Interview de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion à LCI le 11 février 2015, sur l'accessibilité et l'accueil des handicapés dans les bâtiments publics.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


HELENE LECOMTE
Bonjour Ségolène NEUVILLE. Vous êtes secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Nous parlons ce matin de la loi handicap. En 2005, un autre gouvernement que le vôtre se donnait dix ans pour rendre un maximum de sites accessibles entre autres aux personnes handicapées et favoriser aussi leur intégration dans tous les domaines de la société. Dix ans plus tard, c'est aujourd'hui. D'abord, quel est votre bilan ? Points positifs, points noirs ?
SEGOLENE NEUVILLE
La loi de 2005 était vraiment une belle loi. Déjà, elle a redéfini le handicap et ça, c'était essentiel ; vous venez de le dire. En réalité, c'est la première fois qu'en France on reconnaissait que l'environnement avait un rôle sur le handicap. C'est-à-dire que si l'environnement est favorable, ça peut aggraver ou au contraire diminuer un handicap. Ça a vraiment tout changé. En découle évidemment l'obligation d'accessibilité universelle et puis en a découlé aussi la mise en place de la prestation de compensation du handicap, pour compenser en fait les déficiences des personnes et pour permettre qu'elles puissent mener une vie normale. C'était ça, l'objectif de la loi de 2005. Les objectifs étaient donc très ambitieux et ça, c'est les points positifs. Les points négatifs, c'est que tout n'a pas été fait et que, quel que soit le domaine où on regarde, que ce soit le domaine de l'accessibilité globale, que ce soit le domaine de l'emploi, que ce soit le domaine de l'école, on voit bien qu'il y a encore énormément de travail à faire.
NICOLAS HERBEAUX
On va regarder tous ces domaines dans le détail. Si on écoute ceux qui sont directement concernés, dans ce sondage Ifop publié hier, ils sont une majorité à dire que les progrès ne sont pas visibles, que la France a raté son rendez-vous avec l'accessibilité.
SEGOLENE NEUVILLE
Si on parle de l'accessibilité physique, de l'accessibilité des bâtiments, on estime qu'il n'y a qu'environ un tiers des établissements qui reçoivent du public. Ça va des bâtiments publics au petit commerce à côté de chez vous ou au grand supermarché. Dans ces établissements recevant du public, il n'y en a à peu près qu'un tiers qui actuellement sont aux normes d'accessibilité. C'est la raison pour laquelle depuis 2012, il y a eu un travail qui a été engagé à la fois avec les parlementaires et toutes les personnes concernées – les fédérations de professionnels, les associations de personnes handicapées et aussi les élus locaux – pour mettre en place un nouveau système. Ce nouveau système est en place maintenant, c'est un nom un peu technique : c'est les agendas d'accessibilité programmés. C'est quoi en fait ? C'est un document de programmation des travaux. Ça veut dire que d'ici septembre 2015, tous les gestionnaires d'établissement recevant du public vont devoir rendre en préfecture ou en mairie un document très simple mais qui permet de s'engager à programmer des travaux dans une période. Pour l'essentiel des établissements, ce sera maximum trois ans.
HELENE LECOMTE
On a choisi un exemple parce que pour nous, évidemment, monter dans un bus, accompagner son enfant à l'école, ce sont des gestes très anodins. Il y a quelques mois, nous avions reçu le vice-président de l'association des paralysées de France. On lui avait donné rendez-vous dans la salle des pas perdus du palais de justice de Paris, bâtiment public qui reçoit énormément de public, a priori accessible. Vous allez voir que ça n'a pas été si facile pour lui de nous retrouver.
- Extrait d'un reportage :
JACQUES ZEITOUN, VICE-PRESIDENT DE L'ASSOCIATION DES PARALYSES DE FRANCE
Je suis arrivé au palais de justice qui est censé être accessible. J'ai dû emprunter un chemin pavé, avec des pavés disjoints, donc compliqué, pour atteindre sans signalétique aucune l'ascenseur que, évidemment, je ne pouvais pas emprunter puisqu'il était fermé à clef. Il a fallu faire appel à une personne qui a mis dix minutes pour arriver pour enfin que je parvienne jusqu'à vous.
HELENE LECOMTE
Donc ce que nous faisons en quelques minutes…
JACQUES ZEITOUN
J'ai mis vingt minutes pour le faire.
NICOLAS HERBEAUX
C'est vrai qu'on est un peu surpris quand on entend ce témoignage.
SEGOLENE NEUVILLE
C'est effectivement le quotidien des personnes qui ont un handicap. Hier, j'étais à une émission de radio avec une personne qui était en fauteuil et c'était la même chose. Elle avait eu des difficultés pour se rendre jusqu'à l'émission.
NICOLAS HERBEAUX
Le problème, c'est quoi ? C'est le coût de ces aménagements ?
SEGOLENE NEUVILLE
Il y a à la fois le coût et le problème de cette loi de 2005, c'est qu'elle avait dit : « Au 1er janvier 2015, il faudra que tout soit accessible ».
HELENE LECOMTE
C'était l'échéance initiale.
SEGOLENE NEUVILLE
Voilà, mais il n'y avait pas eu de suivi programmé, de contrôle, ni quoi que ce soit. En réalité, il y a ceux qui l'ont fait et il y a tous les autres qui finalement se sont dit : « Qu'est-ce qui va se passer ? Peut-être que ce sera supprimé » et des tas de gens ne l'ont pas fait. Le problème essentiel aussi est que les normes étaient beaucoup trop compliquées. Quand on essaye de faire quelque chose de complètement parfait, finalement parfois on ne fait rien. Notre travail a consisté à mettre en place ce système de programmation des travaux et aussi beaucoup de simplifier un certain nombre de normes pour que justement ce soit faisable en fait. Je préfère que les bâtiments soient accessibles et que tout ne soit pas parfait, mais qu'au moins les gens puissent se déplacer plutôt que tout soit parfait.
NICOLAS HERBEAUX
Vous nous dites justement que certains se disaient que dans dix ans, certainement que la loi sera supprimée ou sera mise de côté. Aujourd'hui, vous nous dites que le gouvernement ne lâchera pas sur ces questions-là.
SEGOLENE NEUVILLE
Bien entendu que non. Je peux déjà vous dire que les textes sont sortis puisque le projet de loi d'habilitation avait été voté en juin dernier par le Parlement. L'ordonnance est sortie en septembre, donc le texte pour l'instant existe. Simplement, il faut qu'il soit ratifié par le Parlement et il sera ratifié d'ici l'été. Tous les propriétaires d'établissement peuvent déjà télécharger sur le site Accessibilite.gouv le formulaire à remplir et ensuite aller le déposer en préfecture.
HELENE LECOMTE
L'agenda, c'est une chose. Il y avait cette échéance de janvier 2015, elle n'a pas pu être tenue ; il y aura ces agendas d'accessibilité. Ce que disent aussi les personnes handicapées, c'est : « On nous demande tout le temps d'attendre, d'attendre encore, d'attendre dix ans, quinze ans, vingt ans ». Là, les agendas c'est septembre 2015 mais ça ne veut pas dire qu'en septembre 2015, tout sera mis aux normes. Les échéances, ce sont lesquelles pratiques, sur le terrain ?
SEGOLENE NEUVILLE
Ça veut dire qu'en septembre 2015 tout de même, tout le monde aura pensé et programmé ces travaux, ce qui n'était pas le cas au moment de la loi 2005 en fait, et c'est ça qui manquait. En 2005, les gens n'ont rien fait tout de suite. S'il y avait eu un agenda en 2005, ils se seraient engagés dans des programmations de travaux. Ensuite, pour l'immense majorité des établissements, pour 80 % d'entre eux les établissements de type 5 qui reçoivent moins de deux cents personnes, la période maximale est de trois ans. Maximale, ça veut dire que ça peut être un an, ça peut être deux ans, ça peut être trois ans. Par exemple, quelqu'un qui a juste une rampe à mettre en place, il n'a pas à avoir trois ans pour mettre en place sa rampe, ce d'autant qu'en simplifiant les normes, la rampe en dur n'est plus obligatoire. Ça veut dire que s'il y a la possibilité de mettre une rampe amovible, c'est possible.
HELENE LECOMTE
Ce sera donc plus facile. On a parlé de l'accessibilité, parlons également de la scolarisation. Ça faisait partie aussi des objectifs. Est-ce que les résultats sont à vos yeux aujourd'hui satisfaisants ?
SEGOLENE NEUVILLE
Les résultats ne sont quand même pas mal. Le nombre d'enfants scolarisés à l'éducation nationale a doublé depuis 2006. Il y a maintenant 250 000 enfants scolarisés à l'éducation nationale. Ça ne me suffit pas. Je crois qu'il faut faire beaucoup plus. Avec la ministre de l'Education nationale, nous travaillons beaucoup sur ce sujet. Actuellement, il y a beaucoup d'enfants qui sont scolarisés en institut spécialisé c'est-à-dire qu'ils ne sont pas à l'éducation nationale mais ils sont dans des établissements qu'on appelle médico-sociaux pour personnes handicapées. Ce que je souhaite, c'est que les classes d'enfants qui sont en établissements médico-sociaux soient tout simplement transférées à l'éducation nationale avec le personnel médico-social adapté.
NICOLAS HERBEAUX
Justement, cela a un coût, cet accompagnement. 70 000 personnes qui accompagnent les enfants et les élèves handicapés à l'éducation nationale, ça coûte évidemment cher. Elles sont d'ailleurs toutes embauchées par l'éducation nationale ? Comment ça fonctionne ?
SEGOLENE NEUVILLE
Il y a plusieurs choses. Il y a d'une part les auxiliaires de vie scolaire. Effectivement, le gouvernement a souhaité d'une part en augmenter le nombre et surtout les déprécariser. Jusqu'à présent, c'étaient des personnes qui étaient en contrat aidé avec des contrats précaires. Depuis, il y en a eu plus de quatre mille qui ont été en CDI à la rentrée 2014 et ce sera la même chose en 2015. A terme, il y en aura presque trente mille qui seront en CDI au lieu d'être en contrat précaire. Et puis, il y a ce que je viens de vous dire. En fait, les personnels existent déjà ; ce sont des travailleurs sociaux qui s'occupent des enfants dans les instituts médico-sociaux. Ces personnels-là peuvent très bien venir travailler au sein de l'école avec les enseignants. Il y a un certain nombre de classes pour lesquelles ça existe déjà. Là, on veut accélérer le processus et en quelque sorte mélanger institut médico-éducatif et éducation nationale. Le but, c'est qu'en fait les enfants handicapés plutôt que d'être tous ensemble dans un établissement pour personnes handicapées soient mélangés aux autres enfants. 1°) Pour eux, c'est bon parce que ça les fait progresser plus vite dans le domaine scolaire. 2°) Ça fait changer la société. Pourquoi ? Parce que les enfants dès qu'ils sont petits, ils sont mélangés. Le vrai problème actuellement, c'est que quand on est tout petit à la maternelle ou à l'école élémentaire, on ne voit pas d'enfants handicapés parce qu'ils sont dans un autre système. Il faut mélanger dès le plus jeune âge et je crois que les enfants d'aujourd'hui, s'ils sont mélangés aujourd'hui, il y aura beaucoup moins de discrimination demain parce que leur regard aura changé.
NICOLAS HERBEAUX
Merci beaucoup Ségolène NEUVILLE, secrétaire d'Etat en charge des personnes handicapées et de l'exclusion, d'être venue ce matin nous parler de ce bilan de la loi handicap.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2015