Interview de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, à "France Inter" le 8 juin 2015, sur la tribune parue dans le Journal du Dimanche, cosignée par Messieurs Montebourg et Pigasse, sur les conclusions du congrès du parti socialiste.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Stéphane LE FOLL.
STÉPHANE LE FOLL
Bonjour.
PATRICK COHEN
Ministre de l'Agriculture, porte-parole du gouvernement. « Hébétés, nous marchons droit vers le désastre » écrivent Arnaud MONTEBOURG et Matthieu PIGASSE. Vous êtes « hébété » vous aussi Stéphane LE FOLL ?
STEPHANE LE FOLL
Absolument pas. J'ai trouvé le titre et, l'analyse qui est faite, d'une faiblesse, pour Arnaud MONTEBOURG et Monsieur PIGASSE, qui m'a un peu sidéré.
PATRICK COHEN
Qu'est-ce qui est faible ?
STEPHANE LE FOLL
C'est les propositions et l'analyse. Deux étapes dans ce texte. La critique de l'austérité, que j'entends tous les jours, comme si en France on avait fait de l'austérité. La faute à qui ? L'Europe et à l'Allemagne. C'est ça l'analyse, toujours la faute des autres, il n'y a jamais de questions à se poser sur soi, il y a toujours un fait extérieur qui vient expliquer les difficultés qu'on connaît.
PATRICK COHEN
La politique du gouvernement « inspirée » par l'absurde de conformisme bruxellois, écrivent-ils.
STEPHANE LE FOLL
Voilà, bruxellois, et avec l'Allemagne derrière. Très bien. Ça, c'est les causes. Solutions. Une initiative européenne pour faire baisser les impôts. Donc, si c'est l'Europe et l'Allemagne, il faudrait quand même qu'on se mette d'accord, ce n'est pas la peine d'aller ensuite demander une initiative européenne. Et l'initiative européenne c'est baisser les impôts pour relancer la demande…
PATRICK COHEN
Pas tout à fait une initiative européenne, c'est une coalition de pays européens qui serait anti-austérité pour…
STEPHANE LE FOLL
Oui, mais alors là, une coalition, mais qui peut penser… quand on critique l'Europe telle qu'elle est organisée, et qu'on propose ensuite de faire des coalitions, où est la raison dans tout ça, les capacités qu'on a à faire ? Et puis, baisse des impôts, et c'est là que ça m'a un peu hébété pour le coup, c'est qu'elle est en train de se mettre en place la baisse des impôts, non seulement en Allemagne d'ailleurs, mais surtout en France. Donc, si Arnaud MONTEBOURG est convaincu que c'est la baisse des impôts qui va relancer la croissance, eh bien je lui rappelle qu'au mois de septembre 9 millions de Français vont bénéficier de la suppression de la première tranche d'impôt. Donc, on est bien dans le choix technique qui est évoqué dans ce papier, ce n'est pas la peine d'aller raconter des histoires sur, « hébétés, nous allons dans le mur. » Si c'est ça. Donc, je dis, papier faible, faible, qui fait beaucoup de bruit, c'est peut-être la corrélation entre les deux. Et puis c'est faible, c'est le moment qui est choisi qui fait du bruit, mais sur le fond, franchement, qu'est-ce qu'il y a ? Rien. C'est toujours des gens qui parlent… j'entendais Jean-Luc MELENCHON dans la voiture avant de venir, sur l'idée qu'il y aurait de l'austérité, qu'il suffirait d'avoir une politique de la demande pour relancer la croissance…
PATRICK COHEN
Vous pensez que ce n'est pas ce que ressentent les Français, Stéphane LE FOLL ?
STEPHANE LE FOLL
Je pense que les Français ils ressentent effectivement les difficultés, je pense qu'avec la question du chômage on n'est pas au bout de nos questions, mais est-ce qu'on peut dire, et accepter d'entendre, qu'une société comme l'économie française, dans un monde, et dans une Europe avec une zone euro qui a des éléments de fragilité, et que si on ne la stabilise pas on n'arrivera pas à redresser tout seul notre économie, est-ce qu'on peut entendre que… Il y a un peu de temps avant que les choses se calent, avant que les choses se redressent. Je l'entends moi, je partage, j'aimerais que ça aille beaucoup plus vite.
PATRICK COHEN
Mais MONTEBOURG il ne demande pas du temps, il explique que vous faites fausse route, ce qui est différent…
STEPHANE LE FOLL
Oui, mais je vous ai expliqué pourquoi sur le fond il a tort.
PATRICK COHEN
Et aussi que cette politique répand la colère, le dépit, la violence, chez des millions de nos concitoyens qui s'estiment bernés, trahis, abandonnés. Il se trompe, là, Arnaud MONTEBOURG, en écrivant cela ?
STEPHANE LE FOLL
Oui, il se trompe, parce qu'en disant cela il laisse entendre que la politique qu'on conduirait est la cause de la montée du Front national, alors que lui, quand il explique une des causes des difficultés, il explique que c'est aussi l'Europe et l'Allemagne. Je ne sais pas qu'est-ce qui est le plus grave dans la montée du Front national, si… dans le vote Front national on intègre le fait que les gens ont peur de ce qui se passe autour, j'ai parfaitement compris la logique qu'il y a, il y a une espèce d'impression que c'est l'Europe et c'est le monde qui nous en veut, l'immigration… on est envahi. De dire que c'est de la faute de l'Europe et de l'Allemagne…
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG alimente ces peurs ?
STEPHANE LE FOLL
Eh bien, écoutez, dans son discours, je suis désolé de vous le dire, le discours du Front national c'est quoi ? C'est de dire qu'il faut sortir de l'euro et sortir de l'Europe, donc il y a un moment il faut qu'on arrête ça. Il faut qu'on soit capable, quand même, d'affronter les choses telles qu'elles sont. J'entendais tout à l'heure, je reviens sur l'idée de la politique de la demande, est-ce qu'on a fait une politique qui a tué la demande ? Non, on a cherché à équilibrer une politique de sérieux, oui on en a besoin, pour redresser les comptes de la France, oui on en a besoin, parce qu'une politique de la demande, quand on a 70 milliards, quand on arrive, 70 milliards de déficit commercial, ça veut dire que les Français achètent plus de produits qui viennent de l'étranger. Si ce n'est pas un problème, si pour ceux qui considèrent qu'il faut changer de politique, la seule méthode ça consiste à distribuer et puis les Français achètent à l'étranger, qu'est-ce qui se passe au bout d'un moment ? On l'a déjà fait ça.
PATRICK COHEN
Il y a eu davantage de prélèvements pour les ménages que pour les entreprises.
STEPHANE LE FOLL
Je rappelle qu'on a déjà fait cette politique, 81,83.
PATRICK COHEN
Oui, il y a eu davantage de prélèvements…
STEPHANE LE FOLL
Combien de dévaluation ? 3. eh bien oui !
PATRICK COHEN
C'était avant l'euro.
STEPHANE LE FOLL
Oui, c'était avant l'euro.
PATRICK COHEN
Il y a eu davantage de prélèvements, Stéphane LE FOLL, sur les ménages que sur les entreprises.
STEPHANE LE FOLL
Donc, sur le fond je suis vraiment hébété par la faiblesse.
PATRICK COHEN
Alors, il se trompe, il est faible, mais il y croit, vous lui faites crédit de sa sincérité au moins, à Arnaud MONTEBOURG ?
STEPHANE LE FOLL
Je lui fais crédit, en particulier, de ce qu'on a fait ensemble et de ce qu'il a fait, sur le « Made in France » que moi je traduis concrètement en « viande de France », « fleur de France », « miel de France », je sais ce qu'il a fait, je sais qu'il avait, là, un bon choix. Si on veut redresser, et en particulier notre déficit de la balance commerciale, il faut qu'on ait une économie qui soit plus solide, et pour parier sur l'économie, il faut parier sur une production française qui est capable à la fois d'être compétitive et de qualité.
PATRICK COHEN
Alors pourquoi il fait ça aujourd'hui ?
STEPHANE LE FOLL
Ecoutez, je ne sais pas. Pourquoi il fait ça ? Il l'a fait juste à la fin du congrès, c'était pour s'inviter dans le débat du congrès. Il l'a fait pour faire acte de présence politique et qu'on en parle.
PATRICK COHEN
Ça veut dire qu'il n'est pas retiré de la vie politique ?
STEPHANE LE FOLL
Ça veut dire qu'il n'est pas retiré de la vie politique et on en parle mais sur le fond, je le redis franchement, faible.
PATRICK COHEN
Et vous lui dites merci parce que sinon, on n'en parlerait plus de votre congrès de Poitiers.
STEPHANE LE FOLL
Ce qui est terrible dans cette histoire, c'est que quand ça se passe bien on dit : « Qu'est-ce que vous faites là ? C'est quoi ? Ça y est, c'est fait, les jeux sont faits ». Quand ça se passe mal, ça y est c'est la catastrophe ! Les socialistes sont divisés. Qu'est-ce qu'il faut faire pour qu'on ait un peu moins de passion peut-être et en même temps, je me dis qu'après tout ça fait partie du débat politique.
PATRICK COHEN
Sinon, vous retenez quoi de ce congrès de Poitiers en une phrase, Stéphane LE FOLL ?
STEPHANE LE FOLL
D'une phrase ? 60 % des militants ont fait le choix de soutenir une motion qui soutient le gouvernement et qui dit : « On va jusqu'au bout parce que de toute façon, le choix qui a été fait, il faut le réussir ».
PATRICK COHEN
Il y a donc une minorité, il y a une opposition au sein du Parti socialiste qui pèse environ 30 % et qui n'a pas voulu signer le texte final.
STEPHANE LE FOLL
Oui, 30 %. Et qui demande un débat, il est tranché et qui dit : « Ce n'est pas fini quand même ».
PATRICK COHEN
Et qui pense à peu près comme Arnaud MONTEBOURG. C'est ce qu'ils ont dit hier.
STEPHANE LE FOLL
Il faudrait demander à Christian PAUL s'il est d'accord sur l'idée que la relance passe par la baisse de l'impôt parce qu'à ce moment-là, la relance est engagée.
PATRICK COHEN
Trente pourcent du PS qui se trompe.
STEPHANE LE FOLL
Qui se trompe, c'est un débat de fond. J'ai bien entendu ce que disait Benoît HAMON pour engager le débat.
PATRICK COHEN
J'ai essayé de l'engager.
STEPHANE LE FOLL
Oui, mais je vous l'ai dit. Débat qui consiste à dire quoi ? Cette question, c'est est-ce qu'il fallait laisser filer les déficits et est-ce que si on avait 10 ou 12 % de déficit budgétaire aujourd'hui avec les conséquences en termes d'endettement, est-ce que ça aurait changé quelque chose au fond, en particulier pour l'électorat de gauche ? Je leur dis non. Non ! Après, ils peuvent dire : « Mais si, nous on le pense », mais moi je dis que je ne le pense pas, je ne le crois pas et je suis – j'allais dire je suis sûr de moi. Oui, je suis sûr de moi.
PATRICK COHEN
Un vol Poitiers-Berlin pour aller voir un match de foot aux frais de l'Etat et donc du contribuable, est-ce que c'était indispensable pour le Premier ministre ?
STEPHANE LE FOLL
C'est une invitation qui a été faite par le président de l'UEFA, je crois, Michel PLATINI, c'est un match de foot.
PATRICK COHEN
Il a rendez-vous prévu cette semaine à Paris avec PLATINI.
STEPHANE LE FOLL
Oui. Il y a un rendez-vous justement parce que l'an prochain, il y a un championnat d'Europe en France. Et il a été évoqué le résultat d'ailleurs de l'équipe de France hier soir, un match que j'ai regardé. Voilà, je ne dirai rien d'autre que le fait qu'il y a aussi dans ces moments à la fois un événement sportif – c'est la finale de la Coupe d'Europe – et puis il y a un an avant un championnat d'Europe avec des discussions sur cette organisation avec Michel PLATINI, donc les deux. Je ne veux pas faire plus de commentaires que ça.
PATRICK COHEN
On vous a entendu ici-même la semaine dernière, c'était dans le journal de 8 heures, vous étiez à Châteaulin, bousculé très vivement par des éleveurs en colère, des éleveurs de porcs qui dénoncent la faiblesse des prix d'achat pratiqués par la grande distribution. « On est en train de crever » disaient les éleveurs. Que leur répondez-vous ?
STEPHANE LE FOLL
D'abord j'étais à Châteaulin aussi, je le rappelle, pour saluer la réussite d'un redressement. Quand je suis arrivé, c'était la fin de DOUX et aujourd'hui ils repartent. Passons ça parce que le sujet effectivement c'est aussi une crise porcine et aussi bovine. Les deux : crise de marché et crise de prix, j'en ai parfaitement conscience. Ce que j'ai dit à ceux qui venaient me voir en disant : « Et qu'est-ce que vous faites ? », il y a des éléments conjoncturels et on se mobilise sur les aides qu'on va apporter aux exploitations agricoles porcines et bovines. Il y a des questions structurelles qui sont des choix et des organisations qui datent et qu'il va falloir changer. Le ministre a donc une part de responsabilité, mais tout le monde dans la filière aura aussi à partager une part de la responsabilité pour sortir de cette situation. Dans cette semaine qui commence, dès demain, après-demain et vendredi où j'irai à Ploërmel pour l'assemblée générale de la Fédération nationale porcine, j'aurai des décisions à prendre. Je l'ai dit.
PATRICK COHEN
Sur le constat, ils ont raison de dire que le consommateur paye 20 % plus cher le porc que dans les autres pays et que le producteur est payé 10 % moins cher ?
STEPHANE LE FOLL
Ils ont raison et en même temps ça dépend des produits. Aujourd'hui le porc, c'est quelque chose qui se distribue et c'est bien là le sujet avec des produits qui sont totalement différenciés sur la base d'une carcasse. On a donc besoin d'y voir clair et je le dis : j'avais proposé un accord interprofessionnel, je crois que je n'aurai pas de résultat de l'accord interprofessionnel. Pour la première fois, je vais le dire ce matin, je prendrai des décisions sur des encadrements en particulier sur les questions commerciales, qui n'ont jamais été prises par un ministre de l'Agriculture. Jamais.
PATRICK COHEN
Pour la grande distribution ?
STEPHANE LE FOLL
C'est globalement pour comment on commercialise et comment on va encadrer la commercialisation en partie du porc aujourd'hui en France.
PATRICK COHEN
En plafonnant les marges ? Quel type de mesure ?
STEPHANE LE FOLL
Il y a des opérations promotionnelles. Il faut que vous sachiez que 70 % du porc en frais aujourd'hui est vendu dans des promotions aujourd'hui en France. 70 %. Quel est le repère pour le prix à partir de là ? Il n'y en a plus ! Il n'y en a plus !
PATRICK COHEN
Donc des mesures d'encadrement ?
STEPHANE LE FOLL
Oui. De l'ordre dans les agendas, de l'ordre dans la manière dont tout ça est passé. J'attends une proposition de l'interprofession. Si je ne l'ai pas, vendredi je ferai des propositions à l'assemblée générale de la Fédération nationale porcine et ce sera la première fois.
PATRICK COHEN
Stéphane LE FOLL, le ministre de l'Agriculture et porte-parole du gouvernement. On vous retrouve dans quelques minutes avec les questions des auditeurs d'Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 juin 2015