Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, sur le règlement du contentieux des listes électorales pour la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, à Paris le 5 juin 2015.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture du comité des signataires exceptionnel de l'Accord de Nouméa, à Paris le 5 juin 2015

Texte intégral

Madame la Ministre,
Madame et messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du congrès,
Monsieur le Président du gouvernement,
Messieurs les présidents de Province,
Messieurs les signataires historiques,
Mesdames et messieurs,
Avant d'entamer nos travaux, je souhaite faire part au nom de l'Etat de la tristesse que nous avons ressentie à l'annonce avant-hier du décès de Nidoish Naisseline. Il fut l'un des signataires des Accords de Matignon.
Grand-chef du district de Guahma, chef de parti, président de la province des Iles Loyauté, Nidoish Naisseline a joué un rôle majeur aux plans coutumier, politique et institutionnel.
Vous le savez tous, il portait une parole singulière, nourrie de la sagesse de la coutume, et de la force de ses convictions humanistes.
Indépendantiste dès sa jeunesse étudiante, il a toujours poursuivi l'objectif de l'émancipation des Kanak, mais aussi de tous les Calédoniens. Et lorsqu'encore récemment l'île de Maré a connu des violences, il a eu des paroles d'apaisement et de pardon.
A sa mémoire, par respect pour sa famille, son clan et la grande-chefferie de Guahma, je vous invite à observer un instant de recueillement.
Je vous remercie.
Cette disparition met aussi en lumière que les Accords de Matignon et l'Accord de Nouméa ont été conçus et mis en oeuvre par une génération d'hommes et de femmes qui, après s'être durement affrontés dans les années 70 et 80, ont eu, ensuite, l'audace de se jeter dans l'aventure de la paix et la poser en actes.
Ils ont eu aussi le courage de faire partager autour d'eux cette conviction qu'au-delà des blessures de l'histoire et des combats politiques, il y avait un destin commun à bâtir. Et nous savons que ce fut difficile, pour tous, d'entraîner la conviction du grand nombre, après les affrontements et que ce l'est encore aujourd'hui, car la paix est toujours à construire.
Parce qu'elle connaît le coût de la violence et la difficulté du compromis, la génération de ceux et de celles qui ont bâti ces accords, et celle qui la suit, les vôtres, ont une responsabilité historique. Après avoir permis de parcourir le chemin qui a conduit depuis 1988 de l'affrontement à la paix, ces deux générations ont le devoir de mener à son terme le processus de l'Accord de Nouméa et de rechercher les voies d'une solution apaisée après son terme.
Notre réunion de ce jour doit apporter sa pierre à l'édifice : il faut résoudre ensemble les difficultés que pose l'application de l'Accord de Nouméa en ce qui concerne d'abord la consultation sur l'accès à la pleine souveraineté, et sans doute aussi l'établissement des listes électorales pour les élections aux provinces et au congrès.
La rencontre que j'ai l'honneur d'ouvrir ce matin n'est pas une réunion ordinaire du Comité des signataires. Nous ne sommes pas rassemblés pour établir le bilan annuel de l'Accord de Nouméa comme nous le faisons chaque année, généralement à l'automne ou au début de l'hiver.
Si j'ai souhaité cette réunion exceptionnelle du Comité, c'est en raison de la divergence persistante de vues entre les groupes politiques calédoniens sur les questions de l'établissement des listes électorales pour ces deux catégories de scrutin.
J'ai aussi accepté de convoquer ce comité parce que certains d'entre vous le demandaient, notamment vous-même, Monsieur le Sénateur Frogier, qui avez le premier formulé cette proposition.
Je remercie le Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, a aussi favorisé ce rendez-vous.
Le constat du désaccord persistant sur des questions de principe en matière électorale s'impose à nous tous. J'ai accédé à cette demande dans un contexte tendu marqué par une défiance croissante entre les différents partenaires, et certains d'entre eux vis-à-vis de l'Etat.
L'origine profonde de ces désaccords n'est pas nouvelle. Elle préexistait à la dernière manifestation de Nouméa. Elle transparaît dans l'avis du Congrès du 26 mars, puisque le vote témoigne d'un clivage entre mouvements indépendantistes et mouvements non-indépendantistes.
Rappelons aussi que ce projet de loi organique s'inscrit à la suite des travaux du Comité des signataires de l'an dernier, lui-même marqué par le boycott inhabituel de l'Union calédonienne et les critiques du sénateur Pierre Frogier exprimées lors des travaux.
Le Gouvernement, puisqu'il faut se parler franchement et honnêtement, n'est pas non plus dupe des effets collatéraux de certaines rivalités politiques. Il y a des séquelles d'élections passées et probablement des calculs pour des élections à venir. Pourquoi ne pas le dire ? Je connais moi-même les règles de la politique, même si certaines subtilités de la vie politique calédonienne ne sont pas aisées à décrypter depuis Paris.
Loin de moi l'idée de ramener toutes les difficultés actuelles à l'existence de ces clivages. L'Etat, en tant que partenaire, doit sans doute faire davantage de pédagogie, être plus attentif aux signaux émis par les uns ou par les autres, mieux expliquer ce qu'il fait et ce qu'il veut. Ne serait-ce que pour écarter les soupçons sans fondement sur sa partialité. Et je sais pourtant le travail du haut-commissaire réalisé sur place.
Ces désaccords sur la question des listes électorales ne sont pas médiocres. Je vous l'accorde. Il faut donc les résoudre.
Comment ?
Les accords de Matignon-Oudinot et de l'Accord de Nouméa reposent sur la confiance réciproque et sur une méthode, le dialogue franc et constructif entre les partenaires, pour établir ou la rétablir cette confiance.
Le Gouvernement fera ce qu'il faut pour rétablir cette confiance, avec lui et entre les partenaires calédoniens. Son seul objectif est que l'Accord de Nouméa, garant de la paix et du développement, réussisse.
Mon Gouvernement, vous le savez bien, ne recherche aucun intérêt électoral en Nouvelle-Calédonie. Il n'y a pour lui aucun enjeu de pouvoir, aucune ville ou province à conquérir, aucune circonscription à gagner. Aucune, vous le savez. Il a une responsabilité, un devoir, appliquer l'Accord de Nouméa et rechercher, avec les Calédoniens, comment préparer ce qui lui succédera.
Il faut éviter que la Nouvelle-Calédonie ne soit prise dans le piège des débats de l'élection présidentielle de 2017.
Nous avons beaucoup de questions à résoudre dans les deux années qui viennent. Dès lors, prenons sans délai celle des listes électorales à bras-le-corps, sans faux-semblant.
Ce problème est dangereux, car il retarde ou entrave la préparation sereine, méthodique et sérieuse des échéances à venir. Il nourrit des malentendus qui s'auto-entretiennent. Il échauffe inutilement les esprits, au moment où il faudrait concentrer notre énergie sur la préparation de l'avenir.
Et surtout, ils risquent de polluer la détermination du libre choix des Calédoniens, alors même qu'il n'existe plus de débat sur le périmètre des électeurs admis à la consultation finale prévue par l'Accord de Nouméa !
Les échéances approchent : la dernière mandature prévue par l'Accord de Nouméa est désormais entamée. Plus personne n'évoque publiquement cette perspective, mais le Congrès serait déjà en droit de solliciter de l'Etat l'organisation de la consultation prévue par l'Accord de Nouméa. Car c'est ça l'essentiel, l'avenir et le développement de la Nouvelle-Calédonie.
La société calédonienne en prend conscience progressivement. Mais aussi les acteurs économiques et les investisseurs.
Pour ma part, avec la Ministre des outre-mer, je refuse toute vision tragique. La Nouvelle-Calédonie est un pays magnifique, aimé de tous ses habitants. Elle a des atouts énormes et connaît un niveau de vie et un rythme de développement que beaucoup lui envient dans la région pacifique.
Et je constate, à travers les contacts préparatoires, qu'il existe une conscience partagée de la nécessité de surmonter les oppositions électorales actuelles.
Par la référence précise et argumentée à l'Accord de Nouméa, par la discussion, par la négociation.
La consultation sur l'accession à la pleine souveraineté écartée en 1988, puis repoussée en 1998 se tiendra au plus tard en novembre 2018 en application de l'Accord de Nouméa. La question qui sera posée sera très claire : pour l'accès à la pleine souveraineté, c'est à dire l'indépendance, ou contre, c'est-à-dire pour le maintien dans la République française.
Voilà la feuille de route de l'Etat. Il ne s'agit pas d'une position personnelle ou d'une lecture partisane d'un Etat prétendument partisan car socialiste : c'est la stricte application de l'Accord, auquel aucun Gouvernement ne peut déroger de manière unilatérale.
A moins bien sûr qu'un nouveau consensus se dégage entre vous autour de l'idée d'un nouvel accord supposant une révision de la Constitution. C'est la position – respectable – de certains acteurs et ils choisiront peut-être de la réitérer tout à l'heure.
Mais regardons les choses en face avec lucidité : dans l'état des positions affirmées aujourd'hui, on ne voit guère quelle autre solution que celle figurant dans l'Accord de Nouméa pourrait faire consensus. Car d'autres acteurs rappellent avec fermeté leur attachement à préparer et à tenir la consultation.
Dans ces conditions, l'Etat prépare et veut préparer loyalement les choses. J'y insiste.
Une telle consultation devra être exemplaire dans son organisation et incontestable dans son résultat. La France sera observée par le monde entier. Il s'agira d'un moment historique, et je pèse mes mots. Pour cela chacun des partenaires, et en premier lieu l'Etat, doit prendre ses responsabilités. Instruit des fruits de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, parfois violente, parfois tragique, nous ne pouvons pas attendre le dernier moment pour préparer cette échéance.
Aujourd'hui, je vous propose que nous prenions tout le temps qu'il faudra pour sortir de cette journée avec :
- un accord sur les amendements qu'il convient d'apporter au projet de loi organique s'agissant de la liste référendaire ;
- une discussion politique approfondie et une méthode de résolution du conflit sur les listes provinciales au cours des prochains mois, méthode validée par les partenaires.
Les sujets posent des questions légitimes, qui préoccupent la population calédonienne. La consultation finale doit être incontestable. Elle ne doit pas, pour les Calédoniens, pour le respect de l'Accord de Nouméa et pour la réputation de notre pays, apparaître illégitime dans son résultat.
Il faut donc faire en sorte que ceux que l'Accord de Nouméa a exclu de cette consultation ne soient pas sur la liste des électeurs. C'est l'intérêt de tous.
Mais il faut aussi que ceux qui, d'évidence, peuvent être électeurs, n'aient pas à subir des formalités inutiles, leur apparaissant comme vexatoires.
Il est possible de faciliter l'élection de certaines catégories d'électeurs, sous réserve du respect des principes juridiques, que contrôlera le Conseil constitutionnel en examinant la loi organique.
Lors du dernier comité des signataires, qui s'est tenu dans cette même salle le 3 octobre 2014, les partenaires calédoniens ont rappelé « leur attachement à ce que les citoyens calédoniens ne soient pas contraints d'entreprendre de démarche pour être inscrits sur les listes électorales spéciales pour la consultation de sortie de l'Accord de Nouméa ». Cette demande était parfaitement légitime pour des raisons que chacun comprend.
L'Etat a pour cela saisi le Conseil d'Etat pour avis puis préparé un projet de loi organique qui a été transmis au congrès de la Nouvelle-Calédonie pour recueillir son avis.
Le congrès a formulé un avis négatif mais a pris soin de délibérer longuement, avec des débats passionnés, article par article, afin de motiver le plus possible sa position et que chaque groupe puisse préciser sa position.
J'ai personnellement fait part de mon vif intérêt pour ces travaux dès le 8 avril, en Conseil des ministres et dans un entretien aux Nouvelles Calédoniennes. Des concertations ont été engagées, localement et sous l'égide de la ministre des outre-mer.
L'Etat a mis de nouvelles propositions sur la table ces derniers jours. Discutons-en.
Ainsi, nous sortirons des polémiques et nous ferons baisser la tension. Pour ma part, je ne cèderai jamais à la provocation, à l'escalade verbale ou encore moins à un esprit partisan. Je souhaite ardemment que nous puissions collectivement, à Paris comme à Nouméa, renouer les fils du dialogue, retrouver tout le sens du mot collégialité, réinstaurer enfin un fonctionnement normal des institutions calédoniennes. Les épreuves de force, les menaces, les ultimatums, les boycotts ne feront rien avancer.
Il faut aussi que les élections provinciales se déroulent sur des listes électorales incontestables. Les électeurs arrivés après 1998 ne peuvent voter. C'est l'intérêt de tous que cette liste soit également incontestable.
Est-il juste que certaines personnes qui étaient résidentes de la Nouvelle-Calédonie depuis longtemps en 1998 ne puissent voter aux élections provinciales, et se voir reconnaître la qualité de citoyen parce qu'elles avaient négligé de s'inscrire sur la liste électorale générale en 1998, situation qui concerne un certain nombre de Calédoniens, de toutes communautés et de toutes opinions.
Discutons-en. Quel est ce problème ? Combien de personnes sont concernées ? Quelles sont les solutions politiques et éventuellement juridiques possibles ? Le Gouvernement est prêt à accompagner cette réflexion.
La Nouvelle-Calédonie ne doit pas être un enjeu politique entre la gauche et la droite. Elle ne doit pas être prise en otage par un camp ou par un autre. Vous avez fait le choix, très courageux, en Nouvelle-Calédonie du compromis historique. Vous avez fait le pari d'un avenir commun dans l'attente d'un choix qui n'appartiendra qu'aux Calédoniens. Car à la fin, ce sont les Calédoniens, et eux seuls, qui trancheront par leur vote l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Je vous remercie.Source http://caledosphere.com, le 4 août 2015