Interview de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion à I-Télé le 22 juillet 2015, sur l'accessibilité des handicapés aux équipements collectifs et le bilan de la loi sur la lutte contre l'exclusion de 2005.

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Média : Itélé

Texte intégral


FLORENT PEIFFER
Vous êtes handicapés, merci de bien vouloir patienter encore un peu, encore longtemps, trois, six ou neuf ans c'est selon, tout dépend en réalité du type d'établissement concerné. Les parlementaires ont accordé, ont confirmé hier un nouveau délai aux établissements publics et aux commerces de proximité qui ont donc obtenu plus de temps pour leur mise aux normes en matières d'accessibilité pour les handicapés. Ce devait être réglé depuis le début de l'année, les délais ont donc été repoussés sur proposition du gouvernement. Bonjour Ségolène NEUVILLE.
SEGOLENE NEUVILLE
Bonjour.
FLORENT PEIFFER
Merci d'être avec nous ce matin, vous êtes la secrétaire d'Etat en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion. Qu'est-ce que vous dites aux personnes handicapées qui nous regardent ce matin et qui apprennent donc qu'ils vont devoir encore galérer plusieurs années avant de pouvoir circuler librement comme tout le monde ?
SEGOLENE NEUVILLE
La première chose que je leur dis, c'est que bien évidemment je comprends leur déception, parce que je serais la première à souhaiter que l'ensemble de la France soit accessible dès demain matin. Néanmoins il nous faut avancer de façon concrète et ce qu'on propose aujourd'hui qui est l'aboutissement d'un processus de concertation de plusieurs mois, plusieurs années, c'est finalement un dispositif gagnant-gagnant. Et je vais vous expliquer pourquoi.
FLORENT PEIFFER
Allez-y.
SEGOLENE NEUVILLE
Alors actuellement quelle est la situation en France ? Il y a à peu près un million d'établissements recevant du public qu'on a recensé, et il y en a un tiers, 330 000, on va dire, qui sont déjà en accessibilité pour les personnes handicapées. Ça c'est le résultat de la loi de 2005, donc ce n'est pas rien quand même 330 000 établissements qui sont déjà mis aux normes, c'est déjà un résultat mais évidemment c'est insuffisant.
FLORENT PEIFFER
Ce n'est pas les 100 % qui étaient prévus.
SEGOLENE NEUVILLE
Voilà. Quels sont les objectifs et comment s'y prendre ? Pourquoi la loi de 2005, elle n'a pas été plus efficace, c'est ça les vraies questions ? En réalité, il n'y a pas eu d'accompagnement, c'est-à-dire qu'à un moment donné on a dit, il faut que tous les établissements soient aux normes dans dix ans, mais pendant les dix années, il ne s'est rien passé, il n'y avait rien de prévu. Et ce que nous mettons en place aujourd'hui, c'est cet accompagnement précisément avec ce qu'on appelle les agendas d'accessibilité programmée.
JOURNALISTE
Pourquoi il ne s'est rien passé pendant 10 ans justement ?
SEGOLENE NEUVILLE
Il s'est passé des choses-là, un tiers des établissements…
JOURNALISTE
Je reprends vos propos.
SEGOLENE NEUVILLE
… qui ont été mis aux normes, mais il y en a un certain nombre qui ne l'ont pas été, c'est ce que je suis en train de vous expliquer. D'une part pas d'accompagnement et donc les agendas à l'accessibilité programmée, c'est pour cet accompagnement. Et deuxième élément, il y avait des normes qui étaient vraiment irréalistes, vraiment beaucoup trop abstraites. Des exemples simples, par exemple pour installer une rampe à l'entrée de votre commerce, vous savez pour pouvoir avancer en fauteuil, il y avait une obligation, c'était que les rampes devaient être en dur, et donc ça veut dire au moins 10 000 euros de travaux. Désormais vous pourrez mettre une rampe amovible, c'est beaucoup moins cher en fait, c'est 1 500 euros et donc ça permet aussi bien de pouvoir faire rouler les fauteuils. Et donc il y a toute une série de normes comme ça, qui ont été simplifiées pour permettre que les travaux soient plus réalistes et finalement que les gestionnaires d'établissement puissent réaliser ces travaux.
FLORENT PEIFFER
Alors les travaux plus réalistes d'accord évidemment et cette question du coût, c'est trop cher, c'est trop compliqué, c'est ce que disent les fédérations de l'immobilier, du tourisme, du commerce aussi depuis plusieurs années. Est-ce que quelque part vous avez aussi cédé face à ces lobbies ?
SEGOLENE NEUVILLE
C'est pour cela que je vous parle d'un dispositif gagnant-gagnant, parce que je crois qu'il faut dédramatiser. Vous avez d'un côté effectivement les personnes handicapées qui sont déçues.
FLORENT PEIFFER
Mais dédramatiser, vous vous rendez compte pour les personnes handicapées qui nous regardent le message envoyé aujourd'hui …
SEGOLENE NEUVILLE
Je m'en rends parfaitement compte.
FLORENT PEIFFER
… leur dire, cette loi, la première, elle date de 1975, c'est ça.
SEGOLENE NEUVILLE
Oui.
FLORENT PEIFFER
On n'y arrive toujours pas aujourd'hui encore.
SEGOLENE NEUVILLE
Moi, je crois qu'effectivement, quand je vous dis dédramatiser, c'est pour les gestionnaires d'établissement parce qu'effectivement il y en a beaucoup qui pensent, ça leur fait peur l'accessibilité, ils pensent qu'il y a beaucoup de travaux, ils pensent que ça va leur coûter très cher.
FLORENT PEIFFER
Et puis ça ne les intéresse pas vraiment.
SEGOLENE NEUVILLE
Mais là nous mettons en place un dispositif simple, vous allez sur le site accessibilité.gouv, vous pouvez faire votre diagnostic tout seul, vous n'avez pas besoin de demander un cabinet extérieur. En quelques clics vous répondez à des questions, vous avez votre diagnostic, quel type de travaux il faut faire. Vous remplissez deux feuilles de papier, vous le déposez en préfecture et vous avez trois ans. Pour 80 % des établissements vous avez trois ans, ce n'est pas six, neuf ans, c'est trois ans. Et moi mon objectif, c'est que dans trois ans, il y ait 800 000 établissements sur les un million qui soient mis aux normes.
FLORENT PEIFFER
Qu'est-ce qui vous dit que ce ne sera pas repoussé encore dans trois ans ?
SEGOLENE NEUVILLE
Les circonstances sont complètement différentes puisque désormais vous avez un suivi, c'est-à-dire que vous déposez votre dossier maintenant fin septembre, il y a déjà beaucoup de gens qui l'ont déposé, et ensuite tous les ans, vous avez un suivi, c'est-à-dire que vous devez rendre des comptes, dire j'avais dit que je ferais tels travaux, telle année, la période, elle est de trois ans, mais chaque année vous avez des comptes à rendre.
FLORENT PEIFFER
Et cette fois-ci il faudra bien payer une amende si on ne respecte pas la loi, cette fois-ci ?
SEGOLENE NEUVILLE
J'espère bien qu'il n'y aura pas beaucoup d'amendes qui seront payées, parce que beaucoup respecteront la loi. Mais surtout il faut inverser les choses, parce qu'actuellement l'accessibilité, elle est vécue comme une charge pour beaucoup.
FLORENT PEIFFER
Oui comme une contrainte.
SEGOLENE NEUVILLE
Comme une contrainte et comme une charge supplémentaire. Et moi ce que je veux dire aux gestionnaires d'établissement, c'est que ce n'est pas une charge supplémentaire, en réalité, l'accessibilité, savez-vous combien de personnes en France, ça concerne ? 12 millions, 12 millions, parce que vous n'avez pas que les personnes handicapées, vous avez les personnes âgées, vous avez les parents avec poussette, vous avez tous les gens qui à un moment donné se cassent une jambe.
FLORENT PEIFFER
Pourquoi neuf ans dans le transport ferroviaire, neuf ans ?
SEGOLENE NEUVILLE
Le transport ferroviaire, c'est effectivement un cas particulier parce que vous vous doutez bien qu'on ne rachète pas des nouvelles voitures de train, enfin des nouveaux trains, demain matin comme ça. En réalité, c'est au moment du renouvellement des voitures qu'on choisit d'acheter du matériel accessible. Et puis deuxième question, il y a aussi l'accessibilité des quais et des gares et donc l'accessibilité des quais, c'est pareil…
FLORENT PEIFFER
Ce sont des grands travaux. Dernière question, vraiment en quelques secondes, on parle d'un plan d'urgence pour les éleveurs aujourd'hui, à quand un plan d'urgence pour les personnes handicapées ?
SEGOLENE NEUVILLE
C'est en quelque sorte, c'est un plan d'urgence que nous mettons en place parce que si dans trois ans 800 000 établissements sont mis en accessibilité alors que jusqu'à présent, il n'y en a eu que 300 000 en dix ans, vous savez moi j'appelle ça un plan d'urgence et je suis convaincue qu'on va réussir.
FLORENT PEIFFER
Merci beaucoup Ségolène NEUVILLE, on verra comment réagissent les associations à ce que vous avez dit ce matin. Je rappelle que vous êtes la secrétaire d'Etat en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 juillet 2015