Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la mise en place de la réduction du temps de travail pour les entreprises de moins de 20 salariés et le dispositif fixant le contingent d'heures supplémentaires pour les années 2002 à 2004, Paris le 15 octobre 2001.

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Circonstance : Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables "2ème loi sur les 35 heures pour les entreprises de 20 salariés et moins" à Paris le 15 octobre 2001

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec le plus grand intérêt que je participe à ce colloque que le Conseil supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables a pris l'initiative d'organiser aujourd'hui. En évoquant " les enjeux et les stratégies d'application " de la réduction du temps de travail pour les petites entreprises, vous mettez l'accent sur deux questions fondamentales :
- quels sont, à la veille du 1er janvier 2002, les enjeux de l'application des 35 heures aux petites entreprises ?
- quelle peut être la stratégie de ces entreprises et quelle doit être notre stratégie pour les accompagner ?
1) Quels enjeux ? Maintenir le cap de la réduction du temps de travail, faciliter le passage progressif aux 35 heures
1.1. Il nous faut avoir à l'esprit quelques chiffres.
La loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail a largement porté ses fruits au cours des années 2000 et 2001. Plus de 83 000 entreprises, représentant plus de 7 millions de salariés, sont passées aux 35 heures et ont prévu de préserver ou de créer plus de 370 000 emplois.
L'année 2000 a été historique en matière d'emploi. Cela s'explique évidemment par la croissance, qui a atteint un taux de 3,4 % - élevé mais pas exceptionnel -, mais aussi par la réduction du temps de travail, qui a créé environ un emploi sur trois.
Cette réussite est une réussite collective : elle se place dans le cadre d'une loi votée par le Parlement, mais c'est aussi grâce à des milliers d'entreprises - des PME pour la moitié d'entre elles - et grâce à tous ceux qui les aident au quotidien à appliquer les textes que ces emplois ont été créés. Je suis en particulier bien consciente du rôle des experts comptables dans l'application de textes qui, il faut bien le dire, ne sont pas toujours rédigés de la façon la plus lisible qui soit.
Cependant, ce ne sont qu'environ 3 % des très petites entreprises de 10 salariés et moins, et 11 % des entreprises de 11 à 20 salariés, qui se sont engagées dans un processus de réduction du temps de travail. Il reste donc un effort tout particulier à faire en faveur des PME.
1.2. Pour les entreprises de moins de 20 salariés, l'application de la loi au 1er janvier prochain constitue un cap important.
Je voudrais rappeler l'importance de l'application de la réduction du temps de travail à toutes les entreprises.
D'abord parce qu'il ne serait pas acceptable que les salariés des petites entreprises ne bénéficient pas eux aussi de la réduction du temps de travail. C'est une question d'égalité des droits et des conditions de travail des salariés, à laquelle le gouvernement est naturellement très attaché.
Ensuite, face à une conjoncture un peu difficile, le potentiel de créations d'emplois de la réduction du temps de travail doit être utilisé au maximum. En effet, au 2e trimestre 2001, ce sont environ 44.000 emplois qui ont été créés dans les secteurs concurrentiels. Dans le même temps, la population active augmentait d'environ 50.000 personnes. Pour faire baisser le chômage, il faut utiliser " l'accélérateur de créations d'emploi " qu'est la réduction du temps de travail.
En effet, la réduction du temps de travail est l'un des éléments qui ont permis d'enrichir notre croissance en emploi sur la période récente. Si la croissance ralentit, il faut donc que cet enrichissement soit encore plus important si nous voulons limiter les répercussions de la conjoncture sur l'évolution du chômage.
Enfin parce les petites entreprises doivent, comme l'ont fait les grandes entreprises et celles des petites qui ont anticipé, aborder la mise en œuvre des 35 heures comme un moyen de revoir l'organisation du travail et de développer ainsi non seulement leur efficacité mais aussi et surtout leur attractivité vis-à-vis des salariés.
Les difficultés de recrutement rencontrées par certains secteurs trouvent avant tout leur origine dans un ensemble de facteurs ayant trait aux conditions de travail, de rémunération, de déroulement de carrière et de formation. Ces éléments jouent d'une façon particulièrement sensibles dans certains métiers, comme les métiers de bouche par exemple.
La mise en place de la réduction du temps de travail est l'occasion d'une réflexion au sein d'une entreprise, au sein d'une branche, sur l'ensemble des questions liées à l'organisation du travail.
Pour toutes ces raisons, la poursuite de l'application des 35 heures constitue une priorité du gouvernement.
1.3. Au-delà des souplesses déjà inscrites dans la loi, j'ai décidé de nouvelles mesures pour faciliter et accompagner le passage à 35 heures, dans les entreprises de 20 salariés et moins.
Les contacts que j'ai pu avoir avec des chefs d'entreprise, mais également avec des experts comptables, m'ont montré que beaucoup d'entreprise avaient des craintes sur leur capacité à passer l'échéance du 1er janvier 2002.
Comme je vous l'ai dit, la réduction du temps de travail constitue pour moi un projet collectif, qui implique entreprises et salariés. Il était donc nécessaire de donner plus de sécurité aux entreprises :
- plus de sécurité pour celles qui ont besoin de délais pour s'adapter. J'ai donc proposé au Premier Ministre une extension transitoire du contingent d'heures supplémentaires qui permet de faire face au passage à 35 heures de la durée légale sans risquer de " buter " sur le nombre d'heures supplémentaires ;
- plus de sécurité pour celles qui s'engagent dans la réduction du temps de travail et qui connaîtraient des difficultés particulières (difficultés de recrutement, surcroît exceptionnel d'activité) : une circulaire permettra à ces entreprises de conserver les aides (à condition, bien évidemment, qu'elles s'engagent dans des mesures de réduction de ces difficultés de recrutement) ;
En ce qui concerne le premier point, l'élévation du contingent, il faut en effet avoir à l'esprit le fait que passer aux 35 heures n'interdit pas de faire des heures supplémentaires. En effet, tout le monde est bien conscient du fait que les entreprises sont soumises à une charge de travail qui peut évoluer de façon imprévisible. Le dispositif transitoire de la loi permettait déjà que les heures supplémentaires soient décomptées à partir de la 38ème heure en 2002, de la 37ème en 2003 et de la 36ème seulement en 2004.
Pour donner plus de souplesse aux entreprises de 20 salariés et moins, le contingent annuel d'heures supplémentaires, actuellement fixé à 130 heures, est relevé à 180 heures en 2002 et 170 heures en 2003.
Au total, c'est un délai transitoire de 4 ans à compter de l'entrée en vigueur de la deuxième loi dont bénéficient les petites entreprises.
Par ailleurs, les entreprises qui effectuent des heures supplémentaires régulières en raison de difficultés de recrutement ou de surcroît d'activité et qui ne pourront donc faire 35 h en moyenne ne seront pas pénalisées puisqu'elles pourront conserver les aides de l'Etat. C'était une mesure particulièrement demandée dans certaines professions, notamment celles qui connaissent actuellement des problèmes d'attractivité vis-à-vis des jeunes.
2) Quelles stratégies pour les entreprises, quelles stratégies pour les accompagner ?
Je crois que trois étapes sont incontournables : toute petite entreprise doit connaître, comprendre et s'approprier la réduction du temps de travail.
Je ne veux pas dire que chacun devienne un spécialiste des textes. Par contre, il faut que les chefs d'entreprises sachent " comment on fait ", dans une PME d'un secteur donné. Il est donc nécessaire de mettre à leur disposition un " mode d'emploi " simple et adapté à leurs spécificités.
Cette démarche repose plus que jamais sur un travail partenarial au niveau local . Les services de l'Etat et leur réseau de partenaires, dont vous êtes un élément fondamental, se mobilisent en ce sens.
Durant l'été, les directions régionales et départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ont établi des plans d'action préparant le passage aux 35 heures des TPE au 1er janvier 2002.
L'analyse de ces plans montre nettement que les services de l'Etat se sont inscrits dans une démarche efficace et collective afin de créer les conditions favorables à un passage réussi des petites entreprises aux 35 heures.
Les actions d'information sont menées par les services déconcentrés régionaux et départementaux ; ils ont pris des initiatives pour informer directement les entreprises sur la réduction du temps de travail par le biais de tables rondes, de forums et pour mobiliser leurs réseaux de partenaires (chambres consulaires, organisations professionnelles, syndicats patronaux ou de salariés) pour qu'ils mettent en place des actions d'appui-accompagnement auprès de leurs adhérents.
En mettant en œuvre ces actions et en travaillant avec des intermédiaires qui connaissent bien le tissu local des petites entreprises, les services déconcentrés de l'Etat se mobilisent fortement pour permettre une diffusion efficace de l'information relative au passage aux 35 heures pour les TPE. La mise en commun des capacités d'intervention des services et du réseau de leurs partenaires crée en effet une synergie grâce à la démultiplication de l'information.
Ces plans prennent en compte des secteurs spécifiques rencontrant des difficultés particulières (par exemple secteurs rencontrant également des difficultés de recrutement tels que le BTP) ou sur des territoires particuliers.
Toutefois, les espoirs permis par cette mobilisation importante ne doivent pas occulter que la période à venir est cruciale. Des réponses rapides et adaptées doivent pouvoir être apportées, afin de s'assurer des meilleures chances de succès.
Outre les mesures que j'ai décrites, nous travaillons aujourd'hui sur la base de plusieurs orientations pour assurer l'accompagnement sur le terrain des petites entreprises.
Différentes actions d'information sont prévues. Déjà, un guide mode d'emploi très pédagogique a été mis en ligne sur Internet récemment pour expliquer comment, pas à pas, se passe la réduction du temps de travail. La mise en ligne du texte des accords est également un sujet qui mobilise les services du Ministère de l'Emploi.
Par ailleurs, le Ministère à mis en place un processus de remontée des questions posées sur le terrain : faut-il un accord d'entreprise ? mon entreprise est-elle couverte par un accord de branche ? comment réduire la durée du travail : sur la semaine, sur un cycle, sur l'année ? comment bénéficier des aides ? Les réponses à ces questions sont ensuite renvoyées vers les services de l'emploi, ce qui permet à la fois de préciser les textes et d'assurer une interprétation cohérente d'une région à une autre.
La presse quotidienne régionale, mais aussi professionnelle, sera un relais important de diffusion de témoignages de chefs de petites entreprises.
Au total, vous voyez que nous sommes à une phase qui est celle de l'accompagnement de l'entreprise, en suivant au plus près ses besoins : un mode d'emploi simple, clair et facilement disponible. Votre rôle est essentiel : vous êtes les interlocuteurs souvent les plus naturels, les plus évidents et les plus proches des petites entreprises.
Souvent, les entreprises ignorent encore que le passage à 35 heures permet de bénéficier d'aides importantes, majorées en cas de réduction du temps de travail avant le 1er janvier 2002. En effet, une entreprise de 10 salariés qui passe aujourd'hui à 35 heures dans les conditions fixées par les textes peut gagner plus de 100.000 F par rapport à l'entreprise qui attend. Par ailleurs, passer plus tôt à 35 heures, c'est également pour l'entreprise pouvoir bénéficier plus tôt de la modération salariale, qu'elle soit négociée, ou qu'elle résulte du dispositif de garantie mensuelle pour les salariés au SMIC.
Il est donc dans l'intérêt des entreprises de passer rapidement à 35 heures, et par conséquent il est également l'intérêt de ceux qui, comme vous, sont à leur coté pour les aider à améliorer leur compétitivité d'étudier rapidement la question de la réduction du temps de travail.
Finalement, nous abordons aujourd'hui une phase nouvelle : au-delà de la mise en place des 35 heures, c'est la qualité de la réduction du temps de travail, l'intelligence des nouvelles organisations du travail qui devront être au cœur du dialogue social dans les entreprises.
La finalité de notre politique, c'est la prise de conscience que tous, employeurs, salariés et demandeurs d'emploi, ont à gagner à la réduction du temps de travail.
(source http://www.35h.travail.gouv.fr, le 22 octobre 2001)