Texte intégral
Je vais m'exprimer en français à Paris, à l'UNESCO et je sais que tout le monde parle français ou parlera le français à la fin de la COP.
Je voudrais remercier celles et ceux qui ont permis ces deux jours qui, je crois, ont été extrêmement utiles et en même temps chaleureux. Il y a eu un momentum qui est fort. J'imagine, et j'en suis sûr, que l'on souhaite tous que la COP21 soit un succès. Je ne suis pas le dernier à le souhaiter pour des raisons évidentes mais avant d'être enthousiaste - et nous le sommes tous -, il faut se demander pourquoi, à Paris, il y aurait plus de chance de succès qu'avant. Il ne faut pas perdre son enthousiasme mais il faut garder sa lucidité. Je pense qu'objectivement - l'objectivité, c'est important -, il y a une différence de situation par rapport à ce qui existait il y a quelques années, qui fait que, quels que soient les mérites des présidents de la COP, cette différence de situation va pouvoir expliquer peut-être beaucoup de choses.
D'abord, il y a une différence qui est regrettable, c'est que le dérèglement climatique a augmenté, cela se voit dans les chiffres ; vous les connaissez tous. Cette situation regrettable et même dramatique fait que la pression pour trouver des solutions est plus forte. C'est un premier élément objectif.
Le deuxième élément objectif, c'est qu'il ne faut jamais perdre de vue que l'une des raisons pour lesquelles nos prédécesseurs ont eu tant de difficultés, c'est qu'à l'époque, le phénomène scientifique lui-même était contesté et son origine humaine l'était également. Je sais bien qu'il existe des personnes - qui voudraient bien être des personnalités - qui continuent cette contestation, mais cela n'a rien à voir avec ce que c'était avant. Il faut remercier énormément les scientifiques du GIEC d'avoir fait le travail qu'ils ont fait parce que sans ce travail, nous en serions à discuter pour savoir si le dérèglement existe ou non et si son origine est anthropique ou pas. C'est un second changement objectif qui rend les choses beaucoup plus faciles qu'avant, si je puis dire, en tout cas plus nécessaires.
Un troisième élément a changé, et on n'a cessé de le rappeler au cours de ces deux journées, c'est que les technologies ont changé, elles sont devenues beaucoup plus accessibles. Hier, l'une des personnalités présentes disait qu'en ce qui concerne le solaire, le coût des technologies avait été divisé par cent depuis 25 ans. C'est la même chose dans l'éolien et on peut anticiper qu'il y aura de nouveaux sauts technologiques. Cet accès à la technologie est donc beaucoup plus fort, beaucoup plus simple et beaucoup moins cher qu'auparavant et, j'y reviendrai dans un instant, c'est également vrai pour les finances.
Et puis, il y a la politique qui a changé, les responsables politiques - je ne suis pas sûr que vous allez m'accompagner sur ce plan - ne font pas uniquement de mauvaises choses ; il y a eu de grandes décisions. L'accord entre le président Obama et le président chinois est une très grande décision qui était absolument inconcevable il y a quelques années et qui a levé les réserves de beaucoup de pays parce que si les deux premières puissances économiques du monde et les deux premiers émetteurs de gaz à effet de serre du monde se mettent d'accord pour aller dans la bonne direction, cela devient de plus en plus difficile d'aller dans la mauvaise.
Le dernier élément qui, à mon avis, a changé, c'est vous. Pas vous personnellement, mais la communauté des entreprises qui maintenant, non seulement est d'accord, parfois même enthousiaste et aux premières loges pour aller vers une action contre le dérèglement climatique.
Ces raisons objectives font que, même s'il faut rester très prudent, même si l'accord est extrêmement difficile parce que faire lever la main à 196 parties et 195 pays pour approuver un même texte, au demeurant extrêmement complexe, c'est difficile. Mais ces raisons objectives existent et elles font que l'on part pour la COP de Paris avec un optimisme fort, même s'il est raisonné.
Ce qui m'a frappé dans ces deux jours, c'est que chacun doit faire sa part du chemin, nous les gouvernements, collectivement puisque c'est un accord international, nous devons faire notre part du chemin et donner le signal ; on n'a cessé de le rappeler, en particulier les responsables d'entreprises. Lorsque l'on est chef d'entreprise, on a la responsabilité d'une collectivité et, bien sûr, on peut avancer au nom de motifs généreux, humanistes, mais il faut aussi qu'au moment où l'on publie les résultats, ils soient là. Nous avons donc à donner ce signal et ce sera le sens de la COP21.
Je remercie Christiana et je remercie d'une façon générale les Nations unies qui se mobilisent formidablement dans le bon sens.
Nous nous fixons donc quatre objectifs simples. D'abord, ce qu'il y a de plus complexe à atteindre, il faut que nous arrivions à un accord universel. Cela n'a jamais été possible, maintenant c'est nécessaire. Vous connaissez les termes, deux degrés, «legally binding», différenciés et, en même temps, j'ajouterai pour ma part durables, car il ne s'agit pas que les choses s'arrêtent en 2030, il faut trouver des mécanismes qui nous permettent de continuer. Nous travaillons d'arrache-pied à ce premier objectif et si nous y arrivons, ce sera évidemment le signal majeur, nous n'y sommes jamais parvenus.
Le deuxième signal, le deuxième objectif, ce sont les fameux INDCs, les contributions que chacun est en train de publier. À ce jour, j'ai fait le point, il y a 38 pays qui ont publié leur contribution. Elles sont d'ambition inégale mais c'est déjà une chose importante et cela représente environ un tiers des émissions. Il faut arriver à 100%, ce sera peut-être difficile pour certains pays parce qu'il y a des difficultés techniques mais au moment de la COP de Paris ou même avant, fin octobre, nous devrions être à 90% des émissions. Évidemment, ce sera extrêmement significatif parce qu'en terme de signal, cela voudra dire, pour tous les observateurs, pour tous les acteurs, pour vous tous, que, même si on peut trouver certaines contributions insuffisantes, il y aura des engagements de la part des gouvernements pour les années qui viennent. Ce n'est jamais arrivé.
La COP21 se penchera sur la question du prix du carbone qui a été sans cesse évoqué ici avec juste raison. Peut-on dire que l'on parviendra, dès la COP21 à quelque chose ? Je n'en suis pas sûr mais il faut redoubler d'efforts parce qu'au-delà de l'accord universel, il faut qu'il y ait des engagements des gouvernements et si beaucoup de gouvernements s'engagent dans cette direction, ce sera un signal majeur.
Le troisième signal, le troisième objectif, concerne la technologie, le financement, d'investissement. Le Fonds vert est là. On nous dira que ce n'est qu'un peu plus de 10 milliards de dollars, mais il y a l'effet de levier et il va commencer, j'en suis sûr, à opérer dès avant la COP21.
Et puis, il y a une réaffirmation, nous nous sommes engagés à aller vers les 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 et ce n'est pas du tout hors d'atteinte. Nous l'avons fait encore dans le dialogue de Petersberg il y a deux ou trois jours, avec une quarantaine de pays. J'espère bien que le G7 qui va se réunir dans quelques jours confirmera, j'en suis sûr, cette orientation.
Enfin, le quatrième objectif, c'est tout simplement vous. Tu l'as à juste titre proposé, Manuel, et je te remercie dans «Lima Paris agenda for action», que l'on appelle parfois «l'agenda pour l'action», c'est-à-dire d'associer tout le monde. Il s'agit d'associer pas simplement les gouvernements - c'est évident - mais aussi les grandes communes, les régions, les organisations, la société civile et les entreprises. Il est en effet indispensable que les entrepreneurs soient au premier rang.
Voilà les objectifs de la COP21, ils sont au nombre de quatre. C'est clair, je crois que tout le monde est d'accord sur cette répartition. Si nous arrivons à cela, évidemment le signal pour les entreprises sera majeur.
Nous voulons, dans l'organisation de cette COP21, manifester cela. Il y aura, je vous le dis déjà, sur les différentes journées de négociation prévues, un jour qui sera «action day» et un autre jour qui sera «innovation day» pour que l'on montre concrètement, venu de toutes parties du monde, que ce n'est pas simplement un souhait, une utopie mais que c'est possible et que c'est réalisable.
Dernier point. Je veux formuler des souhaits en ce qui concerne les entrepreneurs. Vous, vous pouvez à juste titre - vous l'avez fait au cours de ces deux jours - formuler des souhaits pour la COP21 et puis, singulièrement, auprès de chacun de vos gouvernements. La COP21 n'a pas le pouvoir d'obliger tel ou tel gouvernement à faire cela. Il y a donc l'action collective et puis il y a l'action dans chaque pays.
Ayant écouté ce qui s'est dit, je pense qu'il y a cinq souhaits ou propositions que l'on peut, je l'espère, légitimement formuler.
Mon premier souhait, c'est que davantage d'entreprises rejoignent les structures de coordination qui agissent contre le dérèglement climatique. Vous, vous êtes l'avant-garde large, éclairée mais il faut entraîner autour de vous, beaucoup. Donc, utilisons cette tribune - la presse est présente - pour souhaiter que davantage d'entreprises rejoignent les structures de coordination excellentes - que je veux vraiment remercier - qui existent déjà.
Le deuxième souhait, c'est que vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Responsables d'entreprise, vous publiiez vos contributions. Dans le cadre de la plateforme NAZCA, qui veut dire «Non-state Actor Zone for Climate Action». Une plateforme va être organisée de façon à ce que les entreprises puissent publier leurs contributions et que l'on obtienne ainsi des sortes de feuilles de route des plateformes d'entreprise ou des plateformes sectorielles qui vont venir compléter, renforcer les contributions nationales que nous-mêmes nous allons collecter. Ceci est très important, c'est l'objectif précis concret avant la COP21.
Le troisième souhait, c'est que soit renforcée la diffusion des technologies innovantes bas-carbone en une espèce de partenariat. Ce partenariat sera le partenariat en particulier organisé par World Business Council et l'AIE, l'agence internationale de l'énergie. C'est différent des publications des plateformes sectorielles, c'est l'échange des technologies innovantes.
L'avant-dernier souhait, c'est que se crée - et il est à l'œuvre évidemment chez tous ceux qui sont ici - une sorte de réflexe climat dans les décisions des entreprises en particulier dans les décisions d'investissement. On va assister, j'en suis persuadé, dans les années qui viennent, et cela risque d'aller très vite car il y a un effet d'imitation, à une décarbonisation des portefeuilles. Quand l'on voit un certain nombre de décisions significatives, lorsque Standard and Poor's décide d'inclure dans son mécanisme de notation la plus ou moins grande résistance et le plus grand ou moins grand degré d'avancement par rapport à l'action contre le dérèglement climatique, lorsque l'on voit que telle ou telle grande banque nationale ou internationale décide de ne plus financer tel ou tel investissement en haute teneur de CO2, lorsque l'on voit aussi que des fonds qui sont investis dans la green growth sont extrêmement rentables, il y a une incitation extrêmement forte à cette création d'un réflexe climat au sein des entreprises, que vont certainement encourager à la fois les salariés et les consommateurs qui sont des éléments très importants à prendre en compte.
Enfin, le dernier point, c'est que ce dialogue qui a été engagé entre nous - et je voudrais encore une fois remercier en particulier notre ami Ban Ki-moon qui a vraiment donné une dimension supplémentaire aux choses avec les réunions lors de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre de l'année dernière -, que ce dialogue entre les entreprises et les gouvernements ne s'arrête pas à la COP21 mais qu'il ait lieu avant la COP21 et après la COP21. Peut-être, Cher Manuel, c'est une idée que j'ai et il faudra en discuter aussi avec notre partenaire et amie marocaine, c'est une initiative que pourraient peut-être prendre les présidents de COP successifs pour être sûr que ce dialogue soit entretenu.
Voilà. J'ai voulu profité de cette noble assemblée pour faire le tour du sujet au moment où nous sommes. Les Français sont indécrottables, ils terminent toujours leurs propos par une formule, alors je ne vais pas m'en priver : je pense que le climato-fatalisme est de plus en plus injustifiable et que le climato-volontarisme est de plus en plus incontournable et c'est pour cela que j'ai confiance dans le succès, grâce à vous, de la COP21. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2015