Interview de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, à "France Info" le 4 juin 2015, sur la reprise par EDF de la majorité de l'activité réacteurs nucléaires d'Areva, sur les réformes institutionnelles nécessaires au niveau de l'Union européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

FABIENNE SINTES
Jean-François ACHILLI, votre invité ce matin est donc ministre de l'Economie, de l'Industrie, d'ailleurs aussi, et du Numérique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Emmanuel MACRON.
EMMANUEL MACRON
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Assistons-nous au démantèlement d'AREVA, près de 5 milliards de pertes récentes, les réacteurs qui passent sous le contrôle d'EDF. Que se passe-t-il ?
EMMANUEL MACRON
Ecoutez, la décision qui a été prise hier par le président de la République, avec le Premier ministre et une partie du gouvernement, c'est de stabiliser, de clarifier, de consolider la filière nucléaire. Moi je ne parlerai pas de démantèlement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça se passe entre maisons quasi-publiques, hein.
EMMANUEL MACRON
Ça se passe entre deux grandes entreprises publiques, vous avez raison de le dire, à plus de 85 %, qui malheureusement, par le passé, ont très souvent, trop souvent joué l'une contre l'autre, aussi bien à l'international que sur notre propre sol, et on en arrive à cette situation qui est aussi le fruit d'un nouveau contexte international après Fukushima, et donc aujourd'hui…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez dire que nous payons la gestion Anne LAUVERGEON, face à Henri PROGLIO, c'est ça ?
EMMANUEL MACRON
Vous savez, moi je n'aime pas donner les noms, et c'est toujours facile de juger les périodes passées. J'observe juste que ce sont deux entreprises, que l'Etat aussi, a laissé travailler l'une contre l'autre. Bon, donc aujourd'hui, je crois que notre volonté à tous et toutes, c'est de donner une stabilité, une pérennité à la filière nucléaire, qui est une filière d'avenir en France comme à l'international, et pour se faire, il était nécessaire d'apporter plus de clarté. AREVA, ses salariés ont des compétences, des savoir-faire, il faut les préserver. En même temps, il faut répondre à la fragilité qui est aujourd'hui celle de la société, et sur la partie des réacteurs, il faut faire travailler ensemble beaucoup plus, EDF…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il faut du savoir-faire, en fait.
EMMANUEL MACRON
… EDF et AREVA. On a le savoir-faire, il est là, et il faut la solidité d'EDF et en même temps il faut que le camp français travaille ensemble à l'international, et en France quand on regarde qui va commander les prochaines centrales en France, pour le renouvellement du parc nucléaire, ça modernisation, ça sera EDF, c'est le grand programme d'investissements qui sera lancé à la fin de l'été, au début de l'automne, ce qu'on appelle le grand carénage, avec la programmation des travaux. A l'international c'est la même chose, les grands marchés on nous demande qu'il y ait EDF. Ces deux entreprises doivent travailler ensemble, c'est pour ça que la décision stratégique qui a été prise hier, qui est une première décision stratégique, c'est à la condition qu'il y ait un vrai pacte industriel entre EDF et AREVA, le choix qui a été fait est d'adosser la partie réacteurs sur EDF.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
3 à 4 000 suppressions de postes chez AREVA, au passage, quand même.
EMMANUEL MACRON
Alors, écoutez, c'est une décision qui avait été annoncé avant toute modification. On a eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler, le Premier ministre, Ségolène ROYAL comme moi-même, un, pas de licenciements secs, deux, préservation de tous les sites de production, pour des raisons d'abord de qualifications, de savoir-faire, des raisons de sûreté, également, nucléaire. Il y a simplement aujourd'hui cette clarté à apporter, il y a une transition à faire, je crois qu'aujourd'hui la priorité ça n'est pas quelque plan social que ce soit, la priorité c'est cette négociation stratégique, industrielle et commerciale. On se donne un mois pour que ce pacte entre EDF et AREVA puisse être signé, que les différents acteurs commerciaux qui existent entre EDF et AREVA, l'ensemble des éléments, on se donne un mois pour les clarifier. Si tout ça est clarifié, alors on avancera dans le sens qui a été évoqué hier.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le prix de l'électricité va augmenter, parce qu'EDF va devoir mettre sur la table, pour digérer les réacteurs.
EMMANUEL MACRON
EDF mettra sur la table, pour avoir une partie de l'activité réacteurs, et en même temps la stabilisera, donc aujourd'hui il n'y a pas de lien entre cette opération et les tarifs de l'électricité, je vous rappelle que ces tarifs ils sont régulés, donc ils font l'objet d'une formule, et ils ont une séquence, si vous voulez, de stabilité ou d'augmentation, qui n'a rien à voir avec cette opération.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Emmanuel MACRON, Les Echos révèlent ce matin que vous allez, booster les lois dites Macron, ce sont les vôtres, notamment sur le travail du dimanche dans les TPE, les Très Petites Entreprises. C'est vrai ?
EMMANUEL MACRON
Ecoutez, on a d'abord un projet de loi qui a été grandement modifié à l'Assemblée nationale, ensuite dans lequel on a encore apporté des choses au Sénat, le sur-amortissement pour l'investissement productif, des éléments très importants en matière de couverture de téléphonie mobile et fixe, et puis dans les prochains jours, le président de la République et le Premier ministre annonceront des mesures pour les TPE et les PME. Et donc à la lumière de ce qui sera annoncé le 9 juin prochain, nous verrons ce qui peut être ajouté à ce projet de loi, comme à celui qui est apporté à mon collègue François REBSAMEN.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous allez dégainer le 49.3 une fois de plus, parce que ça ne se passe pas bien entre les sénateurs et les députés.
EMMANUEL MACRON
Non, la discussion qu'il y a eu hier, c'est ce que l'on appelle la Commission mixe paritaire…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça n'a pas marché.
EMMANUEL MACRON
Ça n'a pas marché, c'était pas forcément étonnant, ça ne veut pas dire pour autant que cela préempte, oriente la discussion que l'on va avoir à nouveau à l'Assemblée. Moi je l'aborde toujours dans le même esprit : nous devons réformer et moderniser le pays, c'est ce que nos concitoyens attendent, c'est ce que la vie des gens exige. Vous savez, moi j'ai une règle depuis que j'ai cet engagement, la vie des gens, notre économie, ce n'est pas le décor de l'action politique, c'est son objet, donc tout ce qu'on fait, ça doit être utile pour nos concitoyens, ça doit leur servir et c'est attendu, et donc tout ce qui sera proposé dans ce sens, le sera. Tout ce qui est de la « combinazione », politique, ne m'intéresse pas.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
« Combinazione ». La vie des gens, vous dites François HOLLANDE qui fait un détour chez les ex-FRALIB, vous savez, ceux qui font du thé à Gémenos, près de Marseille…
EMMANUEL MACRON
Bien sûr.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
… aujourd'hui, c'est pour dire quoi ? « Regardez, je parle à ma gauche » ?
EMMANUEL MACRON
Non, vous savez, d'abord François HOLLANDE c'est un homme de fidélité et d'engagement. Durant la campagne…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il est en campagne, là, hein.
EMMANUEL MACRON
Durant la campagne présidentielle, il a soutenu les FRALIB, qui je le rappelle étaient à l'époque des salariés dont la société mère voulait fermer le site, les fameux Thés Eléphant qu'il y avait à l'époque, et ils se sont battus pour le maintenir, pour continuer à produire, et ils ont réussi, en proposant un projet d'entreprise.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est un peu quelque chose qui a marché, quoi.
EMMANUEL MACRON
Et donc c'est quelque chose qui a marché, il y en a beaucoup, vous le savez, sur le territoire, mais il y a eu un engagement du président de la République à l'époque, il est pour une conférence importante à Marseille, il passe par Gémenos et je pense que c'est un bon signe, c'est bien que dans la vie…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et il est en campagne pour 2017.
EMMANUEL MACRON
Non, franchement, franchement, cette obsession française de la campagne présidentielle, peut-être que vous connaissez les tréfonds de son âme mieux que moi…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Non.
EMMANUEL MACRON
Ce que je peux vous dire, c'est qu'il fait son travail de président de la République et c'est bien quand on est un homme politique, quand ça va bien, comme quand ça va mal, de retourner là où est passé, là où on a parfois pris des engagements, là où on a croisé des femmes et des hommes qui se battent.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
François HOLLANDE qui a parlé de jours décisifs, Emmanuel MACRON, pour la Grèce, Athènes qui doit verser 303 millions d'euros, demain, au Fonds monétaire international. Qu'est-ce que l'Europe demande, en échange, à Alexis TSIPRAS ? C'est un feuilleton épouvantable qui n'en finit pas ?
EMMANUEL MACRON
C'est une situation difficile, parce que la Grèce…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Défaut de paiement, hein.
EMMANUEL MACRON
Oui, alors je pense que ce qui est aujourd'hui recherché, aussi bien par la France que par l'Allemagne, et vous aurez noté la cohérence du couple franco-allemand, sa volonté d'avancer ensemble…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On va en dire un mot.
EMMANUEL MACRON
C'est de trouver une solution pour la Grèce et donc de faire face en effet à ces échéances du mois de juin, qui sont importantes et qui vont jusqu'au 19 juin s'égrainer et en même temps, que la Grèce s'engage sur des réformes, pour pouvoir, je dirais, consolider son économie, et c'est toute la difficulté de la situation grecque aujourd'hui. Nous devons, je crois que c'est le souhait de tous, la maintenir dans la zone euro et en même temps elle doit-elle même prendre ses responsabilités. Et donc il y a un enjeu, qui est à la fois économique et financier et un enjeu politique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et un plan d'austérité pour la Grèce, sinon ça ne marche pas.
EMMANUEL MACRON
Non, honnêtement, je crois que c'est pas ça dont il s'agit, c'est avant tout de renforcer son économie, donc ce sont des mesures sur son administration fiscale, la Grèce a énormément de mal encore aujourd'hui à lever l'impôt. Ce sont des mesures aussi pour créer plus de concurrence, les prix restent très élevés parce qu'il n'y a pas beaucoup de concurrence, quand on regarde les chiffres sen Grèce, et donc on a des ménages qui ont parfois vu leurs retraites s'effondrer, qui sont arrivés au chômage, qui ont vu leurs salaires de fonctionnaires beaucoup baisser, et puis les primes ne baissent pas, parce qu'il n'y a pas une bonne concurrence. Les plus riches ou certaines catégories ne paient pas l'impôt, parce qu'on a du mal à le lever. C'est aussi ça la réalité. Ce n'est pas un grand plan d'austérité, c'est faire mieux fonctionner parfois aussi l'administration, l'économie, pour un fonctionnement plus juste et tenir les engagements collectifs.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous évoquiez le couple franco-allemand, il nous faudrait une heure d'émission pour en parler, c'est votre tribune commune avec votre alter-égo allemand, Sigmar GABRIEL, ce matin dans la presse européenne, c'est Le Figaro chez nous, notamment « pour une Union solidaire et différenciée ». C'est un peu techno comme titre, mais ce que vous dites c'est : il faut une Europe à deux vitesses, une autre Europe, vous parlez quasiment d'harmonisation fiscale et sociale, dans la zone euro.
EMMANUEL MACRON
On parle de deux choses, si vous voulez. On part d'un constat simple, si vous voulez. L'Union européenne, aujourd'hui, est de plus en plus rejetée par nos concitoyens, on le voit bien, politiquement elle fonctionne mal, parce qu'on trouve que Bruxelles se mêle de tout…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Tout le monde dit ça.
EMMANUEL MACRON
… est trop compliquée, etc. Je pars du constat, tout le monde le dit, donc vous le constatez comme moi, et la zone euro est fragile, elle est fragile, il y a ces risques financiers, il y a une croissance insuffisante et trop de chômage. Face à ça, on a le choix, soit de ne rien faire ou de gérer le quotidien, ce que l'on fait depuis trop d'années, soit de prendre nos responsabilités et de dire : on propose de nouvelles idées. Parce que si on n'avance pas, alors on laisse la place à celles et ceux qui détestent l'Europe, qui la critiquent et on laisse la place à son démantèlement progressif.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous avez un calendrier, un agenda, pour… ?
EMMANUEL MACRON
Et donc nous proposons deux choses : pour l'Union européenne à 28, on doit simplifier, simplifier la gouvernance, 28 commissaires, moi je trouve que c'est trop, il en faut moins pour retrouver la collégialité. Il faut une Europe plus simple, elle ne doit pas s'occuper de tout, tout le temps. Il faut réussir à déléguer ce qui doit être délégué aux Etats et pas tout prendre à Bruxelles, on peut se retrouver d'ailleurs avec les Britanniques sur cet agenda. Et puis il faut donner plus d'ambition à ce que l'on appelle le marché unique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais il y a des rendez-vous ?
EMMANUEL MACRON
Ça commence maintenant avec deux exemples clef : le marché unique du numérique et de l'énergie. Deux sujets, sur lesquels, sur le numérique, je porte avec Sigmar GABRIEL des propositions, et sur l'énergie, Ségolène ROYAL, côté français, Sigmar GABRIEL, côté allemand, portent des propositions. Qu'est-ce que ça veut dire ? Retrouver l'ambition du marché unique. On doit faire tomber les barrières, les règlementations, mais en même temps on doit ensemble construire une Union européenne plus forte vis-à-vis de l'international. Pour le numérique, on doit aider nos start-ups quand elles se créent en France, à pouvoir se développer dans tous les pays, et en même temps il faut les bonnes régulations, les bons standards communs, pour pouvoir résister aux Google, aux Facebook, protéger les données comme on le doit, au niveau européen. Ça, c'est la nécessité à 28. A 19, dans la zone euro, qu'est-ce que l'on doit faire ? On doit voir qu'il y a eu une divergence accrue entre nos Etats. Il y a de plus en plus d'Etats. Ceux qui étaient endettés et peu compétitifs le sont encore plus, et donc nous devons d'abord recréer de l'harmonisation, reconverger, et donc ce qu'on dit, et on commence à le faire, entre la France et l'Allemagne, sur le plan fiscal, sur le plan social, le salaire minimum…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Y'a du boulot.
EMMANUEL MACRON
… les protections, on se rapproche, et on crée un budget de la zone euro. Ce budget de la zone euro, c'est ce qui permet d'abord de faire des investissements en commun, on en a besoin, et ce ne sont pas les Etats qui peuvent aujourd'hui les porter, mais on peut le faire, et c'est en plus de créer des éléments de stabilité. Quand une région ou un Etat va mal, il faut que ce budget de la zone euro puisse l'aider. Ça sert de stabilisateur. Ça évite des situations, justement, à la grecque, ça permet plus de solidarité.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il y a…
EMMANUEL MACRON
Et donc l'Europe, si vous voulez, doit redevenir un espace de projets, de proposition et de concret. Le concret c'est cette Europe du numérique dont je vous parle, le budget européen et l'investissement par ce budget européen, on peut le faire demain si on le décide tous ensemble ; enfin on a une dernière idée, parce qu'il faut de la mobilité dans cette Europe, c'est de dire : on généralise l'Erasmus qui a si bien marché, pour l'apprentissage et pour tous les jeunes d'Europe, en disant, au moins six mois dans un pays européen…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, l'Erasmus du travail, quoi.
EMMANUEL MACRON
Exactement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Emmanuel MACRON, vous êtes très habité, si je puis dire, par cette idée européenne. Je finis très rapidement par une note plus légère qui vous concerne, cette photo qui est partout, de vous et votre épouse Brigitte, première apparition publique dans la cour de l'Elysée. C'est une séquence très people, vous êtes surpris par ce tintamarre que ça provoque ?
EMMANUEL MACRON
Je ne suis plus surpris de rien, donc, non, voilà, ce sont des moments qui passent, je ne fais pas ça pour ça, voilà, c'est tout, mais j'accepte le caractère public qui va avec la fonction et l'engagement. Ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus, c'est surtout pas ce qui intéresse mon épouse et donc je préfère…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Au travail.
EMMANUEL MACRON
…revenir, moi à mon travail, et nous à la discrétion.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Emmanuel MACRON.
EMMANUEL MACRON
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2015