Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec TV5 Monde le 10 mai 2015, sur les relations franco-cubaines, la construction européenne, le Royaume-Uni dans l'Union européenne, la situation en Ukraine, la Grèce et la Zone euro, la politique en faveur de la jeunesse européenne, les commémorations de l'abolition de l'esclavage et sur la politique européenne en matière d'immigration.

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Texte intégral


- Cuba
(...)
Q - Que va faire le président François Hollande à Cuba ? On est déjà dans la course avec les Américains pour tirer meilleur bénéfice possible du rapprochement avec les cubains... Des investissements, faire des affaires ?
R - Non, je ne crois pas qu'il y ait une course, parce que la France n'a jamais été sur la position des Américains, de l'embargo, et donc d'une levée de l'embargo. Nous, nous avons toujours eu des relations avec Cuba, et d'ailleurs le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, s'est déjà rendu à Cuba, ainsi que le secrétaire d'État au commerce extérieur, il y a plusieurs mois. La France a été un pays...
Q - Mais s'il n'y avait pas le rapprochement en cours avec les États-Unis, je ne suis pas sûr que M. Hollande...
R - Nous voulons accompagner et je crois que le président de la République y serait allé, de toutes façons. Nous voulons accompagner Cuba dans son ouverture, dans son ouverture démocratique, dans son ouverture économique, dans son ouverture sur non seulement sa région, la Caraïbe, dans laquelle nous sommes présents, et l'Amérique centrale, mais aussi vers le monde.
Q - Pour vous ce rapprochement va générer forcément une ouverture, une évolution démocratique, c'est ce que vous espérez ?
R - C'est ce que nous souhaitons, c'est ce que nous avons toujours proposé. L'Union européenne, qui est un partenaire important de Cuba, doit accompagner ce moment. À un moment l'Union européenne avait pris des sanctions. Or, je crois que ça n'est pas de cette façon que l'on peut traiter l'évolution d'un pays comme Cuba, qui a été un formidable symbole d'émancipation au moment de la révolution castriste, mais qui ensuite s'est refermé et a été...
Q - Symbole d'une dictature.
R - Voilà, et ensuite a été effectivement un symbole de privation des libertés. Il faut en finir avec cette dictature qui a existé, et c'est le chemin, je crois, qu'ont pris les autorités cubaines. Il faut amplifier, accompagner, cette ouverture.
Q - Mais on reste vigilant sur le plan des droits de l'Homme, qu'est-ce que vous diriez aujourd'hui de Cuba ?
R - Oui, nous restons vigilants, c'est une des exigences de l'Union européenne dans ses relations avec Cuba, le pluralisme politique, la liberté d'expression, qu'il n'y ait pas de prisonniers d'opinion. Pour cela il faut se parler, il faut être là, il faut accompagner le mouvement qui est en cours.
(...).
- Union européenne - Royaume-Uni
Q - Il y a 65 ans, presque jour pour jour, dans ce qu'on appelle la «Saint Schuman», à l'époque le ministre Schuman, ministre français, Robert Schuman, des affaires étrangères, faisait cette déclaration, lançait l'idée de l'Europe, d'un grand souffle, d'une ambition partagée, il disait : «l'Europe ne se fera pas d'un seul coup, ni dans une construction d'ensemble.» Est-ce qu'on ne voit pas l'inverse 65 ans tout juste après, d'une Europe qui ne fait plus rêver et qui, d'une certaine façon, se détricote ?
R - Oui, il disait que ce serait par petits pas que l'on réussirait à construire cette communauté de destin, cette communauté de valeurs. On vient de fêter à la fois le 70ème anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le 8 mai, et le 65ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman...
Q - Dans une certaine discrétion on l'a fêtée, d'ailleurs.
R - Je crois que c'est parce qu'il y a eu l'année dernière les cérémonies du débarquement en France qui ont eu un fort retentissement. Il est vrai qu'on a considéré qu'en juin 1944 on pouvait commencer à entrevoir la fin de cette Seconde Guerre mondiale. Il faut se souvenir que, pendant le XXème siècle, l'Europe a produit deux déflagrations qui sont nées de la confrontation entre les nationalismes, qui ont mené à la barbarie, au génocide des juifs, aux ravages de la culture sur le continent. Mais l'Europe a aussi produit la déclaration Schuman et la construction européenne.
Quand on regarde ce qui se passe autour du continent européen, ce qui se passe à l'Est, en Ukraine et en Russie, ce qui se passe au Moyen-Orient, en Irak, en Syrie, ce qui se passe en Libye, ce qui se passe au Sahel, on ne peut pas considérer que c'est négligeable d'avoir réussi à construire cette unité européenne autour de la démocratie, de la paix. Chaque fois, d'ailleurs, que des pays se sont émancipés de la dictature, ils se sont tournés vers l'Union européenne. C'est vrai des pays d'Europe du Sud, comme la Grèce quand elle s'est débarrassée des colonels, le Portugal après Salazar, l'Espagne après Franco, comme des pays de l'Est après la chute du rideau de fer et du Mur de Berlin. Il s'agit donc là d'un acquis extraordinaire.
On peut certes faire des reproches, des critiques à l'Union européenne. Il faut sans cesse essayer de l'améliorer. Nous-mêmes, nous nous sommes battus pour la réorienter, en particulier vers d'autres priorités, en matière économique, vers la croissance, vers l'emploi, et non pas l'austérité. Pour autant, il ne faut jamais oublier ce qu'elle a permis d'instaurer sur le continent.
Q - Vous avez dû être déçu de voir que finalement M. Cameron repartait pour un mandat en ayant promis ce référendum.
R - Les électeurs s'expriment dans chacun des 28 pays de l'Union européenne à tour de rôle. Évidemment, nous respectons le choix qu'ils font et le président de la République a appelé David Cameron pour le féliciter de son élection. Il lui a proposé de venir à Paris dès qu'il aurait constitué son gouvernement, pour parler notamment des coopérations, qui nous rapprochent dans beaucoup de domaines. Je pense aux coopérations en matière d'énergie, en matière scientifique, de défense. La Grande-Bretagne est aussi probablement le pays où il y a le plus de jeunes étudiants français qui vont suivre des études.
C'est vraiment un pays qui nous est très proche. En même temps, il y a les questions européennes que votre reportage a évoquées, avec la perspective d'un référendum. Donc, il faut en parler. Il faut entendre les peuples quand ils s'expriment. Il faut prendre en compte les aspirations exprimées par les électeurs britanniques et, en même temps, il ne faut pas défaire l'Europe.
Il ne faut pas fragmenter l'Europe...
Je crois que David Cameron lui-même doit faire usage de sa large majorité pour convaincre les Britanniques que c'est l'intérêt de la Grande-Bretagne de rester dans l'Union européenne, comme c'est l'intérêt de l'Union européenne que la Grande-Bretagne reste en son sein. La place de la Grande-Bretagne est dans l'Union européenne.
Il peut y avoir des améliorations du fonctionnement de l'Union européenne. On parle parfois de simplifications, par exemple, pour éviter l'excès de bureaucratie, mais il ne doit pas y avoir de remise en cause des principes fondateurs de l'Union européenne, comme la liberté de circulation, ni des politiques communes, comme la Politique agricole commune. Un seul pays ne peut pas remettre en cause la volonté des autres de continuer à avancer ensemble pour faire face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés : ceux de la sécurité, ceux de la paix, ceux de l'énergie et du climat, ceux aussi de la mondialisation.
Q - Que pensez-vous de son bilan en matière d'économie, de recul du chômage par exemple ? Comment est-ce que vous voyez ça ? Quelle leçon est-ce que vous en tirez ?
R - Je ne sais pas s'il faut essayer de transposer la situation d'un pays, avec ses particularités, comme le Royaume-Uni, à d'autres pays dans l'Union européenne. Chacun d'entre nous connaît des situations politiques particulières.
En tout cas, ce résultat montre que quand on a des résultats économiques et que l'on a réformé son pays, les citoyens le reconnaissent. Cela ne veut pas dire que l'on peut considérer qu'il faille suivre le même type de politique. Chaque gouvernement, en fonction de son orientation politique, a ses priorités sur les réformes. En tout cas, cela montre que l'on peut être un sortant, on peut être le leader d'une majorité sortante, et être réélu. Pour cela, il faut que la situation économique et celle de l'emploi s'améliorent - cela compte certainement - et que les citoyens aient le sentiment que la politique menée a contribué à cette amélioration.
Comme je l'ai dit, je pense que la place du Royaume-Uni est dans l'Union européenne et qu'il faut, évidemment, entendre les aspirations exprimées par les électeurs de chacun des pays quand ils votent - cela a été le cas avec la Grèce, c'est le cas aujourd'hui avec le Royaume-Uni - et les prendre en considération pour améliorer le fonctionnement de l'Union européenne, ou des politiques européennes.
Mais cela ne doit pas se faire, encore une fois, au détriment des acquis européens, au détriment des principes, comme par exemple la liberté de circulation des citoyens de l'Union européenne. Or, j'observe que certains, au Royaume-Uni, voudraient remettre ces principes ou les politiques communes en cause.
J'ai évoqué la Politique agricole commune. Je pourrais parler de la politique de la recherche, des politiques que nous devons mettre en oeuvre dans le domaine de l'énergie, dans le domaine du numérique. Je pourrais parler aussi tout simplement des acquis des traités européens.
Nous, nous sommes prêts à examiner des demandes, nous verrons celles qui seront formulées par David Cameron au cours des mois à venir, mais à traités constants parce que je ne crois pas qu'il faille remettre en cause le socle sur lequel fonctionne l'Union européenne.
Q - Donc vous voulez dire, Harlem Désir, qu'il est possible de modifier certaines directives, mais pas les traités ?
R - On ne touche pas aux principes, on ne touche pas à des acquis comme la libre circulation. On ne touche pas aux grandes politiques communes qui nous permettent de mieux affronter ensemble un certain nombre de défis - je parlais de l'agriculture - et on ne modifie pas les règles générales à chacune des élections qui a lieu dans un pays.
Un seul pays ne peut pas imposer aux autres de remettre en cause les traités européens. Je crois qu'il faut qu'il y ait une discussion qui permette, encore une fois, de prendre en compte, dans les politiques européennes, les améliorations qui sont possibles. Nous souhaitons tous que l'Europe fonctionne d'une façon plus simple, d'une façon plus efficace. C'est d'ailleurs aussi, je crois, la volonté du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
Face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés, la sécurité à nos frontières, le terrorisme, le changement climatique, les politiques en matière d'énergie, et en particulier de sécurité d'approvisionnement, les migrations, est-ce que l'on peut avoir 28 réponses différentes, pays par pays ? Non.
Nous avons besoin de plus d'unité et pas de fragmentation européenne. Donc, il nous faut renforcer la cohésion européenne et ne pas accepter la fragmentation européenne. Il nous faut faire attention à ces mouvements populistes, nationalistes, parfois extrémistes, qui proposent de fausses solutions qui reposent sur le repli sur soi et la remise en cause des politiques communes. Certains voudraient rétablir les frontières nationales, d'autres veulent remettre en cause la monnaie commune, d'autres veulent remettre en cause les politiques communes. Nous ne pouvons pas l'accepter.
Q - C'est tout de même une priorité de maintenir la Grande-Bretagne dans l'Union européenne, est-ce que c'est la priorité du moment ?
R - C'est une priorité de renforcer l'unité européenne et, donc, nous souhaitons que la Grande-Bretagne reste dans l'Union européenne. David Cameron lui-même a indiqué...
Q - Il est pour, à titre personnel.
R - Voilà, il devra préciser ce que sera la question posée au moment du référendum qu'il organisera, et convaincre les Britanniques qu'il leur faut rester dans l'Union européenne. C'est l'intérêt de la Grande-Bretagne parce qu'elle a énormément d'échanges économiques avec l'Europe ; c'est son principal marché. C'est là que se font l'essentiel des investissements, des échanges entre entreprises. Il y a donc beaucoup de raisons, évidemment, qui, de façon évidente encore une fois, plaident pour que la Grande-Bretagne reste dans l'Union européenne. Je crois que cela sera la responsabilité de David Cameron de convaincre les électeurs...
Q - Craignez-vous une forme d'alliance, une éventuelle alliance entre David Cameron, réélu, renforcé au Royaume-Uni, et Angela Merkel, pour aller justement vers cette fameuse renégociation des traités. Est-ce que vous craignez cette alliance ou pas, à nouveau ?
R - Nous travaillons de façon très étroite avec Angela Merkel et l'Allemagne sur le renforcement de la coordination de la gouvernance de la zone euro. On voit bien que ce sont deux approches complètement différentes. Il y a d'une part une demande visant à réformer les traités pour qu'il y ait moins d'unité européenne, c'est celle des eurosceptiques, et d'autre part la discussion que nous avons, avec l'Allemagne, et d'autres pays, comme l'Italie, dans le cadre d'une réforme de l'Union économique et monétaire.
Un rapport va être présenté dans les prochaines semaines par le président Jean-Claude Juncker, le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, le président de l'Eurogroupe, M. Dijsselbloem, et le président du Conseil européen, Donald Tusk. L'objectif est de tirer les leçons de la crise et de voir comment il est possible, après avoir créé l'union bancaire, le mécanisme européen de stabilité, c'est-à-dire des mécanismes pour éviter qu'à l'avenir des crises bancaires ne se répandent à l'ensemble de l'économie, de renforcer la coordination de nos politiques économiques au service de la croissance, au service de l'investissement, au service de l'emploi.
Nous sommes donc totalement dans le même état d'esprit, de ce point de vue, que nos partenaires, que l'Allemagne, et que les autres pays de la zone euro. On voit bien que, précisément, si nous allions dans la direction proposée par certains eurosceptiques, nous affaiblirions cette coordination plus importante que nous recherchons, au contraire, au sein de la zone euro.
Q - Mais le fait même que la question soit peut-être posée l'année prochaine, un référendum, la Grande-Bretagne n'a fait qu'un référendum, c'était pour l'entrée dans l'Union européenne, le fait même que cette question soit posée, c'est quand même bien que l'Europe ne fait plus rêver, elle est affaiblie, on vit une phase historique d'affaiblissement.
R - Je pense qu'il faut quand même faire la part entre la Grande-Bretagne, qui a toujours eu, comme vous venez de le rappeler, un rapport un peu différent à l'Europe, puisqu'elle n'a pas pris part au moment de la déclaration Schuman...
Q - Elle n'est pas dans l'euro....
R - Voilà, elle a rejoint, en 1973, la Communauté européenne, parce que ses liens économiques, la réalité de sa proximité géographique et culturelle, évidemment, l'arriment à l'Europe, mais avec toujours, en Grande-Bretagne, un débat qui est spécifique, qui tient à ses liens avec les États-Unis, à son histoire propre.
Je crois qu'il ne faut pas confondre cela avec le fait qu'au coeur du continent il y a, au contraire, de plus en plus de pays qui veulent adhérer à l'Union européenne. On a même vu à l'Est du continent, c'est peut-être une des parties de la crise en Ukraine, la volonté de pays qui sont dans notre voisinage de nouer des accords d'association et même de pouvoir rejoindre l'Union européenne. C'est aussi le cas dans les Balkans. Je crois donc que la force d'attraction de l'Union européenne reste extrêmement grande, parce que c'est une zone de paix, de liberté, de croissance économique, même si elle est insuffisante, et de protection des droits de l'Homme.
Mais l'Europe est diverse, mais il nous faut garder tous les membres de la famille ensemble, y compris la Grande-Bretagne. (...).
- Union européenne - Ukraine - Russie
(...)
Q - Autre point, dans une semaine de commémorations, Moscou pour le 70ème anniversaire de la capitulation nazie. Comment avez-vous revu ce moment, absence totale des Européens auprès de Poutine, comme si on mélangeait l'histoire et puis la situation actuelle en Ukraine ?
R - D'abord, si vous le permettez, je voudrais préciser que, pour ce qui est de la France, nous étions représentés aux cérémonies du 9 mai ; au moment de la commémoration, pas le défilé militaire, mais la commémoration de la fin de la guerre.
Q - François Hollande n'y était pas, la chancelière Merkel n'y était pas...
R - Oui, mais la France était le pays d'Europe qui était représenté au plus haut niveau, avec la présence de Laurent Fabius, et je crois que la chancelière va s'y rendre.
Q - Aujourd'hui même.
R - Voilà, et pour ce qui est du président de la République, il a eu l'occasion, en invitant le président Poutine à participer aux cérémonies du Débarquement...
Q - Mais ce n'est pas une erreur de ne pas y avoir été ?
R - Non, mais encore une fois, il faut montrer à quel point, évidemment, nous sommes reconnaissants à la Russie du rôle qu'elle a joué dans la lutte contre le nazisme. Elle a perdu plus de 20 millions d'hommes. Elle a été un des pays qui a le plus souffert de la Deuxième Guerre mondiale et, évidemment il y a des liens qui se sont créés à ce moment-là. Nous avons donc pris part à ces cérémonies du 9 mai.
Q - Et donc finalement, est-ce que... de quoi est le symptôme, cette crise avec la Russie sur l'Ukraine, est-ce que ce n'est pas le symptôme d'une Europe qui s'est énormément élargie, à 28, et qui manque finalement de fondement sur le plan de la défense, des affaires étrangères, par exemple ?
R - En tout cas, cette crise à l'Est de nos frontières, entre l'Ukraine et la Russie, montre à quel point nous avons besoin que l'Europe prenne en charge, aujourd'hui, de plus en plus, les grands dossiers de politique internationale, qu'elle se dote d'une politique de sécurité et de défense commune.
Voyez, c'est pour cela, évidemment, qu'il faut prendre avec précaution des demandes qui viseraient à dire qu'il faut moins de politiques communes, moins de cohésion. On a besoin, au contraire, de beaucoup plus d'outils et d'unité européenne pour faire face à ces défis.
Deuxièmement, ce que j'ai vu, c'est le président de la République, François Hollande, avec la chancelière Merkel, se rendre à Minsk, avec le président Poutine et le président Porochenko. C'est donc la France et l'Allemagne, au nom de l'Europe, qui ont été en mesure de tracer la seule solution politique, celle de la feuille de route de Minsk.
Aujourd'hui, notre priorité, c'est le respect des engagements qui ont été pris à Minsk, c'est-à-dire à la fois le cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes, la libération de prisonniers.
Q - Et la réponse de Moscou est de faire une grosse démonstration de force à l'occasion de cet événement historique.
R - Le défilé, à l'occasion du 9 mai, c'est une tradition, mais effectivement, dans ce contexte...
Q - Jamais à ce niveau de démonstration quand même !
R - Dans de contexte nous avons participé aux cérémonies civiles, qui commémoraient le 70ème anniversaire de la fin de la guerre.
Q - Vous étiez gêné par une démonstration de force militaire justement ?
R - Non, je crois que c'est une tradition. Chacun d'entre nous, selon ses traditions, organise ou non des défilés militaires. Nous-mêmes, nous le faisons le 14 juillet. Nous ne sommes pas fondés à le reprocher à d'autres. Mais, pour ce qui est de l'Ukraine, puisque votre question portait sur ce sujet, il est clair que ce que nous demandons, c'est le respect d'une solution politique. Il n'y a pas de solution militaire, ni d'un côté, ni de l'autre, à la crise en Ukraine. Et le rôle de l'Europe est très important.
Les Américains n'étaient pas là, à Minsk, c'est un fait. Aujourd'hui, on ne peut pas compter sur d'autres pour jouer ce rôle de stabilité.
De même si on regarde la situation en Méditerranée, il faut que l'Europe soit de plus en plus à même de jouer ce rôle. La France, c'est vrai, a un leadership, qu'elle a reconquis, sur la scène internationale, parce qu'il y a eu le Mali, parce que nous avons pris nos responsabilités dans la lutte contre le terrorisme, dans la Bande du Sahel, parce qu'il y a eu cette initiative de paix à Minsk. Aujourd'hui, nous voulons entraîner toute l'Europe dans cette action. (...).
- Union européenne - Grèce - Situation économique
(...)
Q - Autre actualité européenne avec ce qui se passe actuellement en Grèce. Une partie de l'opinion publique a le sentiment, en parlant de Bruxelles de façon comme ça, un peu incantatoire, que l'Union européenne impose une austérité, voire une purge, à la Grèce, quelles que soient les élections qui ont eu lieu. Comment est-ce que vous voyez cela et est-ce que vous diriez que la Grèce doit rembourser sa dette, totalement, et que finalement l'Europe ne fait que rappeler une règle du jeu qui est contenue dans les traités ?
R - D'abord, l'Europe a été solidaire de la Grèce dans la crise, mais il y a eu, en Grèce, des élections, qui ont traduit la volonté, très forte, des citoyens, d'en finir avec des politiques d'austérité, qui ne sont pas à l'origine de la crise en Grèce. L'origine de la crise c'était une mauvaise gestion des finances publiques, un surendettement, auquel s'est ajoutée une potion amère qui a consisté à brutalement réduire tous les moyens des services publics, les salaires, la suppression de milliers de postes de fonctionnaires, des moyens de la population, tout cela a aggravé...
Q - Et ça c'est l'Europe qui l'a imposé ?
R - Tout cela c'est la situation d'insolvabilité de la Grèce, qui l'a amené à devoir demander une aide du FMI et de l'Union européenne. Les créanciers ont demandé en contrepartie des garanties qui finalement ont aggravé le mal. Donc, il y a une leçon à tirer, c'est que ce n'est pas par l'austérité que l'on sortira de la crise, ni en Grèce, ni dans d'autres pays. Je crois qu'il faut prendre en compte cette expression d'une demande sociale, qui est très forte. C'est vrai qu'il y a une crise humanitaire en Grèce, comme le disent les autorités grecques. Dans le même temps, la Grèce doit prendre en compte ses partenaires européens, qui lui sont venus en aide. Chacun de nos pays a accepté de mettre à disposition de la Grèce des fonds pour lui permettre de sortir de cette crise.
Q - Harlem Désir, on a l'impression que le FMI, par exemple, ne fait jamais son mea culpa, d'une certaine façon, que ce soit vis-à-vis de la Grèce, ou même des pays africains, qui quelquefois sont réellement mis en difficulté pour ce qui est de leurs budgets, santé, éducation, etc. Est-ce que dans le cadre de la Grèce vous trouvez qu'il est normal qu'il n'y est pas un moment où la troïka ne reconnaisse pas les problèmes qui y ont été aggravés de son propre fait ?
R - Je crois que beaucoup d'institutions internationales, le FMI, l'OCDE, même la Commission européenne maintenant, reconnaissent justement que des politiques d'austérité trop brutales ont souvent aggravé la récession. En Grèce, il faut sortir de l'austérité, mais il ne faut pas sortir de l'euro. Il faut donc respecter le cadre et les règles européennes.
Q - Il faut alléger la dette ?
R - On peut certainement allonger les durées de remboursement de la dette en Grèce...
Q - Mais effacer une partie de la dette ?
R - Je ne crois pas qu'il faille parler d'effacement, parce que le problème d'un pays qui ne rembourse plus sa dette, c'est qu'il ne peut plus emprunter, il ne peut plus se financer sur les marchés. Or, chacun de nos pays, même ceux qui ne sont pas en crise, ont besoin, pour se financer, de pouvoir emprunter sur les marchés. Donc, il faut accompagner la Grèce dans une stratégie de sortie de crise, qui doit d'abord être une stratégie de retour à la croissance. Je pense donc que nous devrions davantage, dans la discussion avec la Grèce - et c'est ce que les ministres des finances, en particulier de la France et d'autres pays, essayent de mettre en avant - aider la Grèce à définir les conditions d'un redémarrage de son économie, de sa croissance, de son emploi, parce que c'est comme cela qu'elle réussira à rembourser sa dette. Aujourd'hui, le travail est en cours, mais c'est vrai qu'il faut aussi que la Grèce montre qu'elle est prête à réformer son système fiscal, à faire en sorte que les gens payent la TVA, tous, à ce que l'on lutte contre la fraude fiscale...
Q - A faire payer ses riches, comme on disait.
R - A faire payer, oui, un certain nombre de catégories très favorisées...
Q - Les armateurs, par exemple, l'Église etc.
R - Exactement, qu'elle assainisse le fonctionnement de son administration. Le gouvernement actuel dit qu'il y est prêt. Il faut qu'il montre comment il va procéder.
Q - Quand même, depuis l'élection d'Alexis Tsipras, donc extrême gauche grecque, en janvier, on voit bien que la discussion est bien là, mais il y a toujours ce blocage, il n'y a toujours pas d'accord. Est-ce que vous pensez qu'à un moment la Grèce risque d'aller dans le mur et donc au point de déclencher une nouvelle crise de la zone euro ? Il y a urgence, quel est le degré d'urgence pour vous ?
R - Oui, il y a urgence à ce que, effectivement, un accord soit trouvé au sein de l'Eurogroupe. Je pense que les conditions sont là pour qu'il soit trouvé. D'abord parce qu'il y a eu un premier accord, au mois de février, qui a permis de prolonger des aides, et qui a permis à la Banque centrale européenne, qui le fait chaque jour, chaque semaine, de continuer à venir en aide à la Banque centrale grecque et donc à l'économie grecque...
Q - Elle ne pourrait pas faire un peu plus justement, parce qu'on sent qu'elle a des limites, des plafonds, des seuils, à ne pas dépasser ?
R - La Banque centrale européenne le fait, dans les limites de son mandat, c'est-à-dire qu'elle agit à partir du moment où il y a un mandat qui lui est donné par l'Eurogroupe. Il faut que le ministre des finances grec et son équipe de négociation trouvent un accord avec les autres ministres des finances de la zone euro. Une sortie de la Grèce de l'euro serait un terrible échec, pour la Grèce et pour l'Europe.
Q - Mais est-ce que vous dites qu'au moins ça va dans le bon sens actuellement, est-ce que vous notez, vous, des signes disant, Athènes, ça y est, ils ont pigé, ils font un certain nombre de choses ?
R - Oui, vous avez vu qu'il y avait d'ailleurs une nouvelle équipe de négociateurs, qui avait été désignée, et qu'il y a, je crois, un travail...
Q - Il y a une nouvelle équipe, mais il n'y a pas un changement, si ?
R - Il y a des précisions qui sont maintenant données sur des réformes qui doivent permettre, encore une fois, aux finances publiques de devenir viables, et à l'économie de redémarrer. Ce sera long. Il faut être là, solidaires, accompagner la Grèce, et en même temps il faut que la Grèce prenne en compte le fait qu'à partir du moment où les autres pays de la zone euro se sont mobilisés avec des aides, il y a une demande, notamment très très claire de la part de nos partenaires allemands, de pays d'Europe du Nord, de savoir à quoi ces aides sont utilisées. Et je crois que la Grèce doit faire confiance à ses partenaires de la zone euro.
Q - Et que ce n'est pas une purge qu'on lui impose ?
R - Non. Je pense que nous devons tous être dans l'esprit qu'il faut aider la Grèce à rester dans la zone euro et à retrouver un chemin de croissance, de création d'emplois, et que c'est cela qui permettra de régler la question...
Q - Vous n'avez pas le sentiment, malgré tout, que certains, au sein de la zone euro, je peux penser aux Allemands, certains Allemands, des conservateurs de la CDU, poussent la Grèce un peu vers la sortie de la zone euro en étant très catégoriques, en n'étant pas extrêmement ouverts à la discussion, parfois intransigeants ?
R - Ce n'est pas la position du gouvernement allemand. Dans chacun des pays de la zone euro il y a des différences politiques, donc il peut y avoir des gens qui ont eu cette tentation. Il y a eu aussi des déclarations à l'égard de l'Allemagne qui ont été tenues par certains responsables, en Grèce, qui ont créé une hostilité, avec des demandes de réparation, liées à la Deuxième Guerre mondiale, une façon de faire...
Q - Vous trouvez que le ministre des finances grec en a fait trop sur ce plan-là ?
R - Je ne veux pas mettre en cause une personnalité en particulier, mais faire d'un autre pays, l'Allemagne en l'occurrence, le responsable de ses propres difficultés, je crois d'abord que c'était faux, et que ça n'est pas comme cela que l'on procède en Europe.
Q - Même si le président allemand a dit lui-même que le débat n'était pas impossible ?
R - Mais ça, le président allemand...
Q - Sur les réparations.
R - Oui, le président allemand peut faire des propositions, mais je ne crois pas qu'on puisse aider un pays à sortir de ses difficultés en faisant comme si c'était à cause des autres qu'on a des finances publiques en mauvais état, ou une économie qui n'est pas compétitive. Ce qui est vrai, en revanche, et encore une fois je l'ai dit, c'est qu'on ne peut pas penser qu'une politique d'austérité va aider la Grèce à sortir de la crise. Une politique de bonne gestion de ses finances publiques, de lutte contre la corruption, de lutte contre l'évasion fiscale, de faire en sorte que la TVA soit vraiment payée partout, que les plus riches payent leurs impôts, cela oui, et là c'est normal qu'il y ait des attentes et que les pays de l'Eurogroupe soient un peu exigeants.
(...)
Q - On a en Europe en ce moment des anticipations des prévisions en matière de croissance qui sont plutôt optimistes. On a l'impression que la reprise se confirme plus ou moins rapidement selon les pays. Est-ce que cela doit inciter Bruxelles à relâcher un peu la pression à votre avis, notamment à l'égard de la France ?
R - Il y a une amélioration de la situation économique en Europe. Elle est due à des facteurs qui, pour certains, sont extérieurs comme par exemple la baisse du cours du pétrole, et pour d'autres sont liés à des décisions politiques soit en matière de politique monétaire - il y a eu des décisions de baisse des taux d'intérêt et d'injection de liquidités, ce qu'on appelle le «quantitative easing» - qui ont contribué à ce que le cours de l'euro soit plus bas qu'auparavant, qu'il soit maintenant quasiment à parité avec le dollar.
Nous l'avions souhaité, le Premier ministre Manuel Valls l'avait demandé dans sa déclaration de politique générale. Cela favorise les exportations, cela favorise l'investissement et la croissance. Il y a aussi des réformes qui sont mises en oeuvre dans tous les pays d'Europe et qui améliorent la compétitivité de l'économie, et puis il y a des décisions visant à faire de l'investissement une priorité. Cela aussi nous l'avions souhaité et Jean-Claude Juncker a annoncé un plan de 315 milliards d'euros d'investissements. Les dispositifs sont en train d'être adoptés en ce moment au Parlement européen. L'ensemble de ces facteurs contribue aujourd'hui à la reprise.
En France même, nous sommes en train de bénéficier de l'impact du Pacte de responsabilité, c'est-à-dire la baisse progressive de 40 milliards d'euros des prélèvements sociaux et fiscaux sur les entreprises, les premières réformes sur le marché du travail. Est-ce que Bruxelles doit cesser...
Q - Du coup, si Bruxelles vous demande d'en faire plus au niveau des réductions de dépenses, est-ce que vous allez accepter ? Sous prétexte d'avoir plus de croissance, on doit fournir plus d'efforts ?
R - D'abord ce que nous avons demandé, quand nous sommes arrivés en 2012, c'est que la priorité ne soit pas l'austérité, que l'on ne passe pas son temps à parler de surveillance budgétaire, de contrôle des finances publiques.
Q - C'est ce qui se passe en ce moment.
R - C'est que, et c'est cela que nous avons obtenu dans le débat européen, la priorité soit au soutien à la croissance et aux investissements parce que les investissements avaient chuté de 15% par rapport à avant la crise de 2008.
Deuxièmement, c'est qu'il y ait une combinaison entre la politique monétaire active, qui finalement été mise en oeuvre, les réformes qui sont nécessaires, la consolidation budgétaire mais qui se fasse avec des flexibilités - c'est-à-dire qu'on réduise l'endettement et les déficits mais progressivement, comme nous le faisons - et le soutien aux investissements. C'est cette nouvelle politique économique qui est en train aujourd'hui de produire des résultats. Ce que nous demandons, c'est qu'à Bruxelles, à la Commission européenne, au sein de l'Eurogroupe, on continue à soutenir une politique qui donne la priorité à la croissance et aux investissements parce que c'est la clef de l'emploi, et parce que c'est aussi une nécessité politique. On ne réconciliera pas les Européens avec le projet européen si l'Europe est synonyme de chômage de masse, de chômage des jeunes, de zones entières des territoires qui sont délaissées à cause de la désindustrialisation.
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- Union européenne - Politique en faveur de la jeunesse
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Q - Harlem Désir, on dit que le président Hollande vous confie une mission en matière de jeunesse - c'était son engagement de campagne il y a trois ans - pour une meilleure peut-être intégration européenne. Qu'est-ce que vous allez faire concrètement ? Est-ce qu'il y a des pistes déjà dont vous nous parlez ici ?
R - Oui. Pour nous, la jeunesse et la façon dont elle peut s'inscrire dans le projet européen est une priorité. Lors du dernier Conseil des ministres qui a été consacré au projet européen de la France, le président de la République et le Premier ministre m'ont demandé de piloter la mise en oeuvre de trois grands projets que nous allons donc développer avec nos partenaires et qui concernent la jeunesse. Le premier, c'est le service civique européen. Nous sommes en train en France de relancer le service civique ; c'est aussi une réponse à ce qui s'est passé au mois de janvier : faire partager...
Q - Il y a quatre mois tout juste avec cette grande manifestation
R - Exactement, après les manifestations du 11 janvier. D'autres pays le font et notamment l'Italie.
Q - Donc un service civique européen.
R - Voilà. J'ai proposé qu'à l'avenir il puisse y avoir la possibilité pour tous les jeunes qui feront un service civique en Europe de passer une période, de un à trois mois pour commencer, dans un autre pays européen. C'est-à-dire qu'une partie de ce moment d'éducation civique aux valeurs démocratiques, aux valeurs communes qui sont celles de l'Europe, ils puissent le faire en allant dans un autre pays. Le deuxième projet, c'est l'Erasmus professionnel.
Q - Les apprentis notamment.
R - Voilà, pour les apprentis. Aujourd'hui Erasmus, c'est essentiellement pour les étudiants et c'est d'ailleurs un formidable succès. C'est l'Europe vécue mais pourquoi est-ce que les jeunes qui font l'apprentissage - et nous sommes en train de développer l'apprentissage, c'est une voie aussi d'excellence pour sa qualification professionnelle - pourquoi est-ce qu'eux aussi ne pourraient pas faire une partie de leur formation dans un autre pays ? Donc nous avons développé...
Q - Cela existe déjà mais pas assez en fait. Il y a de nouveaux moyens qui vont être débloqués ?
R - Oui. Nous voulons utiliser le budget d'Erasmus, nous voulons créer des systèmes de reconnaissance des validations de périodes de stage, nous voulons faire en sorte qu'il y ait à partir de là un parcours d'Erasmus apprenti qui puisse exister, et nous allons l'expérimenter notamment avec l'Allemagne et avec plusieurs branches professionnelles.
Q - On parle également d'une carte étudiante européenne.
R - Oui, il y a ce projet. C'est-à-dire que tout étudiant en Europe doit être un étudiant européen, même s'il ne fait pas Erasmus, et que donc s'il voyage, s'il va dans un autre pays, il puisse avoir accès aux bibliothèques universitaires, aux centres sociaux pour les étudiants, aux avantages auxquels a droit l'étudiant du pays où il se rend, et donc qu'il y ait une carte d'étudiant européenne. Voilà trois projets parce qu'il faut que les jeunes puissent s'inscrire, que cette nouvelle génération puisse s'inscrire dans l'Europe de demain de façon concrète. (...).
- Abolition de l'esclavage - Immigration
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Q - En Guadeloupe les commémorations contre l'esclavage, que pensez-vous de ce rendez-vous et des gens qui, à partir de là, disent, finalement on n'en n'a pas assez, il y aurait besoin de réparation, d'aller jusque-là ?
R - Je crois que c'est un moment très fort, que le président de la République ait décidé d'être aujourd'hui, qui est la journée nationale de commémoration de la traite et de l'abolition de l'esclavage, en Guadeloupe pour inaugurer, avec des chefs d'États d'Afrique et de Caraïbe ce grand musée, Mémorial ACTe, qui va être un lieu de mémoire, mais aussi d'éducation, de réflexion, sur cette histoire qui était liée à l'histoire de la colonisation, mais qui a été aussi une histoire ensuite de combat, d'émancipation, et qui donc aujourd'hui renforce les liens entre la France, évidemment les Antilles françaises, mais aussi d'autres pays dans le monde, en Afrique, et qui doit être un lieu aussi de réflexion sur les traites qui existent encore aujourd'hui.
En Méditerranée, ceux qui mettent des migrants misérables dans des bateaux au péril de leur vie, ce sont les nouveaux négriers des temps modernes. L'esclavage, la domination, elle continue à exister. Et donc, être un pays qui, à partir de son histoire, mais aussi de sa présence, en particulier dans la Caraïbe, peut aider le monde à se mobiliser pour défendre la dignité humaine, les droits universels, c'est évidemment un moment très fort.
Q - Certes, c'est la question des problèmes de l'immigration, et actuellement de tous ces migrants qui veulent arriver sur les côtes européennes, mais pour en revenir quand même à l'histoire, vous pensez qu'on est quitte, que les associations qui demandent qu'on aille plus loin dans les réparations, vous estimez qu'il ne faut pas mettre le... ?
R - Oui, je crois que le problème ne se pose pas en termes de réparations, pour répondre à cette partie de votre question. Le problème se pose en termes de combat que nous devons mener en commun au nom de cette histoire, pour la dignité humaine, et pour la solidarité avec les peuples qui ont pu souffrir, qui ont pu être victimes de cette traite.
Le président de la République va se rendre en Haïti avant d'aller à Cuba, Haïti ça a été la première république indépendante, dans toute l'Amérique du Sud, et la première république noire indépendante. Aujourd'hui c'est un des pays les plus pauvres du monde. La communauté internationale a donc une responsabilité.
Cet après-midi, le Premier ministre Manuel Valls va prononcer un discours, au Luxembourg, à l'occasion de cette journée de l'abolition, où il dira quelle est l'action du gouvernement et la responsabilité de la France dans cette lutte pour réparer un crime contre l'Humanité, non pas par des dons à des personnes qui ne sont plus là, les anciens esclaves, mais par une action de solidarité internationale.
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Q - Est-ce que dans cet état de faiblesse, il est facile d'avoir du courage politique pour certaines questions, comme par exemple la question de l'immigration ?
R - La question de l'immigration est une question difficile dans les opinions publiques de tous nos pays. Il est vrai, si on compare avec la réaction au moment des boat people qui venaient du Vietnam et du sud-est asiatique, il y a quarante ou cinquante ans, qu'il y avait beaucoup plus de générosité.
On sent que nos sociétés sont taraudées par la crise et par des peurs et, d'ailleurs, il faut prendre en compte les deux éléments. Il y a un aspect social dans des pays où le chômage, où la peur de l'avenir sont là ; on est moins généreux, on est moins accueillant. Et puis, il y a aussi des aspects identitaires : la peur de l'islam, la peur de ceux qui viennent du sud de la Méditerranée.
Q - Vous parlez du chômage mais au Royaume-Uni par exemple où le chômage est inférieur à 6%, il y a une énorme résistance par rapport à l'immigration.
R - Oui, vis-à-vis d'une immigration qui vient d'ailleurs d'Europe, qui vient par exemple de Pologne mais il y a eu aussi au Royaume-Uni une crise. Même si aujourd'hui la situation s'est améliorée, il y a de la précarité, il y a de la pauvreté et c'est pour cela que je ne fais pas de la politique de David Cameron un modèle, même si elle a des résultats sur le plan économique.
Le courage, c'est à la fois de montrer que nous dotons l'Europe de la capacité de faire face à un besoin de contrôle de ses frontières, de lutte contre les trafiquants, mais c'est une lutte qui va être longue parce qu'elle suppose de s'attaquer aux racines du mal donc à la stabilité dans les pays de provenance, au développement, à la démocratisation, aux transitions dans des pays comme la Libye, mais en même temps il faut qu'il y ait un contrôle des frontières.
Le courage, c'est aussi de dire que ceux qui relèvent de la protection internationale, du droit d'asile, il faut les accueillir et il faut qu'il y ait une solidarité, une répartition entre pays européens. Il n'est pas normal qu'il n'y ait que quatre, cinq pays qui accueillent la quasi-totalité des réfugiés politiques en Europe, dont la France, l'Allemagne, la Suède, et que d'autres pays n'accueillent absolument pas de réfugiés.
Q - Sur ce plan d'ailleurs, les dernières décisions du Conseil européen sur l'immigration vous les trouvez bien proportionnées ou est-ce que vous trouvez que c'est très en arrière de la main ? On pourrait faire quand même bien davantage, non, en Méditerranée pour aller davantage au secours des immigrés ?
R - Ce qu'a montré cette crise en Méditerranée - et qui vient de loin -, ces drames épouvantables, c'est qu'il faut une politique d'immigration commune et c'est ce que nous plaidons. Quatre décisions ont été prises.
La première, c'est le renforcement du contrôle des frontières, la surveillance et le sauvetage en mer. C'est aussi le triplement du budget de l'opération Triton qui est menée par l'agence Frontex - et maintenant, il y a des patrouilleurs en mer français qui participent.
La deuxième, c'est une lutte résolue contre les filières et les trafiquants d'êtres humains, y compris en saisissant des embarcations avant que des migrants puissent être embarqués dessus. C'est aussi une coopération policière et judiciaire avec les pays de provenance.
La troisième, c'est d'agir sur les causes et je l'ai évoquée.
La quatrième c'est d'accueillir les migrants d'une façon plus solidaire et mieux répartie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2015