Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État aux anciens combattants et à la mémoire, en hommage aux anciens combattants de la Guyane, à Cayenne le 15 avril 2015.

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Circonstance : Cérémonie au cimetière de Cayenne (Guyane), le 15 avril 2015

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la maire,
Monsieur le commandant supérieur des forces armées en Guyane, mon général,
Monsieur le commandant de gendarmerie, mon général,
Mesdames et messieurs les représentants des associations du monde combattant,
Chers compatriotes de Guyane,
Chers élèves ici présents,
Je me réjouis de vous retrouver ici à Cayenne à l'aube d'une journée qui s'annonce riche, à l'image de cette terre guyanaise. Riche par son histoire et sa mémoire. Mais riche aussi par sa culture, son patrimoine et ses habitants.
Je tenais à venir vous rencontrer : d'abord parce que je sais l'attachement de la Guyane à la République mais aussi et surtout parce que je sais ce que la République lui doit. J'ai souhaité venir le rappeler.
C'est en Guyane qu'est implanté le centre spatial français qui fait notre fierté et que je visiterai tout à l'heure. Si l'Europe peut disposer d'un équipement de cette qualité, c'est parce que les Guyanais ont bien voulu l'accueillir en son temps et ont depuis contribué à ce succès.
Depuis des décennies, la République doit beaucoup à la Guyane. Elle lui doit notamment son engagement dans les conflits que la France a eu à affronter au siècle dernier.
Et cet engagement va au-delà des mots.
Ce sont les 2 500 combattants partis de Guyane et jetés dans la Grande Guerre. Envoyés dans la Marne, la Somme, la Meuse. Des terres métropolitaines rougies par le sang des Guyanais. Parmi eux, 255 ne reverront pas leur terre natale. Certains reposent ici.
Ils s'appelaient Félix Ezequiel, tombé dans la Somme en 1915 ; Albert Eutrope, joueur du XV de France, mort le 26 mai 1915 ; Claudius Florida, disparu dans l'Aisne, en 1918 ; le lieutenant Becker, décédé le 20 juillet 1918 et mis à l'honneur en 2014 à l'occasion de la cérémonie « 100 villes, 100 drapeaux, 100 héros ».
Il s'appelait bien sûr aussi Saint-Just Borical, mort pour la France à Fleury-devant-Douaumont en 1916 et dont le corps a été retrouvé en 2011. Le soldat Borical qui si longtemps dormit sans nom et à qui une identité fut rendue 95 ans après. Et avec elle un nom, un itinéraire, une histoire, un destin, une terre qu'il retrouva enfin : son corps fut rapatrié ici, à Cayenne.
J'aimerais pouvoir les citer tous : « Un homme n'est jamais tout à fait mort tant qu'il y a quelqu'un pour prononcer son nom. » disait Antoine de Saint-Exupéry.
C'est sans doute la grande force du Centenaire d'avoir offert à l'histoire de la Grande Guerre des milliers d'histoires singulières parfois douloureuses, souvent belles, toujours émouvantes. Des milliers de destins venus se briser sur notre sol qui sont autant d'appels au souvenir. Des milliers d'anonymes qui deviennent les acteurs réhabilités d'une histoire commémorée.
Ces milliers d'histoires, ce sont celles de leur terre, la Guyane. Celle de son engagement au service de la mère-patrie qui a demandé tant d'efforts aux soldats, pour faire de cette guerre, qui se jouait à des milliers de kilomètres de chez eux, leur combat.
L'éloignement est sans doute pour nos soldats d'Outre-mer l'une des réalités les plus criantes de cette guerre.
Et 20 ans plus tard, la mémoire guyanaise se nourrit de l'engagement de ces femmes et de ces hommes dans la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement dans la France Libre.
L'histoire de la France Libre, ici, en Guyane, a un nom. Elle s'appelle la Dissidence. Une histoire oubliée pendant plusieurs décennies. Oubliée des métropolitains qui n'adressèrent pas aux Guyanais le message de reconnaissance que le courage et le sang versé leur donnaient le droit d'espérer. Oubliée des Guyanais aussi.
Cette histoire commence au lendemain de l'appel du Général de Gaulle, le 18 juin 1940. « Ce cri d'espérance lancé pendant que les pires malheurs s'abattaient sur la France » ainsi que l'écrivait Félix Eboué qui, fidèle à ses valeurs humanistes et républicaines, prend contact avec le général de Gaulle dès juillet 1940.
Celui-ci le distingue en janvier 1941 : il est fait Compagnon de la Libération.
Et beaucoup de Guyanais suivront ses pas, portés par l'élan patriotique que Félix Eboué, comme le résistant Gaston Monnerville, ancien maire de Cayenne, avaient impulsé.
On estime à 2 500 le nombre de femmes et d'hommes qui quittent les Antilles ou la Guyane pour rallier le camp de la liberté, entre 1940 et 1943. Ils étaient paysans, avocats, ouvriers, instituteurs ou étudiants. Beaucoup n'avaient pas vingt ans.
Parmi eux, Roger Lam Cham, engagé volontaire en 1943, qui s'est éteint en 2007.
Prêts à verser leur sang, pour la liberté d'une métropole que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas, pour reprendre le chemin qu'avaient emprunté leur père ou leur grand-père durant la première guerre mondiale. Une liberté retrouvée en 1943.
Le 14 Juillet, Henri Hoppenot, représentant du comité français de libération nationale, est accueilli par la foule cayennaise et déclare : « Messieurs, je vous ramène la France et la République ».
L'histoire de la Dissidence devient alors l'histoire de la France combattante.
Car en prenant la mer comme d'autres ont pris le maquis, les ultramarins sont de tous les combats : la campagne d'Italie, le débarquement de Provence, la libération de Royan. Le général de Gaulle a salué cet héroïsme dans ses mémoires de guerre.
Les dissidents venaient d'écrire une nouvelle page de l'histoire de l'engagement des Guyanais.
Un engagement qui fut tout aussi fort durant la guerre d'Indochine. A côté des officiers français parachutés pour organiser la résistance à l'occupation japonaise combattaient les Hmong.
Environ 2 000 ont été entraînés par les Français en Indochine. Parmi eux, Touby Lyfoung et Cho Quang Lo, décorés de la Légion d'honneur, ou encore Ya Txong Txi et Moua Txong Fong à qui le titre de reconnaissance de la Nation a été remis en 2011.
Victimes de la guerre civile qui éclate au Laos dans les années 1970, les Hmong se réfugient en France. Et ce choix de la France, de cette terre amie, ils l'ont fait ici, en Guyane.
La longue histoire partagée de la métropole et de la Guyane est au fondement des liens qui nous unissent et témoigne une nouvelle fois de l'attachement que vous portez à notre immortelle devise : Liberté, Egalité, Fraternité, si chère à Félix Eboué et dont la France veille à n'exclure personne.
Et je sais que les jeunes ici présents veillent à faire perdurer le souvenir de cette longue histoire. Je pense notamment aux élèves qui ont travaillé dans le cadre du concours national de la Résistance et de la Déportation et que je veux remercier de leur présence.
Depuis plusieurs mois déjà, je mesure l'importance et le rôle de la mémoire dans la définition de l'identité d'une Nation, et dans sa capacité à tisser et renforcer le lien intergénérationnel, au fondement de notre société.
Dans chacun de mes déplacements sur les lieux de mémoire en région et à l'étranger, et devant le témoignage des anciens, je mesure l'enthousiasme et l'intérêt des plus jeunes. Le succès du concours national de la Résistance et de la Déportation en témoigne. Il est l'un des vecteurs essentiels de cette transmission de la mémoire.
Votre histoire nous rappelle la force des liens qui nous unissent. Elle nous rappelle aussi combien la France métropolitaine s'enrichit de la France d'Outre-mer.
Honorer Jean Jaurès, le pacifiste, honorer Jean Moulin, le résistant, c'est aussi honorer Félix Eboué. Il faut que demain nos manuels scolaires transmettent ces noms à nos enfants. Car notre histoire est une et notre mémoire doit veiller à le rappeler.
Mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, la spécificité de la Guyane, c'est sa diversité. Diversité de populations, de territoires, de cultures. Diversité qui fait sa richesse. Diversité qui fait qu'elle est une chance pour notre pays et notre République. Diversité enfin qui nous oblige à « jouer le jeu républicain ».
« Jouer le jeu, disait Félix Eboué, c'est piétiner les préjugés, tous les préjugés et apprendre à baser l'échelle des valeurs sur les critères de l'esprit. [...] Jouer le jeu, c'est respecter nos valeurs nationales, les aimer, les servir avec passion, avec intelligence, vivre et mourir pour elles, tout en admettant qu'au-delà de nos frontières, d'authentiques valeurs sont également dignes de notre estime, de notre respect. ».
C'est la leçon de l'histoire. C'est la leçon de la Guyane.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 23 avril 2015