Entretien de M. Laurent Fabius,ministre des affaires étrangères et du développement international, avec BFMTV le 24 août 2015, sur l'Union européenne face à la question migratoire, la crise boursière en Chine et sur la lutte contre le dérèglement climatique.

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Texte intégral

- Union européenne - Questions migratoires
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Q - Et les accords de Schengen, est-ce qu'ils facilitent ces migrations très importantes, ce phénomène des migrants qui devient aujourd'hui une grande question, un grand dossier ? Et est-ce que c'est aussi là-dessus qu'il faut travailler pour répondre à ces phénomènes de migration ?
R - Ce sont deux questions différentes.
D'abord le principe de Schengen, c'est que le contrôle est fait à l'extérieur de la zone Schengen. Il faut que le contrôle soit efficace, il ne faut pas que ce soit des frontières passoires. Et puis ce qui doit être ajouté, c'est que ce n'est pas parce que les gens ont pénétré à l'intérieur de l'espace Schengen qu'ils sont libres de commettre tous les forfaits et on comprend bien de quoi il s'agit.
Maintenant, il y a le problème plus général des flux migratoires. Hier dans Le Journal du Dimanche, j'ai dit qu'il faut à la fois faire preuve de solidarité et de fermeté. Solidarité car, par exemple, il y a des gens qui ont le droit d'asile, celui-ci est un droit qu'il faut leur accorder et chacun doit prendre sa part de l'asile. Je crois que François Hollande et Angela Merkel ont dit qu'il faudrait que tout cela soit plus effectif. Dans le même temps, il faut faire preuve de fermeté car il n'est pas possible que toute une série de migrants économiques, quoi qu'on en pense, puissent venir dans notre pays s'ils n'ont pas d'autorisation. Et il faut prévoir leur retour.
Il faut faire preuve aussi de solidarité vis-à-vis des pays source. Par exemple, pour ceux qui viennent d'Afrique, il faut aider au développement de l'Afrique, ce sont des choses bien connues mais qu'il faut appliquer. Mais en même temps, il faut être très ferme contre le trafic des passeurs. Donc, c'est cette alliance, cet alliage rapide, très rapide parce qu'il ne s'agit pas de faire des phrases, entre d'un côté une politique de solidarité et une politique de vraie fermeté, que la France et l'Allemagne notamment désirent.
Q - Cette fermeté, ce retour dans les pays d'origine, comment est-ce que cela peut s'organiser ?
R - Cela doit s'organiser de la façon suivante. Il faut, d'une part que les règles définies soient extrêmement strictes, parce que si des gens viennent et qu'ils savent qu'ils n'auront pas l'autorisation d'entrer, ils vont cesser de venir. D'autre part, il faut que les personnes qui n'ont pas obtenu les autorisations nécessaires retournent chez elles. Vous vous rappelez peut-être la phrase de Michel Rocard, il y a quelques années, qui avait dit, je crois, «chacun doit prendre sa part mais on ne peut pas accueillir toute la misère du monde», c'est absolument vrai...
Q - Il l'avait dit dans l'autre sens. C'est-à-dire on ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais chacun doit prendre sa part.
R - Oui, c'est ce que je veux dire bien sûr. Mais il y a cette idée qu'il ne peut pas y avoir de frontière ouverte à toutes les migrations économiques. Et que ceux qui n'ont pas de titre pour être là ne peuvent pas rester là. Je pense qu'il faut être net et clair dans son propos. (...).
- Chine - Crises boursières
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Q - La politique plus générale et l'économie, avant d'évoquer la COP21, c'est cette panique sur les places boursières européennes et asiatiques bien sûr. Est-ce que ce soir, vous êtes inquiet et vous vous dites finalement : cette crise, elle peut menacer les espoirs de croissance en Europe et en France précisément ?
R - D'abord un mot sur le système de la bourse en Chine. C'est un système différent du nôtre parce qu'il faut savoir - et ça n'est pas dit suffisamment souvent - que dans les pays occidentaux la bourse finance le développement économique, tandis qu'en Chine les entreprises sont financées essentiellement par les banques, ainsi la bourse a plutôt un caractère spéculatif.
La bourse avait en Chine beaucoup monté dans le passé et là, elle a subi une série de chutes spectaculaires. Je ne crois pas donc que ce soit très révélateur sur l'économie chinoise.
En revanche, là où vous avez raison, c'est que ce qui est impressionnant, c'est de voir l'effet de contagion que cela a eu sur d'autres bourses qui se disent : mais, au fond, est-ce que les chiffres de la croissance chinoise reflètent la réalité ? C'est plutôt ce défaut de confiance qui apparaît à travers ces chiffres. Et c'est cet élément-là qui est davantage préoccupant, compte tenu bien sûr de l'importance qu'a l'économie chinoise pour l'ensemble de l'économie du monde, puisque maintenant l'économie chinoise est devenue la première ou la deuxième économie du monde.
Q - Est-ce que cela nous menace à court terme ?
R - Je pense que tout le monde est concerné, que ce soit les États-Unis d'Amérique - vous avez vu les évolutions là-bas -, que ce soit l'Europe, que ce soit bien sûr la Chine elle-même, le continent asiatique. On est dans une société - vous le savez et j'enfonce une porte ouverte en disant cela - où tous les événements, qu'ils soient positifs ou négatifs sont des événements transnationaux. Et quand une bonne nouvelle existe, elle a des conséquences positives sur les autres continents ; et quand il y a une menace, un risque, une inquiétude, cela a aussi des conséquences sur les autres continents et personne ne peut être à l'abri. Mais il faut éviter aussi les emballements. (...).
- Dérèglement climatique - COP21
Q - Est-ce que vous restez optimiste, est-ce que vous êtes optimiste sur la COP21 parce qu'il doit y avoir un consensus... ?
R - Oui.
Q - Un consensus est-il difficile à atteindre sur le climat ?
R - C'est très difficile parce que d'abord la matière elle-même est très difficile. Je rappelle qu'il s'agit de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour que la température ne progresse pas de plus de 2 degrés. Alors qu'aujourd'hui, les scientifiques disent que si on laisse faire les choses, cela va augmenter de 3 degrés, 4 degrés, voire 5 degrés. Et ce n'est pas une discussion théorique. À partir du moment où vous auriez des augmentations de température de cette sorte, cela veut dire que la terre va devenir invivable. Quand vous parliez des migrations, cela veut aussi dire qu'en raison du manque de nourriture suite aux inondations, vous auriez -j'emploie le conditionnel - des migrations de centaines de millions de personnes en plus, avec des conséquences sur la guerre et sur la paix.
Donc la COP21, la Conférence de Paris, est un enjeu absolument majeur. C'est très difficile à obtenir le consensus. Parce que, d'une part, pour modifier l'utilisation de l'économie carbonée, c'est une nouvelle économie. Et c'est très difficile parce qu'il faut que moi qui vais la présider, à la fin de la conférence tout le monde se rassemble autour du texte que nous aurons adopté puisque c'est une conférence des Nations unies et que le principe, c'est qu'il faut qu'il y ait un accord universel, et nous sommes 196 parties.
Quand vous ajoutez à la fois la difficulté du sujet et la difficulté d'avoir l'accord universel, vous pourriez vous dire : alors c'est impossible. Non, cela n'est pas impossible. Moi je suis plein d'espoir, d'abord parce que maintenant les gens se rendent compte que le dérèglement climatique cela existe, parce que les scientifiques ont fait un travail énorme pour faire que tous ceux qui étaient sceptiques ne le soient plus, parce que - on parlait de la Chine et c'est vrai des États-Unis et d'autres pays - se sont engagés maintenant à aller dans le bon sens ; et puis parce que je sens qu'autour de nous il y a la volonté d'avancer. Donc c'est très difficile mais on ne peut pas échouer.
Q - Merci beaucoup Laurent Fabius, merci d'avoir été en direct ce soir avec nous...
R - Merci à vous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 août 2015