Point de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le Forum de réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, l'aide de la France et de l'Union européenne à la Côte d'Ivoire, les relations du gouvernement ivoirien avec le RDR et les relations entre la Côte d'Ivoire et ses voisins, Abidjan, Côte d'Ivoire, le 9 octobre 2001.

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Circonstance : Ouverture du forum de réconciliation nationale, à Abidjan, Côte d'Ivoire, le 9 octobre 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité vous rencontrer à l'issue de cette ouverture du Forum de réconciliation nationale, auquel j'avais été invité aussi bien par M. Diarra, chargé de l'organiser, que par le président Gbagbo, qui a été à l'origine de ce Forum ; j'ai souhaité également avoir à mes côtés le représentant de la Commission européenne, M. Athanassios Theodorakis, qui est pour moi un complice presque habituel, car nous nous rencontrons souvent, en particulier lorsqu'il est question de parler des relations entre l'Europe et l'Afrique. A ma gauche, l'ambassadeur de Belgique, la Belgique qui assure actuellement, comme vous le savez, la Présidence de l'Union européenne ; et c'est grâce au mandat que le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, a bien voulu me confier, que j'ai pu participer ce matin avec bien sûr ma casquette de ministre français de la Coopération, mais aussi de représentant de la Présidence de l'Union européenne, Athanassios Théodorakis représentant, lui, la Commission européenne. Je ne crois pas utile de présenter Renaud Vignal, notre ambassadeur, et puis il y a Friedrich Nagel qui est le représentant, le délégué de l'Union européenne à Abidjan.
Nous venons d'assister à une cérémonie dont chacun a pu, je crois, mesurer à la fois l'émotion, la qualité des intervenants - au nombre desquels nous nous mettons, bien entendu. J'ai, comme vous je pense, été particulièrement impressionné par la qualité du discours qu'Alpha Oumar Konaré vient de tenir. Nous connaissions ses talents oratoires, nous n'avons pas été surpris ni déçus par ceux qu'a exprimés le président Gbagbo. Mais si j'insiste d'abord sur l'intervention du président Konaré, c'est non seulement parce qu'il était là le témoin pour la sous-région, compte tenu de ses responsabilités, mais aussi parce qu'il est le chef d'Etat d'un pays qui compte un certain nombre de ses ressortissants en Côte d'Ivoire ; et qu'il avait, de ce point de vue, une plus grande légitimité encore à plaider pour la réconciliation des Ivoiriens, et à plaider aussi pour la réconciliation entre les Ivoiriens et tous ceux qui vivent en Côte d'Ivoire. Je souhaite bien sûr que les propos que nous avons exprimés, les uns et les autres, d'encouragement au succès de ce forum, les références nombreuses au besoin de tolérance, de compromis, de fraternité, seront entendus non seulement par celles et ceux qui vont participer au dialogue qui commence demain, mais plus largement par l'ensemble de ceux qui vivent en Côte d'Ivoire.
Si j'y insiste, c'est parce que ce forum aura, je pense, pour les Ivoiriens un effet de miroir ; quelque part ils se regarderont dans ce forum, et il est important que l'image qu'ils en reçoivent leur donne à la fois la fierté d'être Ivoiriens mais aussi leur donne la volonté, le courage, de sortir de ces situations, de ces contradictions dans lesquelles les Ivoiriens se sont un peu enfermés au cours des dernières années, prenant le risque de tourner le dos à leur propre histoire. Et puis, ce forum va aussi renvoyer au monde l'image de la Côte d'Ivoire. Et cette image est d'autant plus importante, me semble-t-il, que la Côte d'Ivoire a besoin de la solidarité internationale, celle de l'Europe qui est très attentive au processus engagé pour apprivoiser durablement la démocratie en Côte d'Ivoire - processus engagé pour cette réconciliation - et bien sûr aux efforts entrepris pour redresser une situation financière et économique délicate. Et d'autant plus délicate que la conjoncture internationale - c'était vrai avant le 11 septembre, mais cela l'est évidemment encore plus depuis - vient encore compliquer l'exercice. S'il est vrai que les économies des pays en développement ne sont pas branchées exactement de la même manière sur l'économie mondiale que le sont celles d'autres pays, évidemment elles sont néanmoins en interactivité avec cette conjoncture internationale. Et il va falloir que la communauté internationale, que les institutions financières internationales en particulier, prennent la mesure du surcroît de solidarité dont les pays du Sud vont avoir besoin à cause de cette conjoncture. Sans oublier sans doute aussi le besoin de partenariat renforcé, de coopération spécifique, pour permettre aux pays du Sud d'être acteurs de cette lutte anti-terroriste dont, d'une manière ou d'une autre, ils sont aussi victimes. Comme, plus généralement, de la lutte engagée contre les trafics qui n'épargnent pas l'Afrique, qui entretiennent les violences et qui doivent être aussi éradiqués.
Voilà ce que je voulais dire en ouvrant cette rencontre avec vous. Pour conclure cette introduction, je voudrais vous dire combien j'ai eu le sentiment ce matin de vivre un moment important de l'histoire que les Ivoiriens sont en train d'écrire.
Q - Depuis l'avènement du gouvernement Gbagbo, des négociations ont été entreprises auprès de la France et des autorités européennes pour une aide substantielle à l'éradication de la pauvreté et des problèmes économiques de la Côte d'Ivoire. Ces demandes ont été soumises à certaines conditionnalités sur l'évolution de la démocratie en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, M. Josselin est là, et il a été dit que c'est une tribune de vérité qui doit permettre aux Ivoiriens de se réconcilier et de voir dans quelle mesure les causes de la fracture sociale ont pu être résorbées. Aujourd'hui, qu'est-ce que la France et l'Union Européenne attendent de ces assises pour libérer leur aide à la Côte d'Ivoire ?
R - Je veux rappeler, en effet, que l'aide de la France, comme l'aide de l'Union Européenne, ont été dans un premier temps pratiquement suspendues au lendemain du coup d'Etat de décembre 1999 ; cette coopération, au cours des derniers mois, a progressivement repris. En ce qui concerne la France, on peut considérer qu'aujourd'hui à peu près tous les secteurs de notre coopération sont à nouveau actifs. S'agissant de l'Europe - je laisserai à M. Theodorakis le soin de compléter - il en est allé un peu de même, avec peut-être un peu de retard par rapport à notre propre processus, mais l'Union européenne a décidé une reprise progressive et maîtrisée de sa coopération avec la Côte d'Ivoire. Je rappelle enfin que le FMI et la Banque mondiale, qui sont aussi acteurs de cette solidarité, ont de leur côté repris le dialogue avec la Côte d'Ivoire. Un accord intérimaire a été signé qui se déroule dans les difficultés qu'on imagine, mais de manière assez satisfaisante aux yeux du FMI ; assez en tout cas pour nous permettre, si les efforts engagés sont poursuivis et nous y insistons évidemment, d'espérer un accord définitif qui pourrait se conclure à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, et qui permettrait à son tour à la France en particulier - pour l'Union européenne, je laisserai, je le rappelle, M. Theodorakis en parler - d'apporter une aide plus substantielle et notamment financière. Les conditions, c'était en effet - nous l'avons dit, nous avions souhaité - que les législatives puissent permettre à un large éventail de participer au débat. Nous l'avons espéré jusqu'au dernier moment, mais il se trouve que le refus opposé à un candidat de le reconnaître éligible a déçu cette espérance. Le troisième round, si je puis dire, c'étaient les municipales. Il était très important pour nous, et nous en avions d'ailleurs parlé avec nos partenaires européens, que cette chance-là, qui était un peu la dernière, ne soit pas manquée. Vous savez ce qui s'est passé, il y a eu cette fois la participation de l'ensemble du prisme politique au débat - les résultats ont d'ailleurs permis à l'une des familles politiques qui jusqu'alors pouvait se considérer comme absente d'avoir une représentation au niveau des conseils municipaux assez importante, qui fait bien d'elle un acteur de la vie politique ivoirienne. Il reste que quelques questions demeuraient posées ; ce sont celles que normalement le forum devrait régler. En tout cas, c'est à ces questions-là que le forum va devoir consacrer ses efforts, et qui touchent, au sens large, à la vie publique ivoirienne, à son organisation, aux conditions du dialogue. On verra si les questions qui reviennent de temps en temps - de calendrier, de constitution - font également l'objet de discussions. J'ai compris que certains acteurs de ce forum veulent les poser. Nous verrons quelles réponses seront apportées. Mais l'essentiel, c'était qu'il y ait cette discussion. Je suis heureux aussi d'avoir appris hier soir, à mon arrivée, que le RDR avait décidé de participer à ce forum : ce n'était pas totalement acquis il y a encore quelques jours. La question ne se posait pas vraiment pour le PDCI, parce que nous savions qu'il allait être un des acteurs importants de ce débat. Est-ce que les personnages qui ont été cités ce matin et qui ont marqué la vie politique ivoirienne au cours de la dernière période participeront finalement à ce forum ? La question est ouverte, moi je le souhaite, j'ai eu l'occasion de rencontrer au moins deux d'entre eux, le président Bédié et Alassane Dramane Ouattara, à Paris, pour les encourager à participer à ce forum. Nous verrons la suite qu'ils décideront d'apporter, en fonction aussi des réponses qui sont faites aux questions qu'eux-mêmes avaient soulevées. Or, j'observe que certaines de ces questions sont d'ores et déjà réglées, qu'il s'agisse des aspects sécuritaires ou matériels ; j'ai même cru comprendre que certaines questions de nationalité pourraient trouver facilement une solution, levant un des derniers obstacles à la participation de l'un d'entre eux. Je considère donc que ce forum démarre sous de bons auspices. Je veux croire que le sens des responsabilités de tous ceux qui vont y participer permettra, je le répète, de faire la preuve que la Côte d'Ivoire est une démocratie en train de s'apaiser, et qui va consacrer l'essentiel de ses efforts à s'attaquer à ces problèmes de développement que nous évoquions tout à l'heure, et à la lutte contre la pauvreté, car c'est évidemment une priorité essentielle à nos yeux.
Q - Votre présence à ce forum constitue un motif d'espoir pour les Ivoiriens. Je voudrais savoir comment vous entendez faire en sorte que la main tendue par le président Gbagbo au RDR soit effectivement appliquée. Concrètement, quelles sont les actions que vous entendez mener dans ce sens-là ?
R - J'ai entendu, comme vous, l'offre faite par le Président Gbagbo ce matin au RDR. Moi, je n'ai pas trop envie de me mêler de la composition de l'équipe gouvernementale. J'ai rencontré hier Mme Diabaté à la résidence de notre ambassadeur, c'est d'elle que j'ai appris la participation du RDR au forum. Voudront-il saisir la main tendue et participer au gouvernement ? C'est de leur responsabilité. Mais le fait qu'ils ne participent pas au gouvernement, dans l'hypothèse où ce serait le choix qu'ils feraient, ne signifie pas qu'ils ne sont pas acteurs de la vie politique et publique en Côte d'Ivoire. Il peut, à des moments de l'histoire d'un pays, être préférable de rassembler l'ensemble des forces politiques dans un même gouvernement d'union nationale, cela s'est produit parfois aussi dans l'histoire de la France. Mais on peut aussi imaginer une équipe gouvernementale peut-être plus homogène, l'opposition étant alors appelée à jouer son rôle d'opposition en la souhaitant la plus constructive possible. Mais ce n'est pas cela qui, pour autant, pourrait mettre en difficulté la démocratie. J'ai entendu le président Gbagbo souhaiter la présence du RDR au sein du gouvernement qu'il a mis en place. Je le répète, c'est aux dirigeants du RDR d'apprécier si, et dans quelles conditions, ils sont prêts à répondre à cette proposition, et vous comprendrez que moi, je ne veuille pas en dire plus sur une question qui regarde complètement les Ivoiriens.
Q - Est-ce que la Côte d'Ivoire a vraiment besoin d'organiser des assises qui ont leur coût, et qui prennent du temps, pour un problème qui a été identifié, parce que tout le monde le sait, le problème de la Côte d'Ivoire, le problème qui divise en ce moment, c'est le problème de M. Ouattara ?
R - La démocratie n'a pas de prix, mais elle a un coût. Ces assises en sont une illustration. Aurait-on pu en faire l'économie, c'est un peu la question que vous posez, dès lors que selon vous, il n'y aurait qu'un problème en Côte d'Ivoire, c'est le problème né de la question de la nationalité de M. Ouattara. J'ai tendance à penser que la Côte d'Ivoire a d'autres problèmes, il y a celui-là sans doute, mais il y a d'autres problèmes qui justifient que les Ivoiriens se réunissent, se rencontrent, dialoguent pour essayer d'y faire face, même si je ne mésestime pas la valeur un peu symbolique que la question de la nationalité de M. Ouattara a prise dans le débat politique ivoirien. Je vous ai dit à l'instant que cette question me semblait sinon résolue, du moins en voie de solution ; tant mieux, cela permettra aux Ivoiriens de parler d'autre chose, et en particulier de la manière de mieux vivre ensemble pour réussir leur développement et organiser, pourquoi pas, un meilleur partage des richesses que la Côte d'Ivoire offre à ceux qui veulent les travailler. Autrement dit, je ne crois pas que ce forum soit inutile, bien au contraire, et je ne crois pas que ce soit non plus le sentiment du président Kufuor ou du président Konaré. Vous avez d'ailleurs entendu comme moi le président Kufuor dire qu'il n'écartait pas l'idée d'utiliser ce modèle, cet exemple pour apaiser aussi le Ghana. Donc, moi, je crois que c'est utile. Vous évoquiez le coût ; bon, il y a eu là encore une solidarité pour faire face à ce type de dépense, et si nous avons accepté d'y participer, c'est parce que nous aussi nous pensions que c'était une étape utile dans la réconciliation des Ivoiriens avec eux-mêmes et aussi avec leur environnement ; j'y insiste, il faut faire les deux. Il faut que les Ivoiriens expriment de la fraternité entre eux, mais aussi vis-à-vis de leurs voisins, qui à mon avis y sont prêts. Et j'observe, après avoir connu cette période où le président Gbagbo pouvait se considérer comme étant un peu isolé, que depuis, les chefs d'Etat voisins se sont rendus à cette évidence : c'est bien Laurent Gbagbo qui est le président élu de la Côte d'Ivoire. Alors, ayant dit cela, continuons le combat de l'enracinement démocratique.
Q - (Sur le rétablissement du dialogue en Côte d'Ivoire)
R - Je crois qu'il y avait des réticences aussi qui s'exprimaient par les difficultés que connaissaient leurs propres ressortissants. Rappelons-nous - ce n'est pas à vous qui le savez mieux que moi que je vais l'apprendre - que cette période a été marquée par des réactions de violence, y compris de xénophobie, disons le mot puisqu'il a été prononcé à la tribune ce matin, et qu'il n'était pas anormal que les représentants des pays concernés par ces communautés s'en émeuvent. Tant mieux si le dialogue a été établi, rétabli entre le président ivoirien et ses voisins, c'est un élément à mes yeux tout à fait important, et c'est vrai que la France a plaidé en faveur de ce dialogue.
Q - Que pensez-vous de l'absence de M. Blaise Compaoré à cette rencontre ?
R - Je pense qu'il faudra bien - et j'ai la conviction que c'est en cours - que le dialogue se rétablisse aussi entre le président Gbagbo et le président Compaoré. J'ai eu l'occasion de le rencontrer un certain nombre de fois pour plaider aussi en faveur de cette relation. Moi, je ne doute pas que dans les semaines qui viennent, il va y avoir les gestes nécessaires de part et d'autre pour que le dialogue, là aussi, prenne en charge cette relation indispensable entre la communauté burkinabé, son pays d'origine et la Côte d'Ivoire. Je suis optimiste, compte tenu des informations que nous avons et que je ne peux pas entièrement dévoiler, je peux pronostiquer sans risque des gestes qui vont aller dans la bonne direction.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)