Texte intégral
Je suis heureuse d'ouvrir cet après-midi consacré à la place du numérique dans l'école, face à un public si nombreux et si divers. Tous, vous incarnez la richesse du sujet qui nous réunit aujourd'hui : enseignants, élèves, parents, personnel et cadres de l'éducation nationale, associations, collectivités territoriales, entreprises, Le numérique nécessite la contribution et la concertation d'acteurs issus d'univers très différents et aux préoccupations variées. Je veux que cette journée contribue à ce dialogue.
Aujourd'hui, vous seront restitués les enseignements de la concertation nationale sur le numérique pour l'éducation, qui s'est tenue cette année, entre janvier et mars. Les contributions ont été très nombreuses et enrichissantes et je remercie tous ceux qui, parmi vous, ont rendu possible ce débat, et tout particulièrement, Madame la Directrice, la Direction du numérique pour l'éducation.
Ce moment de synthèse est important pour l'école. Vous le savez, le numérique est une priorité de la politique éducative du gouvernement. Le ministère a décidé de se doter d'une stratégie ambitieuse pour développer ses usages et son enseignement, dans toutes les dimensions. Le Président de la République a fixé l'ambition d'une généralisation de cette politique à partir de la rentrée 2016, afin de garantir un accès à tous aux compétences et aux outils numériques. C'est pour assurer le succès de cette ambition qu'il m'a demandé d'organiser cette concertation nationale, dont nous devons tirer toutes les leçons.
Permettez-moi d'ouvrir cette journée par une question: qu'appelle-t-on un « digital native » ? La formule dit une certaine fascination pour l'aisance apparente avec laquelle les générations les plus jeunes s'approprient leur environnement technologique dans sa dimension numérique : internet, téléphones portables, réseaux sociaux, communication instantanée, vidéos, consommation à distance, tout cela paraît, pour eux, si simple et naturel, que leurs aînés en conçoivent un étonnement toujours renouvelé.
Qui n'a pas dans son entourage ces enfants et adolescents capables de jongler en permanence avec les multiples applications de leur téléphone portable, tout en consultant une douzaine d'onglets web et en conversant avec des amis sur tel ou tel service de téléphone par internet ?
Qui n'a pas admiré, non sans se poser certaines questions, ces petits enfants qui manipulent intuitivement des tablettes vers 2 ou 3 ans, alors même que parler leur demande un apprentissage ?
Nous serions donc entourés d'une génération technophile et techniquement compétente alors que nous, les adultes, « migrants du numérique », aurions tout à apprendre.
Mais tout est-il si simple ?
Il va sans dire que les jeunes « ultra-connectés » savent bien faire des choses que nous peinons parfois à apprendre, ou ne savons pas faire Et que chaque jour de nouveaux génies émergent.
Mais cette immersion dans un bain d'équipements et d'applications numériques, aussi prolongée soit-elle, ne peut pas suffire à rendre notre jeunesse compétente sur tous les enjeux et usages du numérique. L'utilisation intuitive du numérique ne vaut pas compréhension des mécanismes techniques qui en sous-tendent le fonctionnement. Elle ne vaut pas non plus capacité à utiliser le numérique de manière éclairée, comme individu et comme citoyen.
Quelles sont les vraies compétences numériques de notre jeunesse ? Que vaut, en vérité, la formule « digital native », quand on sait que seulement 7 % des 15-29 ans ont de très bonnes compétences informatiques, comme une étude autrichienne de 2014 nous l'apprend, et 45 % des étudiants ne font qu'un usage rudimentaire des technologies c'est là une étude australienne qui nous le dit , leurs compétences se limitant à des compétences associées au mode de vie : usages de réseaux sociaux, consommation de vidéos ou de jeux.
Je crois que le « digital native » est un mythe, qui détourne notre attention des priorités. Les apprentissages informels ne peuvent former que des compétences incomplètes. Certaines compétences n'en sont pas réellement. Les jeunes eux-mêmes, à qui nous tendons un miroir déformant, surestiment souvent leurs compétences numériques. Traversons donc les apparences, afin de pouvoir réfléchir au rôle, plus que jamais d'actualité, de notre école dans la transformation technologique du monde.
Les enjeux sont immenses. Que pourra faire, demain, la jeunesse si elle ne possède pas les clés du numérique, dans un monde chaque jour plus connecté ? Comment pourra-t-elle apprendre ? Quels métiers pourra-t-elle exercer ? Que pourra-t-elle créer ? Quels citoyens pourra-t-elle former ?
La responsabilité de l'école est engagée, car c'est à l'école d'accompagner le processus d'apprentissage. Elle le fera en fondant les transformations liées au numérique sur des savoirs fondamentaux, qui conservent leur place essentielle : lire, écrire, compter ; mais aussi en valorisant le rôle des enseignants et en préservant l'importance de la mémorisation et l'exigence de correction linguistique. Car c'est bien dans une logique d'accès à l'excellence et non de facilité ou de complaisance vis-à-vis de l'air du temps que l'adaptation pédagogique au numérique doit se construire. La responsabilité de l'école est globale et nous en avons pris acte dans le socle commun, qui dit les connaissances, les compétences et les éléments de culture que chaque élève doit avoir acquis à la fin de la scolarité obligatoire. Elle se traduira dans les nouveaux programmes de la scolarité obligatoire, j'y reviendrai, mais aussi par un soutien qui, loin de nier la formidable capacité des jeunes à apprendre par eux-mêmes dans les domaines qui les intéressent, viendra contribuer à leur accomplissement personnel, intellectuel et professionnel. Contribuer de trois manières :
- D'abord, en enseignant l'informatique et ses langages
Pour que nous puissions tous devenir des acteurs, des constructeurs du monde de demain, il faut enseigner l'informatique, dans toutes ses dimensions : l'informatique est à la fois une science, une technique, un langage, une clé de compréhension de notre environnement, où elle a pris une place si importante. Le numérique n'est rien, si l'on ne se dote pas des connaissances qui permettent de le maîtriser. L'informatique est aussi un plaisir et une excitation intellectuelle, que ceux qui ont rencontré, je sais qu'il sera parmi nous tout à l'heure, Gérard Berry, qui l'ont lu ou entendu parler, connaissent bien.
Les enjeux de cette maîtrise sont multiples. Qui ne s'est pas retrouvé désemparé face à un ordinateur ou à un appareil électronique, incapable de comprendre l'origine d'un problème ? La technique est émancipation face à un monde des objets qui se transforme très rapidement, au fur et à mesure que s'estompe en particulier la barrière entre le logiciel et le matériel.
Elle emporte aussi une exigence de responsabilité, pour nous, comme citoyens et habitants de cette terre. Car comprendre la technique, c'est être sensibilisé à des enjeux qui relèvent aussi du développement durable, de la lutte contre l'obsolescence programmée des objets et du gaspillage, qui ternit notre société.
Enfin, la maîtrise technique de l''informatique et de ses langages induit une réflexivité, moteur d'une culture numérique que l'école devra dorénavant dispenser.
- Dispenser une culture numérique
Cette réflexivité a pu être nommée culture numérique, littératie numérique, et prend les visages les plus divers, en dessinant le tableau des responsabilités de l'individu en société. Elle interroge la manière dont nous nous présentons et nous comportons en ligne. Chacun d'entre nous possède aujourd'hui plusieurs identités en ligne, créées au fil des années, certaines purement fonctionnelles ou administratives, d'autres plus personnelles, des boîtes mail, des comptes sur des réseaux sociaux, des blogs, des plates-formes collaboratives, Ces identités se recouvrent, ou se complètent, ou s'ignorent.
Construire notre identité en ligne, vivre notre vie numérique est une chose complexe, et, je crois que vous en conviendrez avec moi, un apprentissage de tous les jours.
Comment trier dans la masse considérable d'informations en ligne ? A qui se fier ? Qui éviter ? Que dire et que ne pas dire ? Comment s'exprimer sur les réseaux sociaux ? Comment préserver sa vie intime ? Comment protéger ses données personnelles ?
Complexes pour un adulte, ces questions le sont d'autant plus pour des enfants ou de jeunes gens, pour lesquels la question de l'identité est un sujet important et sensible, qui engage notre responsabilité. Le drame qui a touché il y a quelques jours une jeune collégienne est venu nous le rappeler de façon douloureuse.
Tel est bien notre devoir, éduquer pour protéger comme pour émanciper, en favorisant la construction de citoyens capables de discerner l'information de la rumeur complotiste, de mettre à distance et d'analyser les événements, de comprendre le fonctionnement des nouveaux médias pour forger leur autonomie de pensée et l'affirmation de leur esprit critique.
- Cette ambition éducative est inséparable de l'enjeu d'offrir à tous des ressources innovantes pour mieux apprendre et mieux travailler.
On dit souvent que le numérique rend possible des formes d'apprentissage plus ludiques, plus fluides, à travers des formes telles que le jeu sérieux. S'il ne faut pas se laisser prendre au miroir aux alouettes, il y a là une opportunité bien réelle pour rapprocher du savoir ceux de nos jeunes qui parfois en ont perdu le goût.
Dans ces opportunités d'apprentissage plus autonomes les enseignants ont tout leur rôle à jouer, comme éveilleurs et accompagnateurs. Songeons aux possibilités ouvertes par les logiciels innovants. Si nous en avions eu le temps, j'aurais presque aimé vous montrer certains de ces logiciels. Je pense par exemple à une application logicielle qui s'appelle Dragonbox et qui permet d'initier les plus jeunes à l'algèbre.
Les promesses de ces logiciels sont considérables, revêtent une importance particulière pour certains publics, à commencer par les élèves en situation de handicap.
Je voudrais à cette occasion saluer les efforts et les initiatives remarquables déployés par les opérateurs du ministère, Canopé, le CNED et l'ONISEP, qui ont débouché sur des outils innovants, dont le succès est avéré. Je pense par exemple à English for schools, un service en ligne qui offre des ressources pédagogiques pour permettre un apprentissage ludique et facilité de l'anglais en classe et à la maison.
Le développement et la création de logiciels innovants est une tâche immense, qui requiert la participation de tous, ministère, opérateurs, et bien sûr éditeurs scolaires et start-up du numérique éducatif, dont l'investissement au service de notre jeunesse n'est plus à démontrer.
Enseignement de l'informatique, éducation à la culture numérique, développement de ressources innovantes, ces trois objectifs seront mis en uvre en mobilisant les ressources essentielles de l'éducation nationale, les contenus pédagogiques et les compétences des enseignants.
Vous le savez, je le disais, les projets de nouveaux programmes de la scolarité obligatoire seront mis en consultation pendant cinq semaines à partir de lundi.
Les textes publiés par le Conseil supérieur des programmes ont une vision ambitieuse sur le sujet. Ils proposent par exemple que les élèves puissent apprendre à coder des déplacements dans l'espace, dès le CE1 à l'aide d'un logiciel de programmation adapté, afin de les amener, en fin de CE2 à la compréhension, et la production d'algorithmes simples.
Cette ambition s'est également traduite dans les programmes du collège, particulièrement en technologie et en mathématiques, où un nouveau thème consacré à l'algorithmique et à la programmation, est introduit.
Cette ambition, je souhaite qu'elle se poursuive au lycée, afin que demain chaque élève puisse suivre un enseignement au numérique tout au long de sa scolarité. J'ai demandé au CSP de travailler en ce sens.
Pour accompagner ces nouveaux programmes, l'enjeu central que la concertation a mis en exergue réside dans la formation de nos enseignants. Le numérique occupera une place centrale dans l'ambitieux plan de formation que va lancer le ministère pour répondre aux exigences des nouveaux programmes et de la réforme du collège. Nous bâtissons un plan de formation inédit dans son ampleur, pour l'année 2015/2016, à travers le territoire, pour construire une culture commune sur le numérique au sein de l'éducation nationale et permettre une intégration du numérique dans les pratiques d'enseignement. Ce plan ambitieux de formation à la fois initiale et continue, mais aussi des personnels de direction et d'inspection.
Voilà en quelques mots, Mesdames et Messieurs, les belles et grandes ambitions que nous avons pour le numérique à l'école, qui supposent bien évidemment l'engagement de toute la communauté éducative.
Pour conduire cette mobilisation de tous les acteurs de l'école et de ses partenaires, je m'appuierai sur la mission que le Premier ministre a confiée au recteur Jean-Marc Monteil, qui engage, avec les recteurs, la formation et l'animation dans les territoires, en impliquant, et c'est fondamental pour l'avenir, l'université et la recherche, afin de valoriser les initiatives porteuses de réussite.
La mise en uvre de nos ambitions nécessite des moyens importants de la part de l'Etat. Face à ce grand défi, la détermination du Président de la République, comme il a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, est totale. Je me réjouis vivement de sa présence à nos côtés tout à l'heure, à la clôture de cette journée, pour qu'il puisse présenter de lui-même les orientations fondamentales de notre grande mobilisation pour le numérique dans l'éducation.
C'est un moment important qui s'ouvre pour l'école. En vous remerciant de nouveau de votre mobilisation et de votre présence, je vous souhaite de très fructueux échanges, et j'aurai l'occasion de vous retrouver tout à l'heure pour la clôture du Président.
Source http://www.najat-vallaud-belkacem.com, le 2 juin 2015