Interview de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, à RTL le 2 juillet 2001, sur le ralentissement de la croissance économique en 2001 et ses conséquences sur la baisse du chômage.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

L. FABIUS
RTL - 7h50
Le 2 juillet 2001
R. Elkrief - L'Insee a prévu une croissance de 2,3 % en 2001 au lieu des 3,3 % annoncés. Est-ce que vous n'avez pas su anticiper cette baisse ou est-ce que vous ne nous avez pas dit la vérité car vous ne vouliez pas nous inquiéter ?
- "Ni l'un ni l'autre. J'ai, comme chacun sait, de grandes capacités, mais je ne suis pas capable, je l'avoue honnêtement à ce micro ce matin, de changer la conjoncture aux Etats-Unis, au Japon et en Allemagne."
N'avez-vous pas cru que la France était une oasis de croissance par rapport au reste du monde ?
- "J'ai pris, l'année dernière, au moment où on présentait le budget, la prévision de ce qu'on appelle "le consensus des économistes."Tout le monde disait qu'il allait y avoir une bonne croissance, c'était ce qui était prévu. Nous nous sommes situés autour de 3 points. Entre temps, il s'est produit - excusez du peu - une baisse de croissance des Etats-Unis, qui représentent le tiers de l'économie mondiale. Au lieu d'avoir une croissance de 5 % comme l'an dernier, ils ont une croissance de 1 % ; le Japon a une croissance plate et l'Allemagne également a été en grande difficulté."
Donc, on en subit le contrecoup...
- "Ma ligne générale a toujours été et sera, même si cela déplaît à un certain nombre de gens, de dire la vérité. A partir du moment où il a été acquis qu'il y aurait ce ralentissement, j'ai dit qu'il y aurait un ralentissement, même si cela n'a pas fait plaisir à certains."
En plusieurs fois : 2,7, 2,4 ... On a eu des échelles différentes à chaque fois.
- "Je dis la vérité à partir des informations que j'ai. Vous ne voudriez pas que je raconte des sottises ! J'ai parlé de "ralentissement", et la semaine dernière, l'Insee a rendu sa prévision, qui n'est qu'une prévision mais qui a une certaine probabilité, de 2,3 %. J'ajoute - dès que c'est un peu difficile on voit les moineaux qui s'envolent - que 2,3 %, c'est quelque chose dont on n'aurait pas rêvé dans les années 91-97. Il faut quand même être clairs : cela va nous permettre à la fois, de soutenir la consommation, d'équilibrer notre budget, de faire preuve de confiance, et de lutter contre un redémarrage du chômage."
Que change-t-on quand la conjoncture change dans la politique économique ? Est-ce qu'on adapte, est-ce qu'on fait évoluer des choses ?
- "Qu'est-ce qu'on choisit ? J'ai choisi quatre ou cinq points précis. Premièrement, pas d'asphyxie de l'économie par un serrage de vis tous azimuts. C'est la politique qui a été faite par Chirac et Juppé en 95, on va dans le mur. Cela veut dire que, à partir du moment où c'est la consommation des ménages qui tient l'économie, il faut continuer. Il n'y aura pas de serrage de vis tous azimuts. C'est très sérieux."
Quelles marges ?
- "Les services publics seront donc financés correctement, c'est normal. Deuxièmement, à l'inverse, pas d'explosion de la dépense publique. J'entends toute une série de sirènes qui disent : "il faut lâcher ceci, cela"- y compris dans des domaines où je trouve l'opposition irresponsable. Il n'en est pas question. Quand j'entends par exemple l'opposition, y compris à un niveau assez élevé..."
Le RPR s'est réuni ce week-end ...
- .".. qui nous réclame une augmentation lourde des dépenses de défense, je dis "non" ! Non seulement ce n'est pas nécessaire mais c'est incompatible avec nos équilibres économiques et financiers. Donc, il n'y aura pas d'explosion de la dépense publique, parce que sinon, cela voudrait dire qu'on fait remonter les taux d'intérêt, que le chômage augmente, et que les impôts augmentent après. Il n'en est pas question."
Vous le dites aussi à vos amis socialistes, communistes, aux Verts qui voudraient qu'on ouvre un peu les cordons de la bourse ?
- "Troisièmement, il faut évidemment, puisque l'objectif c'est l'emploi, encourager la production, favoriser l'investissement. Donc, on confirme des baisses d'impôts - c'est la première fois dans ce pays depuis très longtemps qu'il y a des baisses d'impôts - parce que cela soutient la consommation et l'investissement. Et en même temps, on va - je l'espère - assouplir le passage aux 35 heures pour les PME parce que c'est nécessaire. Quatrièmement, il faut soutenir la consommation des ménages par une bonne tenue des salaires, mais sans retour à l'inflation. Si on se lançait dans la spirale qu'on a connue par le passé entre les salaires et les prix, cela voudrait dire que l'inflation repart ; cela voudrait dire que le chômage repart ; cela voudrait dire que les baisses d'impôts seraient annulées. Voilà les quatre points : pas d'asphyxie de l'économie, pas d'explosion de la dépense publique, encourager la production et l'investissement, soutenir la consommation des ménages."
Revenons un instant sur la baisse d'impôts : C. Allègre, qui était un des proches de L. Jospin, est très vigoureux dans Le Point et vous attaque en disant : "Il faut arrêter cette baisse d'impôts! C'est du blairisme à la française, mais ça ne permet pas de donner un service public de bonne qualité ... Ce n'est pas ce qu'il faut faire ..." etc.
- "Je ne vais pas personnaliser. Je pense que c'est essentiel d'avoir des services publics de bonne qualité, y compris l'éducation nationale, qui fonctionne bien avec le soutien des professeurs. Vous verrez dans le budget que nous sommes en train de décider avec différents ministres, sous l'autorité de L. Jospin, que c'est le cas. Pour ce qui concerne les baisses d'impôts, ceux qui réclament l'annulation des baisses d'impôts ont "tout faux", comme on dit quand il s'agit de corriger une copie. Pourquoi ? Les impôts en France, même s'ils disent le contraire ..."
De professeur à professeur, du professeur Fabius au professeur Allègre ...
- "Je n'ai pas cette prétention ! Les impôts, en France sont trop élevés, qu'il s'agisse d'impôts sur les entreprises ou d'impôts sur les particuliers. Bien sûr, on a besoin d'impôts parce qu'il faut bien faire fonctionner les services publics. Mais dire qu'en France les impôts ne sont pas assez élevés, c'est vraiment ne rien connaître. Deuxièmement, je pense que personne, absolument personne - dès lors qu'on est un spécialiste de l'économie ou qu'on regarde les choses concrètement - ne conteste que c'est parce qu'on a baissé les impôts qu'aujourd'hui vous avez un soutien de la consommation qui permet que la France fasse 2,3 % là où l'Allemagne va faire peut-être autour de 1 %. Ce ne sont pas des choses abstraites. Quand on a supprimé la vignette, c'est une baisse d'impôt. Quand on baisse l'impôt sur les sociétés, c'est une baisse d'impôt. Quand on baisse l'impôt sur le revenu, c'est une baisse d'impôts. Quand on a baissé la TVA, c'est une baisse d'impôts. On va continuer ; on ne peut pas faire n'importe quoi mais on va continuer en ce sens."
Le chômage est remonté, + 0,3 % en mai. Vous avez un objectif total de 8,5 % d'ici décembre. Allez-vous y arriver réellement ?
- "Comme la croissance est plus faible, c'est plus compliqué pour le chômage. L'objectif central auquel on va se tenir avec tout le Gouvernement, mais qui dépend évidemment beaucoup des entreprises, c'est d'arriver à continuer la baisse du chômage.."
On arrivera à ces 8,5 % en décembre ?
- "Il faut continuer à faire baisser le chômage, car c'est l'acquis principal sur lequel repose la confiance."
Les 35 heures, l'assouplissement ...
- "Je voudrais dire un mot pour ce qui concerne les stations-services et les prix. C'est important puisque les gens sont sur les routes. On a pris une décision qui, je crois, est positive. Au moment où il y a eu la fusion Elf-Total, Elf-Total a été obligé de revendre des stations d'autoroutes, et une partie de ces stations-services ont été vendues aux grandes surfaces. Par conséquent, le prix de l'essence a diminué d'environ 35 centimes. Comme je suis attaché à la baisse de l'inflation, on va prendre trois autres séries d'orientations. D'abord, j'ai saisi le Conseil de la concurrence ..."
On va aller très vite sur ce sujet....
- "Cela concerne quand même des millions de gens ! J'ai saisi le Conseil de la concurrence afin de vérifier le respect des pratiques concurrentielles sur les autoroutes. Il n'a pas encore rendu son avis, mais j'espère qu'il sera positif. Deuxièmement, lorsque les concessions d'autoroutes vont venir à expiration, dans peu de temps, on va faire en sorte que les grandes surfaces puissent être associées. Troisièmement, c'est une nouveauté, on va renforcer très rapidement la publicité des prix pour accroître la concurrence. Aujourd'hui, les prix sont marqués sur les autoroutes mais uniquement sur les autoroutes. Maintenant, les prix des stations d'essence sur l'autoroute et des stations situées à une quinzaine de kilomètres autour de l'autoroute seront indiqués à chaque entrée et sortie d'autoroute, de sorte que, s'il y a des prix plus bas, on peut sortir et on peut comparer."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 juillet 2001)