Interview de M. Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, à "France Inter" le 27 juillet 2015, sur les réponses gouvernementales à la crise agricole.

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Média : France Inter

Texte intégral

Pierre WEILL
Et notre invité, c'est Stéphane LE FOLL, le ministre de l'Agriculture et porte-parole du gouvernement. Bonjour Monsieur LE FOLL.
Stéphane LE FOLL
Bonjour.
Pierre WEILL
Les éleveurs restent mobilisés ce week-end, dans plusieurs régions, vérification de la provenance des viandes dans de nombreux supermarchés, opérations escargot sur autoroutes, péages gratuits, pneus et paille enflammés, fumier déversé devant des supermarchés ; depuis hier soir, barrages aux frontières allemandes et espagnoles pour contrôler les camions étrangers, les agriculteurs dénoncent les distorsions de concurrence favorisant leurs homologues étrangers, ont-ils raison ?
Stéphane LE FOLL
En tout cas, depuis plusieurs semaines, il y a un travail qui a été engagé avec l'ensemble des acteurs des filières qui sont concernées par une crise qui est effectivement une crise de marché profonde, dans la viande bovine, dans le porc, et dans le lait. J'ai d'ailleurs noté que, en Allemagne, il y a eu avant-hier ou il y a deux, trois jours, une manifestation aussi d'éleveurs et de syndicalistes et allemands et irlandais par rapport à la situation du marché laitier. Moi, ce que je veux dire ce matin, c'est que la concertation, conciliation, médiation qui été engagée, et depuis longtemps, avec la grande distribution, avec les transformateurs et avec les producteurs pour redresser les cours, pour redresser les cours, nécessite aujourd'hui que tout le monde soit bien conscient qu'on a besoin de tous les acteurs. Et la grande distribution, je le dis depuis le départ de ces négociations, a joué le jeu, le médiateur, le rapport du médiateur est à la disposition de tout le monde. Donc il faut qu'on soit à la fois vigilant, vigilant et en même temps tous responsables, c'est ensemble qu'on s'en sortira…
Pierre WEILL
Stéphane LE FOLL, je cite ce qu'on dit sur ces barrages ce matin, aux postes frontières entre la France et l'Allemagne, entre la France et l'Espagne, dans les mesures annoncées par le gouvernement, il n'y a que des reports de cotisations, aucune ne concerne les distorsions de concurrence, on veut des solutions concrètes.
Stéphane LE FOLL
Je voudrais dire et rappeler aux producteurs, qu'en particulier sur la question du lait et de l'abattage, directive détachement, la France a déjà pris deux initiatives, une première fois avec Michel SAPIN pour recadrer le recours à cette directive détachement. Et on continue pour modifier les règles de cette directive pour éviter justement des distorsions de concurrence. Je rappelle aussi qu'en Allemagne, il n'y avait pas de SMIC il y a encore un an, qu'aujourd'hui, il se met en place, alors, on peut toujours contester. On peut toujours demander ce que les autres font, nous avons aussi des choses à faire, nous le faisons. La situation est quelquefois même plus encore dramatique dans
d'autres pays européens, et moi, ce que je demande aujourd'hui, c'est que face à cette crise, dont j'ai parfaitement mesuré et l'ampleur et la profondeur, je l'ai dit, et depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sur le lait, j'avais alerté au Conseil de l'agriculture de l'an dernier, pour dire : attention à ce qui risque d'arriver. J'ai été obligé de le rappeler et je vais le rappeler, mais là, maintenant, il faut aussi que tout le monde fasse en sorte que, avec la stratégie qui est la nôtre, redresser les prix, avoir une stratégie sur la viande de France, favoriser la consommation française, on est là sur un cadre nouveau, qui doit s'appliquer et qui s'applique, et il faut que tout le monde ait bien conscience que ça ne marchera que parce que, on sera tous parfaitement cohérents et coordonnés ensemble.
Pierre WEILL
Mais ces contrôles actuellement aux frontières, entre la France et l'Espagne, la France et l'Allemagne, qu'est-ce-que vous en pensez, c'est normal ?
Stéphane LE FOLL
Mais j'en pense…
Pierre WEILL
Ils bloquent des camions, renvoient des camions…
Stéphane LE FOLL
Je dis simplement que la France et les productions françaises exportent aussi dans ces pays, exportent aussi dans ces pays. Donc il faut qu'on soit là, je l'ai dit, déterminé sur la cohérence de ce qu'on met en place. Et la cohérence de ce qu'on met en place, c'est un relèvement des prix et une stratégie pour favoriser l'origine française des achats des consommateurs, en particulier avec des logos viande de France et lait de France…
Pierre WEILL
Stéphane LE FOLL, faut-il une mise à plat de l'ensemble des charges qui pèsent sur les exploitations ?
Stéphane LE FOLL
Je rappelle qu'avec le pacte de responsabilité qui a été annoncé par le président de la République, mis en oeuvre par le Premier ministre, aujourd'hui, alors qu'il y avait à peu près 600 millions d'allègements de charges sous le gouvernement précédent, on est passé pour l'agriculture à un milliard six cent millions d'allègements de charges. On peut toujours faire plus, mais il faut que toutes ces mesures se mettent en place, et dans l'agroalimentaire, parce que c'est souvent là aussi qu'il y a un gros problème, dans l'industrie agroalimentaire, où on a perdu bien sûr de la compétitivité, le niveau du pacte de responsabilité est aujourd'hui à la hauteur de 1,9 milliard d'euros. Bon, donc on a posé des allègements de charges, parce que ça faisait partie de la stratégie globale, nécessaire pour reconquérir de la compétitivité.
Pierre WEILL
Il faut être compétitif, on doit se mondialiser ?
Stéphane LE FOLL
Eh bien, compétitif, oui, dans la mesure où si on n'y est pas, vous savez, les consommateurs, à un moment…
Pierre WEILL
Et les éleveurs disent : eh bien, nous, on veut des charges mondialisées.
Stéphane LE FOLL
Oui, alors, les éleveurs disent : on veut des charges mondialisées, faudrait-il qu'il y ait un gouvernement mondialisé, faudrait-il qu'on soit capable sur les questions sociales, rien qu'à l'échelle européenne, qui reste de la compétence de chacun des Etats, qu'on soit capable d'harmoniser ces niveaux de protection sociale, c'est engagé, toujours de manière insuffisante, mais on ne peut pas, le gouvernement français, décider pour d'autres gouvernements. Qu'est-ce qu'on dirait si d'autres venaient décider pour nous. C'est bien ça aussi le sujet. Donc il faut avancer avec la détermination nécessaire pour aller vers l'harmonisation, mais on ne peut pas demander tout de suite et d'un seul coup que l'on puisse décider non seulement, pour ce qui nous concerne, c'est ce que nous faisons, mais pour les autres, donc l'harmonisation, les discussions sont en cours.
Pierre WEILL
Stéphane LE FOLL, comment, de quelle façon faire évoluer le modèle de l'élevage français ? Est-ce qu'on est un peu trop dans le vieux schéma de la petite ferme d'antan ?
Stéphane LE FOLL
Alors, ce débat, je l'entends, et il y a beaucoup de gens qui s'expriment sur le sujet. Ce débat, il nécessite d'abord qu'on regarde avec du recul, la moyenne des fermes françaises n'a cessé de s'accroître, mais aujourd'hui, c'est vrai, elle est autour de 52 hectares, voilà la surface moyenne. Quelle est la stratégie ? Garder des agriculteurs partout sur tout le territoire français, ça, c'est la stratégie, et ne pas aller dans des systèmes industriels où les agriculteurs ne seraient plus les chefs de leur exploitation. C'est ça la stratégie. Comment faire ? A partir de là, c'est ce que j'ai fait pendant la réforme de la politique agricole commune, garantir aux agriculteurs un statut juridique qui leur permette de se regrouper pour travailler ensemble, premier élément. Deuxième élément, le deuxième axe stratégique pour l'avenir, c'est de considérer que la France a des atouts énormes en termes de production végétale, pour pouvoir justifier une alimentation qui coûte moins cher. C'est ce que nous faisons et que nous allons mettre en oeuvre avec les groupements d'intérêts économiques et environnementaux, parce qu'en traitant la question de l'environnement, en ayant des couvertures de sol, en diversifiant les productions, on peut faire de la protéine fourragère, faisant de la protéine fourragère, on peut avoir une stratégie d'autonomie fourragère. Et cette autonomie fourragère, c'est un atout dans l'Europe agricole et dans le monde agricole, j'en suis persuadé.
Pierre WEILL
Vous avez dit la semaine dernière, mon objectif, c'est de faire remonter les prix, c'était dans Libération, vous en êtes persuadé, c'est sûr ?
Stéphane LE FOLL
Mais je regarde ce qui s'est passé sur le port où on est arrivé à l'objectif qu'on s'était fixé à 1,40 euro pour le kilo de porc, on est loin de l'objectif pour ce qui est de la viande bovine, et on travaille sur la question du lait pour remonter ce prix du lait. Donc ma détermination, effectivement, c'est faire en sorte que par rapport à cette situation de marché, extrêmement dégradée, avec des prix qui sont dépréciés, on redresse la barre, on remonte les prix.
Pierre WEILL
François HOLLANDE et vous-même, vous avez lancé un appel à la grande distribution, pour qu'elle offre un prix correct aux agriculteurs. Mais vous ne pouvez pas faire plus que de lancer des appels ?
Stéphane LE FOLL
Mais, il faut qu'on soit tous conscients que derrière la grande distribution, il y a des consommateurs, qui achètent et qui font des choix entre qualité et prix, à chaque fois, partout. Je l'ai dit : la grande distribution, depuis plusieurs semaines, et dès le début de l'année, est sur la question du lait, aujourd'hui, on est en discussion et en concertation et en négociation, à chaque table ronde, il y a des engagements qui ont été pris par la grande distribution, et qui, sur la base du rapport du médiateur, dont je le rappelle, il est disponible, on a joué la transparence, la grande distribution a joué son rôle. Tous les acteurs doivent jouer leur role, et le consommateur, en partie, doit jouer son rôle dans le sens où – je le rappelle – il y a maintenant une origine des viandes qui est parfaitement identifiable par le consommateur, donc tout le monde ; c'est ce que je répète, et que je vais répéter ce matin, c'est si on est tous cohérents et qu'on va tous dans le même sens qu'on sortira de cette crise.
Pierre WEILL
Certains responsables de la FNSEA et à droite, on vous a reproché votre manque de réactivité dans cette crise, ça fait des mois qu'on lui dit que des milliers d'exploitations sont dans le rouge, et il faut attendre qu'on bloque les routes pour qu'il bouge ; qu'est-ce que vous répondez ?
Stéphane LE FOLL
C'est parfaitement faux…
Pierre WEILL
Eh bien, c'est un peu ce qui s'est passé !
Stéphane LE FOLL
Mais et quand je fais, dès le début de l'année, des négociations, quand, l'an dernier, même en 2013, j'engage une médiation pour augmenter le prix du lait de 25 centimes, qui en parle ? Sûrement pas la droite ! Et certains de droite, en particulier qui sont candidats aux élections régionales, ont confondu les mesures et la prise en compte de la crise agricole avec leurs propres objectifs électoraux. Ça, ce n'est pas comme ça qu'on va résoudre les problèmes. Et le ministre, on peut faire tous les commentaires qu'on veut, tous, moi, j'ai derrière moi des décisions qui ont été prises, et il y a longtemps, quand je suis allé n Bretagne le 12 juin, avec la fédération nationale porcine, pour discuter à la fois des mesures concrètes et immédiates, mais surtout, aussi, des mesures de moyen et de long termes, on n'en a pas beaucoup parlé, mais je n'ai pas attendu les commentaires de ceux qui font de la politique politicienne, pour prendre des décisions et agir.
Pierre WEILL
Stéphane LE FOLL, vous restez avec nous pour répondre aux questions des auditeurs dans « Interactiv' », au 01.45.24.7000, ce sera juste après la revue de presse !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2015