la ministre de la Santé, qui répond aux questions de Renaud BLANC, bonjour à tous les deux.
RENAUD BLANC
Bonjour Marisol TOURAINE…
MARISOL TOURAINE
Bonjour.
RENAUD BLANC
Merci d'avoir accepté l'invitation de Radio Classique et de LCI. Vous êtes ministre de la Santé et vous portez un projet de loi qui est actuellement débattu à l'Assemblée depuis hier…
MARISOL TOURAINE
Oui !
RENAUD BLANC
Et pendant 15 jours, 57 articles, 2.400 amendements. 15 jours de débat à l'Assemblée, est-ce que vous êtes prête à ce qui ressemble à un véritable marathon parlementaire ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! Je prête, d'autant plus que ce texte de loi a fait l'objet de beaucoup de discussions, beaucoup d'échanges, beaucoup de concertations…
RENAUD BLANC
Et pas mal de polémiques, on va y venir.
MARISOL TOURAINE
Et beaucoup de contestations de la part de certains, mais aussi beaucoup de dialogues et d'aménagements de la loi. C'est une loi qui est faite à améliorer l'accès des Français aux soins et à la santé et, donc, c'est un texte qui a une cohérence forte qui est de faire reculer les inégalités à la fois en permettant aux Français de disposer davantage d'outils en quelque sorte pour améliorer leurs comportements, par exemple pour ne pas fumer, pour être capable de mieux s'alimenter - ce qui permet de faire reculer l'obésité et certaines maladies – donc il y a tout un volet prévention, dont on voit d'ailleurs qu'il mobilise beaucoup les parlementaires et qui est important, mais il y a aussi bien sûr tout un ensemble de dispositions pour faire en sorte de faciliter l'accès aux soins et un médecin de proximité. C'est donc un texte structurant qui veut faire évoluer notre système de santé vers une prise en charge par le médecin libéral, le médecin généraliste, alors qu'en France qu'on a un réflexe assez volontiers d'aller aux urgences et à l'hôpital.
RENAUD BLANC
57 articles, je le disais, dont celui qui concerne la généralisation du tiers-payant…
MARISOL TOURAINE
Oui !
RENAUD BLANC
Depuis plusieurs semaines les médecins, les professionnels de santé sont vent debout contre ce texte, j'ai une question toute simple : est-ce qu'il y a encore une marge de négociation sur cette question de la généralisation du tiers-payant entre vous et les médecins qui n'en veulent pas ?
MARISOL TOURAINE
Vous savez beaucoup de discussions ont eu lieu sur le tiers-payant, si j'ai voulu rappeler ce qu'était l'esprit de la loi et les orientations de la loi : prévention, médecine de proximité et démocratie sanitaire, droits des patients - avec des mesures très concrètes - c'est parce que le débat sur le tiers-payant a eu tendance à occulter en quelque sorte les autres mesures qui sont dans la loi.
RENAUD BLANC
On a vu beaucoup, beaucoup de médecins dans la rue, Marisol TOURAINE…
MARISOL TOURAINE
Oui ! Mais voilà…
RENAUD BLANC
Sur cette question-là ?
MARISOL TOURAINE
Oui ! On a vu des médecins dans la rue, il y a ceux qui refusent le principe du tiers-payant et ceux qui me disent qu'ils ne veulent pas d'un système compliqué - et cela je l'entends – il y a une inquiétude de la part…
RENAUD BLANC
Dérive bureaucratique disent certains médecins…
MARISOL TOURAINE
Oui ! Mais il n'y a pas de dérive…
RENAUD BLANC
Certains syndicats.
MARISOL TOURAINE
Il n'y a pas de dérive…
RENAUD BLANC
Donc, vous réfutez ce terme ?
MARISOL TOURAINE
Il n'y a pas de dérive bureaucratique. Ce que j‘entends c'est que certains, enfin des médecins, lorsqu'ils pratiquent aujourd'hui le tiers-payant – c'est-à-dire le fait de dire au malade : « vous n'allez pas payer, c'est la Sécurité Sociale qui va me payer moi directement » ils rencontrent des difficultés de paiement, des complexités et donc je veux dire de la manière la plus simple et claire qui soit d'abord que ce n'est pas le système actuel qui va être généralisé puisque…
RENAUD BLANC
C'est un nouveau système !
MARISOL TOURAINE
C'est un nouveau système qui se met en place et c'est aussi pour cela…
RENAUD BLANC
Et vous pouvez apporter des garanties pour son fonctionnement ? Il y a 550 mutuelles en France, ce qui fait peur aux médecins c'est ça, ce n'est pas être remboursé clairement…
MARISOL TOURAINE
Oui ! Justement, l'idée c'est d'avoir…
RENAUD BLANC
L'administration n'est pas la chose la plus rapide en France.
MARISOL TOURAINE
C'est d'avoir un interlocuteur unique, qu'il y ait une coordination entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires et que le médecin, très concrètement, soit payé en une seule fois, ça n'est pas au médecin d'aller faire la comptabilité pour savoir si l'assurance maladie, les organismes complémentaires l'ont bien payé.
RENAUD BLANC
Il n'y aura pas de bug ?
MARISOL TOURAINE
Mais nous avons faire monter le système progressivement en charge précisément pour pouvoir accompagner son déploiement ! Et puis il y a dans la loi des garanties concrètes qui sont apportées, des délais en moins de sept jours, des pénalités de retard si ces délais de paiement ne sont pas respectés et, donc, vous voyez qu'il y a là des réponses concrètes qui sont apportées aux préoccupations des médecins. Mais je veux dire que le tiers-payant c'est aussi, c'est d'abord une façon de faciliter l'accès aux soins des Français et quand on me dit que cela va les déresponsabiliser les Français, que cela va les pousser à aller voir…
RENAUD BLANC
C'est un argument de l'UMP et de plusieurs médecins !
MARISOL TOURAINE
Oui ! D'une frange, d'une partie des médecins, pas de tous, pas de tous. Moi je réponds qu'il y a en France aujourd'hui des gens qui ne vont pas voir leur médecin de ville parce qu'ils ne peuvent pas avancer les frais ou parce qu'ils ont peur de demander, de faire état de leur situation financière à leur médecin et qu'ils ne veulent pas être dans une situation où au fond ils ont à exprimer leurs problèmes financiers à leur médecin et, donc, soit ils ne se soignent pas, soit ils vont à l'hôpital, et pour la Sécurité Sociale un passage aux urgences ça coûte beaucoup plus cher qu'un passage chez son médecin généraliste.
RENAUD BLANC
Le terme d'étatisation qu'on entend justement dans la bouche de certains médecins et de députés de l'UMP, vous le réfutez ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez c'est un slogan, c'est devenu un slogan, parce que je ne vois pas ce qu'il y a d'étatisation dans un texte qui fait du médecin généraliste, du médecin libéral, spécialiste, le point d'ancrage de notre système de santé. Je suis précisément en train de vous dire que nous devons passer d'un système de santé qui est au fond organisé autour de l'hôpital public vers un système où le médecin généraliste d'abord - et ensuite les spécialistes - mais le médecin généraliste d'abord doit être la porte d'entrée et la référence et, donc, on voit bien que c'est la médecine libérale qui trouve toute sa place dans notre système, qui se trouve reconnue, donc il n'y a pas d'étatisation du système de santé. Par ailleurs nous n'avons pas à rougir de l'hôpital public, parce que, si parler d'étatisation ça veut dire s'inquiéter ou regretter la place de l'hôpital public en France, alors moi je dis clairement que nous avons toutes les raisons d'être fiers d'un hôpital public qui est très efficace, et dans la recherche, et dans la capacité d'accueillir les Français.
RENAUD BLANC
Alors, si j'ai bien compris, il n'y aura pas de nouvelle négociation avec les médecins mais des débats à l'Assemblée. Il n'y a pas que le tiers, la généralisation du tiers-payant dans cette loi, il y a effectivement des articles sur la lutte contre le tabagisme, contre l'obésité et puis il y a aussi - ça fait aussi beaucoup débat – les salles de shoots, il y a un article du Figaro ce matin qui indique qu'une salle de shoots ça coûte entre 1,2 million et 1,5 million d'euros par an, est-ce que ce sont des chiffres qui vous semblent juste ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez ! Ce qu'on appelle les salles de consommation à moindre risque…
RENAUD BLANC
Oui ! Mais alors vous avez effectivement…
MARISOL TOURAINE
Non ! Mais ce n'est pas… c'est le terme officiel.
RENAUD BLANC
Une autre sémantique.
MARISOL TOURAINE
Non ! Ce n'est pas une autre sémantique, il y a des termes officiels et moi je crois beaucoup aux mots. L'opposition a décidé de s'emparer de ce sujet - depuis d'ailleurs longtemps – et d'en faire un enjeu d'affrontements, je trouve ça irresponsable, je le dis. Parce que de quoi parlons-nous ? De lieux dans lesquels il y a des professionnels qui accompagnent et essaient d'amener vers le sevrage des personnes qui sont malades, droguées oui, toxicomanes et qui ont échappé à tous les autres systèmes de prévention et de soin ; Nous parlons de personnes qui sont souvent très éloignées de tout : des SDF, des personnes qui n'ont pas de logements, des gens très précarisés et qui sont malades. Donc, le débat il n'est pas pour ou contre, il est : est-ce qu'on laisse ces gens à la rue ? Est-ce qu‘on laisse ces gens sans soins ? Est-ce qu'on laisse ces gens se droguer dans les jardins publics, dans les gares, dans les halls de gare la nuit – ce qui fait qu'on retrouve le matin des seringues qui traînent dans les bacs à sable ou dans les escaliers des gares – ou est-ce qu'on essaie de les accompagner ? Ce que font les Suisses, ce que font les Allemands, ce que font les Espagnols, avec des résultats tout à fait encourageants pour lutter contre la toxicomanie.
RENAUD BLANC
Il y a quelques jours le journal Le Monde titrait, en parlant de vous Marisol TOURAINE « fragilisée mais confortée ». Fragilisée par la grogne des médecins, par la grogne des buralistes – c'est difficile j'imagine quand on est ministre de la Santé de voir tous ces médecins dans la rue – et puis confortée par le gouvernement parce que, cette loi, c'est une façon aussi de re-souder la gauche ?
MARISOL TOURAINE
C'est une loi de progrès ! C'est-à-dire que la gauche a toujours fait d'un modèle solidaire, de l'accès aux soins, de l'égalité sociale une priorité. Et accéder aux soins dans notre pays c'est évidemment un enjeu tout à fait important, les Français d'ailleurs sont extrêmement attachés à notre système de Sécurité Sociale, à l'hôpital public, ils sont très attachés à leur médecin et à leur généraliste et ils expriment leur soutien, quand on prend mesure par mesure la loi ils expriment très massivement leur soutien aux mesures de la loi - parce qu'être mieux pris en charge, mieux soigné, c'est évidemment une priorité pour eux - et moi je constate effectivement que dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale il y a une politisation très forte de ce débat. Moi je regrette que l'opposition n'entre pas, ne sorte pas de ses postures et n'entre pas dans un débat au fond sur les grands enjeux de santé publique, je ne vois pas ce que la droite franchement a à gagner à lutter contre le paquet neutre qui est une mesure importante pour faire reculer le tabagisme.
RENAUD BLANC
Marisol TOURAINE, l'actualité c'est aussi la mort de deux nourrissons vaccinés contre la gastroentérite, quelles sont les mesures que vous avez envie de prendre suite à ces deux décès ?
MARISOL TOURAINE
Ce sont deux décès qui, comme à chaque fois qu'un enfant meurt, sont évidemment très bouleversants, ce ne sont pas des décès récents, il faut…
RENAUD BLANC
2012 !
MARISOL TOURAINE
Oui ! Mais disons qu'on a depuis 2006 mis en place un vaccin qui fait l'objet d'attentions évidemment très spéciales, comme tous les vaccins, de la part des Agences sanitaires, des enquêtes sont en cours. Je veux rappeler que c'est un vaccin qui existe au niveau européen, il y a donc des échanges entre les Agences sanitaires européennes, ce vaccin n'est pas considéré comme un vaccin inscrit au calendrier – c'est-à-dire obligatoire ou même recommandé – et donc c'est aux médecins à qui nous avons envoyé de nouvelles recommandations - enfin l'Agence du médicament a envoyé de nouvelles recommandations – de voir au cas par cas si le vaccin est utile. Mais il y a eu plus d'un million d'enfants vaccinés depuis la mise sur le marché de ce vaccin, on constate un certain nombre d'effets indésirables comme on dit, c'est-à-dire en gros des enfants qui tombent malades, deux décès, donc des études approfondies vont être menées. Il faut être vigilant, extrêmement vigilant, ne pas inquiéter outre mesure les parents aujourd'hui qui peuvent parler avec leur médecin et évidemment les médecins ont un rôle essentiel à jouer pour rassurer et évaluer l'intérêt du vaccin dans le cas de leurs petits patients.
RENAUD BLANC
En quelques secondes ! On parle beaucoup d'un remaniement après la débâcle que vous avez subie, la nouvelle débâcle qu'ont subie les socialistes, j'ai une question très personnelle toute simple : les médecins auraient plutôt envie de changer de ministre de la Santé, mais, vous, est-ce que vous avez envie de rester, de continuer votre mission ?
MARISOL TOURAINE
Moi vous savez je suis au service du gouvernement, c'est le président de la République, le Premier ministre qui déterminent la composition du gouvernement et je ne me pose pas ce genre de question, je suis engagée – vous l'avez dit tout à l‘heure – dans un débat à l'Assemblée, ce débat se poursuivra ensuite, je suis pleinement à ma tâche pour faire en sorte que ces valeurs de progrès et de justice auxquelles nous sommes attachés puissent progresser concrètement.
RENAUD BLANC
Merci beaucoup Marisol TOURAINE d'avoir répondu à mes questions, Marisol TOURAINE ministre de la Santé, très bonne journée.
MARISOL TOURAINE
Bonne journée à vous.
INTERVENANT
Et bonne journée à vous également, merci beaucoup Renaud BLANC.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 avril 2015