Déclaration de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, sur le potentiel éconopmique et éducatif que représente le numérique, Paris le 28 janvier 2015.

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Circonstance : 36è colloque annuel de la Fondation Alliance française, à Paris du 26 au 28 janvier 2015,

Texte intégral


Axelle LEMAIRE. — Mesdames et messieurs les présidents et directeurs des Alliances françaises de par le monde, monsieur le secrétaire général, chers amis, merci de votre invitation. C'est avec un plaisir tout particulier que je viens aujourd'hui clore vos débats et vos échanges autour de cette question du numérique dans les Alliances françaises.
Oui, je suis secrétaire d'État chargée du Numérique et je me réjouis de voir les Alliances engagées dans cette révolution numérique, qui caractérise notre époque plus que jamais et qui nous engage tous.
C'est aussi en tant que Française du monde, ancienne résidente du Québec, puis de Londres, enfin, en tant que députée des Français habitant en Europe du Nord, que je m'adresse à vous. C'est d'abord parce que je connais le réseau des Alliances françaises. Je connais son dynamisme, l'implication de ceux qui y travaillent, son importance pour véhiculer les valeurs et la culture françaises, au-delà même du langage, et aussi pour aller à la rencontre de ceux qui ont envie d'avoir le français en partage. Le numérique est un formidable véhicule de transmission qu'il nous appartient d'apprivoiser pour en connaître tout le potentiel.
Partout où elles sont implantées, les Alliances françaises sont des lieux de culture, d'ouverture aux autres ; ce sont des institutions de passage, voire d'invention de la langue française parmi les « francophilophones », selon l'expression employée par Jacques Attali.
Ces Alliances incarnent la conviction française que, parmi les valeurs universelles, en figure une qui nous tient particulièrement à coeur : celle de la diversité culturelle. Dans toutes les salles de classe des Alliances, des liens se tissent entre des élèves aux histoires personnelles différentes, mais qui ont en partage cette même culture française et ces valeurs.
D'ailleurs, ce mot « alliance » traduit assez joliment l'ambition qui est la vôtre : forger des citoyens du monde ayant cet attachement commun et intime à la culture française.
À ce croisement de toutes les cultures, il vous faut désormais (depuis plusieurs années maintenant) ajouter la culture numérique. Cela ne va pas forcément de soi. Souvent, c'est un apprentissage. Certains d'entre vous y sont peut-être réticents de prime abord. En même temps, vous en percevez les enjeux.
Cette culture numérique est celle de l'accès instantané à une forme de vérité, de subjectivité aussi, mais également à une forme de mensonge : celle d'une interaction toujours plus rapide, potentiellement mondiale, mais en même temps, paradoxalement, de plus en plus localisée et localisable. C'est celle d'une transmission horizontale des connaissances et des opinions, où émergent de grands acteurs nouveaux dans les rapports géostratégiques, qui pèsent de plus en plus lourd.
Les débats que vous avez eus pendant ce colloque ont permis, semble-t-il, d'échanger sur le potentiel éducatif que représente le numérique. J'aimerais vous donner quelques éclairages sur ce que nous entreprenons en France, en matière d'éducation numérique, et peut-être vous exposer plus largement mon ambition pour notre pays et la manière dont le gouvernement entend déployer une stratégie d'ensemble, faisant justement l'alliance entre les valeurs qui fondent ce que nous sommes et ces nouveaux outils numériques, et permettant de réactualiser notre logiciel républicain pour former ce que je dénomme « la république numérique ».
Pour moi, la république numérique est une question de liberté (liberté politique), de dynamique économique et de justice sociale. Je m'explique. La république numérique est avant tout une nouvelle manière de préparer la législation, plus transparente et plus participative.
C'est ainsi que pour préparer le projet de loi numérique, qui devrait voir le jour cette année, le Premier ministre a engagé une concertation, à la fois en ligne sur un site Internet et à l'occasion de journées contributives décentralisées à Lille, à Strasbourg, à Bordeaux et à Nantes, et ce, afin de mobiliser les citoyens, la société civile, les entreprises, les administrations et les collectivités locales, pour que tous définissent ensemble un projet numérique pour notre société. Cette plate-forme en ligne dédiée est ouverte jusqu'au 4 février 2015. À ce jour, elle a reçu plus de 3 000 contributions, certaines émanant de nos concitoyens situés à l'étranger.
C'est une manière d'interagir avec la communauté citoyenne. Je sais que les Alliances s'interrogent sur la façon de la mettre en oeuvre dans le cadre de leur réseau. L'idée est d'engager toujours plus nos interlocuteurs.
J'ai exposé les grandes lignes de ce projet de loi devant les députés, à l'Assemblée nationale, le 14 janvier dernier. Je les ai invités à en débattre et à se saisir de cette opportunité pour donner de l'avance à notre pays dans l'ère numérique, en particulier dans l'économie numérique.
Cette économie repose sur une donnée fondamentale : la data qui, lorsqu'elle est collectée, permet de créer plus de valeur. Cette économie de la donnée sera, on le sait, l'économie des décennies à venir.
Elle permettra aussi à nos citoyens de donner de nouveaux moyens d'action pour leur émancipation numérique. L'Assemblée nationale et le Sénat ont largement ouvert leurs données politiques, ce qui a permis à des chercheurs comme Bruno Latour (de Sciences Po) et à ses équipes de proposer des outils de suivi de la fabrique de la loi. D'ailleurs, les débats sont de plus en plus souvent filmés et visibles en ligne. Il y a un véritable mouvement vers plus de transparence ; non pas la transparence pour la transparence, mais la transparence pour une ambition démocratique et une plus grande implication citoyenne dans la décision politique. Voilà pour le politique.
La république numérique, c'est aussi un mouvement de toute l'économie, qui permet de réunir les territoires, d'affirmer leur richesse et leur diversité. Je crois que c'est là une spécificité de notre pays. Nous ne sommes pas une concentration de technologie numérique dans une seule zone, comme c'est le cas, par exemple, de la Tech City à Londres. Nous avons une ambition : faire émaner le numérique partout dans les territoires et en faire bénéficier l'ensemble.
Cela passe par les startups.
Vous, qui êtes des amoureux de la langue française, n'apprécierez pas l'emploi de ce terme anglophone. Seulement, dans ce domaine du numérique (et on peut le regretter), la prédominance de la terminologie anglo-saxonne est le reflet d'un rapport de force, malheureusement bien réel. Il faut donc pouvoir s'appuyer sur ces jeunes entreprises innovantes en très forte croissance, qui sont désormais réunies autour d'un mouvement entrepreneurial en France, pour réussir à emporter toute la transformation numérique du tissu économique et industriel, grâce à l'innovation.
Il faut aussi mobiliser nos grands groupes qui sont une force de frappe à l'international. La France a les plus grandes multinationales en Europe. Ces grands groupes doivent s'ouvrir, ouvrir leurs centres de recherche aux écosystèmes d'innovation qui sont bien ancrés dans les territoires avec les universités, les écoles, les centres de recherche, mais aussi les plus petites entreprises comme les startups. Vous connaissez certains de ces grands groupes, puisque vous les côtoyez parfois à l'étranger. D'ailleurs, certains de vos élèves travaillent sans doute dans des groupes français ou souhaitent le faire à l'avenir. C'est bien en s'ouvrant à l'innovation venue d'ailleurs, et en s'ouvrant à l'ailleurs, de manière générale, que l'on conquiert le monde.
Mais il s'agit bien de dynamiser tous les territoires. Là aussi, la France affiche une ambition forte : celle du déploiement du très haut débit partout en France, d'ici 2022, avec un choix technologique ambitieux qui mise sur la fibre optique et qui devrait permettre de donner à notre pays des infrastructures, comme nous l'avons fait au XIXe siècle, pour les réseaux ferroviaires, ou au XXe siècle, pour les réseaux d'électricité.
Cette ambition peut parfois vous paraître secondaire au regard des enjeux auxquels font face les habitants de certains pays dans lesquels vous habitez ; pourtant, au XXIe siècle, le déploiement de ce type d'infrastructure est une condition sine qua non de la compétitivité de notre économie, de l'égalité entre nos territoires et entre nos concitoyens.
Je l'ai dit : le pilier de cette nouvelle économie est la donnée. C'est l'ère du big data (encore un mot anglo-saxon !), de la méga-donnée, qui consiste à réinventer des modèles d'affaires de manière plus prédictive, mieux ciblée, plus efficace car personnalisée, et de façon massive. Ces données collectées peuvent être « anonymisées », dépersonnalisées, mais elles permettent, par exemple dans le domaine de la santé, de définir des politiques publiques plus efficaces, notamment plus préventives.
Cependant, alors que l'on parle de big data (ces mots peuvent effrayer), j'aimerais que cette nouvelle économie soit celle de la magna data. Magna : le terme n'est plus anglo-saxon, mais bien latin. Cette notion de magna data allierait les vertus économiques de la donnée et la tradition de liberté politique qu'incarnent la Magna Carta et l'ensemble des valeurs des Lumières que les Alliances françaises portent aussi à travers le monde.
Dans ce choix d'une magna data française au XXIe siècle, peut-être ai-je été influencée par le fait que j'ai longuement travaillé à la Chambre des Communes, pas loin de l'archive de ce document historique qu'était la Magna Carta.
Il est vrai que sur ce sujet, la France a été à l'avant-garde. Mais l'avant-garde, c'était en 1978, bien avant l'arrivée d'Internet. Nous avions édicté la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. C'était avant Internet, avant les réseaux sociaux.
Aujourd'hui, de nouveaux droits peuvent être imaginés, au-delà de la seule question des données personnelles. Par exemple, nous pourrions développer des actions collectives, par lesquelles les usagers des services en ligne pourraient peser davantage face aux géants de l'Internet. Nous pourrions encore créer un droit au déréférencement, en particulier pour les personnes mineures. Aujourd'hui, un jeune peut-il automatiquement demander que des informations sur Facebook le concernant soient retirées à sa demande ? Le gouvernement travaille à l'heure actuelle sur cette piste législative.
Voilà pour ce deuxième volet autour de l'économie.
Le troisième est le projet éducatif, culturel et social, qui vous concerne peut-être plus directement et que nous souhaiterions porter non seulement en France, mais aussi à travers le monde.
Le Président de la République a annoncé, lors de son allocution de rentrée, un grand plan numérique à l'école.
Bien entendu, cela concernera au premier chef les écoles et les collèges en France. Mais ce plan a aussi pour ambition de soutenir le développement d'une filière économique et industrielle solide, qui devrait conforter les paquets pédagogiques et les contenus utilisés par les enseignants et par les élèves, pour s'approprier la langue par des méthodes d'apprentissage plus innovantes, plus novatrices, parfois plus ludiques et plus interactives. On pense spontanément aux MOOC ou aux applications sur tablette et sur écran. Il y a aussi, à mon sens, toute une éducation au numérique qui doit se développer dans l'ensemble de notre système éducatif. C'est l'objectif politique de l'enseignement du code à l'école. Je préfère que nos enfants sachent programmer la machine pour éviter que ce soit la machine qui les programme. Or, nous avons parfois le sentiment que nos enfants sont passifs face à la consommation d'outils numériques.
L'idée est donc bien de les autonomiser dans un environnement numérique.
Je vous recommande l'expérience d'une école comme Simplon, pour les choix sociaux qu'a faits cet établissement. Cette école montre que l'informatique peut être un levier, une deuxième chance pour ceux qui ont été, jusqu'à présent, exclus des parcours professionnels intégrants. Je crois à un numérique inclusif et facteur de réussite pour tous. Dans le domaine de l'école, le numérique doit être un prétexte à innover, à essayer, à tenter avec les élèves.
Je lance un appel à tous ceux qui enseignent le français dans les Alliances françaises pour qu'ils utilisent plus activement ces outils numériques. Le numérique, c'est aussi la revendication d'un droit à l'expérimentation.
Enfin, il y a un véritable enjeu international. Vous en faites l'expérience au quotidien et je sais que, plus que quiconque, vous êtes conscients de cet enjeu : la diffusion de notre langue, de nos méthodes et de nos technologies dans les autres pays du monde.
On estime qu'en 2050, on pourra compter sur 700 millions de francophones sur la planète, soit 8 % de la population mondiale, et ce, grâce à la croissance démographique et économique de l'Afrique. C'est un enjeu essentiel pour notre langue française que celui d'accompagner ce développement d'outils et de technologies en français, notamment par l'éducation.
Vous aurez compris que je souhaite dresser un large portrait de l'ambition numérique qui est portée par le gouvernement. Je crois que ce numérique, qui doit rester un outil au service de l'humain, peut être un facteur d'égalité et de liberté. Trop souvent, on entre par la porte du numérique pour parler de terrorisme, de comportements addictifs chez les jeunes, de téléchargement illégal. Tout cela correspond à des réalités auxquelles il faut se confronter et auxquelles il faut répondre avec responsabilité ; mais le numérique, c'est aussi, lorsqu'on veut s'adresser directement à la jeunesse et se connecter aux jeunes, un facteur de liberté et de fraternité.
Lors des terribles attentats qui ont frappé notre pays, j'ai retenu le rôle qu'ont joué les réseaux sociaux pour réussir à créer un mouvement de solidarité qui s'est manifesté dans le monde entier. Vous avez sans doute été nombreux à vous joindre aux mouvements spontanés qui ont pu être organisés grâce à des informations véhiculées très rapidement sur les réseaux sociaux. Je retiens un chiffre : #jesuischarlie a suscité 6,6 millions de tweets.
Derrière la langue française, on sent bien que les chefs d'État, qui sont venus à Paris marcher aux côtés du peuple français, ont voulu avec nous réaffirmer la force et la valeur du message d'universalité, autour de la défense de la liberté d'expression. Vous en êtes convaincus, puisque vous êtes la porte d'entrée vers tant d'univers culturels différents, mais qui sont tous réunis par une valeur : celle de la tolérance.
La réaction mondiale qui a suivi ces attentats a montré l'attachement de la communauté internationale à notre pays, à notre culture, à nos valeurs. Ces valeurs, c'est vous qui les faites vraiment vivre au quotidien, dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles, avec des moyens parfois difficiles à trouver. Le numérique peut vous aider à aller chercher de nouveaux élèves, à vous engager plus encore avec les communautés locales, à diffuser mieux encore la langue française et ses valeurs.
Vous l'avez compris, ma conviction est que l'universalité de notre langue et de nos valeurs s'applique partout, y compris dans le monde virtuel qu'est le monde numérique.
Je tiens à vous remercier pour votre engagement qui n'est pas toujours, sinon reconnu, du moins bien connu en France. C'est vrai, il faut parfois avoir vécu à l'étranger pour observer le travail que vous effectuez au quotidien. Par ce travail, vous représentez aussi les Français à l'étranger et vous représentez la fierté que nous avons tous d'appartenir à une communauté de valeurs. Je vous remercie.Source http://www.fondation-alliancefr.org, le 16 avril 2015