Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-allemandes, à Reims le 11 mai 2015.

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Circonstance : Inauguration des nouveaux vitraux de la cathédrale de Reims, le 11 mai 2015

Texte intégral


Monsieur le Ministre des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne,
Monseigneur,
Monsieur le Maire,
Monsieur Knoebel,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Le ministre, Frank-Walter Steinmeier, et moi-même nous sommes habitués à nous rencontrer fréquemment, à nous parler, à travailler main dans la main. Il ne se passe pas une semaine sans que nous ne nous concertions sur les affaires de l'Europe et du monde. Et cependant, malgré l'habitude de nos rencontres, nous retrouver côte à côte aujourd'hui dans cette cathédrale de Reims constitue, à l'évidence, un moment exceptionnel.
C'est en effet en ce lieu, le 8 juillet 1962, que le général de Gaulle et le chancelier Adenauer sont venus solennellement sceller la réconciliation de nos deux pays. Pourquoi ici ? Parce que cette cathédrale portait et porte toujours en elle, depuis la Première Guerre mondiale, les stigmates de nos affrontements passés.
Le 19 septembre 1914, alors que le front se situait à quelques kilomètres de la ville, la cathédrale de Reims fut victime d'un bombardement provoquant un incendie ravageur. Ce bombardement marque encore la mémoire rémoise. Il a constitué le début d'un long martyre : près de 300 obus ont frappé la cathédrale pendant les quatre ans du premier conflit mondial. Les sculptures et les vitraux ont été brisés, les voûtes ont été détruites : la guerre avait conduit à un champ de ruines.
Cette destruction a causé une blessure durable, non seulement aux Rémois mais aussi à la France et bien au-delà. Car cet édifice huit fois centenaire représente à la fois un joyau de notre patrimoine et un lieu majeur de notre histoire - c'est ici qu'ont été sacrés presque tous les rois de France. Dès 1919, un travail patient de restauration fut donc engagé, afin de faire revivre ce trésor national. Aujourd'hui, avec l'inauguration de ces nouveaux vitraux, c'est dans cette longue histoire que nous nous inscrivons.
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la cathédrale s'est parée de plusieurs vitraux contemporains. D'abord, les trois superbes fenêtres de Chagall, achevées en 1974, situées dans la chapelle axiale. Plus près de nous, inaugurés en 2011, six nouveaux vitraux réalisés pour le 800e anniversaire de la cathédrale par Monsieur Imi Knoebel - que je salue et remercie.
C'est le prolongement de ces premiers vitraux que nous inaugurons aujourd'hui. Il y a un an, juste après avoir assisté au Conseil des ministres français, le ministre Frank-Walter Steinmeier annonçait que l'Allemagne souhaitait offrir à la cathédrale de Reims une nouvelle série de vitraux réalisés par Imi Knoebel, à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. Un an après, ce projet et cette proposition deviennent réalité.
Je veux dire, cher Frank-Walter, la reconnaissance de la France envers le geste accompli par l'Allemagne - à la hauteur de l'amitié qui nous unit et de l'importance accordée par votre pays au travail de mémoire. Je veux dire aussi la fierté de la France qu'un artiste de la renommée d'Imi Knoebel fasse preuve d'un tel engagement dans la restauration de cette cathédrale de Reims. Le talent est ainsi mis au service de l'Histoire. Ces oeuvres répondent à l'esprit des lieux. Chacun, bien sûr, a sa lecture de l'art. Mais, pour moi, en regardant ces vitraux, je pensais que les brisures abstraites évoquent les destructions et les souffrances, cependant que les couleurs vives font triompher la joie et l'espoir.
Au-delà de la beauté de ces vitraux, la symbolique de leur don par l'Allemagne est puissante. La cathédrale de Reims, dont les ruines de 1918 illustraient la violence de l'affrontement entre nos deux pays, est désormais devenue un emblème de la réconciliation franco-allemande. Jadis martyrisé par les obus, ce monument est aujourd'hui sublimé par un artiste allemand. Les vitraux referment les blessures du passé et scellent, en ce lieu symbolique, notre amitié désormais indéfectible.
Nous montrons aussi qu'aucune amitié solide ne se construit sur l'oubli du passé ni sur l'occultation des blessures. Vous avez évoqué, Monseigneur, la statue de Jeanne d'Arc dont Malraux disait, dans un magnifique discours prononcé à Rouen, je cite, que «le tombeau des héros est le coeur des vivants».
Il existe à cet égard un beau mot de la langue allemande pour désigner la capacité à affronter le passé de manière objective et responsable - un terme qui ne possède pas son équivalent en français mais qui pourrait être traduit par «le fait de faire face à son passé». Ce terme s'emploie le plus souvent, en Allemagne, en lien avec la période de la Seconde Guerre mondiale et des crimes du nazisme. Mais je pense que ce qu'il évoque dépasse ce contexte historique, et je forme le voeu, comme Frank-Walter à l'instant, que le chemin parcouru par nos deux pays serve d'exemple à beaucoup d'autres régions du monde.
Monsieur le Ministre,
Monseigneur,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
L'histoire de la cathédrale de Reims au cours du dernier siècle incarne l'idée que l'affrontement, même le plus violent, ne constitue jamais une fatalité.
Nous avons surmonté nos différends, nous avons noué une amitié forte, et c'est ce qui nous donne la capacité et la responsabilité d'agir ensemble. Agir, comme nous le faisons ensemble, pour répondre aux crises humanitaires, comme nous l'avons fait en réaction à l'épidémie Ebola. Agir, comme nous le faisons ensemble, pour vaincre les menaces terroristes, en Syrie, en Irak, en Afrique. Agir, comme nous le faisons ensemble, pour stimuler la croissance et essayer de réduire le chômage en Europe. Agir, comme nous le faisons ensemble, pour lutter contre le dérèglement climatique qui menace la planète. Et enfin agir, comme nous le faisons ensemble, face aux risques de guerre en Ukraine, aux portes mêmes de l'Union européenne.
Sur tous ces fronts, l'unité entre l'Allemagne et la France constitue un très puissant levier d'action. C'est pourquoi notre responsabilité commune - celle des dirigeants politiques bien sûr, mais aussi celle de nos deux peuples et d'abord de nos deux jeunesses - consiste à préserver et à développer la force de nos liens.
Longtemps les relations entre la France et l'Allemagne ont été source de chaos, mais comme l'écrit le général de Gaulle dans ses ?Mémoires d'Espoir', je cite : «les oeuvres de l'amitié remplacent désormais pour toujours les malheurs de la guerre». Désormais, l'amitié franco-allemande est un atout précieux face au monde incertain et dangereux qui nous entoure. J'appelle cela un magnifique retournement de l'histoire. L'Allemagne et la France portent une leçon d'espoir. C'est cela le «message de la cathédrale de Reims».Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2015