Tribune de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur une alternative au mécanisme actuel de réglement des différends entre investisseurs et Etats, intitulée "Pour une justice internationale de l'investissement".

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La France de 2015, dont l'économie s'est profondément internationalisée au cours des trente dernières années, n'est pas une novice de la mondialisation : elle en a subi les revers; elle sait, de mieux en mieux, en exploiter les opportunités; elle peut en combattre les travers. C'est ce qu'elle fait aujourd'hui, en proposant une alternative à l'arbitrage privé entre investisseurs et États tel qu'il est prévu par l'ISDS («Investor State Dispute Settlement»), l'acronyme anglais du mécanisme de règlement de leurs différends.
Depuis une quinzaine d'années, la protection des investisseurs, légitime contre des expropriations ou discriminations arbitraires, déborde de ce cadre, au point que certaines entreprises contestent, sous couvert «d'expropriation indirecte», le droit des États à décider des normes, environnementales, sanitaires ou sociales. Interdiction de la fracturation hydraulique, retrait du nucléaire ou mesures antitabac : ces décisions du Canada, de l'Allemagne ou de l'Australie conduisent des entreprises étrangères à leur réclamer, devant un panel d'arbitres privés, des indemnités souvent faramineuses en réparation du manque à gagner.
À l'origine destiné à protéger les investisseurs contre des dénis de justice dont les États peuvent se rendre fautifs, l'ISDS apparaît au terme de cette dérive comme la menace d'un déni de démocratie. Le contribuable serait, ainsi, condamné à payer pour des choix qu'il a validés en tant que citoyen.
Cette dérive appelle une réponse politique qui ne soit pas prisonnière des circonstances. Depuis 1957, près de 3 000 accords de protection des investissements ont été passés dans le monde, la France est liée par 95 d'entre eux. Si le sujet de l'arbitrage dans les différends entre les investisseurs et les États n'est pas apparu avec les négociations transatlantiques, il est aujourd'hui exacerbé par ce contexte nouveau. Il ne disparaîtra pas davantage avec ces négociations, quelle qu'en soit l'issue. C'est une question de principe, pas de partenaire.
Alors qu'en octobre 2014, 14 États membres de l'Union européenne soutenaient publiquement et sans réserve ce standard, la situation a changé. J'ai engagé une démarche commune avec l'Allemagne dès le 21 janvier 2015, dont la déclaration signée par M. Sigmar Gabriel fixe les orientations. Celles-ci ont donné lieu à des échanges avec nos partenaires européens, et, au niveau interne, avec des experts et les membres du comité de suivi stratégique des politiques commerciales. Au terme de ces démarches, j'adresse cette semaine les propositions de la France à la Commission européenne. Elles ont pour ambition de contribuer à élaborer un nouveau standard pour le règlement des différends au XXIe siècle. La France réaffirme son attachement à des règles communes et à une organisation collective. Il est temps de créer une justice internationale de l'investissement digne de ce nom.
C'est à la fois possible et nécessaire. Possible parce que la logique historique à l'oeuvre depuis deux siècles a conduit à la création de juridictions internationales, qui ont surmonté réticences et scepticisme. Dans un monde où les frontières ne sont plus des barrières, les solutions globales ne sont pas des utopies.
Nécessaire car la croissance des flux d'investissements n'est pas compatible avec un traitement des litiges par un dispositif privé et opaque. L'augmentation prévisible des différends, leur complexité et les montants en jeu rendent indispensable une véritable justice internationale de l'investissement.
Sur la forme, nos propositions visent à présenter les voies opérationnelles pour la création d'une Cour permanente publique, organe au service de la cohérence du droit et de l'articulation des décisions avec les juridictions nationales. Sur le fond, nous voulons clarifier les concepts juridiques aujourd'hui insuffisamment définis, instaurer un appel, prévenir les conflits d'intérêt et prévoir des amendes pour recours abusifs. Il faut mettre un terme à la complaisance à l'égard des seuls intérêts du marché pour restaurer la place de la puissance publique et de la démocratie.
C'est une tâche foncièrement politique, que veut porter la France, avec ses partenaires européens, pour l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2015