Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la Grèce et la Zone euro, au Sénat le 15 juillet 2015.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement sur l'accord européen sur la Grèce, au Sénat le 15 juillet 2015

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Chers Amis,
Je vais vous donner lecture du discours que M. le Premier ministre prononce en ce moment même devant l'Assemblée nationale. Vous verrez que cet exercice me posera une petite difficulté, que je me permettrai de vous signaler le moment venu.
«L'Union européenne vient de vivre des moments difficiles et même historiques.
Il y a toujours des esprits résignés, qui pensent que l'on ne peut plus écrire l'histoire, que nos vieilles nations, fatiguées par le fardeau des siècles, devraient renoncer, que nos destins se décident ailleurs, indépendamment de nos volontés. Et il y a bien sûr» - il peut en exister - «ceux qui souhaitent voir l'Europe se disloquer.
Nos compatriotes, qui ont suivi les évolutions de la situation grecque au jour le jour, ont bien senti que quelque chose de fondamental se jouait et que notre destin pouvait basculer. En effet, au-delà de l'avenir de la Grèce, c'est aussi, d'une certaine façon, l'avenir de la construction européenne qui était en cause.
Or, une fois encore, il faut constater que l'Europe, au moment où nous nous exprimons, est en train de surmonter une crise qui aurait pu lui être fatale.
Sans un accord, en effet, nous aurions laissé un pays et abandonné un peuple à un sort extrêmement difficile sur le plan économique, fait de dévaluation, d'inflation, d'effondrement des salaires, de faillite des banques et des entreprises, de risques de divisions, de déstabilisations, mais devant aussi subir des conséquences géopolitiques et géostratégiques» - nous en avons parlé l'autre jour - «que personne ne peut nier. Sans un accord, nous aurions donné une image inquiétante de l'Europe vis-à-vis du monde, c'est-à-dire de tous nos partenaires, des États-Unis, de la Chine et des autres grands pays, et nous aurions, en quelque sorte, tiré un trait sur une certaine conception de la solidarité européenne. La France ne pouvait pas l'accepter».
Je l'ai dit ici même, au nom du gouvernement, il y a quelques jours.
«Notre pays a su faire entendre sa voix, peser de tout son poids, grâce, en particulier, au président de la République. Nous avons estimé que l'on ne faisait pas sortir un pays de l'Union européenne comme cela, au gré des aléas, et que le fatalisme, les égoïsmes, le chacun pour soi, quelles que soient les difficultés, ne pouvaient pas être le langage de l'Europe.
La semaine dernière, vous avez tous souhaité que nous débattions ici, pour que la parole de la représentation nationale se fasse entendre».
Le président Larcher était intervenu en ce sens.
«De fait, l'Europe doit toujours se construire avec le peuple et ses représentants.
C'est dans cette même logique que le président de la République a souhaité que le Parlement se prononce, par un vote, sur le contenu de l'accord.
Quelques mots sur cet accord.
D'abord, il constitue la réaffirmation que la place de la Grèce est dans la zone euro et pleinement dans l'Union européenne.
Il n'y a donc pas de «Grexit», pour reprendre un mot que je ne trouve pas très joli, «ni de «Grexit temporaire», idée dangereuse et, en réalité, compte tenu des mécanismes, assez impraticable, qui reviendrait sans doute au même.
Nous entendons parler d'«humiliation», mais, même si les choses sont très difficiles, l'humiliation aurait sans doute été, pour ce pays, d'être chassée de la monnaie unique, alors que l'immense majorité des Grecs souhaitent la conserver.
Cet accord est aussi la réaffirmation de la volonté de dix-neuf États souverains de préserver l'intégrité et la stabilité de la zone euro.
Quand on l'examine en détail, on constate que l'accord qui va faire l'objet de votre vote comporte trois dispositions principales.
Première mesure : la Grèce va pouvoir disposer de financements importants, en contrepartie d'engagements sur un certain nombre de réformes.
Un nouveau programme d'aide financière, sur trois ans, dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, comprendra entre 82 et 86 milliards d'euros, en complément de deux précédents programmes. C'est malheureusement indispensable au regard de la situation financière et économique d'un pays qui ne peut aujourd'hui absolument pas se financer sur les marchés.
La négociation de ce programme prendra nécessairement plusieurs semaines. Il y a donc urgence à mettre en place un financement-relais dans les tout prochains jours. La Grèce a devant elle d'importantes échéances de remboursement, notamment à l'égard de la Banque centrale européenne, qui a joué et continue de jouer un rôle majeur pour apporter des liquidités. C'est pourquoi la France est pleinement mobilisée pour définir, avec ses partenaires, les modalités de ce financement.
Le nouveau programme d'aide financière sur trois ans exige, et c'est normal, le respect de conditions strictes. En liant leurs destins, les pays de l'Union se donnent des règles qui doivent valoir pour tous.
Dès ce soir, la Grèce devrait voter des réformes importantes sur la TVA, de manière à dégager plus de recettes, et sur le système de retraites, sujet très délicat, pour en garantir la viabilité.
La semaine prochaine, la Grèce doit faire adopter le code de procédure civile, car il faut accélérer les procédures judiciaires et réduire les coûts. Elle devra ensuite mener d'importantes réformes pour améliorer le fonctionnement de son économie, notamment le marché des biens de consommation, le marché de l'énergie ou encore le marché du travail.
Un programme de privatisations est également prévu. Un fonds indépendant, localisé en Grèce et placé sous l'autorité du gouvernement grec - la France y a insisté, pour que la souveraineté de la Grèce soit respectée - gérera la vente d'un certain nombre d'actifs. Les produits générés permettront à la Grèce de disposer progressivement d'une somme d'un montant total de 50 milliards d'euros» - c'est beaucoup d'argent ! - «pour rembourser la recapitalisation des banques, diminuer la dette et soutenir l'investissement, et donc la croissance.
Enfin, la Grèce s'engage à moderniser en profondeur son administration publique et va notamment créer une agence des statistiques indépendante».
Vous vous rappelez sans doute que, par le passé, des travestissements de la réalité avaient donné lieu à des controverses.
«Les choix faits par le gouvernement de M. Tsipras ne sont certainement pas faciles. Alors qu'ils ont déjà subi les effets d'une crise économique et sociale sans précédent, les Grecs devront faire des efforts supplémentaires. Ces efforts sont indispensables» - c'est tout le problème - «et, il faut y insister, sans commune mesure avec l'appauvrissement de la population grecque qu'aurait provoqué un Grexit».
Les deux solutions doivent toujours être comparées, même si chacune a ses inconvénients.
«Il faut saluer le courage du Premier ministre grec qui, prend, ici, des décisions difficiles, mais nécessaires, dans l'intérêt supérieur de son pays. Et, quand on veut soutenir la Grèce et M. Tsipras, il est préférable de ne pas faire le jeu de ceux qui voudraient la sortie du pays de la zone euro. Certains, essentiellement par idéologie, militent aujourd'hui pour un refus de l'accord. En réalité, les suivre pourrait faire le malheur des Grecs malgré eux !
Le chemin choisi est davantage celui de la vérité et de la responsabilité. Le gouvernement grec doit aussi rétablir la confiance avec les partenaires européens, car, assurément, beaucoup de temps a été perdu depuis le mois de février. Mais il faut penser que c'est le seul chemin qui puisse sortir durablement le pays de la crise et donc lui rendre sa souveraineté et sa fierté, à laquelle les Grecs tiennent beaucoup, à raison. En effet, se réformer, moderniser son économie, rebâtir un État moderne qui fonctionne, mettre en place une vraie fiscalité sont des nécessités pour un pays qui veut renouer avec la compétitivité, qui est nécessaire. La Grèce le sait bien !
Et il ne faut pas oublier, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, que la plupart des réformes figurant dans le texte de l'accord sont reprises des propositions du gouvernement du Premier ministre Alexis Tsipras qui ont été approuvées par le Parlement grec dans la nuit du 10 au 11 juillet dernier.
Une deuxième mesure importante de l'accord est le traitement de la dette. C'était vital pour la Grèce, pour qu'elle puisse commencer à envisager un avenir qui ne se limite pas au seul remboursement.
En ce moment, l'Eurogroupe réfléchit à des mesures permettant à la Grèce de retrouver un peu d'oxygène et de garantir la soutenabilité de la dette, qui s'élève aujourd'hui à 180% de sa richesse. Ce point était capital pour le Premier ministre Alexis Tsipras, qui a obtenu satisfaction. Le Fonds monétaire international a encore répété, ce matin, qu'il fallait alléger la dette grecque, et c'est bien ce que nous allons faire, en reprofilant la dette, ce qui pourrait passer» - mais ce n'est pas encore décidé - «par un allongement de la durée de remboursement, ou encore par une réduction des taux d'intérêt.
La troisième mesure de l'accord est elle aussi importante, même si l'on y a peu insisté : les Grecs disposeront d'un programme d'investissement de 35 milliards d'euros, au service de la relance de la croissance.
Cette somme proviendra à la fois des fonds structurels et des différents programmes de l'Union européenne, mais aussi de ce que l'on appelle le «plan Juncker». Ce que nous défendons à l'échelle européenne, s'agissant de la stratégie économique à mener, vaut aussi, pour la Grèce : il ne peut pas y avoir de réformes efficaces s'il n'y a pas des investissements et de la croissance.
Nous avons ici un accord difficile, mais, nous semble-t-il, responsable et qui doit s'inscrire dans la durée. Je veux saluer l'implication du ministre des finances, Michel Sapin, qui a oeuvré sans relâche pour rapprocher les points de vue.
Bien sûr, nous n'ignorons pas les difficultés, et il y aura encore, assurément, des rendez-vous compliqués pour la Grèce et pour l'Europe. Toutefois, la Grèce va recevoir plus de 80 milliards d'euros d'aide financière, 35 milliards d'euros au service de la croissance et voir sa dette rééchelonnée. Il y a des réformes à mener, mais, sans ces deux mesures, des difficultés lourdes réapparaîtront. Au reste, si les réformes sont très exigeantes, c'est aussi parce qu'elles n'avaient jamais été menées.
Cet accord, ce n'est pas un «chèque en blanc», parce que nous demandons beaucoup à la Grèce, bien évidemment pas pour la punir, contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là» - cela n'aurait pas de sens -, «mais pour l'accompagner dans un redressement économique qui est absolument indispensable.
Ayons à l'esprit que l'absence d'accord» - là encore, il faut comparer les deux solutions - «aurait abouti avec certitude à ce que les 40 milliards d'euros de prêts que les contribuables français ont consentis aux Grecs disparaissent à jamais.
Ceux qui ont tout fait pour le Grexit, qui ont appelé à punir les Grecs, appelaient en fait à nous punir nous-mêmes. Grâce à l'action de la France et d'autres pays, ce sont finalement aussi les intérêts des contribuables français qui sont protégés.
Quel a été le rôle de la France ?
La France a agi» - je crois que personne ne le conteste - «et singulièrement le président de la République, pour cet accord. C'était notre rôle, c'était son rôle ; c'était ce que l'on attendait de notre pays. Il s'agissait de privilégier l'intérêt général, celui de l'Europe.
Nous avions aussi une responsabilité envers la Grèce et le peuple grec. Des liens singuliers de nature historique, intellectuelle et autres nous unissent à ce pays, peut-être parce que nos nations partagent une même ambition, un peu plus large que nous-mêmes, voire parfois universelle. La Grèce et la France» - voilà longtemps pour la Grèce, plus récemment pour la France - «ont voulu que leur voix porte au-delà de nos frontières, qu'elle ait un écho beaucoup plus large. Sans vouloir utiliser de trop grands mots, il n'est pas possible à la France d'abandonner la Grèce, car, d'une certaine manière, ce serait renoncer à ce que nous portons.
Si notre voix a pesé, c'est aussi parce que nous avons fait preuve de beaucoup de constance. Nous ne nous sommes pas laissé voguer au gré des calculs d'appareil, des atermoiements ou de certains contre-pieds tactiques du moment. Nous avons préféré avoir une ligne et nous y tenir.
Si la France est au rendez-vous, c'est parce que cette cohérence a été assurée. C'est ce que nous avons essayé de porter jusqu'au bout.
La question de la France et de l'Allemagne a été souvent posée». À titre personnel, j'ajoute en avoir beaucoup discuté avec mon collègue et ami, M. Steinmeier, lors des longues journées et des non moins longues nuits de la négociation iranienne. Il a pu y avoir, à certains moments, tel ou tel aspect différent. «Mais au final, l'Europe et la France ont pu compter sur la solidité du couple franco-allemand, en allant puiser à la source de ce qui fait cette relation particulière. Nous savons bien que l'Allemagne et la France ont non seulement dépassé les haines, mais que la réconciliation est au-delà des ressentiments, des souffrances ou de tel aspect du moment. Nous avons vu cette dimension prévaloir.
La France et l'Allemagne, représentées par le président de la République et la chancelière, ont agi, nous semble-t-il, avec la conscience d'être les héritiers de la nécessité historique.
Il faut condamner avec beaucoup de force l'excès, et même parfois l'indignité, de certains propos aux relents nationalistes et de phrases qui, en cherchant inutilement à atteindre l'Allemagne, font aussi du mal à l'Europe et à la France.
Former un couple ne veut pas dire être d'accord sur tout, mais c'est savoir se retrouver sur l'essentiel, le moment venu. Il peut y avoir des divergences, des désaccords, des sensibilités différentes qui sont aussi celles des peuples.
L'Allemagne a sa voix, la France a la sienne, c'est celle d'une Europe solidaire et responsable qui n'exclut personne et qui sait rassembler. Mais la solidité d'une amitié s'éprouve aussi au moment des difficultés. Au final, la France et l'Allemagne ont fait preuve, au moment des décisions, d'une grande unité.
Nous savions que nous devions agir de concert pour trouver une solution. Le couple franco-allemand doit être décidé, ambitieux, équilibré. S'il ne peut pas tout» - il ne dirige pas l'Europe -, «il faut convenir que, sans lui, l'Europe ne peut pas grand-chose.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, la France conçoit son destin au cœur de l'Europe. C'est notre fierté, notre vocation. Nous avons l'intention de la défendre. Nous voulons une certaine Europe» - les mots sont peut-être trop généraux - «forte, volontaire, généreuse. C'est nécessaire en raison de l'époque.
Notre monde est fait de bouleversements, de menaces, d'instabilités. Nous essayons d'être à l'initiative. Nous jouons tout notre rôle. Ici pour l'Europe, partout où il le faut et où nous le pouvons : au Sahel et en Irak contre le terrorisme ; au Moyen-Orient, avec la question du nucléaire iranien» - et c'est là où j'éprouve une difficulté, puisque mon obligation gouvernementale nécessite que je lise la phrase qui m'est proposée : «Je veux saluer l'action déterminée, le talent de négociateur de Laurent Fabius».
Je veux donc vous présenter mes excuses. Quand je m'en suis ouvert au Premier ministre, tout à l'heure à l'Assemblée nationale, il m'a répondu que ce n'était pas la première fois que je me retrouvais dans une telle situation et que j'avais déjà dû lire un de ses discours dans lequel je disais : fils d'Espagnol... Il me semble toutefois que j'avais contourné la difficulté en trouvant une formule, un exemple de plus de ma modestie connue.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, «l'Europe dans la situation où nous nous trouvons, dans le monde troublé qui est le nôtre, doit choisir : si nous voulons pouvoir avoir la force de nos choix, il nous faut absolument être unis ; et si, par malheur, nous étions désunis, nous porterions alors un coup très fort l'Europe et donc, par contrecoup, à la France.
Un travail important reste à faire pour mettre concrètement en œuvre l'accord. Le Parlement grec doit se prononcer ce soir, d'autres vont le faire dans les prochains jours. Il faudra toutefois aller au-delà. Nous devrons avoir la force politique de tirer toutes les leçons de cette crise pour en faire» - si cela est possible - «une opportunité.
Nous avions déjà tracé quelques lignes, quelques pistes, la semaine dernière. Le président de la République a formulé, hier, des propositions en ce sens.
Nous avons d'abord besoin d'un véritable gouvernement économique de la zone euro au service de la croissance et de l'emploi.
Nous avons progressé avec l'Union bancaire, avec ce qu'on appelle» - dans un terrible jargon - «le «semestre européen», mais ce n'est pas assez. Il faut une coordination accrue des politiques économiques qui donne sa pleine place à une analyse globale de la zone euro avec ses forces, ses vulnérabilités, ses besoins».
Le gouvernement français aura l'occasion, dans les semaines qui viennent, de préciser ses propositions.
«Il faut aussi plus de convergence. Cela fait très longtemps que nous disons qu'il faut regarder les choses en face : une même monnaie n'a pas permis à nos économies de converger spontanément et suffisamment. C'est même le contraire qui s'est parfois produit. Ce n'est pas bon, ce n'est pas sain. Nous devons donc avancer - par le haut - dans les domaines économique, social et fiscal. À cet effet, il faut utiliser tous les instruments à notre disposition : la politique de cohésion, pour accélérer le rattrapage économique et social entre États ; le plan Juncker ; les rapprochements dans le domaine social avec les pays qui y sont prêts - je pense, en particulier, à la question des rémunérations ; l'harmonisation et la lutte contre les stratégies d'optimisation fiscale.
Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, ni techniquement ni politiquement, mais les différences qui existent nuisent à l'unité et à la stabilité de la zone euro.
Nous avons également besoin de nous doter de moyens budgétaires. Nous avons réussi à mettre en place le plan Juncker en moins de six mois - ce qui est court, s'agissant d'un projet européen ! Mais nous devrons aller plus loin en mettant en place, dans un second temps, un véritable budget de la zone euro permettant de financer des investissements spécifiques en matière d'infrastructures, d'innovation ou encore de capital humain, avec les ressources correspondantes».
Encore une fois, nous préciserons ces pistes dans les semaines à venir.
"On ne réalisera pas ces avancées, on ne pourra pas engager de nouvelles étapes en matière d'intégration sans les peuples et leurs représentants. C'est pourquoi il faut, là aussi, renforcer la légitimité démocratique de la zone euro.
Cela concerne l'Europe, bien sûr, car aujourd'hui - tout le monde le constate - le Parlement européen n'est pas suffisamment associé aux travaux du «semestre européen». Concrètement, la recommandation «zone euro» élaborée chaque année pourrait être transmise au Parlement européen et faire l'objet d'un débat démocratique.
En outre, ce qui est plus complexe et donc beaucoup plus novateur, nous devons pouvoir l'inviter à s'organiser pour que les sujets propres à la zone euro soient davantage pris en considération en tant que tels. Ce n'est pas le cas et c'est le sens de l'appel du président de la République à mettre en place une sorte de Parlement de la zone euro. Il faudra bien sûr associer à cette action les Parlements nationaux.
Si nous prenons encore davantage de hauteur ou de recul, cette crise montre combien nous devons reprendre le chantier du projet européen dans sa globalité, avec vision, avec ambition, avec audace. Car si la défiance s'installe ou croît, si les populismes grondent, c'est aussi parce que l'Europe, depuis beaucoup de temps, a perdu de son élan et qu'elle ne dit pas clairement où elle va ou que l'on ne comprend pas ce qu'elle dit lorsqu'elle s'exprime.
Nous avons besoin de plus d'intégration, de plus de solidarité, pour la protection et la prospérité des peuples. C'est vrai sur les questions économiques et monétaires, qui sont absolument essentielles. C'est vrai aussi sur d'autres enjeux - vous pensez comme moi aux questions migratoires, où seule une politique vraiment commune et efficace pourra nous permettre d'avancer.
Et puis l'Europe, c'est plus que notre continent et c'est plus, sans doute, que la somme des intérêts spécifiques de nos nations. C'est un certain nombre de messages, un certain nombre de valeurs qui peuvent résonner dans le monde entier.
Les Européens, je le constate, ne le savent pas toujours et ne savent pas toujours non plus défendre au mieux leurs propres intérêts. Nous devons donc nous appuyer sur nos forces, sur nos talents pour peser davantage sur l'ordre du monde : que ce soit dans le domaine commercial, où l'Union européenne fait figure de géant ; dans le domaine de la culture, où nos industries sont puissantes ; dans le domaine environnemental, où nous faisons la course en tête depuis déjà plusieurs décennies». Je l'ai vu encore lors de la négociation iranienne, où il y avait la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Haute représentante, qui coordonnait un certain nombre de travaux.
L'Europe ne doit pas avoir peur d'être pleinement elle-même. Elle doit assumer qui elle est, ce qu'elle fait et le porter.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs, «vous allez être les premiers en Europe à voter. Votre responsabilité est donc d'indiquer le chemin. Et vous serez associés aux prochaines étapes de mise en œuvre de l'accord.
Face à une crise, ce qu'on pourrait appeler le dépit ne peut être une option. Il faut aller vers le rebond. Comme tout bon discours, celui-ci se termine par une citation. Le poète allemand Hölderlin, rendant hommage à l'île grecque de Patmos, écrivait : «là où est le péril, là aussi, croît ce qui sauve».»
C'est ce que je vous disais la semaine dernière, me rappelant mes humanités grecques, en soulignant que le même mot ???????? (kíndunos) signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance.
«La crise que nous venons de connaître est aussi ce qui peut et doit nous permettre, si nous le voulons, de faire aujourd'hui preuve d'ambition pour l'Europe.
Alors, essayons par nos votes d'avancer. Essayons de continuer à écrire l'histoire de l'Europe, c'est-à-dire l'histoire de nos peuples. C'est aujourd'hui, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, par votre vote, votre responsabilité.»
(Interventions des parlementaires)
(...)
Oui la solidarité ne va pas sans la responsabilité ; je souscris au propos de M. Emorine, c'est le cœur de la question. Mme André a fait une juste analyse. Tous deux ont émis le souhait que le Sénat soit pleinement informé.
(...)
Beaucoup ont soutenu que la France voulait un accord à tout prix et l'Allemagne un bon accord.
Je sais, pour avoir participé aux négociations, qu'à un moment, à l'Eurogroupe, l'Allemagne, contre les institutions européennes, voulait la sortie de la Grèce. Beaucoup étaient de son avis. Le grand apport de la réunion du 12 juillet a été qu'Angela Merkel et le président de la République se sont rejoints pour refuser le Grexit et aboutir à un accord.
La description de M. Bizet n'est pas conforme à la réalité. Bravo l'Allemagne, zéro la France ? Lisez la presse internationale...
Il n'y aurait qu'en France qu'on critiquerait la position française... Cependant, merci de son soutien. M. Guillaume a bien voulu saluer l'accord avec l'Iran. Surtout, il a souligné la dimension symbolique et politique de l'accord sur la Grèce. Je le répète : une sortie de la Grèce coûterait plus cher au contribuable que son maintien. C'est mécanique... La dette grecque est en euros. Une sortie entraînera la création d'une nouvelle monnaie, donc sa dévaluation massive. Et le club de Paris se verrait obligé de rabattre une partie de la dette. Les contribuables français n'en sortiraient pas indemnes.
(...)
Pour conclure, je rapprocherai l'accord avec la Grèce et celui avec l'Iran... Ne les jugeons pas dans l'absolu. Dans l'absolu, on voudrait que cela coûtât moins cher aux Français, que les sacrifices demandés aux Grecs fussent moins durs. Mais l'affaire ne se présente pas ainsi. Vous devez soit voter pour l'accord et refuser le Grexit, soit accepter celui-ci. Une sortie transitoire, cela n'existe pas. Admettre qu'un pays puisse sortir de l'euro est contraire à la logique même de la monnaie unique. Si, face aux difficultés, on peut faire jouer les parités à l'intérieur du système, il n'y a plus de système, plus de zone euro. On se dira : pourquoi faire des sacrifices si on peut manipuler la monnaie ?
Le choix est entre une solution qui permet à la Grèce de s'en sortir au prix de réformes difficiles et la sortie de la zone euro, solution extrêmement coûteuse pour les peuples européens, aux conséquences géopolitiques redoutables. Alexis Tsipras a choisi celle qui offre le plus de perspectives à son peuple.
Jean Jaurès disait : «L'histoire enseigne aux hommes les difficultés des grandes tâches et la lenteur des accomplissements mais elle justifie aussi l'invincible espoir». Belle phrase pour conclure ce débat, qui pourrait être la devise de toute diplomatie !.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2015