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Le Président américain, George W. Bush, a annoncé un plan de relance sans précédent, de 115 à 130 milliards de dollars, pour tenter de sortir l'économie américaine de la récession. Vous qui êtes un fervent libéral, approuvez-vous ces mesures ?
Après sept baisses de taux décidées par la FED depuis le début de l'année, l'économie américaine avait sans doute atteint son point le plus bas au début ou au cours de l'été. Les attentats de New-York et de Washington ont donné sûrement un coup d'arrêt à l'économie américaine, bloqué la reprise et freiné les échanges internationaux. Mais ils ont donné aussi, du moins si de nouvelles turbulences terroristes internationales ne viennent pas obscurcir l'horizon, un coup de fouet au dynamisme américain. Les mesures de relance coordonnées, tant en ce qui concerne les nouvelles baisses des taux pour remettre des liquidités dans l'économie que les mesures budgétaires, vont permettre d'éviter une crise prolongée et sans doute doper ce dynamisme.
Dans un pays qui a 153 milliards de dollars d'excédent budgétaire, il est difficile de dire, comme on le soutien parfois en France, que ces mesures de relance verraient le retour des vieilles recettes keynesiennes. L'administration Bush entend accélérer la baisse des impôts sur les particuliers et les entreprises. Elle veut renforcer l'Etat dans ses fonctions de sécurité, contribuer à reconstruire un quartier détruit par des actes de guerre. Quant au soutien apporté aux compagnies aériennes, il s'agit de compenser des dommages d'acte de guerre ou d'assurer le surcoût des contrôles de sécurité.
Lionel Jospin a annoncé son intention d'ajuster la politique économique de la France pour faire face aux évolutions internationales. Cet ajustement est-il pour vous nécessaire ?
En réalité, le problème n'est pas tant d'ajuster la politique économique actuelle que d'en changer. A la différence des Etats-Unis, nous ne sommes pas en excédent budgétaire mais en déficit persistant, et le budget 2002 masque mal la perte de contrôle de nos dépenses publiques. En matière de retraites -notamment celle des fonctionnaires -, de dépendance, de santé, les dépenses vont continuer à s'accroître. Il n'existe pas de vrai financement pour les 35 heures, les emplois jeunes ou la CMU n'ont pas de vrais financements. Les effectifs de la fonction publique continuent d'augmenter ; Nous avons gaspillé les fruits de la croissance et manqué l'occasion qu'elle nous donnait d'engager les réformes de fond. Les mesures annoncées récemment-déductibilité de certains investissement et avancement de la prime pour l'emploi- relèvent du bricolage et ne sont que des astuces pré-électorale.
Quel jugement portez-vous sur la situation française ?
La politique Jospin-Fabius passe à côté de ce qu'il faudrait faire. Mais je reste en réalité très confiant sur la capacité de l'économie française quand je vois les résultats que nous obtenons malgré les semelles de plombs que l'on met aux pieds de ceux qui entreprennent. Je crois que nous sommes économiquement surdoués et suis convaincu que nous pouvons viser un taux de croissance durable largement supérieur à nos partenaires, de l'ordre de 4%. D'ailleurs, pour surmonter sans drame les défis qui sont devant nous, nous n'avons pas d'autres choix que de viser la croissance la plus forte possible et de mener avec énergie les réformes économiques qui nous permettent d'y parvenir. Deux points de croissance en plus ou en moins, c'est ce qui fait la différence entre la vigueur et la rigueur, entre le plein emploi et le chômage, entre les excédents budgétaires et l'aggravation des déficits.
Quels sont pour vous les moyens d'atteindre une croissance forte en France ?
Nous ne savons pas utiliser tous les talents et les énergies qui existent en France. Le moteur de la croissance française ne tourne pas à plein régime. Il n'est pas assez puissant, car nous n'avons pas assez de population active, et il est bridé par une fiscalité décourageante et des freins réglementaires trop serrés.
Il faut donc augmenter la part de la population active dans la population totale en favorisant le retour à l'activité des seniors par le libre choix de la retraite et le développement d'un marché du travail spécifique. En facilitant le retour à l'emploi de ceux sont enfermés dans la dépendance par la création d'un revenu familial garanti -inspiré de l'impôt négatif- et par la transformation, chaque fois qu'on le peut, des revenus minimum d'assistance en revenu d'activité.
Peut-être faudrait-il aussi créer des emplois dans de nouvelles entreprises...
Augmenter la puissance du moteur, c'est encore augmenter le nombre d'entrepreneurs en facilitant la création d'entreprises. Par rapport à d'autres pays, la France devrait compter au moins 1 million d'entreprises supplémentaires. Enfin, à côté des emplois à forte valeur ajoutée, nous devons exploiter le gisement d'emplois que représente le secteur des services -commerce, hôtellerie, restauration, tourisme, artisanat-. Proportionnellement aux Etats-Unis, nous devrions avoir 4 à 5 millions d'emplois en plus dans ces secteurs. Il est indispensable d'alléger les charges fiscales et réglementaires qui empêchent la création de ces emplois ou les condamnent à l'économie souterraine. C'est pourquoi j'ai proposé que l'on pratique une TVA à taux réduit pour la restauration et qu'au delà, cette politique soit engagée à l'échelon européen pour toutes ces activités de services.
Vous dites que le moteur de la croissance en France est bridé fiscalement. Vous devez donc approuver les baisses d'impôts de Laurent Fabius ?
Ce qui booste aujourd'hui l'économie c'est la création de nouvelles richesses. Celle-ci dépend de l'imagination, de l'énergie et de la motivation des plus entreprenants. La croissance ne sera à l'évidence pas la même si sur 100 francs de richesses supplémentaires l'Etat et les organismes publics prélèvent 80% ou 35%. Pour doper la croissance et l'emploi nous avons besoin d'une vraie révolution fiscale et non d'un saupoudrage d'allègements fiscaux à la façon de Monsieur Fabius. C'est pourquoi je me suis engagé sur une réforme d'ensemble qui intègre la CSG dans un impôt sur le revenu retenu à la source, payé par tous les Français, réduit à trois tranches avec un taux maximum porté à 33%. De même, pour favoriser la propriété familiale et le maintien des entreprises je me suis engagé sur la suppression, pour l'essentiel, des droits de succession.
Au bridage fiscal s'ajoutent les freins des réglementations archaïques et les obstacles à la liberté du travail. Le chemin d'une croissance forte passe par de nouvelles libertés. Il faut laisser les partenaires sociaux inventer de nouvelles formes de relations sociales, de nouvelles formes de contrat de travail. Permettre d'ouvrir les magasins le dimanche. Permettre à ceux qui veulent gagner plus de travailler plus. Sortir du dogmatisme des 35 heures pour toutes les entreprises. Si l'on veut échapper aujourd'hui à la panne de croissance, éviter le goulot d'étranglement de l'économie, la première mesure que doit prendre le gouvernement c'est de libérer un fort contingent d'heures supplémentaires, au-delà des 35 heures, pour toutes les entreprises.
Un gouvernement de droite pourra-t-il revenir sur les 35 heures que les Français considèrent comme une conquête sociale ?
Les 35 heures me sont toujours apparues comme une mesure absurde, déraisonnable et inapplicable à l'ensemble des entreprises. Je souhaite que l'on revienne à la liberté du travail. Soit en supprimant toute référence aux 35 heures dans la loi mais en laissant bien entendu vivre les contrats sur la réduction du temps de travail, soit en libérant les heures supplémentaires.
Comment expliquer que les 35 heures aient un tel succès auprès des Français ?
S'il s'agit de choisir et d'organiser plus librement son temps de travail, j'y suis moi même favorable. La réalité des 35 heures est toute différente. Et derrière les 35 heures obligatoire pour tous que veut imposer le gouvernement, il y a une facture bien lourde que nous devrons payer et faire payer à nos enfants.
Quelles mesures de relance pourraient être prises en France ?
Pour contribuer à la relance de l'économie, la sagesse voudrait que, comme on l'avait fait à l'occasion du passage au nouveau franc, l'on permette aujourd'hui le rapatriement sans contrôle des avoirs à l'étranger et le change illimité en Euro des bas de laine (200 milliards) détenus par Français moyennant une taxe forfaitaire ou une souscription d'emprunt, comme le font d'autres pays autour de nous.
Seriez-vous partisan de rendre plus difficile les licenciements dits "boursiers" pour mieux protéger les intérêts des salariés ?
La mondialisation de l'économie et des marchés entraîne une mondialisation des sociétés. Celle-ci se fait au travers de restructurations financières et boursières mais aussi industrielles. Il en va de même dans le secteur des nouvelles technologies de la communication qui doit purger des surcapacités et des erreurs de prévision. De tels ajustements sont, hélas, nécessaires et toutes mesures de contraintes qui visent à les empêcher, à les compliquer, à les retarder ont un effet boomerang contre l'emploi, entretenant l'idée chez les investisseurs que décidément il n'est pas raisonnable de chercher à produire en France. En revanche, tout doit être fait pour faciliter le reclassement des salariés victimes de ces restructurations : l'installation d'une antenne locale spécialisée dans le reclassement, prime de nouveaux départs, parcours de formation-reclassement...C'est d'ailleurs ce que font les grandes entreprises en France à l'exemple de Danone dont on a décrié un plan social qui reste pourtant un modèle du genre. Mais ce qui est possible pour une grande marque prospère ne l'est pas pour une petite entreprise sous traitante asphyxiée financièrement. C'est pourquoi à la place d'une mauvaise loi de modernisation sociale j'aurais pour ma part invité les partenaires sociaux à négocier, à l'exemple de notre système d'assurance chômage individuel, un système de mutualisation des reclassements industriels pour toutes les entreprises.
La politique monétaire de la Banque centrale européenne vous semble-t-elle toujours aussi peu adaptée à la situation économique ?
Notre croissance dépend aussi, bien entendu, de la politique monétaire menée par la banque centrale européenne. Avant le 11 septembre, nous nous trouvions dans une situation où, en dépit du sens commun, la BCE maintenait systématiquement ses taux d'intérêt court au dessus du taux de croissance de l'économie. Or, le retournement de la croissance s'est produit simultanément aux Etats-Unis et en Europe. Mais alors que la FED écrasait constamment ses taux d'intérêt pour injecter des liquidités dans l'économie américaine, la BCE, de son côté, a réagi beaucoup trop lentement et beaucoup trop faiblement. Au surplus, la BCE qui a les yeux rivés exclusivement sur la masse monétaire et sur le taux d'inflation n'a pas vu, semble-t-il, le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie. Or si la monnaie circule moins vite il faut réinjecter des liquidités dans le circuit économique. C'est ce qu'ont bien su faire les américains, permettant ainsi à leur système financier de supporter le choc des restructurations de la nouvelle économie. En ne suivant pas la même politique, l'Europe prend un risque d'engrenage à la japonaise. La BCE reste vigilante sur les dérive budgétaires en Allemagne, en Italie, en France.
La BCE reste vigilante sur les dérives budgétaires en Allemagne, en Italie, en France. Pourtant, dans des circonstances difficiles comme aujourd'hui, comprenez-vous que les gouvernements reviennent sur leurs engagements de stabilité budgétaire ?
Au-delà du pacte de stabilité et de croissance, il faut aujourd'hui engager une nouvelle initiative européenne. Nous avons eu l'acte unique en 1986 qui a créé le marché unique. Nous avons eu l'acte II avec le Traité de Maastricht en 1992, l'Euro et le pacte de stabilité. Pour répondre à la crise actuelle et ouvrir une vraie perspective de croissance européenne autonome et de retour au plein emploi, je crois qu'il est aujourd'hui indispensable de poser l'Acte III : sceller un nouveau pacte européen nous engageant dans un calendrier de réformes structurelles, de réduction de la part des dépenses publiques et de baisse des impôts. Les différentes rencontres que je viens d'avoir avec nos principaux partenaires européens m'ont convaincu qu'un tel pacte est nécessaire et possible. Dans cette perspective-baisse d'impôts + réformes structurelles- la BCE pourrait trouver l'occasion de baisser très fortement ses taux à la mesure du problème européen. Au surplus, il me paraîtrait judicieux qu'alors dans le cadre du pacte de stabilité, on puisse distinguer entre un déficit lié à des réformes structurelles qui permette de baisser les dépenses publiques ou les impôts, et un déficit malsains lié par exemple à l'embauche de nouveaux fonctionnaires ou au paiement de la facture des 35 heures ;
Le rôle de l'Etat revient en force dans le débat politique, à droite comme à gauche. Comment jugez-vous cette évolution ?
Les adorateurs de l'Etat veulent nous faire croire que la " situation de guerre " que nous connaissons appelle le retour de l'Etat dans l'économie. En réalité ce n'est pas le retour de l'Etat mais le retour à l'Etat, c'est à dire au vrai exercice par l'Etat de ses fonctions régaliennes, à commencer bien sûr par la sécurité extérieure et intérieure. Je suis le premier à m'en réjouir.
(Source http://www.demlib.com, le 9 octobre 2001)