Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur l'aide de la France à la modernisation des pays du Sud et de l'Est et sur l'importance de l'ajustement structurel et d'un bon fonctionnement de la démocratie pour un véritable développement, Paris le 21 septembre 1990.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture de la session 1990-1991 de l'IIAP

Texte intégral

Monsieur le Ministre d'Etat
Monsieur le Vice Président du Conseil d'Etat
Monsieur le Directeur
Mesdames, Messieurs
Je voudrais vous dire combien je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui.
D'abord de me trouver à l'Institut International d'Administration Publique, chez vous donc Monsieur le Directeur qui assurez avec compétence et talent la direction d'une école où l'on assure des formations essentielles pour la coopération internationale.
La nouvelle promotion de l'Institut, aujourd'hui rassemblée, comprend 88 auditeurs qui viennent de 38 pays d'Afrique, d'Asie, du Moyen Orient, d'Amérique du Sud et même d'Europe !
Je sais que, par ailleurs, plus de 500 stagiaires bénéficieront cette année encore des enseignements dispensés dans des cycles courts.
Je sais aussi que l'Institut s'est, à ma demande, tourné davantage vers les organisations internationales, avec lesquelles il a une collaboration féconde.
Vous avez rappelé également que l'I.I.A.P. développe une coopération importante avec les fonctions publiques de la Communauté Européenne.
Il participe enfin à la tâche complexe de formation des nouveaux dirigeants des pays d'Europe Centrale, afin de les aider à construire des Etats de droit disposant d'une administration adaptée à un économie de marché.
Ceci est conforme à la vocation de l'Institut. Le gouvernement approuve et encourage ces actions.
Permettez-moi de rendre ici hommage au travail inlassable de tous le personnel enseignant et administratif, qui a rendu possible une ouverture de cette ampleur.
Mais c'est à cette nouvelle promotion que je voudrais m'adresser plus particulièrement.
Tous, vous avez ou vous aurez la responsabilité de donner à d'autres le goût du droit et le respect de la règle - en un mot l'esprit du Service Public.
C'est une des plus belles taches qui soient.
Car, s'il y a plusieurs traditions juridiques, plusieurs écoles de pensées de droit, la légalité est une.
Et on n'apprend à l'appliquer qu'avec la connaissance des règles juridiques et le respect des principes fondamentaux qui, en droit public et en droit international, fondent - doivent fonder - les Etats.
Cette unicité des principes et cette diversité d'expressions juridiques, vous, votre Institut, l'illustrez par la très grande qualité et la richesse de ses enseignements.
Le gouvernement vous apporte, soutien et encouragement.
Je suis aussi heureux d'être ici parce que l'on y apprend l'administration.
On y apprend à servir.
Pour moi, qui y a été formé avant vous, il n'y a rien de plus noble.
Pourtant l'Administration serait "en crise", selon l'un des leit-motiv de nos sociétés modernes.
La complexité croissante des mécanismes étatiques gouvernementaux, la multiplication des fonctions dévolues à l'Etat, ont en effet rendu nos administrations souvent trop lointaines.
Leur fonctionnement apparait trop souvent autonome par rapport aux missions de service public - c'est à dire au service du public - qui doivent les guider.
Vous savez que je me suis attaqué à ce problème en France : j'en ai fait un "grand chantier" du gouvernement.
L'effort de modernisation du Service Public qui nous avons entrepris, est considérable.
Il faut en effet adapter les mentalités et la manière de travailler des administrations, aussi bien aux besoins nouveaux du pays qu'aux aspirations nouvelles des populations.
Il me semble que dans les pays en développement ou en cours de restructuration, cette adaptation est encore plus nécessaire.
Nos démocraties, déjà anciennes, peuvent en effet mieux résister à quelques malentendus ou conflits entre les citoyens et leur administration.
Car la régularité de l'expression du suffrage populaire, à tous les niveaux, et particulièrement à l'échelon des collectivités locales, permet d'atténuer, voire de corriger la plupart des incompréhensions.
Mais il est des pays où cela n'est pas encore le cas, malgré les changements importants auxquels on assiste depuis plusieurs années partout dans le monde, aussi bien à l'Est qu'au Sud.
Dans ces pays le risque est grand de voir s'installer un clivage durable, voire un véritable divorce, entre l'administration, enlisée dans une bureaucratie paralysante et la population, dont l'expression des besoins auprès de ses dirigeants est confisquée par des structures dont la légitimité n'est pas renouvelée.
La France a, dans ce domaine, des responsabilités à assurer.
- parce que l'administration française, jacobine de tradition, a servi de modèle - ou a été imposée, soyons honnêtes, pendant la période coloniale de notre histoire - à beaucoup de pays du Sud et que ce modèle a survécu aux réaménagements des indépendances ;
- parce que la bonne réputation du "mod0èle français" a peut-être empêché que se forment, particulièrement en Afrique, des modèles alternatifs, alliant l'efficacité administrative et celle qui découle de la fidélité voire de la spontanéité de l'expression culturelle d'un peuple ;
- parce qu'enfin s'est installée, dans certains des pays amis, une paralysie bureaucratique qui freine le développement.
Il nous faut, aujourd'hui, accorder notre aide aux pays qui la demandent pour fonder une vraie coopération dans ce domaine.
Bien sûr, nous avons une réponse, dont on ne peut nier la valeur économique : "l'ajustement structurel".
S'il a été considéré longtemps comme une contrainte insupportable par les Etats, ceux-ci s'aperçoivent peu à peu que cette exigence des organisations internationales et des bailleurs de fonds n'est pas simplement la reproduction d'une idéologie libérale, dont le souci de solidarité serait absente.
C'est un point de passage indispensable sur le chemin de la reprise d'une croissance durable, gage d'un développement véritable.
La France plaide auprès de ses partenaires bi et multilatéraux pour que l'ajustement structurel corresponde à un objectif d'efficacité, c'est à dire contribue réellement à relancer les fonctions essentielles d'un pays par l'assainissement de son économie.
Ces fonctions elles-mêmes - l'éducation, la santé, etc. - ne doivent pas s'éteindre, faute de moyens, étouffées par des exigences drastiques dont le coût humain serait irréparable, mais être réaménagées au service du public - "dégraissées" comme on dit à Washington ou à Paris - de bureaucrates inutiles.
Car il y en a !
Aussi les mesures d'ajustement structurel doivent éviter les "noyaux durs" de l'administration. Ceux qui, formés et mobilisés pour le développement, sont le relais d'une coopération bien définie par le mot d'Edgard Pisani "il faut les aider à apprendre demain".
Aussi parallèlement à l'effort d'ajustement structurel, les Etats doivent mettre en place des politiques sociales sectorielles, qui requièrent des cadres administratifs compétents.
Le gouvernement reçoit de plus en plus de demandes de nos amis du Sud pour les aider à restructurer des secteurs économiques et sociaux.
Il entend y répondre.
En effet, comment former des étudiants si les Universités n'ont pas les moyens d'organiser le contrôle des connaissances et former des maîtres si les écoles ne peuvent leur donner les instruments indispensables pour enseigner ?
Comment améliorer la qualité de l'enseignement sans évaluer la qualité des enseignants ?
Et comment maintenir l'ordre si la justice ne peut s'exécuter ?
Comment assainir l'économie sans contrôler la fraude et lutter contre la corruption ?
Au delà de notre effort pour apporter un soutien administratif à vos pays, je crois qu'il faut nous engager résolument dans la coopération institutionnelle.
Vous savez combien la France est attachée au respect de l'Etat de droit, et à la garantie des droits et libertés fondamentaux de l'homme.
Aujourd'hui, et je m'en félicite, il apparait que de plus en plus d'Etats comprennent qu'il n'y a pas de véritable développement sans démocratie réelle, et s'engagent pour la mettre en oeuvre.
A notre tour, nous nous engageons à leurs côtés, pour contribuer à leur épanouissement démocratique.
Vous qui allez servir le bien public, vous êtes au coeur de ce combat.
C'est vous qui, dans vos pays, devez porter l'idée qu'un mauvais fonctionnement de la démocratie enraye le développement et, qu'a l'inverse, l'expression démocratique favorise le décollage économique en libérant les énergies et les capacités individuelles.
La démocratie pour moi, c'est bien sûr, le respect des droits de l'homme, l'épanouissement des libertés mais aussi l'efficacité. La démocratie n'est pas une incantation.
Elle est un outil du développement, un espoir pour l'homme.
C'est pour tout cela que nous répondrons avec joie aux demandes de coopération qui concernent la réforme des administrations, et celle des collectivités locales, car la démocratie doit s'exercer au plus proche des citoyens.
Nous vous aiderons à améliorer le service public de la justice, car il n'y a pas de liberté sans protection ni d'investissements économiques sans garanties de stabilité et de respect des capitaux nationaux et étrangers.
Nous contribuerons à la modernisation des services de sécurité, car il n'y a pas d'Etat de droit sans protection des personnes et des biens, et des services de douanes car il n'y a pas de gains de rentabilité économique sans transparence des échanges.
Bref, nous avons, ensemble, de nombreux terrains de coopération à défricher.
Ils correspondent à de nouvelles formations, ou plutôt à des approches plus pratiques des formations administratives.
Les stages nombreux que la France offre, dans l'ensemble des services publics français, permettent de renforcer ces liens.
Je veillerai à ce que l'environnement de ces stages soit toujours placé sous le signe du pragmatisme.
Alors que votre promotion va célébrer l'année prochaine le 25ème anniversaire de l'Institut, je voudrais insister sur l'importance que le gouvernement français attache à cet outil exemplaire de formation, qui a su s'adapter aux réalités internationales du monde sans perdre son identité.
Plus que l'octroi d'une formation toute faite, c'est un enrichissement par l'échange des idées et des expériences qui vous est proposé ici.
Nous pensons que notre Administration peut servir, plus que de modèle, de référence.
Elle retirera de votre présence, en retour, un approfondissement de son ouverture au monde.
Nos échanges sont donc mutuellement profitables.
Je ne peux qu'espérer qu'ils se prolongent durablement.
Bon courage à vous et bon travail !