Déclaration de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat à la famille, aux personnes âgées et à l'autonomie, sur la protection judiciaire de la jeunesse et les droits de l'enfant, Paris le 2 février 2015.

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Madame la garde des Sceaux, chère Christiane Taubira ; je m'apprêtais à saluer Pierre Joxe mais je crois qu'il n'est pas encore arrivé, je le salue quand même avec affection et respect ; madame la directrice de la PJJ, mesdames et messieurs les magistrats, les universitaires, les représentants des services et des associations ; mesdames et messieurs, je suis très heureuse d'être avec vous aujourd'hui pour célébrer ce 70e anniversaire de l'Ordonnance du 2 février 1945, qui pose le principe d'une justice spécialisée pour les enfants et les adolescents. Elle inscrit dans notre droit et dans notre modèle républicain la primauté de l'éducatif sur le répressif et témoigne d'une justice des mineurs déjà respectueuse des droits de l'enfant.
Il n'est d'ailleurs pas inutile de rappeler qu'elle a depuis été prise pour modèle dans de nombreux pays. La Convention internationale des droits de l'enfant dont nous venons de fêter le 25e anniversaire porte ces principes et organise des garanties, en particulier celle de devoir respecter les enfants, y compris toute personne âgée de moins de 18 ans, dans toutes les décisions qui les concernent et en particulier autour de son meilleur intérêt. Le meilleur intérêt de l'enfant, le droit de tout enfant à un traitement proportionné et individualisé, adapté à son âge et à son bien-être propre à faciliter son intégration dans la société, doit être la considération première. The best interest, dit la Convention des droits de l'enfant que je préfère pour ma part traduire par le meilleur intérêt que par l'intérêt supérieur de l'enfant tant le choix de l'un ou de l'autre peut prendre une connotation différente.
Ces normes supranationales fortes doivent guider les interventions de chacun de nous. En signant le 20 novembre 2014 à New York le troisième protocole additionnel de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui permet aux enfants ou à leurs représentants de saisir directement le Comité des droits de l'enfant, la France s'est encore plus engagée. L'examen de l'application de la Convention par la France aura lieu en 2016 à Genève et constituera une étape importante pour nous tous.
Dans ce contexte international mais aussi européen, au travers des recommandations du Conseil des ministres de l'Europe et de la CEDH, qui a développé une jurisprudence protectrice de l'intérêt de l'enfant et de ses droits, nos politiques publiques doivent résolument construire des repères et des outils clairs et coordonnés à partir de constats partagés et lucides sur la situation des enfants et de leurs familles.
En ma qualité de secrétaire d'État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l'Autonomie, au sein du ministère des Affaires sociales et de la Santé et des Droits des femmes, je suis venue dire ici combien il est fondamental de dépasser les stratégies en tuyaux d'orgue et les postures clivées. Les acteurs des affaires sociales et de la santé et les acteurs de la justice travaillent déjà ensemble au quotidien sur les territoires avec les représentants des conseils généraux et le monde associatif pour soutenir les parents et protéger les enfants. Nous avons une responsabilité commune à l'égard des enfants, de la petite enfance jusqu'au passage à l'âge adulte, qui va bien au-delà de la majorité civile, en passant par cette période si délicate de l'adolescence sur laquelle vous avez, je crois, travaillée ce matin.
Le récent rapport de l'UNICEF consacré aux effets de la crise doit nous interpeller, tout comme les nombreux signaux qui sont allumés dans certaines zones géographiques sensibles. Partout, le message est clair, à commencer par celui des travailleurs sociaux et des enseignants : l'adolescence est une période de mutation et d'expérience des limites.
Mais comme le souligne le sociologue David Le Breton, l'adolescence est aujourd'hui percutée par des manières radicales d'exister, sans souci de l'autre, qui alimentent simultanément la peur et le rejet dans une spirale sans fin. Un sentiment d'injustice et d'exclusion incite le jeune à ramasser la pierre qu'on lui a symboliquement jetée.
Le respect des valeurs républicaines en tous lieux du territoire national est un principe essentiel de la vie commune. Il nous faut donc aller de l'avant pour permettre aux enfants de construire progressivement leur capacité à devenir des citoyens responsables. Comment ? D'abord en réfléchissant à la mise en cohérence de nos outils législatifs si cela est nécessaire, mais surtout en favorisant le dialogue et la cohérence des interventions sur les territoires.
Vos travaux d'aujourd'hui aborderont la justice des enfants sous l'angle de l'Ordonnance de 1945. Mais il est évident que le miroir du Code civil sera aussi bien présent. Les enfants en conflit avec la loi, les règles, les normes, ne peuvent pas être réduits à un statut de délinquant. Il nous appartient donc d'oser entrer dans la discussion autour des notions de discernement, de degré de maturité, avec toutes les incidences sur la difficile question des responsabilités des enfants et des adultes dans la construction des repères et dans l'éducation.
C'est pourquoi la puissance publique doit aussi savoir être présente aux côtés des parents, dans un souci évident de soutien à la parentalité. Nous avons engagé des discussions en 2014 dans le cadre de deux propositions de loi : celle sur l'autorité parentale et celle sur la protection de l'enfant. Nous avons commencé à avancer sur la question difficile mais essentielle de la stabilité affective des parcours des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance ainsi que sur l'amélioration des échanges et des informations entre les conseils généraux, chefs de file de la protection de l'enfance, les magistrats, constitutionnellement garants des libertés individuelles et clés de voûte d'un système complexe au sein duquel les enjeux peuvent diverger. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a confirmé les compétences respectives des conseils généraux et de l'autorité judiciaire, l'intervention des juges étant réservée aux situations les plus graves. Le rapport de l'Inspection générale des services judiciaires, commun avec l'Inspection générale des affaires sociales, sur la gouvernance et la protection de l'enfance n'oppose pas protection de l'enfance et enfance délinquante, car une telle opposition serait néfaste à la continuité des parcours des jeunes. Pourtant des difficultés réelles d'articulation existent sur le terrain entre les différents acteurs des politiques conduites, avec des conséquences dommageables pour l'enfant.
À l'État d'assurer son rôle de garant de la protection de l'enfance et de l'égalité de traitement sur les territoires en affirmant un cadre compris et accepté de tous. La protection de l'enfant relève à mon sens du pouvoir régalien, car elle s'inscrit dans une politique globale de l'enfant. Ainsi, de meilleures organisations doivent se mettre en place sur les territoires et ne plus dépendre uniquement de la bonne volonté ou de la rencontre d'acteurs particulièrement motivés. Tous doivent améliorer leur connaissance et leur compréhension réciproques et se projeter dans les enjeux des décisions prises sur les personnes elles-mêmes.
J'ai engagé depuis plusieurs mois une large concertation sur la protection de l'enfance, avec tous les acteurs, dont les présidents des conseils généraux, des magistrats de l'enfant, des ex-enfants de l'ASE, les parents, les professionnels de la prévention spécialisée qui sont aussi un axe de réflexion fondamental. Cette concertation est évidemment menée en parallèle avec l'important travail de l'IGAS et de l'IGSJ que j'évoquais précédemment et bien entendu en lien avec l'Association des départements de France. Ces travaux démontrent déjà que lorsque nos deux ministères unissent leur réflexion et leur force, nous pouvons avancer vers des propositions opérationnelles, qui seront présentées au cours de ce semestre. La remise prochaine du rapport de François de Singly dans le cadre des travaux de la commission Enfance de France Stratégie contribuera aussi à nos réflexions sur le développement des enfants et des adolescents. Ces réflexions portent l'ambition d'une société accueillante, d'une société qui rend possible l'épanouissement de chacun. Ces réflexions portent une vision politique, au sens noble du terme, de l'avenir. Je vous remercie.
Source http://www.justice.gouv.fr, le 22 avril 2015