Interview de M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale à Radio Classique le 17 mai 2013, sur la situation politique et sociale au bout d'un an de présidence de François Hollande.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Vincent PEILLON, commençons non pas par les questions qui fâchent mais par les interrogations, est-ce que le fait de… si je puis dire de vendre l’an 2 signifie que l’an 1, ce n’était pas terrible ?
VINCENT PEILLON
Non, je ne crois pas du tout, il y avait une demande et on voit la pression maintenant dans un temps politique qui devrait toujours être court. Mais l’an 1 a été une année très pleine, avec un nombre d’actions incroyable, peut-être même trop parce que je constate très souvent que nos concitoyens – et même les commentateurs – ne connaissent pas le détail de ce qui a été fait, tant sur le plan économique que sur d’autres plans, je pense par exemple à l’école. Donc des fondations ont été posées dans un moment – chacun le dit, ça a été rappelé hier – qui est quand même très difficile, avec un passif…
GUILLAUME DURAND
Oui, c’est la récession, c’est pour ça que la droite demande la baisse des charges immédiate et considère que tout ça, c'est une perte de temps, qu’on attend le retournement de la situation du chômage, mais que dans ce cadre de récession, il faudrait d’abord et avant tout baisser les charges et vite.
VINCENT PEILLON
En fait si vous voulez, c’est toute la difficulté française : est-ce que nous voulons maintenant que la politique – et donc l’action publique – redevienne quelque chose de sérieux ? Vous me dites « il faut baisser les charges »….
GUILLAUME DURAND
Non, je dis « la droite dit que »…
VINCENT PEILLON
Oui, j’ai bien compris, j’ai bien compris, la droite dit que, je ne dis pas Guillaume DURAND, mais nous venons de le faire, c’est le crédit impôt compétitivité, ça ne s’est jamais fait. N’importe quel commentateur sérieux – et la droite devrait le reconnaître puisqu’elle le demandait elle-même, mais elle n’a pas eu le courage de le faire – c’est 20 milliards. Vous imaginez d’ailleurs, puisque je voyais Guillaume TABARD évoquer la question de la social-démocratie, la gauche arrive aux responsabilités et ce n’était quand même pas sa politique traditionnelle, elle fait ce crédit impôt compétitivité suite au rapport Gallois. Donc on parlait des grandes réformes de l’année, ça, ce sont des très grandes réformes de structure, comme la Banque publique d’investissement, comme les réformes que je peux conduire sur le plan scolaire, comme la réforme du marché du travail. Ce sont des réformes de structure et il faut accepter l’idée… d’abord j’accepte tout à fait l’idée que nous ne soyons pas nécessairement parfaits, mais accepter l’idée que des réformes et les effets des réformes, ça prend un certain temps. Parce qu’à force d’avoir voulu toujours agir dans l’instant, on a perdu 10 ans avec la droite.
GUILLAUME DURAND
Mais Perrine va enchaîner mais il y a deux grandes interrogations qui se posent, quand on voit comme ça tranquillement hier les journalistes, évidemment tous ceux qui ont regardé la télévision. Première question, est-ce que c’est une sorte de SCHRODER planqué, c'est-à-dire qu’il ne dirait pas à son aile gauche qu’il veut renverser la table à un moment ou à un autre, peut-être dans l’an 2 ; et deuxième question, est-ce qu’il n’est pas un peu suicidaire de tout miser sur le retournement du chômage alors que tous les économistes disent qu’il y a quand même peu de chance que ça intervienne.
VINCENT PEILLON
Je crois d’abord que pour comprendre, que ce soit un ouvrage…
GUILLAUME DURAND
C’est un mystère pour les gens, François HOLLANDE.
VINCENT PEILLON
Un ouvrage, un homme ou une politique, ça ne se comprend pas toujours dans la comparaison avec les autres, il faut saisir la singularité. La France, j’entendais social-démocrate, mais non ! La social-démocratie c’est nordique, c’est allemand, ça vient d’une histoire très particulière. Nous, nous sommes des socialistes républicain, c’est une belle histoire, on peut aussi la porter, ce n’est pas le marxisme, c’est une… donc je vois toujours… pour se comprendre, il faudrait en réalité s’incliner devant les autres et être comme les autres. Deuxièmement sur la question que vous posez, je crois que le président de la République et ceux qui l’entourent, le Premier ministre au premier chef, sont d’une génération qui considère que la France a besoin de vraies réformes de structure, elles sont en cours. Quand même, qu’est-ce qui était annoncé hier ? La réforme de la formation professionnelle, les Allocations familiales, la réforme des retraites après avoir fait pour la première fois la réforme du marché du travail, la réforme du financement des entreprises, la réforme de notre système scolaire en profondeur, on voit les résistances. Donc ce qui est intéressant, parce qu’il faut sortir la France de la difficulté dans laquelle elle est, elle l’est depuis longtemps, c’est de s’attaquer à ces réformes de structure et de fond, d’en avoir à la fois le courage et la sérénité, parce qu’il est évident qu’on ne peut le faire que si on met un peu de raison dans la vie publique et un peu de temps long.
GUILLAUME DURAND
Perrine TARNEAUD, on revient sur tous ces aspects.
PERRINE TARNEAUD
Oui, François HOLLANDE aussi très offensif hier sur l’Europe, pour la première fois la France répond favorablement à une intégration politique plus poussée, comme l’Allemagne le souhaite. Est-ce que c’est un pas selon vous vers le fédéralisme européen, vers plus de fédéralisme ?
VINCENT PEILLON
La question du fédéralisme, elle est tout à fait posée depuis longtemps puisque nous avons des politiques communes. Lorsque nous disons – et ça a été un des enjeux de l’année dernière que vous avez posés – il faut sauver la Grèce, il faut sauver l’euro, nous voyons bien que nous avons besoin de politique commune, et que c’est souvent quand ces politiques communes sont insuffisantes que nous n’y arrivons pas. Donc il faut…
PERRINE TARNEAUD
Donc il faut une union politique renforcée ?
VINCENT PEILLON
Et économique car vous voyez bien que nous avons cette Banque centrale et nous manquons de cohésion, par exemple politique fiscale ou politique budgétaire ou politique du crédit. J’étais hier en Europe et je suis revenu plus vite à cause de ce fait divers dramatique qui s’est passé dans une école…
GUILLAUME DURAND
On va en parler tout à l’heure.
VINCENT PEILLON
Du 7ème arrondissement, donc j’étais dans un Conseil européen. Sur les questions par exemple de jeunesse, et le président a demandé qu’il y ait une accélération sur les 6 milliards d’euros prévus pour la formation professionnelle des jeunes, car, je vous le rappelle quand même : nous sommes une France et une Europe qui maltraite sa jeunesse, 25 % de chômage. Eh bien ! Nous voyons que nous manquons – et je l’ai vu encore cruellement hier à Bruxelles – d’un défaut d’intégration des politiques éducatives européennes, il n’y a pas d’Europe de l’éducation. On a un manuel franco-allemand, mais dans les pays d’Europe, la jeunesse n’apprend même pas de la même façon l’idée européenne…
PERRINE TARNEAUD
C’est pour ça que vouloir…
VINCENT PEILLON
Comment faire ensemble une nation européenne ou une Europe intégrée. Donc il faut aller plus loin…
PERRINE TARNEAUD
Est-ce que ce n’est pas un voeu pieu à ce moment-là de vouloir par exemple l’harmonisation fiscale, quand on voit qu’on n’arrive même pas à se mettre d’accord sur des politiques d’éducation commune ?
VINCENT PEILLON
Non, non, l’éducation est sans doute un des domaines – pour des questions de souveraineté – dans lesquels ce sera le plus long et le plus difficile. Nous avons plus avancé sur les questions économiques que sur les questions bien entendu de culture ou d’éducation. Mais il faut absolument l’harmonisation fiscale, et nous avons des moyens de le faire. Et la proposition faite par François HOLLANDE de cette initiative sur 2 ans, avec quand même – ça n’a pas été noté – quatre points, un point sur la jeunesse, un point sur l’énergie et puis ces points directement sur la gouvernance économique. Nous en avons besoin, on vient de traverser une période où on vient de voir qu’on en avait besoin.
GUILLAUME DURAND
Revenons sur le pari qu’on évoquait avec Perrine, pourquoi maintient-il ce pari sur le chômage qui est extraordinairement risqué ? Parce que si à la fin de 2013 il n’y a pas de retournement, il n’aura plus aucun argument pour venir dans une conférence de presse expliquer la validité de sa politique.
VINCENT PEILLON
Parce que ça n’est pas un pari, si c’était un pari vous auriez raison et vous imaginez que nous allions jouer l’avenir de la France…
GUILLAUME DURAND
Mais sur quoi ça repose, tous les économistes disent que ça ne va pas marcher.
VINCENT PEILLON
Ça repose sur la responsabilité politique qui est précisément… d’abord de prendre des décisions…
GUILLAUME DURAND
Donc ça d’accord.
VINCENT PEILLON
Non mais d’entraîner les uns et les autres. Vous voyez bien – et d’ailleurs c‘est la question des anticipations – que nous avons besoin sur les contrats de génération, sur le marché du travail, sur les emplois d’avenir, sur les contrats aidés de mobiliser les uns et les autres, car parfois même nous avons des éléments qui sont présents, c'est-à-dire que nous avons budgété 100.000 emplois d’avenir, nous avons budgété…
GUILLAUME DURAND
Donc c’est une question de confiance, d’ambiance ?
VINCENT PEILLON
C’est une question de… quand on est, et c’est ce qu’il a fait, à l’offensive, qu’on est le chef, on entraîne les uns et les autres, il faut que la France se redresse et mette donc de l’énergie.
GUILLAUME DURAND
Avant que Perrine ne parle de…
VINCENT PEILLON
Et nous devons réussir cela.
GUILLAUME DURAND
De l’école de La Rochefoucauld, parce que c’est très important, il reste une dernière question fondamentale, c’est le remaniement. Est-ce que vous vous dites ce matin, vous et d’autres, ouf, vous, MONTEBOURG et un certain nombre de ministres qui peut-être étaient un peu ciblés pour quelques couacs ?
VINCENT PEILLON
Non, mais vous savez pas du tout, d’abord si vous m’aviez interrogé il y a une semaine, 15 jours ou 3 semaines, je vous aurai dit ce qu’il vous a dit hier, ça n’est pas d’actualité. Je ne conseille pas de le faire, je conseille la persévérance. Il y a des moments politiques, vous allez les avoir les moments politiques, il va y avoir des municipales, il va y avoir des régionales…
GUILLAUME DURAND
Donc c’est pour quand, c’est pour après les municipales ou c’est pour juste avant les municipales ?
VINCENT PEILLON
C’est une prérogative du chef de l’Etat. Moi…
GUILLAUME DURAND
Mais votre souhait ?
VINCENT PEILLON
Moi je peux vous parler comme responsable du gouvernement, je considère qu’il faut donner du temps à l’action publique, et que de se soumettre toujours les seconds souffles, les remaniements, les petites phrases, c’est ce qui a fait du mal à la France toutes ces dernières années. Et si je suis d’une certaine façon reconnaissant et intéressé à travailler avec François HOLLANDE et Jean-Marc AYRAULT, c’est précisément parce qu’ils mettent de la rationalité, de la sérénité, de la simplicité aussi dans l’action publique. Nous en avons besoin.
GUILLAUME DURAND
Perrine TARNEAUD donc sur l’affaire dramatique de cette école.
PERRINE TARNEAUD
Exactement. Après le suicide de cet homme dans la cour de cette école du 7ème arrondissement à Paris, est-ce que vous allez renforcer la sécurité autour de l’accès aux établissements scolaires ?
VINCENT PEILLON
Mais cette question, je suis désolé – et d’ailleurs vous avez vu, j’ai attiré l’attention hier des médias, je vais vous en dire un mot – ne se pose pas, aucun spécialiste ne l’a posée. Vous avez eu ou vous avez des enfants qui vont à l’école maternelle, c’est une demande des parents de pouvoir les accompagner dans l’école, cela est contrôlé, il faut donner son nom, si c’est quelqu’un de la famille ou… tout a été respecté hier, et d’ailleurs aucun enfant n’a été atteint parce que les personnels ont – au-delà de l’école maternelle – arrêté ce personnage qui était pourtant armé, c’est deux femmes courageuses. J’ai écouté un représentant policier qui nous disait aujourd’hui : mais alors demain, ça va être dans une mercerie, demain… vous voulez qu’il y ait des policiers partout ? Si vous regardez sérieusement ce qui se fait parfois à l’étranger, je pense aux portiques américains, d’abord des portiques là n’auraient rien empêché puisqu’il a forcé le passage, donc il serait de toute manière passé. Mais les Américains eux-mêmes reviennent sur les portiques, car toutes les analyses montrent d’abord que c’est impossible, c’est des heures pour rentrer en classe, mais deuxièmement, que ça suscite encore plus de violence. Donc nous avons pris des mesures contre la violence à l’école très fortes, nous avons créé un nouveau métier il y a un an, ce sont les auxiliaires de prévention et de sécurité, nous créons des licences professionnelles. J’ai, pour la première fois dans l’Education nationale, crée une délégation avec une vingtaine de personnes chargées de ces questions, qui sera dans la formation de tous les enseignants. Donc ces questions sont très importantes…
GUILLAUME DURAND
Qu’est-ce qu’ils font les profs ce matin avec les élèves qui ont été traumatisés, en voyant justement cet homme se suicider, concrètement qu’est-ce que vous leur demandez de faire ?
VINCENT PEILLON
C’est là que je trouve qu’il y a un manque de respect…
GUILLAUME DURAND
Et on termine.
VINCENT PEILLON
Considérable sur ces questions. Hier j’ai vu ce qui est à l’honneur de notre pays, ce sont les gens qui sont sur le terrain et qui travaillent. Le docteur PELLOUX avec toute l’équipe du Samu, le Recteur avec nos cellules de crise, c'est-à-dire des psychologues, des infirmières qui sont formés à ce que nous appelons « la gestion de crise », et je vais former tous les enseignants et tous les directeurs d’école à partir de septembre à cela. Et donc tout le monde était réuni, la cellule est en place, les enfants sont accompagnés, les parents peuvent trouver secours. Aujourd’hui ne sont accueillis que les enfants qui ne peuvent pas rester chez eux, car les autres le souhaitaient, et nous allons dans la durée les accompagner, car souvent vous savez les traumatismes… il y a une dizaine d’enfants qui ont assisté à la scène…
GUILLAUME DURAND
Et on en termine.
VINCENT PEILLON
Et le personnel, imaginez cette dame qui a arrêté ce monsieur et puis après… ces gens-là doivent être accompagnés dans la durée. Il y a la gestion immédiate mais nous savons qu’il y a des retours sur les traumatismes, tout ça est bien fait. Et je remercie, je dois vous le dire aussi, les élus parce qu’hier il y avait une très grande décence, François FILLON est passé, Rachida DATI, Bertrand DELANOE, Anne HIDALGO. Et tout le monde a compris qu’on n’était pas là pour se mettre en avant mais pour aider ces personnels et ces familles et ces enfants. Par contre je dis un mot…
GUILLAUME DURAND
On termine…
VINCENT PEILLON
Alors on termine là-dessus, mais c’est la première fois je crois que les médias ont utilisé les enfants, je vais le vérifier, dans tous les journaux télévisés avec des visages non-floutés. Et ça, je pense que c’est un problème majeur, d’ailleurs quand on connaît les questions de sécurité, c’est mon cas, on sait que la mise en scène comme ça n’est pas bonne pour la suite. Et donc je demande qu’il y ait de la décence, de la pudeur et je vais voir si avec le CONSEIL SUPERIEUR DE L’AUDIOVISUEL, nous pouvons édicter des règles sur ces questions-là.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2013