Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le projet économique et social européen de la France.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous entendrons d'abord les orateurs des groupes puis le Gouvernement, et procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
(...)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis de l'organisation de ce débat sur le projet économique et social européen de la France, et je remercie le groupe SRC et les différents orateurs de leurs interventions.
M. Charles de Courson. Débat sans vote !
M. Jean-Luc Laurent. Un débat de fond sans vote, ce n'est pas un débat de fond ! Dommage !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Ce débat est nécessaire, légitime, pas seulement parce que nous soumettons le programme de stabilité et le programme national de réformes de la France, comme le font tous les autres membres de la zone euro. Et pas seulement parce que dans trois jours, le 9 mai, tous les pays d'Europe célébreront le soixante-cinquième anniversaire de la déclaration Schumann qui, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lança le projet européen. Pas seulement non plus parce que ce matin même, en conseil des ministres, le Premier ministre a présenté une communication sur le projet européen.
Ce débat est nécessaire parce que les peuples doutent, force est de le constater. L'Europe, quelles que soient ses lacunes, est une extraordinaire conquête à l'échelle de l'histoire, mais les citoyens peuvent être aujourd'hui tentés de s'en détourner. Il ne fait pas laisser les peuples s'en détourner, ni laisser les populistes, les extrémistes et les nationalistes défaire l'Europe avec de fausses solutions telles que la sortie de l'Euro, la sortie de la PAC, la sortie de Schengen, qui mèneraient à un vrai déclin, à un affaiblissement collectif et à la ruine de l'économie de nos pays.
Mais c'est un fait : la crise, le chômage, les politiques d'austérité brutales dans certains pays, parfois aussi la bureaucratie et la complexité des politiques européennes, leur dispersion sur de trop nombreuses questions secondaires, la difficulté ou l'incapacité à répondre avec efficacité sur l'essentiel c'est-à-dire la croissance et l'emploi, comme l'a rappelé Michel Sapin tous ces facteurs ont tendu à éloigner les peuples de l'Europe.
La nouvelle Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, en a d'ailleurs parfaitement pris conscience en se définissant elle-même comme la commission de la dernière chance. C'est pourquoi la première priorité, comme vient de le rappeler le ministre des finances, est pour nous, depuis 2012, de réorienter l'Europe vers la croissance, l'investissement, l'emploi, et de développer une Europe des projets, une Europe qui protège, une Europe simplifiée.
Beaucoup a été fait au cours des dernières années : l'intégrité de la zone euro a été assurée ; l'union bancaire a été mise sur pied ; la Banque centrale européenne a développé une nouvelle doctrine monétaire plus favorable à l'investissement et à un cours de l'euro moins élevé c'est ce que nous avions souhaité ; le Conseil européen a endossé à la fin de l'année dernière, sur proposition du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, un plan d'investissement de 315 milliards d'euros.
Sous l'impulsion de la France, l'investissement et l'emploi sont donc désormais au cur du projet européen, nous devons continuer à agir dans cette direction. D'abord, en consolidant le nouvel équilibre de la politique économique en Europe entre les trois piliers de cette stratégie.
Le premier de ces piliers est l'investissement. Le plan de 315 milliards d'euros proposé par le président Juncker va maintenant pouvoir entrer en vigueur. Nous voulons pour cela que le règlement qui créera le fonds européen pour les investissements stratégiques puisse être adopté le plus rapidement possible, dès le mois de juin, par le Parlement européen. Évidemment, nous avons demandé sans attendre à la Banque européenne d'investissement, comme cela avait été indiqué lors du Conseil européen du mois de décembre dernier, de commencer à soutenir des projets sur ses fonds propres. C'est ainsi qu'en lien avec la BPI France, deux initiatives les prêts innovation et le prêt amorçage investissement vont pouvoir mobiliser 440 millions d'euros de prêts à l'innovation en France, à la disposition de PME et d'ETI innovantes, dès ce mois de mai.
Dans le même temps, le Commissariat général à l'investissement, la Caisse des dépôts et consignations et BPI France mènent un travail d'identification de nombreux projets dans les domaines décisifs pour le potentiel de croissance future et l'innovation en France et qui sont également d'intérêt européen en particulier dans le domaine du numérique, de l'efficacité énergétique, des technologies de la transition énergétique, qui pourront être soutenus par le futur plan Juncker. Vous le savez, le Président de la République a annoncé que la Caisse des dépôts et BPI France mobiliseraient 8 milliards d'euros au service de ces projets pour amplifier l'effet de levier du futur plan Juncker. Des dizaines de projets français sont donc actuellement identifiés, rassemblés et préparés pour pouvoir bénéficier de ces financements d'ici à la fin de l'année.
Le deuxième pilier est celui de la consolidation budgétaire, que Michel Sapin a évoquée en insistant sur le fait que nous tiendrons nos engagements de ramener le déficit sous la barre des 3 % en 2017, mais que nous le ferons à un rythme qui ne mette en rien en danger la reprise et le retour de la croissance, donc de l'emploi.
Le troisième pilier, ce sont les réformes structurelles. Elles sont essentielles, en France comme dans tous les pays de l'Union européenne, pour rendre l'économie plus compétitive et plus agile. Si nous les menons maintenant en France, c'est aussi parce qu'elles n'ont pas été engagées auparavant, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne qui les ont mises en uvre il y a déjà dix ans. Sur ce terrain, les institutions européennes comme nos principaux partenaires reconnaissent la détermination dont fait preuve le Gouvernement. L'agenda des réformes du Gouvernement a d'ailleurs été actualisé aujourd'hui même.
La deuxième grande priorité est de développer l'Europe des projets, en particulier de soutenir les secteurs qui seront porteurs de croissance à l'avenir, que j'ai déjà mentionnés à propos du fonds Juncker : le numérique et la transition énergétique. Aujourd'hui même, la Commission européenne a présenté sa stratégie pour le numérique.
Nos industries créatives, qui représentent d'ores et déjà 4 % de notre PIB, doivent permettre à l'Europe d'être une puissance culturelle qui rayonne partout dans le monde. Le passage à l'ère du numérique ne doit pas affaiblir la capacité de développement des industries culturelles européennes. L'Europe ne peut pas simplement être un marché numérique pour des entreprises multinationales américaines, elle est un lieu de création et le numérique doit amplifier la capacité à financer cette création. C'est pourquoi il est fondamental de préserver les droits d'auteur, la territorialisation, de mettre en place une fiscalité adaptée et de réguler les plates-formes numériques. C'est ce que nous défendrons dans les négociations qui vont maintenant s'ouvrir et qui déboucheront sur des propositions de législation dès cet automne.
Je pense aussi au projet d'union de l'énergie et à la lutte contre le changement climatique. C'est un enjeu décisif pour orienter la croissance européenne d'une façon durable. L'Europe doit continuer à jouer un rôle moteur, comme elle l'a fait en matière de lutte contre le changement climatique en adoptant, dès le mois d'octobre 2014, son cadre énergie-climat pour la réduction des gaz à effet de serre, la promotion des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique à l'horizon 2030, mais aussi en étant parmi les premiers à transmettre au début de cette année sa contribution à la réduction des gaz à effet de serre en vue de la COP 21 qui se déroulera à Paris.
L'un des grands chantiers d'urgence en matière d'énergie et de transition énergétique sera la relance du marché du carbone européen, avec pour objectif d'augmenter rapidement le prix de la tonne de carbone, signal qui encouragera les investissements dans l'économie décarbonée. Les négociations en cours ont fixé comme échéance l'année 2019 au plus tard pour la mise en place de ce nouveau marché ETS.
La troisième priorité sur laquelle je voudrais insister est la jeunesse. Aujourd'hui, environ 5 millions de jeunes européens sont au chômage. C'est une situation que nous ne pouvons accepter, tant sur le plan social, moral que politique, parce qu'elle met en danger l'adhésion au projet européen. C'est pourquoi le Président de la République a proposé l'initiative européenne pour la jeunesse, qui s'est traduite par l'instauration de la garantie jeunes, en France et dans les régions où leur taux de chômage est supérieur à 25 %, pour leur permettre de trouver une formation, un emploi, et d'y être accompagné.
Mais nous voulons aussi continuer à développer des programmes qui existaient auparavant. En particulier, le programme Erasmus, une des plus belles réussites de l'Union européenne, qui reste encore trop élitiste. C'est la raison pour laquelle, comme l'a proposé le Premier ministre ce matin, nous porterons l'idée d'un service civique européen. Cela ouvre la possibilité, pour les jeunes qui font un service civique dans divers pays de l'Union européenne, de passer une partie du temps de ce service civique dans d'autres pays de l'Union. Nous souhaitons également développer un Erasmus professionnel qui permettrait la création d'un statut de l'apprenti européen, ainsi que le lancement d'une carte d'étudiant européen.
Enfin, nous voulons mettre en place, sur le plan économique, un nouveau pilotage de la zone euro. Ce sera l'enjeu du rapport des quatre présidences président de la Commission, président du Conseil européen, président de l'Eurogroupe et président de la Banque centrale européenne qui présenteront des propositions le 10 juin prochain. Elles seront débattues lors du Conseil européen du mois de juin par les chefs d'État et de gouvernement.
L'objectif de la France, comme l'a indiqué Michel Sapin, est de renforcer la coordination des politiques économiques, qui ne doit pas se limiter à la coordination des politiques budgétaires ; d'examiner la situation à l'échelle de la zone euro consolidée, et non pas de chaque pays pris séparément ; d'améliorer et de simplifier le semestre européen, de renforcer sa légitimité démocratique en y associant davantage les parlements nationaux et le Parlement européen et de relancer le processus de convergence économique, fiscale et sociale ainsi que la solidarité, pour permettre l'approfondissement et l'intégration plus forte de la zone euro au service de la croissance et de l'emploi.
Sur ce sujet, soyez assurés de la parfaite coordination de nos positions avec l'Allemagne et de la solidité de la relation franco-allemande : c'est la condition sans laquelle aucune avancée n'est possible en Europe.
Enfin, comme l'a souligné le ministre des finances et des comptes publics, nous voulons évidemment lier cette nouvelle orientation économique en faveur de la croissance, de l'investissement et de l'emploi avec les objectifs de promotion d'une Europe sociale, en commençant par la protection des droits sociaux en Europe et la lutte contre toutes les formes de dumping fiscal et social.
En matière sociale, nous devons continuer à renforcer les règles relatives au détachement des travailleurs et à étendre la responsabilité du donneur d'ordre à tous les secteurs d'activité c'est d'ailleurs le sens d'une proposition de loi déposée par le groupe SRC et adoptée par l'Assemblée nationale en anticipant la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Nous devons aussi continuer à travailler à la création d'un salaire minimum dans l'Union européenne et, pour commencer, à l'adoption de salaires minimums dans tous les pays de la zone euro, comme vient de le faire l'Allemagne, en tenant bien sûr compte des niveaux de vie.
En matière fiscale, cela a été dit, il est impératif de lutter contre toutes les formes d'optimisation afin de veiller au respect d'un principe simple : les entreprises doivent être taxées là où elles réalisent leurs profits. Nous attendons donc avec intérêt les propositions que la Commission européenne devrait faire prochainement.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mesdames et messieurs les députés, les priorités poursuivies par le projet économique et social européen de la France.
D'autres dimensions sont également importantes, même si elles n'entrent pas dans le cadre de ce débat je pense notamment à la lutte contre le terrorisme, à la promotion d'une véritable Europe de la défense, qui sera à l'ordre du jour du Conseil européen de juin, et à la réponse aux migrations. Tout cela est évidemment cohérent avec l'ambition de construire une Europe qui protège, qui développe ses projets et qui promeut ses valeurs.
Pour répondre à ces défis, qui sont autant d'urgences, l'Europe doit fonctionner d'une façon plus simple en se concentrant sur ces quelques grandes priorités. C'est le sens du dialogue que nous avons avec la Commission européenne, et c'est ce que nous devons aux citoyens pour répondre à leurs attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.
Nous commençons par les questions du groupe SRC.
La parole est à M. Yves Blein.
M. Yves Blein. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, il est indéniable que la croissance repart aujourd'hui en France et en Europe. Il faut bien sûr la soutenir sans relâche, notamment en redonnant des marges aux entreprises françaises, marges qui étaient hier encore parmi les plus faibles d'Europe, et en réduisant leurs charges.
C'est le sens du pacte de responsabilité et de solidarité, qui a permis d'amorcer la baisse du coût du travail, du crédit d'impôt compétitivité emploi, qui produira ses pleins effets en 2015, du dispositif « zéro charge » pour l'employeur d'un salarié payé au SMIC, entré en vigueur le 1er janvier 2015, et de la diminution progressive de la fiscalité des entreprises jusqu'en 2017, notamment de la baisse de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, attendue dès cette année.
Les premiers effets de cette politique volontariste sont d'ores et déjà perceptibles. Ainsi, comme l'a rappelé tout à l'heure notre collègue Dominique Lefebvre, le taux de marge de nos entreprises devrait s'élever à 31,3 % à la fin du mois de juin, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis le premier trimestre 2011. L'INSEE indique qu'il se rapprocherait par conséquent de sa moyenne sur la période antérieure à la crise, soit 32,7 % entre 1988 et 2007. Une deuxième illustration de cette amélioration réside dans la baisse du coût horaire du travail en France : dès le deuxième trimestre 2014, il a atteint 36,80 euros dans l'industrie française alors qu'il s'élevait à 38,50 euros outre-Rhin.
Si ce redressement de la compétitivité nationale est une excellente nouvelle pour notre tissu productif, une mise en perspective européenne doit l'éclairer sous un nouveau jour. En effet, la moyenne de coût horaire du travail au niveau communautaire est de 31,70 euros et atteste des limites de la compétitivité intra-européenne si on l'apprécie sous le seul angle de la compétitivité-coût.
Dès lors, les conséquences fiscales de cette analyse économique nous amènent à nous interroger sur l'opportunité d'une convergence européenne dans laquelle la fiscalité ne serait plus un élément de concurrence entre les États membres, donc entre les entreprises. Il conviendrait au contraire de s'inscrire dans une logique de convergence qui faciliterait à terme les échanges intra-européens et rendrait l'ensemble des entreprises européennes plus compétitives dans le cadre de la compétition mondiale. C'est pourquoi je souhaiterais, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, que vous puissiez nous indiquer quelles initiatives la France entend porter dans le domaine de la convergence des fiscalités au sein de l'Union européenne.
M. Dominique Lefebvre. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, votre question comporte deux éléments.
Je veux tout d'abord rappeler brièvement l'effort considérable que la nation vote et que vous votez, budget après budget, pour diminuer les « charges » je reprends le terme souvent utilisé , les impôts et les cotisations des entreprises. Cet effort porte sur plus de 40 milliards d'euros en quatre ans. Je tiens à le rappeler car j'entends parfois dire que l'amélioration de la situation, en particulier pour les entreprises, serait uniquement due à des facteurs extérieurs comme la baisse du prix du pétrole. Ces facteurs, en particulier le prix du pétrole, jouent un rôle évident, mais l'amélioration de la situation économique est également liée à certaines décisions. Je ne parle pas seulement des mesures que la France a portées au niveau européen, mais aussi des dispositions votées par le Parlement, par vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, et dont nous assumons pleinement la responsabilité.
Ces mesures sont d'ailleurs bien accueillies parce qu'elles constituent de vraies réformes en profondeur. La baisse du coût du travail sans diminution des salaires et le renforcement de la compétitivité des entreprises sont absolument indispensables au développement de notre économie : ils permettent une reprise de l'investissement, dont les chefs d'entreprise disent aujourd'hui qu'ils souhaitent augmenter considérablement le niveau.
J'en viens au deuxième point de votre question, monsieur le député. Vous avez raison : si l'on essaie d'harmoniser les coûts du travail par une diminution des coûts fiscaux, dans un contexte de concurrence sauvage dans le domaine de la fiscalité, il manquera une jambe au dispositif et quelque chose ne marchera pas. Il y a beaucoup de travail dans ce domaine : vous savez que la fiscalité demeure aujourd'hui une compétence des États membres et que, sauf dans certains domaines très particuliers, la prise de décision nécessite un vote à l'unanimité. Cela ne facilite pas forcément les choses, mais nous y travaillons.
Je l'ai dit dans mon intervention et j'aurai peut-être l'occasion de le préciser encore en répondant à d'autres questions : nous travaillons d'abord à la lutte contre les situations aberrantes. Il existe en effet des concurrences fiscales aberrantes, des optimisations fiscales sauvages, agressives, qui permettent à des entreprises, souvent non européennes, de ne payer aucun impôt en Europe alors qu'elles y réalisent un chiffre d'affaires considérable et des bénéfices importants. Il faut donc lutter contre l'optimisation fiscale.
Derrière ce problème se pose la question de la convergence. Il convient de procéder à des harmonisations, en particulier sur la manière de calculer l'impôt sur les sociétés. Une vraie convergence est nécessaire le ministre des finances des Pays-Bas, M. Dijsselbloem, avec qui j'évoquais ce sujet, en convient lui-même. Oui, monsieur le député, après une convergence des coûts du travail, nous voulons permettre aussi une convergence de la fiscalité des entreprises.
M. le président. La parole est à M. Philip Cordery.
M. Philip Cordery. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, depuis l'élection de François Hollande à la présidence de la République en 2012, une profonde réorientation de l'Europe a été amorcée. Cette réorientation commence à porter ses fruits dans notre pays, mais aussi au niveau de l'Union européenne où un changement d'état d'esprit a été constaté.
Des avancées significatives pour la croissance et l'investissement sont à mettre au crédit de la France, avec le soutien de la gauche européenne. L'austérité n'est plus la norme, la relance par l'investissement et la lutte contre le chômage sont devenues les nouvelles priorités assumées de l'Union européenne. Le plan d'investissement européen de 300 milliards d'euros, la pérennisation de la garantie jeunesse, la révision de la directive européenne sur le détachement des travailleurs, l'assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne et la lutte contre l'optimisation et l'évasion fiscales ne sont que quelques-unes des réussites dont nous pouvons tirer de la fierté.
Pour ancrer durablement ce changement en Europe et l'incarner pour les citoyens, il est aussi temps de faire avancer l'Europe sociale. La France peut et doit naturellement être à l'avant-garde d'avancées concrètes en matière sociale à l'échelle de l'Union européenne.
Une première proposition pourrait être la mise en place d'un pilier européen d'assurance chômage dans la zone euro. Cette assurance serait financée par un fonds commun alimenté par les États membres de la zone euro, qui permettrait également de réduire l'importance des chocs macroéconomiques.
Une seconde proposition, la plus urgente et celle sur laquelle je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, est l'adoption du salaire minimum dans toute l'Europe. L'Allemagne a franchi le pas, d'autres doivent le faire. Un salaire minimum dans chaque pays, calculé en fonction du salaire médian, soutiendrait le pouvoir d'achat des salariés et limiterait le dumping social insupportable qui existe entre les États membres et nuit tant aux salariés qu'aux entreprises et aux budgets des États.
L'adoption d'une telle mesure constituerait un signal fort de solidarité européenne renouvelée. C'est pourquoi je souhaite savoir si la France compte porter et soutenir la mise en place d'un salaire minimum européen auprès de nos partenaires et de la Commission européenne, et quelles pourraient en être les modalités.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous avez eu raison d'insister sur le lien entre l'ambition de soutenir prioritairement l'emploi, l'investissement et la croissance, et la nécessité d'uvrer à la convergence des droits sociaux en Europe. En effet, l'Europe ne peut être un espace bâti sur le principe du moins-disant social. Nous ne pensons pas que suivre la voie de la compétitivité et du retour de la croissance revienne à participer à une sorte de course qui amènerait chaque pays à mettre en cause son modèle social, à démolir les protections collectives et à affaiblir les droits des travailleurs. Au contraire, l'Europe doit être un espace qui met la force économique, la compétitivité et l'innovation au service d'un niveau élevé de droits collectifs et de protection des travailleurs. Parallèlement au soutien à la croissance, à la définition d'une nouvelle politique monétaire, d'une nouvelle politique d'investissement et d'une nouvelle approche de la coordination des politiques budgétaires, qui sont des priorités, nous demandons donc que chaque État veille à préserver un haut niveau de droits sociaux.
Vous l'avez dit, cela passe d'abord par une mise en uvre réelle de la directive sur le détachement des travailleurs. Il faut pouvoir encourager la mobilité des travailleurs dans l'espace européen sans que soient mis en cause les droits du pays où ils viennent travailler, en appliquant le principe du pays de destination et non celui du pays d'origine. Il faut donc accroître la responsabilité des travailleurs, des entreprises et des donneurs d'ordre par un renforcement des contrôles et une meilleure coordination entre les différentes inspections du travail des pays de l'Union européenne.
À mesure que la croissance revient, que la convergence économique est en marche et que les pays les moins avancés rattrapent leur retard, grâce à leur niveau de croissance ou par l'effet des politiques régionales et des fonds structurels, il faut aussi s'assurer que le niveau de protection sociale s'élève. C'est pourquoi nous défendons depuis longtemps l'idée que chaque pays doit adopter un salaire minimum, et que le niveau de ce salaire minimum doit tenir compte du niveau de croissance, de développement et du salaire médian. Nous proposons que le montant de référence de ce salaire minimum corresponde à 60 % du salaire médian. En instaurant un salaire minimum, l'Allemagne a contribué à cette orientation, puisque le salaire horaire va être porté à 8,50 euros alors qu'il était, dans certaines entreprises du secteur agroalimentaire ou des services, de l'ordre de 3 ou 4 euros. Nous demandons que tous les pays de l'Union européenne mènent une politique visant à l'établissement de salaires minimums et à la convergence de ceux-ci vers le haut.
M. le président. Nous en venons aux questions du groupe UMP.
La parole est à M. Hervé Mariton.
M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, les groupes de la majorité et le Gouvernement sont responsables de la qualité et de l'intensité des débats de notre assemblée.
Nous avons été invités à débattre du « projet économique et social européen de la France ». C'est un vaste sujet et, effectivement, les députés de la majorité comme de l'opposition ne sont pas très nombreux dans notre hémicycle.
Chacun a compris que le présent débat était un substitut au débat et au vote de l'an dernier sur le programme de stabilité 2014-2017. Ce n'est pas ainsi qu'a été intitulé notre débat. Les choses auraient pu être écrites plus explicitement, elles ne le sont pas. Cette année, nous avons à la fois moins et plus : moins dans la forme même du débat, et plus dans son champ le projet économique et social européen de la France, ce n'est pas rien !
Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, ma question est extrêmement simple. Vous avez prétexté que le calendrier ne permettait pas d'organiser cette année un débat en séance publique et un vote sur le programme de stabilité de la France. Supposons que cet argument soit valide.
Ma question, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, est donc extrêmement simple.
Le Gouvernement s'engage-t-il ce qui correspond à l'esprit des débats et des procédures qui ont prévalu les années précédentes à organiser un débat et un vote en séance publique l'an prochain sur le programme de stabilité ?
La réponse ne peut être que brève. C'est oui ou non !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Merci monsieur Mariton d'insister sur la forme de notre débat, mais vous ne nierez pas l'importance d'un débat sur le fond.
Pour le Gouvernement comme pour la majorité, il est intéressant de connaître les propositions de l'opposition sur le fond,
M. Dominique Lefebvre. Pour nous aussi !
M. Michel Sapin, ministre. pour nous en inspirer pourquoi pas ? et enrichir nos propres propositions. Aussi, je déplore que vous vous en teniez à un débat de pure forme. Cela étant, je vais répondre à vos questions.
Vous connaissez les textes ; ceux-ci ne font pas mention d'une quelconque obligation à organiser un vote. En 2012, à ma connaissance, il n'y a pas non plus eu de vote sur le programme de stabilité.
M. Charles de Courson. Vous choisissez bien vos références ! (Sourires.)
M. Michel Sapin, ministre. Peut-être était-ce lié à un problème de calendrier ? Cela aurait en effet été possible avant l'élection présidentielle. (Sourires.) Il n'y a donc pas d'obligation.
M. Hervé Mariton. Et l'an prochain ?
M. Michel Sapin, ministre. Après avoir été adopté en Conseil des ministres, il faut attendre quinze jours avant d'envoyer le texte à la Commission. Nous devons respecter ce délai et ne pouvons aller au-delà. Or le débat et le vote n'ont pu avoir lieu en séance publique pendant ce laps de temps parce que le Parlement ne siégeait pas. La seule possibilité a été de participer aux réunions de commission,
M. Charles de Courson. Nous étions là en effet.
M. Michel Sapin, ministre. ce que nous avons fait avec plaisir, aussi bien le ministre de l'économie que le secrétaire d'État chargé du budget et que moi-même. Il n'y avait donc pas d'autre solution que d'organiser un débat sans vote aujourd'hui.
M. Hervé Mariton. Et l'an prochain ?
M. Michel Sapin, ministre. Quant à l'an prochain, je ne connais pas encore les dates des vacances parlementaires !
M. Hervé Mariton. À quoi le sort de la France tient-il !
M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour une seconde question.
M. Hervé Mariton. Vous avez intérêt, monsieur le ministre, à ce que les vacances parlementaires vous soient favorables l'an prochain, car vous n'avez indiqué qu'un seul motif d'exception. (Sourires.) Si les vacances parlementaires, par bonheur pour vous, permettent un débat et un vote, vous êtes fait ! (Nouveaux sourires.)
Le Président de la République a annoncé un certain nombre d'évolutions utiles s'agissant du budget de la défense et de la loi de programmation militaire avec un déploiement de plus de 2 milliards d'euros supplémentaires de crédits budgétaires au titre de l'année 2015, ainsi que des moyens supplémentaires pour les années ultérieures.
Le Gouvernement est-il en mesure de nous préciser de quelle manière ces évolutions budgétaires seront financées ?
Pour être cohérents, messieurs les ministres, il faudrait lever la réserve de précaution sur la mission Défense. Or celle-ci est en partie consommée ou susceptible de l'être pour le financement d'autres dépenses nouvelles engagées par le Gouvernement.
Première question : lèverez-vous intégralement la réserve de précaution sur la mission Défense. Seconde question : comment financez-vous les 2,2 milliards d'euros de crédits budgétaires supplémentaires en 2015 ? Si vous êtes en mesure de vous engager sur la manière de faire en 2016 et 2017, je suis preneur !
M. Charles de Courson. Cela nous arrangerait de le savoir.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Et pourquoi pas 2018, 2019 et 2020 ?
Nul ne peut préjuger du moment auquel les fréquences hertziennes dont il est question le montant de la vente est estimé à 2,2 milliards d'euros seront vendues. L'hypothèse selon laquelle elles peuvent être cédées en 2015 n'est pas complètement à exclure. Si tel était le cas, supprimer une recette de 2015 et la porter sur 2016 je pense que ces fréquences seront vendues en 2016 suppose qu'il y aura une inscription budgétaire de 2 milliards. Nous verrons à quel moment nous pourrons déporter la recette sur 2015.
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de nouveauté : les 31,4 milliards d'euros de crédits pour la défense ont été confirmés tant par le Président de la République que par le ministre de la défense, celui des finances et par votre serviteur. Nous avons toujours dit qu'il y aurait 31,4 milliards de dépenses. Si les 2,2 milliards n'étaient pas au rendez-vous, je peux vous rassurer en disant qu'ils sont inscrits dans la loi de programmation militaire. En revanche, la recette sera inscrite, en 2015 ou en 2016.
M. Charles de Courson. La recette est dans le budget.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. La loi de programmation militaire n'est pas encore votée, monsieur le député. En tout état de cause, la trésorerie sera assurée par différents dispositifs.
M. Hervé Mariton. Où allez-vous trouver l'argent ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous évoquerons le sujet en commission si vous le souhaitez, comme nous l'avons toujours fait.
S'agissant des dépenses supplémentaires que vous avez évoquées, je rappelle que la réserve de précaution est supérieure à 7 milliards d'euros. Vous semblez découvrir que le coût des opérations extérieures est souvent supérieur aux crédits inscrits ; c'est assez habituel et n'a rien à voir spécifiquement avec nous.
M. Charles de Courson. Cela fait dix ans que cela dure.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Lorsque vous étiez dans la majorité, vous avez connu ce type de dépassements. Et vous savez, monsieur le député, comment ils sont assurés. Ils sont généralement répartis en fin de gestion sur l'ensemble des ministères, le ministère de la défense prenant sa part. Il n'y a pas là de nouveauté. Nous aurons l'occasion d'y revenir en commission ou dans le cadre de la discussion de la loi de programmation militaire.
M. le président. Nous en venons à une question du groupe UDI.
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Ma question porte sur les mesures d'économies complémentaires envisagées par le Gouvernement afin d'atteindre l'objectif de 50 milliards d'euros d'ici à 2017.
Selon le Programme de stabilité, 4 milliards d'euros complémentaires seraient réalisés en 2015 et 5 milliards en 2016.
L'effort demandé aux collectivités locales en 2015 serait nul, mais en 2016, il représentera 1,2 milliard d'euros.
Il est indiqué dans les documents gouvernementaux que « les administrations publiques locales devraient ralentir plus significativement leurs dépenses de fonctionnement ».
Or, les collectivités locales prennent une très large part à l'effort de redressement des comptes de l'État, à hauteur de 11 milliards d'euros sur les années 2015 à 2017 : ce qui ne veut pas dire à leurs comptes à elles.
La réduction sans précédent des dotations aux collectivités a conduit à une augmentation dès cette année, une note du ministère de l'intérieur qui vient d'être publiée estime cette augmentation à 1,6 à quoi il faut ajouter la réévaluation forfaitaire de 0,9. Cela signifie que les impôts des collectivités territoriales augmenteraient de 2,5 %.
La réduction des dotations a également conduit à un effondrement de l'investissement aux dernières nouvelles, on parle d'une baisse de l'ordre de 14 % pour les communes et les intercommunalités en 2014, et une poursuite de la baisse en 2015, entre 5 et 10 % supplémentaires et à très peu d'économies de fonctionnement.
En outre, le Gouvernement contribue à la hausse des dépenses des collectivités locales, notamment avec la réforme des rythmes scolaires qui coûte entre 700 et 800 millions supplémentaires.
Ma question est simple : quelle mesure envisage de prendre le Gouvernement pour ralentir, à hauteur de 1,2 milliard d'euros, les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce n'est pas parce que les chiffres sont assénés avec force qu'ils sont nécessairement justes. Je pense notamment à ce que vous avez dit concernant la baisse des dépenses d'investissement ou la progression des impôts. Évoquer l'augmentation des impôts peut faire peur ou faire fantasmer. Vous savez mieux que moi, ou pour le moins, aussi bien, que la hausse des produits fiscaux des collectivités résulte de plusieurs facteurs.
Premièrement, d'une variation nominale des bases d'imposition, qui ont été fixées par le Parlement à 0,9 %. Cela représente un peu plus de 500 millions d'euros. Sans que l'on ne fasse rien, cela représente 500 millions d'euros supplémentaires pour les collectivités locales.
Deuxièmement, d'une augmentation de l'assiette, augmentation physique des bases d'imposition vous connaissez cela par cur.
M. Charles de Courson. De l'ordre de 500 millions.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Plus de bâtiments, plus de matière imposable. Généralement, le phénomène est assez positif.
Troisièmement, d'une augmentation des taux d'imposition qui relève de la décision des élus locaux. Un grand journal du matin indiquait que deux tiers des collectivités locales n'avaient pas touché à leur taux d'imposition. Vous vous focalisez sur quelques grandes villes, qui ont souvent surévalué l'augmentation de leur taux d'imposition, je pense à Toulouse notamment trois fois le montant de la diminution de la dotation globale de fonctionnement sans tenir compte des augmentations naturelles des recettes que je viens d'évoquer.
Pour répondre à vos inquiétudes, je vous indique que nous avons travaillé sur ce qu'on appelle le « panier du maire », c'est-à-dire les dépenses de fonctionnement et nous avons constaté qu'elles étaient sensibles à l'inflation et au prix de l'énergie. Quand on chauffe des écoles, des bâtiments publics, on note une baisse de la dépense cette année. Avec une inflation de 0 %, on peut considérer que ce qui était estimé à 0,9 % en loi de finances conduira à une baisse des dépenses de fonctionnement.
Pour aller plus loin dans une forme d'incitation, vous connaissez comme moi les leviers en matière de gouvernance et les problèmes constitutionnels qui s'y rapportent, nous avons, dans un premier temps, instauré un objectif d'évolution de la dépense publique locale ODEDEL. Nous pourrons aller plus loin, mais le Parlement en débattra. Pour l'heure, des parlementaires travaillent sur le sujet.
M. le président. Nous en venons à une question du groupe RRDP.
La parole est à M. Joël Giraud.
M. Joël Giraud. Je ne m'attarderai pas sur le programme de stabilité 2015-2018. Je me bornerai à citer le commissaire aux affaires économiques et financières Pierre Moscovici qui déclarait hier : « L'héritage de la crise reste encore présent. Le printemps ne doit pas être qu'une saison [,.,] ce n'est pas parce que la situation conjoncturelle s'améliore qu'il faut arrêter les réformes structurelles, au contraire. »
De quelle « crise » parlons-nous ? Assurément pas d'une crise de la dépense publique puisque, sur une échelle de trente ans, la part des dépenses a chuté de 2 points de PIB !
Non, il s'agit d'une crise financière doublée en conséquence, d'une crise de la dette !
Quel projet porte la France pour en prémunir durablement l'Europe ?
D'abord, et ce sera ma première question, qu'en est-il de notre position sur la taxe sur les transactions financières, la TTF ?
La directive de février 2013 dans le cadre de la coopération renforcée, est aboutie : elle améliore le champ d'application et les objectifs. L'approche qui consiste à taxer toutes les transactions ayant un lien avec la zone TTF est maintenue ainsi que les taux de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés. Elle pourra générer de 30 à 35 milliards d'euros par an tout en régulant les marchés !
Néanmoins, vous aviez, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, déclaré en mai 2014 à la sortie du conseil Écofin, que « d'ici à la fin 2014 devra avoir été élaborée une nouvelle directive qui permettra de rendre applicable ce nouveau dispositif au 1er janvier 2016 ». Où en est-on ? !
Ensuite, et c'est ma deuxième question, quelle est votre position sur la réforme bancaire européenne ? La directive de séparation des activités commerciales et d'investissement portée par le commissaire français Michel Barnier semblait raisonnable et souhaitable. Pourtant, son successeur sir Jonathan Hill écrivait à Frans Timmermans en fin d'année 2014 : « Nous devons voir quels progrès seront réalisés concernant la proposition de réforme structurelle des banques, car des États membres s'y opposent de diverses manières ». Pour le commissaire Hill, le retrait de la proposition « pourrait être une option l'an prochain si les États membres ne s'y rallient pas ».
Où en est-on ? Rappelons qu'il ne s'agit pas de casser un modèle, mais uniquement d'endiguer les risques d'une crise prochaine !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Vos deux questions en une sont tout à fait légitimes. Elles partent du constat que la crise avait pour origine le dérèglement financier. Tout ce que nous pouvons faire ensemble au niveau européen pour éviter à l'avenir ce type de dérèglement sera une bonne chose pour notre économie et l'emploi.
S'agissant de la taxe sur les transactions financières, élément important du débat public depuis longtemps, celle-ci n'avance pas véritablement sauf sur certains aspects. Par exemple, les actions, dans de nombreux pays. En France, nous avons augmenté en 2012 une taxe sur les transactions actions.
J'y ai mis ma part d'énergie, mais nous n'avons pas réussi en 2014. Pour autant, l'objectif n'est pas remis en cause. Au 1er janvier 2016, nous devrons avoir un nouveau texte qui engage le plus grand nombre possible de membres de l'Union européenne. Nous en sommes à onze, peut-être en attirerons-nous quelques autres.
La proposition française, rappelée par le Président de la République, est très claire : la base doit être la plus large possible, avec un taux éventuellement plus faible que celui qui avait été initialement proposé afin, dans un premier temps, de ne pas créer de troubles trop importants qui risqueraient, au bout du compte, de faire disparaître la base sur laquelle nous souhaitons asseoir cette taxe pour qu'elle puisse rapporter.
Dans ce domaine, le travail est actuellement mené par mon collègue autrichien, qui préside politiquement le groupe de travail, et nous disposerons prochainement lundi prochain, puis en juin d'un rapport précis, en vue de pouvoir aboutir d'ici à la fin de l'année.
La deuxième question portait sur les banques et les modalités d'organisation de la lutte contre les risques que celles-ci peuvent présenter. Outre l'union bancaire, très importante, que j'ai évoquée, ainsi que la supervision et la résolution, il faut également être attentifs à l'organisation de ces groupes.
Là encore, la position de la France est claire : il ne s'agit pas de rechercher un schéma qui s'appliquerait universellement, mais de tenir compte des risques réels présentés par chacune des banques concernées, car c'est en fonction de ces risques réels que des décisions doivent être prises. Telle est l'orientation actuellement prise par le commissaire et nous devrions recevoir dans quelques semaines une proposition de directive dans ce domaine.
Sur ces deux sujets, donc, nous progressons bien.
M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.
Mme Eva Sas. Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, chers collègues, comme vous le savez et comme cela a été dit, la reprise actuelle repose essentiellement sur des facteurs extérieurs, comme la baisse des prix du pétrole et la dépréciation de l'euro.
Comme vous, nous souscrivons à l'idée que cette reprise ne pourra se maintenir sans relance de l'investissement public et privé. Les hypothèses que vous adoptez dans le programme de stabilité présenté à la Commission européenne reposent du reste sur une augmentation de 3,3 % de l'investissement privé en 2016, soutenue notamment par la mesure d'amortissement exceptionnel supplémentaire de 40 % annoncée le 8 avril dernier.
Je souhaiterais cependant insister sur deux points.
Tout d'abord, si les mesures annoncées en matière d'investissement privé peuvent paraître ambitieuses, l'investissement public ne semble pas soutenu à la même hauteur et peut être affaibli par la réduction des dotations aux collectivités locales, qui atteint 3,7 milliards d'euros en 2015.
En effet, selon une note de conjoncture de la Banque postale publiée ce mardi 5 mai, l'investissement des collectivités territoriales passerait en 2015 sous la barre des 50 milliards d'euros, pour la première fois depuis 2006, et serait en baisse de 7,3 % par rapport à 2014.
Deuxièmement, la reprise ne sera durable que si l'investissement sert un changement de modèle économique, une modification de la structure sectorielle de notre économie. Nous avons en effet la responsabilité de construire l'économie de l'avenir une économie basée sur les économies d'énergie, les énergies renouvelables, les transports collectifs et le recyclage des ressources. Nous souhaiterions donc avoir des éclaircissements quant à la priorité donnée à la transition écologique dans la politique d'investissement en France et en Europe.
Vous avez en effet évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre, le rôle de l'Europe dans la lutte contre le changement climatique, mais nous sommes particulièrement inquiets de constater que le Parlement européen, par un accord conclu entre le Parti populaire européen et les socialistes et démocrates, a abandonné l'affectation d'une partie des moyens du plan Juncker à des projets d'efficacité énergétique : il ne faudrait pas que l'engagement écologique de l'Europe ne se traduise pas dans sa politique d'investissement.
Enfin, dans la perspective de l'accélération de la transition écologique, nous souhaiterions savoir quelle suite vous comptez donner à l'idée, avancée dans la note récente de Michel Aglietta et Étienne Espagne, de permettre à la Banque centrale européenne d'acheter massivement des titres de dette correspondant à des investissements « bas carbone » et créateurs d'emplois ?
M. le président. La parole est à M. Harlem Désir, secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la députée, vous avez raison de dire que l'un des moteurs de la croissance, en Europe comme en France, consistera à investir dans la transition énergétique c'est du reste l'un des objets de la loi de transition énergétique et du cadre énergie-climat fixé au niveau européen.
À cette fin, il faut que les instruments de soutien aux investissements en Europe puissent eux-mêmes orienter une grande partie de ces investissements, publics et privés, vers l'efficacité énergétique, vers les technologies environnementales propres et une économie décarbonée et vers des infrastructures telles que les interconnexions électriques, qui contribueront à ce nouveau modèle de croissance. Tel est bien l'un des objets du plan Juncker.
Même si un amendement en ce sens n'a finalement pas été retenu au Parlement européen, il me semble absolument clair que, pour la Banque européenne d'investissement et pour le Président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker les deux acteurs qui piloteront le futur fonds d'investissement stratégique , ainsi que, du côté français, pour la Caisse des dépôts des consignations et pour la Banque publique d'investissement, qui porteront et accompagneront une grande partie des projets destinés, sur notre territoire, à aller chercher cette garantie et ces financements du futur plan Juncker, la transition énergétique est l'un des grands thèmes prioritaires qui devront être soutenus, aux côtés du numérique, qui a été évoqué tout à l'heure, et de projets d'innovation dans d'autres domaines, comme la santé.
De fait, bien qu'on ne puisse aujourd'hui préciser de chiffres il ne faudrait, du reste, pas le faire, car il faut que les projets puissent se constituer et être présentés au futur fonds Juncker , une grande partie des financements seront consacrés à la transition écologique. Nous y veillerons donc, mais soyez assurée que cette idée, cette perspective et ce concept sont partagés dans cette stratégie de croissance.
En deuxième lieu, je tiens à rappeler que d'autres instruments que le fonds Juncker peuvent jouer un rôle considérable pour financer cette croissance durable.
Ce sont tout d'abord les fonds structurels européens. Les régions viennent en effet de signer leurs programmes opérationnels avec la Commission européenne et, sur plus de 25 milliards d'euros de fonds européens engagés pour la période 2014-2020 pour soutenir la croissance des infrastructures et l'innovation dans les régions, 9,8 milliards seront consacrés à la croissance durable.
Je pense également au verdissement de la politique agricole commune : 30 % environ des paiements directs sont en effet des paiements verts, qui contribuent à l'« agro-écologie », comme on dit en France.
Il existe également des instruments plus spécifiques de soutien à des investissements qui contribueront à la croissance durable en Europe. Le mécanisme d'interconnexion pour l'Europe représente ainsi 5,8 milliards d'euros pour le secteur énergétique et le recours à ce mécanisme pour financer la liaison Lyon-Turin où le canal Seine-Nord contribue également à la croissance durable.
Il faut en outre ajouter que la Banque européenne d'investissement avait décidé, avant même que ne soit lancé le fonds Juncker, de consacrer 25 % de ses financements au changement climatique.
Nous partageons donc cette priorité.
M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Gaby Charroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, j'aurais pu évoquer la question de la presse au niveau européen, mais je ne crois pas que ce soit l'objet du présent débat. Permettez-moi cependant par parenthèse, monsieur le ministre, de vous remercier de votre intervention, qui permet au journal La Marseillaise de poursuivre l'aventure de l'édition.
J'aurais également pu évoquer la SNCM, qui relève peut-être de l'Europe mais je le ferai ce soir, dans le cadre d'une question à M. le ministre des transports.
J'évoquerai donc simplement la question de l'évasion fiscale. En effet, comme vous le savez, les élus de mon groupe n'ont cessé de rappeler que la lutte contre les déficits publics passait par une intensification de la lutte contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux. Or, l'action a minima de l'Union européenne traduit un déficit de volontarisme dans un domaine symptomatique des dérives actuelles : l'inégalité devant l'impôt.
La Commission européenne avait promis de tirer les leçons du scandale « Luxleaks », qui a révélé comment des centaines de multinationales s'affranchissaient de tout ou partie de leur impôt en Europe grâce à leur holding luxembourgeoise. Ce sont ainsi des milliards d'euros d'impôts non perçus qui manquent cruellement au moment où les gouvernements sont obligés de sabrer dans les dépenses publiques au nom de l'austérité et de l'équilibre budgétaire.
M. Pierre Moscovici, désormais commissaire européen aux affaires économiques, vient d'annoncer un projet de plan d'action contre les paradis fiscaux et l'optimisation à outrance. Il s'agit cette fois de s'attaquer au rescrit fiscal, ou « tax ruling », qui consiste pour une entreprise à prendre des garanties fiscales auprès d'un État sur le territoire duquel elle compte s'implanter et qui débouche souvent sur un montage complexe d'optimisation fiscale.
Or, ces propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux. L'ONG Oxfam, spécialisée notamment dans le domaine de la transparence financière, a considéré que ces mesures, concrètement, « ne font rien pour empêcher les accords fiscaux de type Luxleaks ».
Peut-on s'en étonner ? M. Jean-Claude Junker, actuel président de la Commission européenne et ancien Premier ministre et ministre des finances du Luxembourg, ne pouvait ignorer le scandale Luxleaks. Compte tenu de sa responsabilité directe ou indirecte dans cette affaire, sa nomination à la présidence de la Commission européenne est soit irresponsable, soit significative de l'état dans lequel se trouve l'Europe.
Monsieur le ministre, à défaut de pouvoir compter sur une quelconque initiative d'ampleur de la Commission européenne, que compte faire le Gouvernement de la France pour que l'Europe s'attaque enfin de manière réellement ambitieuse au fléau des paradis fiscaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Je vous remercie tout d'abord, monsieur le député, de ce que vous avez dit à propos de l'avenir de la presse nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler. Il est important que les débats puissent avoir lieu, ici comme ailleurs dans l'opinion, sur des sujets tels que ceux que nous évoquons aujourd'hui.
Je vous trouve un peu dur envers les positions prises et envers les décisions en cours dans le domaine de la lutte contre l'optimisation fiscale dite « agressive ». De fait, s'il est un domaine où les choses ont évolué très vite au cours des dernières années, c'est bien celui-là.
En effet, pendant des dizaines d'années, ce sujet a été abordé et écarté mais, en trois ans, des décisions véritablement importantes ont été prises je pense en particulier à l'échange automatique d'informations concernant les personnes, qui a eu pour effet que de nombreuses personnes qui avaient des comptes à l'extérieur viennent aujourd'hui les déclarer pour mettre fin à des situations parfaitement anormales : ce sont plus de 2 milliards d'euros qui ont été recouvrés à ce titre l'année dernière, et peut-être plus de 2,6 milliards d'euros cette année.
Dans le domaine économique, M. Pierre Moscovici prépare actuellement une directive, qui sera adoptée très rapidement, afin de mettre fin à l'opacité des rulings. Là encore sera instaurée une obligation d'information automatique des administrations fiscales des autres pays lorsqu'une décision de cette nature aura été prise. Cela aura pour conséquence que, si un pays décide, à la suite de discussions avec une entreprise, de ne pas l'imposer, la France pourra, quant à elle, l'imposer sur son territoire pour les affaires qu'elle y aura réalisées. Voilà encore un progrès considérable.
L'optimisation fiscale recouvre encore d'autres aspects, comme ce que l'on appelle, en termes techniques, les « prix de transfert » ce que paie une entreprise, au titre d'un brevet, d'une marque ou d'une quelconque rémunération, à une entreprise-mère installée dans une île lointaine où l'on paie peu d'impôts : ces sommes sont parfois anormalement élevées, permettant de diminuer ou d'annuler le bénéfice de l'entreprise française « fille ». Il sera mis fin à cette pratique, grâce à des propositions très concrètes qui, je l'espère, pourront être adoptées d'ici la fin de cette année.
J'espère même que, dans la loi de finances pour 2016, nous pourrons traduire en droit français les éléments de ces directives, qui sont des progrès considérables.
M. le président. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 7 mai 2015