Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 30 avril 2015, sur la sanctuarisation du budget du ministère de la défense.

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Média : Europe 1

Texte intégral

MAXIME SWITEK
Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics. Messieurs, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes attendu, Michel SAPIN. Bienvenu, bonjour.
MICHEL SAPIN, MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec son képi de chef des armées, le général HOLLANDE a donc tranché hier et pour vous, les décisions sont applicables, il l'a dit, à partir d'aujourd'hui. L'armée avait besoin de 31,4 milliards en 2015, d'une hausse régulière de ses crédits jusqu'en 2019 ; est-ce que vous confirmez qu'elle les aura vraiment ?
MICHEL SAPIN
Ou évidemment, parce qu'elle en a besoin. Elle n'en a pas besoin parce que c'est l'armée, pas seulement parce qu'on doit le respect à des soldats qui s'engagent et qui prennent des risques pour leur vie, mais elle en a besoin parce qu'aujourd'hui notre armée est un élément de notre sécurité, y compris de notre sécurité intérieure, sur le territoire français. Chacun le voit à Paris, en région parisienne ou ailleurs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il n'a pas été difficile de convaincre le ministre des Finances ?
MICHEL SAPIN
Il n'y a aucun débat sur ce point. La sécurité des Français, ça ne se discute pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On ne mégote pas, on ne discute pas là-dessus.
MICHEL SAPIN
On regarde précisément quels sont les besoins, on évalue ces besoins et on les met à la disposition de ceux qui ensuite s'engagent sur le terrain.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec ces 3,8 milliards grâce à la baisse du pétrole et à l'inflation plate, l'armée pourrait faire deux milliards et demi d'économies d'ici à 2019. Vous les lui laissez ?
MICHEL SAPIN
L'armée fait des économies, d'ailleurs l'ensemble de ces calculs tiennent compte d'un certain nombre d'économies qui sont assez simples à calculer dans leur principe. Quand le pétrole est aussi bas qu'aujourd'hui, ça coûte que quand il était plus haut et donc effectivement l'armée, comme tout autre ministère, peut faire des économies de fonctionnement mais ne doit faire aucune économie, au contraire, sur les moyens mis à la disposition de nos hommes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ses économies, elle les garde ou elle s'en sert pour ce qu'elle a besoin de faire, son matériel, et cætera.
MICHEL SAPIN
Elle les garde pour soi-même, pour ce qu'elle a besoin de faire sur je ne sais trop quoi. Ça fait partie des éléments qui permettent de faire en sorte qu'il y ait plus de moyens, plus d'hommes sur le territoire français, plus d'engagement sur le territoire extérieur. C'est ça qui permet qu'il y ait des hélicoptères qui soient en plein état de fonctionnement, la cyber-défense, et cætera.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, donc la Défense les aura pour les questions de sécurité, la cyber-défense.
MICHEL SAPIN
C'est notre sécurité aussi à l'extérieur.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc elle les aura, et comment vous allez les financer ?
MICHEL SAPIN
C'est assez simple. Tout effort supplémentaire pour un ministère doit être compensé par des économies sur d'autres ministères parce que c'est l'autre enjeu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez ! Vous n'empruntez pas ? La France pourrait emprunter. Il n'y a pas d'emprunt ?
MICHEL SAPIN
Un emprunt, c'est joli mais c'est un déficit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Après, c'est une dette.
MICHEL SAPIN
J'ai connu quelqu'un qui disait : « Je vais lancer un grand emprunt en luttant contre les déficits. » Il a creusé considérablement les déficits, donc moi ce n'est pas ma manière de faire. Ce n'est pas un trou d'un côté qu'on bouche avec un trou de l'autre côté qu'on creuse. Puisqu'il y a plus de moyens, et c'est légitime, pour la Défense et pour la sécurité des Français, il y aura plus d'économies faites dans un certain nombre d'autres ministères.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Au passage, vous vous engagez avec votre majorité jusqu'en 2017. Au-delà, soit François HOLLANDE est réélu, soit c'est le successeur. Est-ce qu'elle peut toucher sur ce que vous avez décidé jusqu'en 2019 ?
MICHEL SAPIN
Tout ce qui est voté par une loi, puisque ça va être traduit dans une loi qu'on appelle la loi de programmation militaire, peut être modifié par une autre loi. C'est le principe même de la démocratie mais je ne le souhaite pas. Je pense que ce qui est bon pour l'armée, c'est quand les choses sont planifiées. Quand vous commandez un matériel une année, il vous est souvent livré deux ans après, il ne vaut mieux pas le remettre en cause.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François HOLLANDE l'a confirmé : la Défense devient donc un ministère sanctuarisé ou sanctuaire. D'autres ministères sont prioritaires et stables ; eux vont échapper au tour de vis que vous proposez. D'abord, vous avez envoyé des lettres de cadrage avec le Premier ministre ; est-ce que vous teniez compte déjà des dépenses de Défense ou il faudra recadrer les dépenses ou les lettres de cadrage ?
MICHEL SAPIN
Tout ça est un peu compliqué mais qu'est-ce que c'est que les lettres de cadrage ? C'est la préparation du budget pour 2016 parce que dès le mois d'avril-mai, nous travaillons au budget 2016 parce que c'est difficile, c'est compliqué et qu'il faut discuter avec chacun des ministres, mais la réponse à votre question est oui. Le Premier ministre a envoyé à chaque ministre ce qu'on appelle une lettre de cadrage, c'est grosso modo lui dire : « Tu vas avoir à peu près telle somme et tu devras faire des économies en termes de personnel, ou en termes de fonctionnement, de dépenses de fonctionnement. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il est vrai qu'aujourd'hui Manuel VALLS va justement préciser et prévenir qu'il ne recevra aucun ministre pleurnicheur ou mécontent, que tout se fera chez vous à Bercy ?
MICHEL SAPIN
On est dans un processus habituel à cette période-ci de l'année, c'est celle où le Premier ministre donne ses directives globales aux ministres. Je pense que le Premier ministre n'a pas envie d'avoir à traiter de combien on met d'argent sur tel point, combien on met d'argent sur tel autre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, ça se règle avec vous.
MICHEL SAPIN
C'est le rôle du ministre des Finances et du budget.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quels sont ceux qui sont ni sanctuarisés ni prioritaires, qui devront faire le plus d'efforts ? On dit le logement par exemple.
MICHEL SAPIN
Oui. Je pense que dans le domaine du logement, il y a des économies possibles sans remettre en cause, bien entendu, ni les solidarités, ni le soutien au bâtiment parce que si on a vraiment besoin qu'un secteur redémarre, c'est celui du bâtiment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans le domaine de la santé, l'hôpital, les dépenses sociales.
MICHEL SAPIN
Dans le domaine de la santé, nous l'avons déjà dit, nous pouvons arriver à diminuer – pardon de m'exprimer comme ça – diminuer l'augmentation des coûts. La santé aujourd'hui coûte tous les ans de plus en plus cher. Pourquoi ? Parce qu'il y a plus de personnes âgées, parce qu'il y a plus d'enfants aussi et que, parce qu'on soigne des maladies qui sont des maladies compliquées avec des méthodes nouvelles, ça peut coûter plus cher. Mais ceci est maîtrisé et donc oui, l'année prochaine il y aura un effort d'économies qui sera fait par l'assurance maladie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et François HOLLANDE avait promis que le nombre de fonctionnaires serait stable : il va augmenter. Il va augmenter.
MICHEL SAPIN
Oui, parce que vous mettez dans les fonctionnaires les militaires. Il va y avoir une augmentation des effectifs de militaires, pourquoi ? Parce que la menace qui pèse sur la France aujourd'hui est largement supérieure à celle qui pesait sur la France en 2012. C'est clair, c'est net. Il n'y avait pas les attentats comme on les a connus donc il est légitime que la priorité à la sécurité aboutisse à des augmentations de personnels qui sont au service de la sécurité des Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, maintenant des faits graves. La révélation est tardive, elle vient de l'ONU et de Londres : des soldats français sont soupçonnés d'abus sexuels sur des enfants à Bangui, Centrafrique. Les faits remonteraient au début 2014 et auraient duré plusieurs semaines ou plusieurs mois. A la demande d'instantané, Jean-Yves LE DRIAN : « La justice française enquête ». Est-ce que le gouvernement sait ce matin si ces soupçons sont fondés ?
MICHEL SAPIN
Non. Par définition, c'est à la justice d'établir la vérité, ce n'est pas au gouvernement ou au ministre, ni à tel ou tel journaliste.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous l'avez appris, vous avez été choqué vous, non ?
MICHEL SAPIN
Je serai choqué si les faits étaient avérés et évidemment, si les faits sont avérés, les sanctions seront d'une très grande sévérité parce que ce ne serait évidemment pas acceptable y compris, et j'allais dire surtout, s'agissant de l'image de la France ou de l'image de son armée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais neuf mois après, est-ce que les militaires responsables présumés sont identifiés ?
MICHEL SAPIN
Ecoutez, on est capable de faire des enquêtes neuf mois après, parfois on en fait dix ans après. Donc neuf mois après, on est capable de faire des enquêtes, d'ailleurs l'enquête avait commencé presqu'au même moment. Elle est transmise aujourd'hui à la justice, chacun fait son travail, chacun prend ses responsabilités.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça vient de Londres, du Guardian, et cætera. Il n'y a pas quelque chose là ? Est-ce que ça peut faire naître le doute ?
MICHEL SAPIN
Je veux simplement dire qu'au moment où nous sommes en train de faire des efforts considérables au point de vue budgétaire et légitimes, au moment où l'on soutient nos armées qui prennent des risques – celui qui vole au-dessus de l'Irak peut toujours prendre quelque chose et mourir -, donc au moment où on soutient cela, attention à ne pas jeter l'opprobre à partir de soupçons dont il faut vérifier absolument tous les éléments, et qui ne doivent pas être gobés comme ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, oui, toute l'armée en mission extérieure n'est pas concernée, mais c'est quand même grave, vous le reconnaissez, et vous dites qu'ils seraient sanctionnés et ils le seraient doublement par la justice et la justice militaire.
MICHEL SAPIN
Oui. Il y a une enquête militaire, des conséquences militaires mais c'est d'abord et avant toute chose des hommes, des citoyens français qui doivent répondre devant la loi française.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Français sauront toute la vérité ?
MICHEL SAPIN
Evidemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors les Français remplissent en ce moment leur déclaration de revenus. Est-ce qu'il est vrai que vous leur avez écrit par internet pour les convaincre que les impôts baissent ?
MICHEL SAPIN
J'ai écrit par internet la vérité des choses. C'est qu'il y a neuf millions de ménages français sur seize millions qui vont voir baisser leurs impôts à la rentrée mais comme ils sont comme tout le monde, il ne suffit pas de lire la lettre du ministre. Ils le verront quand ils recevront le dernier tiers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais c'est tellement compliqué qu'ils ne sont pas convaincus que vous baissez les impôts.
MICHEL SAPIN
Oui, mais c'est toujours très compliqué de convaincre les gens que les impôts baissent, d'autant plus qu'il peut y avoir des situations personnelles qui évoluent. Mais vous verrez, à la rentrée neuf millions de foyers vont recevoir un petit mot disant : « Vous avez bénéficié des baisses d'impôts, vous pouvez calculer d'ailleurs le montant exact de votre baisse d'impôts. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ils diront : « Merci Michel SAPIN », c'est ça. Vous avez bien fait de venir ce matin. Demain, le mois de mai commence par des manifestations traditionnelles, il y aura quatre week-ends de ponts, et cætera, et le MEDEF estime par Thibault LANXADE dans Le Parisien, qu'avec deux jours fériés en moins, on créerait en France cent mille emplois en plus. Est-ce qu'il est dans le vrai ou il rêve ?
MICHEL SAPIN
C'est ce qu'il répète exactement tous les ans au même moment, au mois de mai parce qu'au mois de mai, il y a effectivement un 1er mai, un 8 mai, parfois il y a l'Ascension et parfois il y a la Pentecôte. Mais ce que je trouve dommage, c'est que parfois je cherche des patrons en ce moment et je ne les trouve pas. On me dit : « Ils sont juste en vacances », donc eux aussi peuvent commencer par travailler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Supprimez les ponts et ils seront peut-être là.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas certain parce que les patrons font ce qu'ils veulent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec tout ce que vous faites avec le président de la République, d'après le baromètre TNS-Sofres-Figaro Magazine dont on parlait avec Maxime tout à l'heure et Michel GROSSIORD, seize pourcent des Français font confiance à François HOLLANDE, seize pourcent. Ils sont ingrats et vous, vous êtes inquiet ?
MICHEL SAPIN
C'est la politique : l'ingratitude aujourd'hui, le travail jusqu'au bout et c'est au bout du bout que le jugement est établi par les Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais à partir de quel chiffre vous serez inquiet ?
MICHEL SAPIN
Nous verrons. Au bout du bout. Nous sommes au travail, on est là, on va jusqu'au bout, on continue, on est dans la cohérence, on est dans la continuité. On a des résultats et c'est à ces résultats-là, devant ces résultats-là que les Français se prononceront.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous sommes aveugles ou sourds ou ingrats.
MICHEL SAPIN
Non. Vous ne regardez que trop les sondages.
MAXIME SWITEK
Merci Michel SAPIN, merci d'être venu ce matin en direct sur Europe 1. Jean-Pierre, un rendez-vous dimanche, le Grand Rendez-vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Marine LE PEN
MAXIME SWITEK
Marine LE PEN invitée à dix heures dimanche sur Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2015