Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec BFMTV et RMC le 11 septembre 2015, sur la situation en Syrie, la question des réfugiés et sur la lutte contre le dérèglement climatique.

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Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité, Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères, bonjour.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Des avions militaires français effectuent des vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie, ils se poursuivent ?
LAURENT FABIUS
Oui. Oui, il y a eu déjà deux séries de vols, à la suite de la décision qu'a prise le président de la République. L'idée est quoi ? L'idée c'est que nous avons une certitude que Daech, depuis la Syrie, risque de menacer la France, et donc au nom de la légitime défense, c'est la base juridique qui est invoquée, nous faisons de vols de reconnaissance. Après, quelles seront les conséquences qu'on en tirera, nous verrons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que des avions français ont déjà frappé des cibles en Syrie ?
LAURENT FABIUS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas encore ? Pas de premiers bombardements, ça n'a pas commencé ?
LAURENT FABIUS
Non. Les conséquences que l'on tirera des survols qu'on effectue, ce sera au président de la république de les tirer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ce n'est pas décidé encore, les bombardements ne sont pas décidés ?
LAURENT FABIUS
Non, la réponse est non. Les conséquences à tirer ne sont pas encore décidées, et c'est le plan qu'on a déroulé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ça veut dire que pour l'instant nos avions ne prennent que des photos…
LAURENT FABIUS
Exact.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Reconnaissance du terrain.
LAURENT FABIUS
Exact.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et ensuite c'est le président de la République qui décidera ?
LAURENT FABIUS
Oui, quelles conséquences…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui qui ne décidera pas.
LAURENT FABIUS
Qui décidera de frapper ou de ne pas frapper.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De frapper ou de ne pas frapper.
LAURENT FABIUS
Mais c'est dans le cadre de la légitime défense. La stratégie générale n'a pas changé, Daech ce sont des horreurs épouvantables, d'autre part nous voulons une décision politique en Syrie, c'est-à-dire une transition où l'on ait à la fois des éléments du régime et l'opposition, c'est comme ça, ce n'est pas facile à obtenir parce que beaucoup de gens sont hostiles. Mais, ce que nous avons décidé, d'un peu nouveau, c'est d'une part de dire puisque Daech, depuis même la Syrie, nous menace, il faut regarder ce qui se passe, d'où les avions, et d'autre part, nous entendons discuter avec tout le monde, c'est-à-dire à la fois les Arabes bien sûr, les Russes, les Américains, les Iraniens, et moi je suis en train de faire ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-il vrai que vous n'êtes pas favorable à des bombardements de l'aviation française en Syrie ?
LAURENT FABIUS
Non, non, j'ai entendu des tas de choses, mais il faut…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il paraît que vous n'approuvez pas que le Quai d'Orsay n'était pas très… c'est vrai ou c'est faux ?
LAURENT FABIUS
C'est faux, ne croyez pas tout ce que vous entendez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, tout ce que je lis.
LAURENT FABIUS
Il y a eu un Conseil de défense, et les conclusions me paraissent excellentes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça a été décidé dans ce Conseil de défense ?
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr, c'est le rôle du Conseil de défense.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A ce moment-là ?
LAURENT FABIUS
C'est le rôle du Conseil…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, je me souviens de François HOLLANDE…
LAURENT FABIUS
Non, non, je me sens tout à fait en ligne avec…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout à fait en ligne, bien. François HOLLANDE a dit « rien ne doit être fait qui puisse consolider Bachar EL-ASSAD. »
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si nous bombardons, est-ce que nous ne consolidons pas Bachar EL-ASSAD, si nous bombardons Daech, indirectement ?
LAURENT FABIUS
Oui, mais on ne peut pas rester non plus sans rien faire alors que Daech, maintenant nous avons des éléments qui montrent que, ils peuvent, depuis la Syrie, nous menacer. Mais, ça veut pas dire du tout, pour autant, que nous considérons que l'avenir de la Syrie c'est monsieur Bachar EL-ASSAD. D'ailleurs, une remarque, qui vous intéressera. Le petit garçon syrien…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, Aylan.
LAURENT FABIUS
Qui on a vu sur les rives…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aylan.
LAURENT FABIUS
Son père, j'ai entendu son père, qui a dit qu'il avait commencé son exode, si je puis dire, parce qu'il avait été dans les geôles de Bachar. Il a subi, successivement, à la fois Bachar, et Daech, et donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous allez bombarder Daech.
LAURENT FABIUS
On verra la décision qu'on prendra.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec l'accord, j'imagine, d'ASSAD, enfin si vous bombardez.
LAURENT FABIUS
Non, non, nous nous coordonnons avec la coalition, pas avec monsieur Bachar.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas avec monsieur Bachar… mais enfin, monsieur Bachar ne va pas vous empêcher d'aller bombarder Daech…
LAURENT FABIUS
Bien sûr, on a à prendre nos précautions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si vous le faites, si la France le fait.
LAURENT FABIUS
Si la France le fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Encore une fois, ça sera décidé quand ?
LAURENT FABIUS
Comme on dit dans l'armée, le moment venu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est le fût du canon. Dites-moi, c'est le centre américain de conduite des opérations aériennes basé au Qatar qui va décider en fait.
LAURENT FABIUS
Ah non !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui va cibler, non ?
LAURENT FABIUS
Il a été précisé, je pense que vous avez vu les décisions, que c'est dans le cadre de notre autonomie de décision. Bien sûr il y a des coordinations à faire, mais c'est la France qui décide.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous considérez que Daech est seul responsable de l'exode des réfugiés ?
LAURENT FABIUS
Non, il y a plusieurs responsabilités.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourtant François HOLLANDE l'a dit, lundi.
LAURENT FABIUS
Écoutez, je ne vois pas exactement à quelle déclaration vous faites allusion, mais si on regarde quelle est la situation en Syrie, d'où viennent les causes, il y a une pluralité de causes. Monsieur Bachar a une responsabilité énorme. Il faut toujours se souvenir, parce qu'on a la mémoire courte, qu'au départ, vous vous rappelez, c'était quelques jeunes qui ont manifesté dans un coin de la Syrie, vous vous rappelez de ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et il a fait tirer sur ces jeunes.
LAURENT FABIUS
Et aujourd'hui il y a 240.000 morts. Mais, en même temps – et à l'époque il n'y avait pas du tout de Daech ou de terroristes – mais les choses ont tellement trainé, ont été assez mal gérées, si on puis dire, que petit à petit les terroristes se sont installés et de terroriste des terroristes c'est Daech, et donc il faut lutter contre eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut trouver une solution politique, vous le dites évidemment…
LAURENT FABIUS
Bien sûr, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En Syrie, et dans toute la région évidemment…
LAURENT FABIUS
Et nous discutons de cela en ce moment…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec des proches d'ASSAD ?
LAURENT FABIUS
Non, non, pas du tout avec des proches d'ASSAD, avec les Russes, les Américains, les Arabes, les Iraniens. Bientôt il va y avoir l'assemblée générale des Nations Unies, et ça peut être une occasion aussi de rencontres. Et, s'agissant des Russes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'allais vous en parler.
LAURENT FABIUS
Je dois avoir un contact – on est vendredi aujourd'hui – demain, avec mon homologue russe, monsieur LAVROV, puisque nous devons parler de l'Ukraine, et évidemment nous discuteront aussi de ce qui se passe en Syrie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous confirmez la présence de soldats russes en Syrie ?
LAURENT FABIUS
Il y a des indications en ce sens. S'il s'agit d'armements, les Russes livrent traditionnellement des armements aux Syriens, s'il s'agit de personnels…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'hommes, de soldats, de personnels, oui, de chars.
LAURENT FABIUS
Là il faut essayer de comprendre quelle est la finalité. Si c'est pour défendre la base de Tartous, puisque vous avez que les Russes ont une base à Tartous…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout à fait.
LAURENT FABIUS
Mais si c'est dans une perspective offensive, offensive contre qui… bon ! Et donc je vais en discuter avec monsieur LAVROV.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une escalade du conflit si la présence russe se confirme ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, pour le moment il y a plusieurs interprétations, on n'en sait rien, mais c'est vrai que s'il s'agit de défendre la base de Tartous, pourquoi pas, mais s'il s'agit d'entrer dans un conflit, c'est une autre affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'on pourrait imaginer une coalition avec les Russes ?
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas très facile à imaginer, mais pourquoi pas, simplement la question est de savoir, à ce moment-là, si les Russes diront « il peut y avoir une coalition, mais à condition que vous conserviez Bachar », voyez, ça revient. Donc, ne faisons pas d'anticipation inutile, je vais en discuter avec les Russes, j'en discute aussi avec les Américains, ne faisons pas de procès d'intention, on verra ce qui se passe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, j'ai lu Nicolas SARKOZY, j'ai écouté, qui estime qu'il faut envoyer des forces spéciales au sol en Syrie, Bruno LE MAIRE, lui, dit qu'il faut constituer une coalition et nous envoyer un petit contingent, d'autres demandent des troupes au sol, une coalition des pays arabes. Que répondez-vous à tout cela ?
LAURENT FABIUS
Des troupes françaises au sol, la réponse est non. D'abord parce que ça représenterait évidemment beaucoup de gens et un sacrifice humain considérable, et puis il faut tirer les leçons, quand même, de ce qui s'est passé dans d'autres pays. Rappelez-vous l'Irak, rappelez-vous l'Afghanistan, je sais que vous suivez ça de très près. On ne peut pas gagner de l'extérieur. Donc, nous, que nous appuyions militairement, par des avions, etc., oui, mais les combats, en l'occurrence contre Daech, doivent être menés par des populations arabes, et les Syriens, qu'on peut épauler. Mais l'idée – d'ailleurs je crois que si monsieur FILLON, ou d'autres qui ont dit ça – l'idée qu'on va envoyer des français, comme ça, qui vont aller au sol se faire massacrer, et qui vont trouver une solution, non, ça ce n'est pas responsable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La France va accueillir en tout 24.000 réfugiés, politiques, en 2 ans.
LAURENT FABIUS
Un peu plus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un peu plus de 24.000 ?
LAURENT FABIUS
Oui, parce qu'il y en a 6000 sur les 40.000, etc., ça fait une trentaine de milliers.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une trentaine de milliers en 2 ans ?
LAURENT FABIUS
Oui, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un nouveau chiffre ça !
LAURENT FABIUS
Non, non…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ?
LAURENT FABIUS
Parce qu'il y avait 40.000, qui avait déjà été dit, plus les 160.000, voilà, mais enfin la France fait son devoir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La Commission européenne, et le Parlement européen surtout, proposent de créer un mécanisme de répartition permanent et contraignant, en fait ce sont des quotas déguisés, par pays.
LAURENT FABIUS
On peut discuter sur le terme, mais c'est un mécanisme de répartition. A partir du moment où il y a un effort général à faire, il est normal que chacun prenne sa part, mais, mais, il y a un certain nombre de pays qui ne sont pas d'accord.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, alors, vous faites quoi ? J'ai entendu vos mots, durs, à l'encontre de la Hongrie, sur son comportement.
LAURENT FABIUS
Oui, c'était il y a quelques jours.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous les regrettez d'ailleurs ?
LAURENT FABIUS
Non, je ne les regrette pas, mais il y a un problème urgent vis-à-vis des réfugiés, peut-être à différencier des migrants économiques, c'est des réfugiés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est pour ça que j'emploie le mot réfugiés.
LAURENT FABIUS
Ces-gens là, vous avez vu toutes les scènes, etc., on ne peut pas les laisser se faire, quoi, massacrer, donc il faut que chacun en prenne sa part. Simplement, il y a des pays qui pour le moment ne veulent pas, et donc on va être amené – il y a une réunion en particulier le 14 je crois…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, lundi, avec les ministres de l'Intérieur.
LAURENT FABIUS
Avec CAZENEUVE et ses collègues, on va essayer d'avancer. Si on n'arrive pas à ce niveau-là, il faudra probablement un Conseil européen, chacun doit prendre sa part.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais qu'allez-vous faire avec ces pays qui disent « non, nous n'en voulons pas » ?
LAURENT FABIUS
Il faut discuter, et trouver une solution.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne pouvez pas leur imposer.
LAURENT FABIUS
Il faut trouver une solution, c'est ça à quoi sert l'Europe, sinon l'Europe elle-même risque d'être mise en danger.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et oui !
LAURENT FABIUS
Je suis d'accord.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Europe est en danger là ?
LAURENT FABIUS
L'Europe montre ses divisions et c'est un sujet sur lequel il faut que chacun prenne sa part. Donc, notre tâche, la tâche des Allemands, la tâche des Luxembourgeois, la tâche d'autres, c'est d'essayer de trouver une solution.
JEAN-JACQUES BOURDIN
François HOLLANDE était contre les quotas il y a encore quelques semaines, est-ce que c'est la photo du petit Aylan qui a fait changer la position de la France ?
LAURENT FABIUS
Non…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ?
LAURENT FABIUS
Je ne veux pas avoir une discussion sur les termes, mais, si vous voulez, le mot de « quotas », peut-être n'est pas le plus pertinent. Pourquoi ? Parce que lorsqu'il s'agit de réfugiés, ils ont un droit à venir, et donc il n'y a pas de limite en termes de nombre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, droit d'asile.
LAURENT FABIUS
Donc le quota est peut-être une notion insuffisante pour ceux-là. En revanche, pour ce qui est des migrants économiques, on ne peut pas tous les accueillir, donc les quotas c'est trop, et c'est la raison pour laquelle la Commission européenne parle de répartition équitable, mais n'allons faire de juridisme.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant de parler de la COP21 je voudrais encore vous poser deux, trois questions sur le sujet. Je reviens à Nicolas SARKOZY qui dit que la France est aujourd'hui menacée de désintégration. Vous êtes d'accord avec lui ?
LAURENT FABIUS
Le terme a été très critiqué je crois, y compris par certains de ses propres amis. Je ne veux pas me lancer dans une polémique, vous savez…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Politicienne, non.
LAURENT FABIUS
Je n'aime pas ça. Mais de ce que j'ai compris monsieur SARKOZY essaye de trouver une position qui à la fois ne le fâche pas avec un certain nombre d'extrémismes, surtout de droite, et en même temps qu'il puisse être humaniste.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ? Avec le FN.
LAURENT FABIUS
J'ai l'impression. Mais je n'entre pas dans ce débat. Nous…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des arrière-pensées politiciennes ?
LAURENT FABIUS
A votre avis ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous pose la question, moi je n'ai pas à donner mon avis.
LAURENT FABIUS
Ecoutez, le fait que je ne réponde pas est une réponse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bine ; La crainte exprimée aussi par de nombreux Français, que des extrémistes de Daech se soient infiltrés parmi ces réfugiés, il n'y a pas de risque ?
LAURENT FABIUS
Sur un nombre considérable, il peut y avoir cette tentation. Mais je pense qu'il ne faut pas tout confondre. Et faire l'équation réfugiés égal terroristes, évidemment ce serait d'ailleurs tout à fait erroné, et en même temps très tendancieux. Il faut être extrêmement vigilant sur tous ceux qui viennent, que ce soit sous une espèce ou sous un autre. Mais il ne faut pas tout confondre. En tout cas ce que je peux vous dire, moi je suis membre du gouvernement, donc j'ai une responsabilité, c'est que le ministre de l'Intérieur, le ministre de la Défense, tous les services font le maximum dans tous les domaines pour qu'on limite tous les risques.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La COP 21, donc cette conférence environnementale importante qui aura lieu à Paris, combien de pays ont fixé leurs engagements aujourd'hui pour réduire les gaz à effet de serre ?
LAURENT FABIUS
Alors d'abord, merci de m'interroger là-dessus, parce que la COP 21, la conférence de Paris, peut être une date tournant pour la planète. Je pèse mes mots, je n'utilise pas des mots excessifs, ça peut être tournant pour la planète. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui la température est en train de monter. Les scientifiques, tous les scientifiques disent : si on ne change pas la façon dont on produit, les gaz à effet de serre sont tels qu'on va aller vers plus 3 degrés, plus 4 degrés, plus 5 degrés, plus 6 degrés de température avec des conséquences absolument épouvantables ; c'est-à-dire que vous allez avoir une montée des mers et donc des terrains qui vont être submergés ; vous allez avoir des problèmes de nourriture ; vous allez avoir, on parlait de migration, des migrations mais alors pas par centaines de milliers, mais par millions ; et la vie va devenir invivable ; la planète va devenir invivable. Donc il faut stopper ça. Et l'objectif de la conférence de Paris, c'est de faire en sorte que – ce sera le juge de paix – qu'on n'aille pas au-dessus de 2 degrés, alors qu'actuellement la piste c'est 3, 4, 5, 6 degrés. Alors chaque pays doit s'engager. Pour le moment nous avons une soixantaine de pays qui ont publié leurs engagements. D'autres vont le faire….
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur 195 à deux mois et demi de la conférence !
LAURENT FABIUS
Sur 195, et je pense - parce que …je pense qu'au moment où on abordera la conférence, nous devrions avoir à peu près 90 % des pays qui auront publié leurs engagements, représentants plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais c'est la première fois qu'on le fait. Donc certaines des contributions sont très précises, bonnes, d'autres sont beaucoup plus frustes. Mais ça c'est un aspect.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce qu'il faut un engagement financier, évidemment, évidemment.
LAURENT FABIUS
Oui, ce sera le juge de paix.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les pays du nord s'étaient engagés avant 2020 à aider à hauteur de 100 milliards, je crois c'est ça, 100 milliards par an. Les pays du sud. Où est-ce qu'on en est de cet argent ?
LAURENT FABIUS
C'est exact. Je vous réponds précisément. Un engagement a été pris à Copenhague qu'en 2020 les pays riches pourraient apporter aux pays pauvres, pour le climat, 100 milliards de dollars par an. Alors c'est quoi c'est 100 millions ? C'est à la fois les contributions directes budgétaires, c'est les contributions des banques multilatérales et les contributions du privé. Tout ça doit faire 100 milliards. Aujourd'hui, je pense qu'on doit être, c'est un chiffre que j'avance- il y a un travail de l'OCDE qui va être bientôt publié là-dessus autour de 60 milliards. Donc il faut – c'est ce qu'on entend – donc il faut qu'on continue à augmenter, pas seulement les pays eux-mêmes, les banques multilatérales et le privé. Et en ce qui concerne les pays riches, je pense que cela demandera un effort supplémentaire, les Allemands nous ont dit qu'ils sont prêts à le faire, je pense que la France fera son devoir, les Anglais aussi, il faut que tout le monde le fasse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et la France à quelle hauteur ?
LAURENT FABIUS
On va voir, c'est le président de la République qui l'annoncera le moment venu. Mais nous avons prévu une conférence spéciale, à Lima, en présence du Fonds monétaire et de la Banque mondiale où on dira, l'OCDE fera un rapport en disant « voilà où on en est, et voilà comment on va vers les 100 milliards ». Mais nous, la France qui organisons cette conférence, c'est moi qui la préside, nous insistons là-dessus parce que c'est un élément basic de confiance. Je prends un exemple : si je discute avec un chef d'Etat ou de gouvernement d'un pays pauvre d'Afrique, et je lui dis mais qu'est-ce que vous entendez faire pour réduire le gaz à effet de serre ? Il me dit monsieur FABIUS, vous êtes très gentil mais moi je n'émets aucun gaz à effet de serre. Et en revanche je suis pénalisé par l'élévation de la température, parce que ça donne de la famine, les agriculteurs ne peuvent plus travailler etc. Donc je suis d'accord, me dit-il, pour aller dans le sens que la planète veut, mais à condition que vous m'aidiez financièrement et sur la technologie. Et c'est pour ça que nous devons faire un effort.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors est-ce que la France indirectement à travers ses entreprises installe toujours des centrales à charbon dans le monde ?
LAURENT FABIUS
Alors on confirmé une décision hier, vous l'avez entendu, disant nous ne financerons plus des centrales à charbon qui ne sont pas dotées de mécanisme qui empêche l'émission du carbone. Et je pense que c'est une très bonne décision.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne financerez plus mais il n'empêche que les entreprises françaises pourront continuer peut-être à en installer ?
LAURENT FABIUS
J'espère que non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et des entreprises dans lesquelles l'Etat est actionnaire. Est-ce qu'il faut aller jusque-là ?
LAURENT FABIUS
C'est un deuxième point, je pense qu'il faut aller jusque là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire demander à ces entreprises, dont l'Etat est actionnaire, de ne plus vendre ni installer de centrales à charbon …
LAURENT FABIUS
Qui dégagent du CO2.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d'accord Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
On est d'accord. Soyons précis. Prenons un pays comme l'Inde, qui set un énorme pays, il y a 1 milliard 400 millions d'habitants. Lorsque vous discutez avec le Premier ministre, monsieur Modi, il vous dit « mais je suis tout à fait d'accord pour aller dans le sens que vous dites, seulement moi ma ressource principale aujourd'hui c'est le charbon. Donc comment est-ce que je fais pour aider au développement de la population, je ne peux pas arrêter du jour au lendemain le charbon ? » Donc c'est vrai il faut le reconnaitre, simplement il faut l'aider à développer les énergies renouvelables, le solaire où l'Inde fait des choses magnifiques, pour que petit à petit il puisse aller vers ce respect des 2 degrés. La conférence de Paris ne va pas tout régler en un jour, mais elle va permettre qu'alors qu'on allait vers 4, 5, 6 degrés, on aille vers 2 degrés. Vous voyez le geste que je fais avec la main. Si on arrive à ça ce sera un tournant pour la planète.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas un engouement populaire autour de cette question, de ces questions ?
LAURENT FABIUS
Ca va changer à mon avis.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez que ça va changer ?
LAURENT FABIUS
Je peux me tromper mais je crois que l'intérêt va monter au mois de novembre. La conférence commence fin novembre, le 30 novembre, elle dure 15 jours, jusqu'au 11 décembre ; il y a quand même une sensibilité de plus en plus forte. Dans la jeunesse par exemple, les gens sentent que c'est notre vie qui est en jeu. Je ne sais pas si vous faites souvent ça le matin, mais je vais citer LEVI-STRAUSS, je relisais « tristes tropiques » qui est un livre magnifique, et à la fin de « tristes tropiques » LEVI-STRAUSS, grand esprit, dit « le monde a commencé sans l'homme – c'est vrai – et le risque c'est qu'il se prolonge sans lui ». Si l'espèce humaine, si nous n'arrivons pas à modifier ce dérèglement de la température, on va se tuer nous-mêmes ! Et ça les jeunes et les autres doivent le comprendre. Et pas dans 150 ans. Vous voyez les phénomènes climatiques extrêmes, vous voyez la sécheresse, vous voyez les typhons, vous voyez les…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sauf que le danger parait lointain peut être.
LAURENT FABIUS
Oui mais il n'est pas lointain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Peut-être que les populations ne sont pas…
LAURENT FABIUS
Et puis il y a un autre phénomène que je vais vous dire, un peu technique, mais ça prendra 30 secondes, les gaz à effet de serre, c'est ça qui crée une évaluation de la température, quand ils sont émis ils ne partent pas comme ça en fumée. Ils restent des mois, des années, voire des siècles. Donc si la conférence de Paris cette fois-ci ne réussit pas, c'est irrattrapable, parce qu'on va émettre tellement de gaz à effet de serre qu'on ne pourra pas aller en arrière. Et ça je pense que tout le monde peut le comprendre. Et je sais que vous allez faire campagne, il faut expliquer aux Français individuellement ce qu'ils peuvent faire en matière d'eau, en matière de chauffage, en matière de logement, en matière de transport. Alors nous nous avons une responsabilité particulière puisque nous sommes au niveau du gouvernement, mais chacun individuellement a une responsabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurent FABIUS d'être venu nous voir ce matin.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 septembre 2015