Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
Najat VALLAUD-BELKACEM est l'invitée d'ITELE ce matin, bonjour.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Merci d'être avec nous. Le harcèlement à l'école concerne plusieurs centaines de milliers d'élèves chaque année. Que pouvez-vous faire contre ce fléau, des mesures sont annoncées aujourd'hui par votre ministère, est-ce que vous pouvez nous dire la principale mesure, les principales mesures que vous comptez dévoiler aujourd'hui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien ! Parmi tous ces élèves qui en sont victimes de harcèlement scolaire, on estime qu'un élève sur cinq ne va pas parler de ce qu'il vit au quotidien. Et c'est ce qui va le conduire souvent à des actes tragiques, parce qu'il aura vraiment le sentiment d'être dans une impasse et de ne pas pouvoir s'en sortir. Donc la première chose que nous faisons, c'est rompre le silence, c'est parler, parler, parler, parler de l'existence du harcèlement scolaire. Pendant trop longtemps on n'en a pas parlé à l'école, c'était un sujet un peu tabou, et ça ne fait que depuis à peu près 2-3 ans qu'enfin on voit apparaître des campagnes de sensibilisation. Depuis 1 an maintenant, le ministère s'est saisi de ce sujet en créant une équipe d'ailleurs dédiée à la violence en milieu scolaire, une délégation ministérielle avec 7 personnes qui bossent à temps plein sur ce sujet. Nous développons des outils que je vais déployer, des outils à la fois pour les enseignants pour les aider à mieux détecter les situation de mal-être d'enfants qui sont en souffrance et en harcèlement
BRUCE TOUSSAINT
Ça va se passer de quelle façon d'ailleurs ces outils pour les professeurs ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien ! Ces outils, il va y avoir des formations là encore qui seront conduites, où on expliquera par exemple aux chefs d'établissement comment lorsqu'un enfant les alerte sur l'existence d'une situation de harcèlement scolaire, il ne faut pas convoquer dans le bureau et l'auteur et la victime parce que c'est la pire façon finalement de régler ou plutôt de ne pas régler la situation. On met une plateforme téléphonique à disposition des familles pour qu'elles puissent elles aussi tirer la sonnette d'alarme. Cette plateforme aujourd'hui, nous l'avons créée c'est un numéro long qu'on va sans doute raccourcir en un numéro à 4 chiffres pour que ce soit encore plus évident de l'utiliser. Mais derrière, il y a des
BRUCE TOUSSAINT
Attendez ! Juste sur ce point important, sur ce Numéro vert, donc il existe en effet aujourd'hui, voilà, il apparaît à l'instant : 0808.807.010, c'est important pour ceux qui nous regardent effectivement et qui souhaitent mais donc il y aura un numéro à 4 chiffres, dans quel délai, vous avez une idée, quelques semaines ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, quelques semaines, on est en train de travailler dessus. Mais en tout cas ce numéro tel qu'il existe déjà, il est récent, il a un an, il a déjà eu plus de 3.000 appels, ce qui signifie bien qu'il y a une réalité, qu'il y a des familles en souffrance et qu'il y a un besoin pour elles d'être accompagnées. Et donc, c'est l'autre dimension de ce que j'annonce aujourd'hui, une prise en charge des familles qui soit de meilleure qualité que celle qu'elle est aujourd'hui, à la fois par les personnels de l'Education nationale dans ce genre de situation mais aussi en lien avec les personnels médicosociaux, les Maisons des adolescents en particuliers et puis des référents psys gratuits sur tout le territoire pour accompagner et traiter individuellement ces situations.
BRUCE TOUSSAINT
Est-ce que cette prise de parole, cette prise de conscience doit être sacralisée à travers une journée spéciale à l'école ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Dans les établissements scolaires, il faut que la prise de conscience soit quotidienne, c'est pour ça que par exemple pour vous en donner un exemple précis on a créé un prix pour les élèves eux-mêmes qui s'appellent « Mobilisons-nous contre le harcèlement », où on leur demande de faire des dessins, des vidéos etc., pour qu'en classe ils soient amenés à évoquer ce sujet et notamment à rompre avec vous savez, ce phénomène de groupe, parce que ce qui fait qu'il y a harcèlement c'est aussi que vous avez des enfants, des élèves qui sont témoins et qui rigolent du harcèlement que subit l'un d'entre eux. Donc il faut casser ça, il faut leur expliquer et rien de mieux que les outils qu'ils fabriquent eux-mêmes pour le faire que ça n'est pas bien. Mais au-delà de ça, je pense que dans la société toute entière car le harcèlement n'a pas lieu qu'à l'école il faut une prise de conscience plus forte, un peu comme celle qu'on demandait sur les violences faites aux femmes, qui passe par les médias sur la réalité de ce sujet. Et donc c'est pour ça que je souhaite que nous ayons une journée avec les médias cette fois-ci qui soit consacrée à lever le silence autour du harcèlement scolaire, qui peut se produire pas seulement dans les écoles mais aussi dans les salles de sport, enfin dans tous les lieux de vie collective, dans les centres de vacances pour les enfants.
BRUCE TOUSSAINT
Cette journée sera instituée à partir de la rentrée prochaine ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, voilà, c'est à partir de la rentrée prochaine, nous sommes en train d'y travailler, ça fait partie des outils de sensibilisation et de prévention.
BRUCE TOUSSAINT
Najat VALLAUD-BELKACEM, là vous présentez un plan de prévention globalement, mais qu'en est-il des sanctions, est-ce que les élèves coupables de harcèlement doivent être sanctionnés ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ils le sont quand justement l'affaire est rendue publique, c'est bien le problème de lever le silence. Mais lorsque l'affaire est rendue publique aujourd'hui, il y a même des sanctions pénales, ne nous y trompons pas. J'en sais quelque chose puisque c'est sous mon égide j'ai été ministre des Droits des femmes à l'époque qu'a été adopté la loi du 4 août 2014, la loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes qui a introduit dans notre droit pénal le délit général de harcèlement moral. Quand je dis général
BRUCE TOUSSAINT
Donc ça concerne aussi les élèves ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Absolument, c'est-à-dire y compris en dehors du champ du travail comme on le voit souvent ou du champ conjugal. Ce délit général de harcèlement moral, il est même aggravé dans le texte par le fait que ça se soit fait sous forme cyber, c'est-à-dire le cyber-harcèlement par voie de textos, de sms, de mails, de Facebook, de Twitter. Et ça, ça correspond à la réalité de ces jeunes, le harcèlement passe souvent par-là.
BRUCE TOUSSAINT
Justement là, vous touchez du doigt un problème très précis, c'est que vous, vous êtes ministre de l'Education nationale, vous n'êtes pas ministre d'Internet. Le harcèlement hors de l'école, lorsqu'il se produit lorsque les enfants sont chez eux et qu'effectivement, ils « s'amusent » à insulter d'autres enfants sur les réseaux sociaux. Qu'est-ce que vous pouvez faire là concrètement ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord c'est un sacré défi parce qu'en effet, à partir du moment où le harcèlement peut poursuivre l'enfant même lorsque la porte de l'école est fermée, même dans son lit, même là où il devrait être le plus confortable et sécurisé possible, vous comprenez que ça puisse parfois conduire jusqu'à des suicides malheureusement et ça s'est passé. Donc c'est très grave, il y a besoin encore une fois d'une éducation au numérique des enfants, et là on va renouer avec un sujet qu'a évoqué le président de la République dans sa conférence de presse hier. C'est tellement important de préparer les jeunes générations aux usages du numérique, à la fois pour leur permettre tout simplement de trouver leur place dans le monde de demain, d'exercer des métiers, etc., mais aussi pour se préserver, pour se protéger, pour protéger leurs données personnelles ; et puis pour apprendre à faire d'internet autre chose qu'un déversoir de brutalité, de haine, ce qui l'est trop souvent aujourd'hui notamment à cet âge-là. Donc c'est pour cela, comme je l'ai annoncé la semaine dernière, que les enseignants désormais seront formés à dispenser une éducation aux médias, au décryptage de l'information, aux usages d'internet.
BRUCE TOUSSAINT
Encore un mot sur ce sujet, Nora FRAISSE dont la fille s'est suicidée le 13 février 2013, disait dans Le Parisien cette semaine : les campagnes c'est bien mais il faut des moyens humains, il n'y a pas assez d'infirmières, il n'y a pas assez d'assistantes sociales dans les établissements. Dans ce que vous annoncez aujourd'hui, il n'y a pas plus de personnel justement pour éviter ce genre de drame.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Nous avons de manière générale à l'Education nationale des difficultés à recruter, madame FRAISSE a raison, des personnels médico-scolaires, non pas qu'on n'ouvre pas les postes, soyons clair parce qu'au contraire, depuis 2012 nous avons mis le paquet sur ce sujet, mais parce que ce n'est pas forcément attractif aujourd'hui. Donc nous renforcerons l'attractivité de ces postes de médecins, d'infirmières scolaires, et nous le faisons y compris d'ailleurs avec des mesures indemnitaires qui ont été pensées pour cela ; mais aussi en développant nos liens avec le ministère de la Santé pour accueillir des jeunes internes dans l'Education nationale par exemple. Cest une politique qui va produire ses effets à moyen terme mais c'est vrai qu'aujourd'hui indéniablement, nous en manquons. On ne va pas s'arrêter là et c'est pour ça que je vous disais que nous développons des partenariats avec des structures externes des Maisons des adolescents, des réseaux psys pour pouvoir offrir quand même cet accompagnement psychologique et médicosocial aux familles. Mais honnêtement, je ne suis pas là pour vous dire que tout est parfait, comprenez-moi bien, je vous dis simplement que l'Education nationale pendant longtemps s'était peu préoccupée du sujet harcèlement scolaire, que c'est très récent que nous l'ayons ainsi pris en charge et fait une véritable politique publique, que nous avons avancé un peu sur la question de la prévention, qu'il nous reste beaucoup à faire sur la question de la prise en charge
BRUCE TOUSSAINT
Ça concerne vraiment un élève sur dix, comme on le dit, globalement ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce sont les chiffres, c'est très difficile d'avoir des chiffres
BRUCE TOUSSAINT
Une estimation du ministère selon vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Exacts, mais nos estimations sont bien celles-là oui.
BRUCE TOUSSAINT
Un sur dix ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, et si vous prenez le cyber-harcèlement, malheureusement c'est encore plus important puisque quasiment un élève sur deux a été victime un jour de cyber-harcèlement.
BRUCE TOUSSAINT
Un élève sur deux victimes de cyber-harcèlement. Hier, François HOLLANDE dans sa conférence de presse a déclaré que l'école était la meilleure arme de la reconquête. Il a évoqué un sujet très précis, c'est la maîtrise du français dès la maternelle. J'aimerais vous demander comment ça peut se concrétiser, est-ce qu'on va commencer à apprendre la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire à la maternelle ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, ce que ça signifie concrètement bon d'abord pourquoi le français ? Parce qu'on s'est rendu compte à l'occasion des incidents qui ont émaillé le post-attentat que finalement ce dont souffrent aussi nos jeunes dans ce pays, c'est d'avoir un vocabulaire si faible qu'ils ont beaucoup de mal à mettre des mots sur les choses, à aiguiser leur esprit critique comme on l'attend d'eux, à conduire et à participer à un débat et même à faire la distinction entre des notions qui peuvent paraître à peu près compréhensibles : liberté d'expression, liberté de conscience, etc., et qui ne le sont pas tant que ça pour beaucoup de jeunes. Donc il y va de la maîtrise en effet du français et du langage. Or le langage pour le coup, c'est bien ce que nous avons de plus commun entre nous, et donc ça vaut la peine de mettre le paquet pour en augmenter l'acquisition. Quand on regarde cette acquisition, on se rend compte qu'encore aujourd'hui en fonction que vous veniez d'une famille pauvre ou d'une famille riche vous avez plus ou moins de difficultés à l'acquérir le langage et ça, ça se retrouve dès le plus jeune âge. A 3 ans, 3 ans un enfant aura entendu et pratiqué 3 fois moins de mots s'il est d'une famille pauvre que s'il est d'une famille riche. Et cet écart-là de vocabulaire et d'aisance, il va se creuser, il va se creuser pendant toute la scolarité, y compris l'école primaire, au collège. Et donc ce que dit le président de la République, c'est qu'il faut que l'on renforce nos moyens pour faire acquérir parfaitement le lire et l'écrire et donc que ça, ça commence même avant le CP, à la maternelle. Il se trouve qu'on est en train de réformer le programme de maternelle, on l'a d'ailleurs adopté hier après-midi à l'unanimité, j'en étais ravie. Ça va être un programme qui va mettre beaucoup plus l'accent sur précisément le son, l'écrit pour permettre aux enfants de se préparer dans les meilleures conditions à acquérir ces connaissances. Et puis ensuite en primaire, une évaluation viendra systématiquement en CO2, dans chaque classe, faire le point sur l'état des connaissances des enfants et s'adapter y compris avec les maîtres supplémentaires qu'il faut pour le faire et leur permettre de bien apprendre. Et puis au collège, dans la réforme du collège que nous conduisons, nous renforcerons ce fondamental qu'est le français, voilà. C'est ça que le président voulait dire, je crois que c'est un sujet essentiel, il faut élever le niveau des connaissances.
BRUCE TOUSSAINT
Merci Najat VALLAUD-BELKACEM, merci d'avoir choisi ITELE pour détailler
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci.
BRUCE TOUSSAINT
On a parlé longuement de cette lutte contre le harcèlement à l'école que vous allez d'ailleurs vous allez consacrer votre journée, une partie de votre journée à ce sujet, à ce fléau puisque vous serez en visite dans une école, un lycée plus précisément du 17ème arrondissement de Paris dans quelques minutes. Merci beaucoup, bonne journée à vous.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2015