Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville à RTL le 11 septembre 2001, sur la réunion du conseil interministèriel de la ville, notamment la violence urbaine, le chômage des jeunes, le logement social et la dépénalisation du cannabis.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Tous les ministres, ou en tout cas une partie du Gouvernement, se réunissent demain pour un conseil interministériel de la ville. Les grand-messes comme ça - la semaine dernière c'était les procureurs et les préfets - sont à la mode en ce moment. Cela sert vraiment à quelque chose ?
- "En l'occurrence, ce n'est pas une grand-messe, mais un rendez-vous annuel. Depuis quatre ans, le Premier ministre a réuni tous les ministres concernés par la ville chaque année, pour à la fois mobiliser des moyens financiers et trouver des solutions nouvelles. Notamment celles de dire que pour les cités des années 1960 les plus abîmées, il faut avoir le courage de les démolir pour les reconstruire et offrir un logement décent à tous ceux qui ont besoin d'un toit. C'est pour cela que L. Jospin nous réuni demain : pour à la fois tirer les leçons des politiques qu'il a mis en place depuis le début de cette législature et pour annoncer des moyens financiers supplémentaires, afin de démontrer aux habitants de ces quartiers populaires qu'ils n'habitent pas dans un terminus, mais dans un lieu où ils peuvent connaître un nouveau départ."
Et de les inciter à voter pour les prochaines élections et ne pas s'abstenir ?
- "Oui, chaque action d'un gouvernement qui veut bien travailler à certainement une tonalité électorale aussi. Mais avant tout, c'est de réussir à démontrer à un pays où 80 % de la population va vivre en ville, qu'il n'y a pas de quartiers abandonnés, qu'il n'y a pas de quartiers du désespoir. Dans une période où plus que jamais la société du plein emploi, malgré les plans sociaux, sera à l'ordre du jour dans les quatre ou cinq ans, il faut réussir à démontrer que dans ces quartiers jeunes, les adultes et les jeunes qui veulent jouer le jeu, qui veulent se mobiliser à l'école et au travail, pourront s'insérer dans la société du plein emploi."
Il y a pourtant des tragédies récentes - Béziers, à Cergy-Pontoise - et un petit peu tous les jours, on assiste à une résurgence de la violence urbaine. Est-ce que ce n'est pas un échec patent de la politique de la ville ?
- "On peut le voir dans tous les sens. A chaque fois qu'il y a un mort, chaque fois qu'il y a une violence ou une souffrance, c'est un moment terrible pour le ministre de la Ville et pour tous les adultes qui peuvent regarder ce qui se passe dans ces quartiers."
Ce sont justement des itinéraires de jeunes qui n'ont pas marché et qui ont raté leur parcours ?
- "En même temps, chacun sait très bien qu'on ne pouvait pas réparer en trois, quatre ou cinq ans les dégâts de 30 ans de crise urbaine et sociale."
Vous n'êtes pas les premiers à vous y attaquer quand même ?
- "En tous les cas, c'est certainement L. Jospin et ce Gouvernement qui ont le plus mobiliser de moyens financiers. Lorsque ce Gouvernement est arrivé, il y avait en gros 20 milliards mobilisés dans le cadre de la politique de la ville. Cette année nous allons arriver à 40 milliards. Et puis, c'est avec L. Jospin que nous avons réussi à faire passer un certain nombre de nouveaux messages, notamment celui de dire qu'il ne sert à rien de s'acharner sur un certain nombre de logements ou d'immeubles hostiles au confort dépassé, qu'il faut être capable de les démolir. Je voudrai vous donner un chiffre pour vous montrer comment cela s'est accéléré. En 1998, on démobilisait 3.000 logements par an. Cette année, nous allons en démolir 10.000 et reconstruire bien plus, pour offrir un toit à ceux qui en ont besoin. Dans les années qui viennent, il faut réussir à en démolir 30.000 par an pour en finir avec les cités dortoirs, les cités du désespoir."
C'est le programme que vous annoncerez demain : 30.000 logements par an. Il faut bien expliquer que ce sont des logements totalement insalubres.
- "Chacun a dans l'oeil ces tours, ces barres qui ont été construites dans l'urgence - et il fallait les construire - au lendemain de la dernière guerre au moment de l'industrialisation du pays. Plus personne, lorsqu'on a un tout petit peu de moyens financiers, ne veut y habiter aujourd'hui. C'est cela dont je parle."
Est-ce que vous comptez annoncer d'autres mesures qui peuvent changer un petit peu le climat ?
- "La volonté de dire que nous voulons changer ces quartiers. Le Premier ministre insiste sur l'idée qu'il faut en finir avec les cités dortoirs. Mais en même temps, en accompagnant ce chantier qui va se dérouler sur les 10 ans, je vais annoncer demain aux côtés de L. Jospin un certain nombre de mesures au quotidien. Nous allons reconstruire les écoles primaires des communes les plus pauvres ; nous allons renforcer la présence humaine dans ces quartiers en travaillant avec les sociétés d'HLM pour renforcer le nombre de gardiens, pour renforcer le nombre d'adultes dans ces quartiers. Nous allons mettre des moyens financiers tout de suite, dès cette année à la mise à disposition de professions de santé."
Combien ?
- "C'est 100 millions de francs. Et ce pour leur dire que nous allons les aider et qu'ils peuvent donc rester dans ces quartiers. Souvent, on parle des quartiers de la politique de la ville en parlant de violence ou délinquance, mais 97 % de la population de ces quartiers n'aspire qu'à une seule chose : vivre dans le respect de la loi et s'intégrer dans la société du travail. A ceux-là, nous voulons leur faire comprendre que s'ils le veulent, ils le peuvent et l'Etat sera à leur côté."
Vous avez insisté récemment sur le fait que comme il y avait la croissance, les quartiers selon vous en ont aussi bénéficié. C'est encore à démontrer ! Là, la croissance va baisser. Cela veut dire que concrètement, dans ces quartiers, ce sera encore plus difficile de trouver un emploi ?
- "Sur les deux dernières années, le chômage des jeunes a reculé de 15 %. C'est vrai que le chômage reste supérieur en taux dans ces quartiers par rapport au reste des villes, mais c'est la première fois depuis la crise que nous avons connu un tel chiffre."
Vous êtes inquiet puisque la croissance va baisser ?
- "Dans le même temps, nous avons une croissance qui va légèrement se tasser, mais dans les années qui viennent, il va y voir beaucoup plus de départs en retraite que d'arrivées dans le monde du travail. C'est dans ces quartiers où il y a plus de jeunes, plus d'hommes et de femmes que l'on va trouver les salariés de demain. Même si nous avons une croissance qui se tasse, il faut que les habitants de ces quartiers populaires sachent qu'ils représentent la jeunesse, qu'ils représentent les bras et les têtes dont inéluctablement l'industrie et les services auront besoin dans les années qui viennent."
B. Kouchner, hier sur Europe 1, affirmait qu'il approuvait la dépénalisation du cannabis proposé par le conseil national du Sida qui proposait, je précise, "l'abandon de l'incrimination pénale de l'usage personnel de stupéfiant dans un cadre privé." Ce sera un des thèmes de la campagne de L. Jospin ?
- "On ne peut pas aborder ce sujet en trois secondes mais en tout cas, je dois vous dire que la première des choses à faire - comme a réussi à le faire ce Gouvernement dans un premier temps - c'est de réussir à démontrer ce que représente comme danger chacune des toxicomanies - tabac, alcool, hachisch - pour que chacun puisse bien mesurer la dépendance qui peut être la sienne. Pour le reste, à un moment ou à un autre, il faudra bien qu'on ait ce débat sur le problème des toxicomanies d'une manière large."
Et de l'usage privé, notamment du cannabis.
- "Justement, j'évoquais cela parce que je me rends bien compte que dans un certain nombre de zones urbaines c'est ce contrôle qui pose quelque fois des problèmes entre jeunes et police. Il va bien falloir éclaircir la règle du jeu dans les années qui viennent. Il ne peut pas y avoir autant de consommation de hachisch sans que l'on se pose la question de savoir qu'elle est la bonne législation à appliquer à une telle consommation."
Chevènement qui marche plutôt bien, sa campagne démarre plutôt pas mal et les Verts qui patinent : c'est comme une sorte de désaveu de la majorité plurielle version Jospin, non ?
- "D'abord, nous sommes à quelques mois de l'élection présidentielle. Chacun se rend bien compte qu'à partir du moment où dans la gauche plurielle il y a des organisations politiques différentes, chacun veut préparer le rapport de force pour les élections législatives qui suivront."
Ce n'est vraiment pas le schéma de L. Jospin, puisque Chevènement est en dehors de la majorité plurielle et que les Verts qui en font partie sont plutôt mal en point !
- "J'ai l'impression que les Verts se rendent bien compte qu'ils ont encore des ministres dans ce Gouvernement et je n'ai pas du tout le sentiment qu'ils veulent renier leur participation à la création des 35 heures ou des emplois-jeunes."
Il faut qu'ils changent de candidat à votre avis ?
- "Non. Ce qu'il faut avant tout, c'est que pour J.-P. Chevènement, pour le PC comme pour les Verts il puissent à la fois assumer le bilan de ce Gouvernement..."
Ce n'est pas tout à fait ce que fait J.-P. Chevènement. Vous êtes d'accord ?
- "Disons que J.-P. Chevènement, pour le moment, essaye de trouver un créneau, essaye de trouver un électorat. Mais je sais que J.-P. Chevènement est un homme de gauche et je suis persuadé qu'au deuxième tour des élections présidentielles, il saura de quel côté il doit pencher. Je voudrais surtout insister auprès de chacune de ces organisations de gauche pour leur dire : "attention, le calendrier c'est l'élection présidentielle puis les élections législatives. Pour avoir des députés, il faut mieux d'abord gagner l'élection présidentielle."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 septembre 2001)