Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le premier bilan de la création du premier marché européen transfrontalier Euronext regroupant les bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam, Paris, le 14 juin 2001.

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Circonstance : Ouverture de la Convention européenne des marchés financiers, Congrès de la fédération des bourses de valeurs, à Paris le 14 juin 2001

Texte intégral

OUVERTURE DE LA CONVENTION EUROPÉENNE
DES MARCHÉS FINANCIERS
CONGRÈS DE LA FÉDÉRATION EUROPÉENNE DES BOURSES DE VALEURS
Intervention de M. Laurent Fabius,
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
PARIS - 14 JUIN 2001
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'inaugurer le congrès de la fédération européenne des bourses de valeurs. Chaque année, votre convention est l'occasion de faire le point sur les évolutions de l'industrie boursière. Cette année, elle se tient à Paris, d'où est partie il y a 15 mois l'initiative de création du premier marché européen transfrontalier : Euronext. Je voudrais aujourd'hui consacrer mon propos à en tirer devant vous les premiers enseignements.
1/ Euronext est d'abord le succès d'une certaine conception de l'Europe des services financiers.
Chacun le sait : le secteur financier connaîtra dans les prochaines années la révolution de l'espace. Avec la fin des risques de change, à l'intérieur en tous cas de la zone euro, l'intégration croissante des marchés financiers et la nécessaire convergence des fiscalités, l'Europe deviendra l'espace pertinent -et non chaque pays-. Le développement des services financiers à distance remettra en cause certains éléments de la banque de détail, les stratégies de localisations à coûts fixes élevés ou la hiérarchie des places financières. Europe et liens à distance : c'est dans cette espace qu'il faudra agir. Chacun, client, investisseur ou assuré exprimera des besoins nouveaux.
Besoin de sécurité. La multiplicité des partenaires potentiels remettra en cause certains aspects du lien de confiance, fondé sur la connaissance ou la réputation, inscrit au cur des relations financières. Des règles plus strictes devront être appliquées dans un secteur financier encore peu familier du droit de la consommation. C'est l'objectif du projet de directive européenne des services financiers à distance. Pour les marchés financiers, ce besoin de sécurité sera d'autant plus fort que les différents droits boursiers nationaux n'auront pas encore suffisamment convergé au niveau européen.
Un besoin de proximité aussi. Face à la concurrence croissante, la tendance sera sans doute à la différenciation des clientèles et à la recherche du " sur-mesure ", afin de maintenir un contact personnalisé et de confiance.
Il existe plusieurs modèles d'entreprise transfrontalière de marché. Le modèle unipolaire, où une seule place financière concentrerait toute l'activité d'un marché européen. Ce modèle peut se concrétiser par des accords entre places financières visant à se répartir des marchés pertinents et à se spécialiser. Il y a aussi le modèle multipolaire développé par Euronext. Chaque place garde son identité mais, en même temps, l'accès à un marché permet de pénétrer tous les autres. C'est selon nous le modèle le mieux capable de concilier les besoins de sécurité et de proximité que j'évoquais à l'instant. Chaque place financière reste ancrée dans une réalité nationale, tout en ayant accès au dynamisme de l'ensemble du marché européen. Nous faisons le choix d'une coopération compétitive entre places plutôt que celui d'une concentration massive.
2/ Euronext est aussi un aiguillon pour la réforme de nos régulateurs financiers. Il nous faut simplifier nos structures nationales pour les faire mieux coopérer au niveau européen.
ll existe en effet différents modèles de régulation en Europe. Nos amis allemands ont fait connaître leur intention de regrouper sous une même autorité les compétences de régulation et de supervision prudentielle, suivant l'exemple britannique de la FSA.
Le risque, selon nous, est que l'internalisation au sein d'une même entité du contrôle des acteurs et de celui des produits peut créer une confusion entre deux logiques de contrôle différentes et deux métiers dont les finalités sont opposées. La surveillance prudentielle vise à traiter les difficultés avant qu'elles ne soient rendues publiques, afin d'éviter les crises systémiques. La régulation des marchés vise au contraire à ce que tout soit sur la place publique. Les deux piliers de la régulation doivent s'équilibrer, voire se confronter.
A ces motifs techniques s'ajoute le risque de voir une autorité omniprésente se développer sans contrôle suffisant. Cette question de "corporate governance " des institutions publiques se pose en France et plus encore au Royaume-Uni, où le projet de loi sur la FSA a été long à négocier. De plus, une autorité couvrant tous les secteurs financiers, assurance, banques, marchés, rend plus difficiles les rapprochements européens. Chaque secteur obéit à son propre rythme.
Pour ces différentes raisons, le projet de loi français portant réforme des autorités financières a privilégié une approche pragmatique visant à instaurer un régulateur unique des marchés et à rapprocher les institutions consultatives, d'agrément et de contrôle des secteurs de la banque et de l'assurance. Nous pensons que l'efficacité de la régulation en sera accrue.
Les institutions existantes, Commission des opérations de bourse, Conseil des marchés financiers, autorités prudentielles, ont accompagné utilement la révolution financière de notre économie. Le projet de fusion entre la COB et le CMF vise à conserver cet acquis tout en simplifiant une architecture institutionnelle trop complexe. Cette simplification est nécessaire pour améliorer la visibilité des institutions françaises, à la fois vis-à-vis des citoyens, des praticiens et de nos interlocuteurs étrangers.
Avec un système de régulation financière simplifié et plus efficace, nous pourrons favoriser les coopérations avec nos homologues belges et néerlandais, dans le contexte d'Euronext, mais aussi avec l'ensemble des régulateurs européens, dans le cadre du comité des régulateurs.
Depuis l'annonce de la fusion des bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam, des travaux réguliers ont lieu entre les services des ministères des finances concernés pour organiser la mise en place de la supervision d'Euronext par les régulateurs des trois pays. Ces travaux ont abouti à un projet de lettre ministérielle conjointe qui fixe le cadre global de régulation et renvoie à un protocole d'accord établi au début de l'année par les différentes autorités boursières. Avec mes deux collègues, nous nous félicitons de ces avancées qui font des autorités de surveillance de nos trois pays des précurseurs pour l'exercice de la supervision dans le futur environnement transnational d'Euronext.
Au-delà de cette coopération tripartite, vous savez que la France avec la Commission a pris l'initiative de la création d'un comité des sages sur la régulation des marchés de valeurs mobilières en Europe, afin d'adopter plus rapidement les textes applicables aux services financiers. La présidence de ce comité a été confiée à M. Lamfalussy. Nombre d'entre vous ont contribué à ces travaux, qui ont fait une large place à la consultation des professionnels et je vous en remercie.
Le Conseil européen a adopté à Stockholm une résolution pour améliorer à la fois l'efficacité du système législatif européen dans le domaine des services financiers et la régulation au quotidien des marchés de valeurs mobilières. Ces décisions impliquent que des régulateurs nationaux rassemblés au sein de FESCO soient pleinement associés dans le cadre de procédures plus simples. Je tiens à saluer la rapidité avec laquelle la Commission et FESCO ont pris les mesures nécessaires à la mise en place du nouveau dispositif. Il s'agit d'un signal fort en faveur de l'accélération des travaux.
3/ Enfin, je veux souligner qu'Euronext nous pousse à adapter notre cadre juridique pour assurer une parfaite sécurité des opérations et garantir la performance des émetteurs.
Plus que jamais à l'heure de l'Euro, le cadre juridique et institutionnel constitue un facteur important de compétitivité des espaces économiques. La place de Paris, qui bénéficie d'un environnement juridique modernisé, doit pouvoir affronter avec succès cette compétition.
La loi sur les nouvelles régulations économiques dote en effet la place de Paris de nouvelles règles de transparence dans le domaine des offres publiques et elle accroît les moyens des autorités de régulation. Elle met en uvre des dispositions attendues depuis longtemps, comme la compensation globale des créances ou la transposition de la directive "finalité des paiements ". Elle comprend un volet renforçant la lutte contre le blanchiment de l'argent. Elle comporte enfin de nombreuses dispositions favorisant le gouvernement d'entreprise en France.
J'ai souhaité qu'un autre projet de loi, actuellement en cours d'examen, appelé par ses initiales MURCEF, comprenne des mesures d'harmonisation du droit des marchés financiers. Renforcement de la surveillance des systèmes de compensation et de règlement livraison, création d'un accès à distance pour l'activité de compensation, contrôle de l'honorabilité et de la compétence des actionnaires des entreprises de marché, réduction des formalités liées aux transactions financières : ces dispositions illustrent notre engagement en faveur de l'insertion des opérateurs - en particulier d'Euronext - dans la compétition internationale.
Le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier contient quant à lui plusieurs mesures destinées à consolider la transparence et la lisibilité du secteur financier, en particulier pour les épargnants. Il comportera notamment plusieurs dispositions destinées à favoriser la gestion pour compte de tiers et constituera l'occasion de réformer utilement le droit des valeurs mobilières.
Au total, la mise en concurrence ne doit pas se traduire par un " dumping " réglementaire. C'est pourquoi nous sommes attachés à l'harmonisation des normes européennes. La négociation de la directive sur les OPCVM (produits) s'est achevée. Elle permettra de mieux protéger les investisseurs et de fournir aux professionnels européens de la gestion le cadre réglementaire nécessaire à leur compétitivité internationale. La négociation de la seconde directive (portant sur les institutions) devrait avancer rapidement.
La présidence française également, le Conseil Ecofin s'est exprimé en faveur de l'adoption de normes comptables internationales reconnues en Europe. Cette stratégie comptable commune améliorera la comparabilité des états financiers publiés par les sociétés européennes cotées. Elle constitue un signal positif en faveur d'un marché financier intégré.
Enfin, le comité de conciliation a adopté un projet pour la directive OPA qui doit désormais être ratifié par le Parlement européen et le Conseil des ministres. Cet accord constitue également un pas important pour la construction du marché financier européen.
Mesdames, Messieurs, les rapprochements entre entreprises de marché sont des aiguillons pour mieux réguler, mieux coopérer et mieux unifier. Nous devons continuer à avancer ensemble pour construire l'Europe des services financiers que nous souhaitons. Au cours des prochains mois, les pouvoirs publics, en lien étroit avec les professionnels, ne manqueront pas de sujets de réflexion : révision des ratios prudentiels, approfondissement du marché des services d'investissement, mise en place d'un passeport unique pour les émetteurs, réforme des autorités de régulation. Ces chantiers permettront d'illustrer, je crois, la pertinence des approches décentralisées, au plus près des opérateurs, pour parvenir à une vision partagée, conforme à l'intérêt général. C'est une clé du succès de l'intégration des marchés financiers européens. Dans le secteur toujours mobile des services financiers, nous devons concilier la compétition qui stimule et la coopération qui stabilise. C'est en ce sens que nous avons agi et agirons. Nous croyons au partenariat. C'est pourquoi je me réjouis que nous puissions continuer à travailler ensemble. Merci.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 18 juin 2001)