Texte intégral
* Iran
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D'abord, je voudrais dire quelques mots d'un dossier qui m'a beaucoup occupé et qui est celui du nucléaire iranien. Pendant douze années cette question a occupé et préoccupé la communauté internationale. Un Iran doté de la bombe atomique, non seulement aurait constitué un danger considérable en soi mais, ce qu'on ne voit pas toujours, cela aurait provoqué une course mortifère à l'arme nucléaire dans toute la région, qui est déjà extrêmement éruptive. Et, face à ce risque qui était considérable, nous avons adopté, nous, la France, une position, que j'ai appelé «de fermeté constructive», qui signifiait quoi ? Oui, à un accord mais à condition que l'accord écarte de manière certaine, c'est-à-dire vérifiable, l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire. Je pense que cette fermeté, qui compte tenu des enjeux était légitime, a largement contribué à nous permettre de parvenir à l'accord du 14 juillet dernier.
Si cet accord est approuvé, et il est de plus en plus probable qu'il va l'être, puis respecté - et nous nous sommes donnés les moyens de vérifier qu'il le soit -, il peut, j'insiste sur le mot «peut», faciliter davantage de paix et de stabilité au Moyen-Orient. Mais rien n'est acquis et encore moins l'horizon. C'est le message que j'ai porté lors de ma visite à Téhéran fin juillet et pour une fois le terme d'accord historique n'était pas galvaudé. Or, cet accord date d'il y a quelques semaines.
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* Terrorisme - Syrie - Irak - Libye - Daech
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Je commence bien sûr par le drame syrien. Le président de la République s'est exprimé sur ce sujet lundi dernier et notre analyse, contrairement à ce que je lis ici ou là, n'a fondamentalement pas varié. D'une part, nous considérons - là il n'y a pas de révélation - que la lutte contre Daech et les groupes terroristes est une nécessité absolue. D'autre part, nous estimons qu'en Syrie la solution est d'ordre politique. À ceux qui voudraient voir en M. Bachar Al-Assad un partenaire, le partenaire, je voudrais rappeler une vérité qui est cruelle : il est malheureusement le premier responsable du chaos actuel. Et cela rend très difficile, pour ne pas dire impossible, qu'il soit présenté comme l'avenir de son peuple.
Enrico, tu faisais allusion à cette photo terrible du petit enfant syrien retrouvé face contre le sable mort sur les rivages turcs. Mais j'ai lu l'histoire de son père, et avant d'être persécuté par Daech, il est passé par les prisons de Damas et de Bachar Al-Assad. Et considérer, comme je l'entends entre deux mots, qu'il faut choisir le moindre mal, les choses sont évidemment beaucoup plus complexes. La priorité doit aller à une accélération des négociations pour installer à Damas un gouvernement de transition, qui, nécessairement, et nous l'avons dit dès le premier jour, sera composé d'éléments du régime, que cela nous plaise ou non, et d'éléments de l'opposition non terroriste, sans la domination de M. Assad.
Si l'on n'a pas cette transition, les efforts nécessaires de la coalition internationale resteront insuffisants. Et si l'on n'a pas cette transition, qui devra respecter les droits de toutes les communautés et de tous les habitants, la Syrie risque de demeurer enfermée dans le chaos. C'est pourquoi nous agissons avec d'autres, sans relâche, avec des conversations qui ne sont pas toujours publiques, avec les partenaires arabes, avec les Américains, avec les Russes, avec les Iraniens, pour faciliter cette évolution nécessaire.
Nous en avons discuté, j'en discute avec tous ces peuples et aussi bien sûr avec l'envoyé des Nations unies, M. Staffan de Mistura. Et l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre, pourrait être une occasion de discussion même si le contexte - et il y aura probablement des questions là-dessus - est extrêmement complexe, rendu plus complexe encore par les informations qui nous sont données sur le fait que les Russes auraient envoyé récemment des forces nouvelles surtout près de Tartous et de Lattaquié. La France, c'est sa mission, va redoubler d'efforts diplomatiques pour essayer, même si c'est très compliqué, de mettre un terme à ce drame syrien qui est l'une des plus grandes tragédies de ce début de siècle.
Cette crise syrienne doit être résolue pour sauver les Syriens, mais aussi pour vaincre Daech car Daech se nourrit du chaos et du désespoir en Syrie.
En plus des efforts diplomatiques, que je viens de rappeler, nous devons être militairement actif puisque Daech - qui décapite à la fois les hommes, les femmes et les monuments, tout ce qui ne lui est pas inféodé- nous menace gravement nous Français, Européens jusque sur nos propres sols. Depuis des mois nous nous mobilisons pour lutter contre la radicalisation, pour remonter les filières djihadistes, pour identifier et surveiller les individus qui, depuis la Syrie ou sur notre territoire, voudraient perpétrer des attentats en France. Nous avons décidé d'amplifier cet effort à partir d'éléments précis qui nous étaient donnés sur la menace qui, depuis la Syrie et à cause de Daech, menaçait la France. Et c'est le sens des décisions annoncées lundi par le président de la République : nous renforçons notre capacité de renseignement par des vols de reconnaissance en Syrie - certains ont eu lieu hier et aujourd'hui - pour nous mettre en mesure d'en tirer les conséquences si la situation le justifie. Nous devons donc mieux surveiller pour mieux lutter, et mieux nous renseigner pour mieux nous protéger.
En Irak - pas loin de la Syrie, et désormais les frontières sont quasiment ouvertes -, nos forces armées, comme vous le savez, participent aux frappes aériennes de la coalition internationale. C'est une action militaire indispensable, de même qu'elle doit être renforcée sur le plan politique, avec ce qu'on appelle des gestes inclusifs du gouvernement irakien de M. al Abadi, afin de rassembler non seulement les populations chiites mais aussi les populations sunnites et kurdes.
Car l'une des convictions que nous nous sommes faites, à partir d'un certain nombre d'expériences - comparaison n'est pas raison, mais il faut tirer des leçons, qu'il s'agisse de l'Irak ou de l'Afghanistan - c'est que, bien évidemment, le soutien de forces extérieures - je pense à des forces aéronavales ou aéroportées - peut être utile, mais le combat doit être porté par les populations elles-mêmes. Et, en Irak ce sont les Irakiens, dans leur formation composite, et il faut que des gestes soient faits pour que les sunnites et les kurdes puissent être aux côtés des chiites pour lutter contre Daech sunnite. Sinon ce ne sont pas des forces extérieures qui pourront remplacer celles-là.
En juin dernier, lors d'une réunion de la coalition internationale à Paris, nous avons placé chacun devant ses responsabilités. Nous avons été clairs lors du débat que nous avons fait au Conseil de sécurité sur les minorités persécutées par Daech, en particulier les chrétiens d'Orient. Et hier même, à Paris, comme peut-être vous l'avez vu dans les journaux, en présence du président de la République et avec mon collègue jordanien, j'ai présidé une conférence internationale consacrée à ces victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Il ne s'agissait pas seulement de lancer un cri d'alarme mais de définir une feuille de route pour la communauté internationale en décidant d'agir sur trois leviers au moins: le levier humanitaire, le levier judiciaire et le levier politique. Et nos amis espagnols, très opportunément, ont proposé que l'an prochain, en 2016, une conférence de suivi identique ait lieu chez eux, ce qui permettra à cette feuille de route d'être vérifiée.
Nous avons maintenant, j'allais dire, l'appareil de toutes les décisions qu'on peut prendre pour aller en ce sens, et il y a aussi le suivi international.
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Q - Le mot «terrorisme» a été extrêmement utilisé cette dernière décennie dans la terminologie des relations internationales et je me posais justement la question : est-ce qu'il y a un intérêt urgent aujourd'hui à complètement reconceptualiser le concept de terrorisme pour mieux couvrir la variété des situations que l'on vit aujourd'hui ? Ou au contraire, y a-t-il un certain intérêt dans certaines situations, de conserver justement ce flou épistémologique parfois pour justifier des choix politiques ?
R - Sur le sujet, sur le terrorisme, je ne vais pas faire un cours long, mais il est vrai que c'est un mot qui est employé d'une façon parfois très large. Quand je discute avec tel ou tel représentant de pays, lorsqu'on parle de Daech, ce sont des terroristes. Il n'y a absolument aucun doute d'aucune sorte ! Ce sont des gens, au fond, dont le but est de tuer tous ceux qui ne sont pas inféodés à ce qu'ils représentent. Mais lorsque, dans d'autres circonstances, on qualifie de « terroristes » des gens qui peut-être ont des méthodes discutables mais qui sont surtout des opposants au régime, c'est un autre problème ! Donc faisons attention, lorsqu'on nous propose par exemple une guerre générale contre le terrorisme. Si c'est une guerre générale, une alliance contre Daech, parfait ! Mais si c'est une alliance contre tous ceux qui ne sont pas d'accord avec les gouvernements en place, c'est un autre problème. Donc voilà le seul commentaire que je ferai par rapport à votre question.
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Q - Sur la légalité des interventions éventuelles décidées par le président de la République, après les reconnaissances, ce sera évidemment des frappes dans le but de tuer des terroristes et des terroristes français, de nationalité française, ou qui sont reconnus comme tels, et qui sont susceptibles donc d'être éliminés. Quelles sont les bases légales pour autoriser ce fait dans un pays qui n'est pas couvert normalement par notre intervention ?
R - Sur la légalité de ce que nous faisons en Syrie, pour le moment, nous ne sommes pas intervenus. Nous avons survolé le territoire syrien, enfin en tous les cas une partie, et nous devons notifier cela - c'est le droit international qui veut cela - aux Nations unies. Nous le faisons, nous le ferons - je ne sais pas si nous l'avons fait aujourd'hui ou si nous le ferons demain - sur la base de l'article 51, c'est-à-dire la légitime défense. À partir du fait que, dès lors qu'il est avéré qu'à partir du territoire syrien, qui n'est pas entièrement contrôlé par le gouvernement syrien - c'est le moins qu'on puisse dire -, les forces de Daech menacent des intérêts français à la fois à l'extérieur et en France, nous sommes parfaitement légitimes à nous défendre. Et c'est sur cette base-là que cela peut se faire. Actuellement, ce sont des prises de photos par avion et, peut-être, si le président de la République en décide, y aura-t-il d'autres conséquences. Mais c'est sur la base de l'article 51.
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Q - (en anglais - sur ISIS)
R - Il y a une troisième question : «what about the strategy about Daesh ?». Je pense que la stratégie que nous avons utilisée, même si elle n'a pas actuellement encore donné tous les résultats - il n'y en a pas beaucoup d'autres -, consiste à la fois à déployer des moyens militaires, des moyens de force. Les gens de Daech ne sont pas des gens avec lesquels vous allez faire une conférence à La Sorbonne ! Ce n'est pas le sujet. Vous avez vu comment ils pratiquent : la terreur, ce n'est pas seulement un modus operandi, c'est leur marque de fabrique ! Il faut donc s'organiser militairement mais nous considérons que, pour ce qui est des troupes au sol, à partir des expériences précédentes - je pense à l'Afghanistan, je pense à l'Irak - il faut qu'il y ait un engagement des populations elles-mêmes. Cet engagement des populations elles-mêmes n'est possible que s'il y a une situation politique que j'ai appelée «inclusive». Et c'est la même chose en ce qui concerne Daech.
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Q - Vous avez évoqué la question des chrétiens d'Orient et des problèmes auxquelles ils ont à faire face en Syrie et en Irak, et vous avez réaffirmé votre orientation politique envers Bachar Al-Assad. Je pense pouvoir affirmer qu'une majorité des chrétiens en Syrie continuent de soutenir le régime de Bachar Al-Assad et sont très pessimistes sur leur avenir, si le régime venait à tomber. Quelles sont vos réponses à leurs inquiétudes ?
R - Concernant les chrétiens et Bachar, ce que vous avez dit est juste, il y a pas mal de chrétiens ou de minorités qui pensent que Bachar les protège ! Même s'ils n'ont pas d'amour particulier pour Bachar et même s'ils savent - gardons cela présent à l'esprit - qu'à l'origine de tout cela - aujourd'hui, vous avez 240.000 morts en Syrie et beaucoup de millions de déplacés et de réfugiés - c'est une révolte d'une dizaine de jeunes dans un coin de la Syrie qui a été traitée de telle manière qu'aujourd'hui nous aboutissons à ce chaos. Lorsque nous avons tenu la première conférence de Genève en juin 2012, je me rappelle très bien, c'était au début où j'arrivais au Quai d'Orsay, Daech n'existait pas ! Tous ces gens-là n'existaient pas ! Et c'est simplement parce que, pour des raisons complexes, sur lesquelles je ne vais pas revenir, énormément de temps a été perdu que, petit à petit, le terrorisme s'est installé avec, au départ, une complicité, avérée, entre Bachar et les terroristes.
Maintenant, prenons les situations telles qu'elles sont. Quel objectif faut-il poursuivre ? L'objectif à poursuivre, c'est d'essayer, si c'est encore possible, d'avoir une Syrie unie où chaque communauté soit respectée, où chaque droit soit respecté. Eh bien, évidemment, il y a des transitions à opérer mais je crois que personne de sensé ne peut penser que c'est M. Bachar Al-Assad qui va pendant quinze ans dominer la Syrie et arriver à cela ! Non !
Donc il faut opérer des transitions avec, je l'ai dit, des éléments du régime, qui ne seront pas toutes des saintes personnes, et avec des éléments non-terroristes de l'opposition. Pour cela, on a besoin de travailler avec les Arabes, avec les Turcs, avec les Russes, avec les Iraniens, avec les Américains, et c'est diablement compliqué aujourd'hui ! Et néanmoins il faut continuer.
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* Turquie - Daech - Populations kurdes
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Q - Par rapport à la Turquie, je voulais savoir ce que vous pensez de la politique actuelle de M. Erdogan, par rapport notamment aux Kurdes et à ce que j'appellerais un double jeu en finançant des mouvements islamistes et terroristes, comme Al-Nosra en Syrie, pour jouer ce type de mouvement contre les populations kurdes ? Je vous remercie.
R - Enfin, dernier élément : vous m'interrogez sur la politique turque. Là aussi, il faut faire attention. La Turquie est réellement engagée dans la lutte contre Daech. Il lui avait été reproché, à certains moments, de ne pas être assez engagée mais, pour avoir conversé pas plus tard qu'hier avec mon collègue turc qui était à Paris, cet engagement est réel. Après, il y a la question kurde. Nous, nous disons simplement que nous souhaitons, dans ce conflit comme dans d'autres, que ce soit par la discussion et la négociation que l'on trouve des solutions à un problème qui, d'ailleurs, n'est pas simplement en Turquie mais qui est beaucoup plus large. Je sais bien que l'on dit beaucoup de choses sur la période électorale, sur ceci, sur cela, mais je ne veux pas entrer dans ces considérations.
Je pense que, dès lors que la Turquie est engagée vraiment dans la lutte contre Daech, c'est quelque chose de positif. Par ailleurs, s'il y a des conflits internes en Turquie, il faut essayer de les résoudre par la négociation.
Enfin, dernier point qui n'est pas un mystère, je me rappelle que mon collègue Davutoglu, qui aujourd'hui est Premier ministre mais qui, à l'époque, était ministre des affaires étrangères, m'avait dit, quand il y avait 100.000 Syriens en Turquie : «Ce n'est pas possible que ce soit au-dessus» ; aujourd'hui, ils sont 1,8 million. Vous voyez donc la difficulté pour les Turcs. Ce qu'ils ont à l'esprit, c'est ce qu'ils appelaient autrefois les «safe zone» ou «No fly zone», c'est-à-dire, au nord de la Syrie, de pouvoir avoir une zone qui soit «safe», «secure» et où les Syriens pourraient être sans être menacés ni par les bombes de Bachar ni par les bombes de Daech. C'est la base des discussions qu'ils ont eues, notamment avec les Américains. Ceci n'est pas encore fait, mais c'est l'idée, si j'ai bien compris, qu'ils ont à l'esprit. Voilà ce que je peux dire sur la politique turque. La Turquie est un pays avec lequel nous discutons et qui va bientôt être soumis au jeu électoral.
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* Migrations
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Chaos en Syrie, persécution des minorités au Moyen-Orient, ces drames, pour une part importante, même si d'autres tragédies sont en cause, sont largement à l'origine de la grave crise migratoire à laquelle l'Europe doit faire face. J'ai dit qu'il ne fallait pas oublier la genèse de l'échouage sans vie, sur les côtes de Turquie, du petit Syrien Aylan. Ces images ont bouleversé le monde.
Un mécanisme permanent et obligatoire d'accueil des réfugiés va être mis en place au plan européen. La Commission européenne a articulé ces chiffres, des réunions auront lieu prochainement, chaque pays devra prendre sa part. Nous y reviendrons sans doute dans les questions. Pour notre part, nous considérons qu'il faut faire preuve de solidarité. Le devoir d'accueil vis-à-vis des réfugiés, de l'asile, est un devoir qui ne peut pas être contourné et qui - je donne mon sentiment - ne peut pas être échangé contre des avancées monétaires, même s'il y a des aspects financiers. Quand on doit remplir un devoir d'accueil vis-à-vis de femmes et d'hommes pourchassés on ne peut pas s'en exonérer en disant «voilà l'amende que je vais payer», ce n'est pas du même ordre, chacun peut le comprendre.
Mais tout cela est très difficile à mettre en oeuvre. Et il y a aussi bien sûr la distinction à opérer entre le devoir d'asile, qui est absolu, et en même temps l'attitude qu'il faut adopter vis-à-vis des migrations qu'on appelle de type économique, qui évidemment lorsqu'elles sont massives, demandent un autre traitement. Et puis il y a l'attitude à adopter vis-à-vis des pays de transit. Et puis il faut à aller à la source, que cette source soit la pauvreté dans un certain nombre de pays - je pense notamment à l'Afrique - ou que la source soit les conflits. On pourrait parler bien sûr, et on devrait le faire, on le fera si cela vous intéresse dans les questions, de la Libye.
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Q - Les nations les plus riches du monde se réuniront mi-novembre pour le sommet du G20 en Turquie. La France est-elle prête à travailler avec ses partenaires dans le cadre de ce sommet, pour que la crise des réfugiés, la crise humanitaire dans la région soit à l'ordre du jour officiel de ce sommet ?
R - Le G20 a lieu en Turquie à la mi-novembre et je suis sûr qu'au-delà des questions économiques qui sont traditionnellement abordées, au-delà des questions climatiques qui seront aussi abordées, la question des migrations sera nécessairement abordée. Elle ne va pas être résolue, comme cela, d'un trait de plume ! Mais il est évident que c'est une grande question qui se pose et, bien sûr, elle ne pourra pas être éludée.
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Q - Est-ce que la France a une stratégie pour concilier la nécessité d'accueillir des immigrés ? Enfin des réfugiés, plutôt ? Et l'hostilité de l'opinion française, de la majorité de l'opinion française ?
R - Sur la deuxième question, l'accueil des réfugiés, les choses sont évidemment complexes. Je crois qu'il est très tôt et qu'il serait hasardeux de dire que l'opinion française est pour ou contre tel élément. Je pourrais vous répondre que quand nous décidons une politique, nous le faisons en fonction de ce que nous jugeons être l'intérêt national et non pas en fonction de tel ou tel sondage. C'est vrai, même s'il faut évidemment tenir compte aussi de ce qu'est l'opinion publique.
Je crois que sur ce sujet, beaucoup de gens sont partagés et, d'ailleurs, peut-être l'êtes-vous vous-même ! Enrico disait que la photo du petit Aylan, a certainement bouleversé beaucoup de choses et que les gens, avant, n'étaient pas nécessairement sensibles à ce qui se passait. Beaucoup de gens disaient : «En Syrie, c'est loin, ils se disputent, qu'est-ce qu'on a à faire là-bas ?» J'ai entendu cela. Et puis voilà, vous avez tout d'un coup le choc d'une fragilité, d'une tendreté, avec cette monstruosité ! Et vous dites : «on est des êtres humains ! On ne peut pas rester sans réagir !» Donc, nous-mêmes, nous sommes dans une contradiction ; je ne parle pas des responsables politiques mais de la population. Si vous interrogez les Français - mais cela dépend beaucoup de la question ! - en leur demandant : «est-ce que vous pensez qu'il y a beaucoup de gens étrangers qui doivent venir en France ?» Je ne suis pas sûr que la réponse soit très positive. Mais si vous dites : «écoutez, voilà, les gens qui sont pourchassés par Daech, par ceci, par cela, est-ce qu'on peut les laisser mourir, est-ce qu'on peut les laisser crever, est-ce qu'on peut les laisser se noyer en mer Méditerranée ? Ou bien même si c'est difficile, est-ce qu'il faut faire quelque chose ?» La réponse sera différente.
Cela dit, je ne dissimule pas le fait - et c'est ça, le sens profond de votre question - que si les nombres en cause devaient être durablement très forts, il peut y avoir une réaction négative de l'opinion ! Déjà, vous avez vu - je ne veux pas faire de cas particuliers - que les pays d'Europe ne sont pas tous à l'unisson : il y a la réaction des Allemands qui est d'une certaine façon, il y a la réaction d'autres pays, et puis il y a des histoires nationales qui sont différentes.
Sur un sujet comme celui-ci, je pense qu'il faut éviter la démagogie. Il faut se poser les questions sérieusement. Il faut à la fois dire que le droit d'asile existe, qu'il faut donc l'appliquer et, qu'en même temps - je crois que c'était Michel Rocard qui disait cela - on doit prendre une part de la misère du monde mais on ne peut pas prendre toute la misère du monde, sur le plan économique. Il faut s'adresser aux causes, le développement, le sous-développement, la pauvreté, agir sur les pays de transit, mais savoir que, de toutes les manières, la population sera très partagée.
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* Ukraine - Russie
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Et puis, dernier élément que je veux citer : la crise ukrainienne. Vous savez qu'avec l'Allemagne, la France ne ménage pas ses efforts pour permettre la mise en oeuvre des accords de Minsk 2, avec un retrait définitif des armes, des élections à l'automne, y compris dans le Donbass, et un retour au plein contrôle par les Ukrainiens de leur frontière avec la Russie.
Mais, autant sur le plan des armements il semble dans ces derniers jours y avoir eu des avancées, autant malheureusement il n'y a pas encore de certitudes sur le vote par la Rada des textes nécessaires aux élections. Et il faut que ces élections aient eu lieu pour que les accords de Minsk puissent être respectés et qu'on puisse enfin espérer la levée des sanctions.
Et donc j'aurai probablement l'occasion après-demain sans doute de me rendre chez un de nos trois autres partenaires pour ce format «Normandie» qui joue un rôle utile pour faire avancer la solution de ce sujet très difficile.
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* Libye
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Q - Ma question porte sur le conflit en Libye. Étant donné le fait que la France est en partie responsable de la situation actuelle en Libye, j'aimerais savoir si, selon vous, elle a un rôle à jouer dans la résolution du conflit actuel ?
R - Concernant la Libye, vous avez affirmé avec force que la France portait une responsabilité dans la situation et qu'est-ce qu'on allait faire pour sortir de cette situation ? Je réponds sans me défiler. Au moment où il y a eu une intervention française en Libye, je me trouvais, avec ma formation, dans l'opposition mais nous avions soutenu cette intervention. Je ne vais donc pas faire semblant de ne pas l'avoir soutenue. Simplement, je crois, sans donner de leçon rétrospective - ce qui n'a aucun intérêt - que l'erreur qui a été commise a été de ne pas assurer le suivi de tout cela. Vous pouvez - j'allais dire : vous devez - dans certaines circonstances utiliser votre aviation, vos moyens militaires pour modifier telle ou telle situation, mais l'idée que dans un pays comme la Libye, qui n'est pas un État, qui est une collection de tribus, avec beaucoup de richesses et beaucoup d'armes, parce que M. Kadhafi n'était plus là on trouvait une solution immédiatement démocratique, c'est une illusion totale !
Il y a donc eu une période assez longue de vacuité. La nature, comme la politique, a horreur du vide, et cela a été rempli par des conflits entre tribus et peu à peu des oppositions, Tobrouk, Misrata, enfin vous connaissez tout cela. Et puis, des villes qui étaient irrédentistes, comme Dera, se sont données à Daech ; et puis comme il y avait, au Sahel, des montées de terrorisme et personne ne contrôlait rien, des terroristes se sont installés au sud. Et vous avez la situation actuelle.
Quelle est la situation actuelle ? Il y a un envoyé des Nations unies, un homme tout à fait remarquable, Bernardino Leon, qui fait un travail en ce moment et qui a proposé plusieurs plans, notamment un dernier plan qui, espère-t-il, va permettre d'avoir l'accord, là encore, pour obtenir un gouvernement d'union ! Si vous voulez qu'il y ait une action contre les terroristes, il faut d'abord que vous ayez un gouvernement d'union ! Vous ne pouvez pas avoir deux gouvernements, deux parlements. Donc, ce travail est difficile, d'autant qu'il y a toute une série de pressions extérieures.
Quelle est la position de la France ? C'est de soutenir l'action de l'ONU et de Bernardino Leon. C'est ce que nous faisons, de même que nos amis espagnols, italiens, etc. Nous sommes bien évidemment engagés en ce sens.
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* Mali
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Une autre avancée internationale, moins commentée, mais elle aussi importante, c'est l'accord de réconciliation et de paix au Mali. Il ne faut pas oublier, même si nous avons tous la mémoire courte, la situation qui existait il y a moins de trois années. Il y avait au Mali des autorités de transition qui étaient menacées de mort, il y avait des terroristes qui dans ce grand pays circulaient sans entrave et étaient à quelques heures de faire main-basse sur l'ensemble du Mali. Et, c'est l'intervention française de janvier 2013 qui a porté un coup d'arrêt.
Nous n'avons pas alors commis l'erreur, qui peut exister, de considérer que la solution serait seulement militaire et que le suivi de ces opérations ne nous concernait pas. Nous avons accompagné le Mali, sur les plans politique, militaire et économique et nous avons rassemblé des Européens, des Africains, des membres de la communauté internationale. Enfin, nous avons soutenu les efforts de paix entre le gouvernement légitime du Mali et les groupes du nord qui ont abouti, avec l'appui de nos amis algériens, à un accord en juin 2015.
Cela ne veut pas dire que tout soit réglé, et des exactions parfois graves continuent, qu'il faut combattre, mais au Mali, comme d'ailleurs en Centrafrique où des élections doivent avoir lieu d'ici quelques semaines, la France, sa diplomatie, sa force armée, a rempli ses devoirs de puissance de sécurité et de paix et on peut dire - tout en restant prudent - que c'est un succès.
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* Sénégal - Casamance
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Q - (en anglais - sur le Sénégal et la Casamance)
R - Sur la première question qui porte sur le Sénégal et la Casamance. Pour des raisons évidentes, je ne vais pas m'ingérer dans ce qui est la politique intérieure du gouvernement sénégalais qui est un gouvernement ami. Disons que la situation est différente de ce que nous avons fait au Mali. Au Mali, il y avait des terroristes qui menaçaient de prendre le contrôle de tout le Mali ; les autorités de transition nous ont demandé d'intervenir, nous sommes intervenus. Là, c'est tout à fait autre chose, c'est une rébellion qui existe depuis très longtemps, qui est liée à différents facteurs, ethniques, économiques, etc., et il serait tout à fait déplacé de la part de la France de vouloir intervenir. Simplement, ce que nous devons souhaiter, bien sûr, c'est qu'on trouve des solutions pacifiques à cette difficulté qui existe d'ailleurs depuis très longtemps.
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* Économie - Union européenne - Partenariat transatlantique - Grèce
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Q - Les deux prochaines années seront deux années dans lesquelles les étudiants qui sont ici seront très attentifs à la question de «quel sera le futur et le rôle des commerces internationaux dans le monde ?». Quel sera le rôle et quelle sera la possibilité, dans le commerce international, de trouver des accords ? L'Europe vient de trouver un accord avec le Vietnam. Il y a d'autres grands sujets qui sont devant nous. Naturellement, il y a le grand sujet du TTIP et d'autres... Qu'est-ce que tu en penses, si tu as une prévision à faire et si tu as, naturellement, une idée de comment l'Union européenne va entamer, pendant les prochaines deux années, ce dossier ?
R - Sur le commerce international, l'approche générale, pour des raisons évidentes, c'est d'essayer de le développer car c'est évidemment un outil majeur pour développer la croissance et nous avons tous besoin de croissance. Et je pense qu'il y aura - tu prenais l'exemple de l'Europe - un certain nombre d'accords qui seront passés. Sur la question la plus difficile, celle du TTIP, sur le plan des principes, nous n'avons évidemment pas d'obstacles, mais quand je vois le contenu concret et l'état des négociations, je me pose quand même des questions. Je vais faire état de trois séries de problèmes.
Première série de problèmes : la question dite des marchés publics. On peut passer un accord entre l'Europe et les États-Unis si c'est un accord d'intérêt réciproque. Or, jusqu'à présent, il y a une différence sensible entre l'ouverture aux Américains des marchés publics européens et l'ouverture des marchés publics américains, y compris des marchés régionaux, aux Européens. Les chiffres sont très différents puisqu'on doit être, dans un cas - vous me corrigerez si je me trompe -, de l'ordre de 75 à 80% et, dans l'autre cas, de l'ordre de 30%. Évidemment, c'est une affaire décisive ! Or, pour en avoir discuté avec le négociateur américain, je ne suis pas sûr, au moment où l'on parle, qu'il y ait une disponibilité de nos amis américains à ouvrir, au niveau local, les marchés publics. Si cela ne pouvait pas être le cas, évidemment, ce serait une difficulté considérable. C'est le premier point.
Le deuxième point, c'est tout ce qui concerne le secteur agricole et les préférences collectives. Je crois qu'il faut que chacun comprenne bien qu'il y a, en Europe - ce n'est pas uniquement le cas de la France - un certain nombre d'habitudes, de respects en matière de santé, en matière d'environnement dont il faut tenir compte.
Et puis le troisième point, celui-là bien connu, c'est la question des panels de jugement.
Après, il faut projeter tout cela dans le calendrier politique américain qui est un peu compliqué, puisqu'il va y avoir une élection l'année prochaine ; évidemment, tout va devenir extrêmement politisé. J'ai donc toujours dit, quand on m'a posé la question de principe : «Écoutez, nous sommes tout à fait ouverts à cet accord. Je pense que c'est une bonne chose de pouvoir développer le commerce international, mais il n'y a pas d'accord possible si les deux parties n'y trouvent pas leur avantage.» Je ne suis pas sûr que pour le moment, les négociations aient suffisamment avancé.
(...)
Dans un tout autre contexte - et Enrico y faisait allusion -, dans la crise grecque nous avons su au cours des derniers mois amener, petit à petit, les États de la zone euro à prendre avec la Grèce les décisions difficiles nécessaires conformément au principe de solidarité et de responsabilité qui, selon nous, doivent gouverner l'Europe.
Nous étions conscients des risques considérables non seulement, Mesdames et Messieurs, économiques, mais j'allais dire surtout géopolitiques qu'aurait présenté ce qu'on appelle un «grexit».
Nous avons fait partager cette analyse à nos partenaires, notamment à nos partenaires allemands puis à d'autres, et, même si nous restons très vigilants puisqu'il y a encore des incertitudes qui demeurent, nous avons, je crois, contribué à l'élaboration d'un compromis européen. Et d'ailleurs, nous en tirons aujourd'hui des leçons plus générale, en proposant, là aussi avec nos amis allemands et d'autres, les voies nécessaires à la consolidation de la zone euro.
(...)./.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2015
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D'abord, je voudrais dire quelques mots d'un dossier qui m'a beaucoup occupé et qui est celui du nucléaire iranien. Pendant douze années cette question a occupé et préoccupé la communauté internationale. Un Iran doté de la bombe atomique, non seulement aurait constitué un danger considérable en soi mais, ce qu'on ne voit pas toujours, cela aurait provoqué une course mortifère à l'arme nucléaire dans toute la région, qui est déjà extrêmement éruptive. Et, face à ce risque qui était considérable, nous avons adopté, nous, la France, une position, que j'ai appelé «de fermeté constructive», qui signifiait quoi ? Oui, à un accord mais à condition que l'accord écarte de manière certaine, c'est-à-dire vérifiable, l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire. Je pense que cette fermeté, qui compte tenu des enjeux était légitime, a largement contribué à nous permettre de parvenir à l'accord du 14 juillet dernier.
Si cet accord est approuvé, et il est de plus en plus probable qu'il va l'être, puis respecté - et nous nous sommes donnés les moyens de vérifier qu'il le soit -, il peut, j'insiste sur le mot «peut», faciliter davantage de paix et de stabilité au Moyen-Orient. Mais rien n'est acquis et encore moins l'horizon. C'est le message que j'ai porté lors de ma visite à Téhéran fin juillet et pour une fois le terme d'accord historique n'était pas galvaudé. Or, cet accord date d'il y a quelques semaines.
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* Terrorisme - Syrie - Irak - Libye - Daech
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Je commence bien sûr par le drame syrien. Le président de la République s'est exprimé sur ce sujet lundi dernier et notre analyse, contrairement à ce que je lis ici ou là, n'a fondamentalement pas varié. D'une part, nous considérons - là il n'y a pas de révélation - que la lutte contre Daech et les groupes terroristes est une nécessité absolue. D'autre part, nous estimons qu'en Syrie la solution est d'ordre politique. À ceux qui voudraient voir en M. Bachar Al-Assad un partenaire, le partenaire, je voudrais rappeler une vérité qui est cruelle : il est malheureusement le premier responsable du chaos actuel. Et cela rend très difficile, pour ne pas dire impossible, qu'il soit présenté comme l'avenir de son peuple.
Enrico, tu faisais allusion à cette photo terrible du petit enfant syrien retrouvé face contre le sable mort sur les rivages turcs. Mais j'ai lu l'histoire de son père, et avant d'être persécuté par Daech, il est passé par les prisons de Damas et de Bachar Al-Assad. Et considérer, comme je l'entends entre deux mots, qu'il faut choisir le moindre mal, les choses sont évidemment beaucoup plus complexes. La priorité doit aller à une accélération des négociations pour installer à Damas un gouvernement de transition, qui, nécessairement, et nous l'avons dit dès le premier jour, sera composé d'éléments du régime, que cela nous plaise ou non, et d'éléments de l'opposition non terroriste, sans la domination de M. Assad.
Si l'on n'a pas cette transition, les efforts nécessaires de la coalition internationale resteront insuffisants. Et si l'on n'a pas cette transition, qui devra respecter les droits de toutes les communautés et de tous les habitants, la Syrie risque de demeurer enfermée dans le chaos. C'est pourquoi nous agissons avec d'autres, sans relâche, avec des conversations qui ne sont pas toujours publiques, avec les partenaires arabes, avec les Américains, avec les Russes, avec les Iraniens, pour faciliter cette évolution nécessaire.
Nous en avons discuté, j'en discute avec tous ces peuples et aussi bien sûr avec l'envoyé des Nations unies, M. Staffan de Mistura. Et l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre, pourrait être une occasion de discussion même si le contexte - et il y aura probablement des questions là-dessus - est extrêmement complexe, rendu plus complexe encore par les informations qui nous sont données sur le fait que les Russes auraient envoyé récemment des forces nouvelles surtout près de Tartous et de Lattaquié. La France, c'est sa mission, va redoubler d'efforts diplomatiques pour essayer, même si c'est très compliqué, de mettre un terme à ce drame syrien qui est l'une des plus grandes tragédies de ce début de siècle.
Cette crise syrienne doit être résolue pour sauver les Syriens, mais aussi pour vaincre Daech car Daech se nourrit du chaos et du désespoir en Syrie.
En plus des efforts diplomatiques, que je viens de rappeler, nous devons être militairement actif puisque Daech - qui décapite à la fois les hommes, les femmes et les monuments, tout ce qui ne lui est pas inféodé- nous menace gravement nous Français, Européens jusque sur nos propres sols. Depuis des mois nous nous mobilisons pour lutter contre la radicalisation, pour remonter les filières djihadistes, pour identifier et surveiller les individus qui, depuis la Syrie ou sur notre territoire, voudraient perpétrer des attentats en France. Nous avons décidé d'amplifier cet effort à partir d'éléments précis qui nous étaient donnés sur la menace qui, depuis la Syrie et à cause de Daech, menaçait la France. Et c'est le sens des décisions annoncées lundi par le président de la République : nous renforçons notre capacité de renseignement par des vols de reconnaissance en Syrie - certains ont eu lieu hier et aujourd'hui - pour nous mettre en mesure d'en tirer les conséquences si la situation le justifie. Nous devons donc mieux surveiller pour mieux lutter, et mieux nous renseigner pour mieux nous protéger.
En Irak - pas loin de la Syrie, et désormais les frontières sont quasiment ouvertes -, nos forces armées, comme vous le savez, participent aux frappes aériennes de la coalition internationale. C'est une action militaire indispensable, de même qu'elle doit être renforcée sur le plan politique, avec ce qu'on appelle des gestes inclusifs du gouvernement irakien de M. al Abadi, afin de rassembler non seulement les populations chiites mais aussi les populations sunnites et kurdes.
Car l'une des convictions que nous nous sommes faites, à partir d'un certain nombre d'expériences - comparaison n'est pas raison, mais il faut tirer des leçons, qu'il s'agisse de l'Irak ou de l'Afghanistan - c'est que, bien évidemment, le soutien de forces extérieures - je pense à des forces aéronavales ou aéroportées - peut être utile, mais le combat doit être porté par les populations elles-mêmes. Et, en Irak ce sont les Irakiens, dans leur formation composite, et il faut que des gestes soient faits pour que les sunnites et les kurdes puissent être aux côtés des chiites pour lutter contre Daech sunnite. Sinon ce ne sont pas des forces extérieures qui pourront remplacer celles-là.
En juin dernier, lors d'une réunion de la coalition internationale à Paris, nous avons placé chacun devant ses responsabilités. Nous avons été clairs lors du débat que nous avons fait au Conseil de sécurité sur les minorités persécutées par Daech, en particulier les chrétiens d'Orient. Et hier même, à Paris, comme peut-être vous l'avez vu dans les journaux, en présence du président de la République et avec mon collègue jordanien, j'ai présidé une conférence internationale consacrée à ces victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Il ne s'agissait pas seulement de lancer un cri d'alarme mais de définir une feuille de route pour la communauté internationale en décidant d'agir sur trois leviers au moins: le levier humanitaire, le levier judiciaire et le levier politique. Et nos amis espagnols, très opportunément, ont proposé que l'an prochain, en 2016, une conférence de suivi identique ait lieu chez eux, ce qui permettra à cette feuille de route d'être vérifiée.
Nous avons maintenant, j'allais dire, l'appareil de toutes les décisions qu'on peut prendre pour aller en ce sens, et il y a aussi le suivi international.
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Q - Le mot «terrorisme» a été extrêmement utilisé cette dernière décennie dans la terminologie des relations internationales et je me posais justement la question : est-ce qu'il y a un intérêt urgent aujourd'hui à complètement reconceptualiser le concept de terrorisme pour mieux couvrir la variété des situations que l'on vit aujourd'hui ? Ou au contraire, y a-t-il un certain intérêt dans certaines situations, de conserver justement ce flou épistémologique parfois pour justifier des choix politiques ?
R - Sur le sujet, sur le terrorisme, je ne vais pas faire un cours long, mais il est vrai que c'est un mot qui est employé d'une façon parfois très large. Quand je discute avec tel ou tel représentant de pays, lorsqu'on parle de Daech, ce sont des terroristes. Il n'y a absolument aucun doute d'aucune sorte ! Ce sont des gens, au fond, dont le but est de tuer tous ceux qui ne sont pas inféodés à ce qu'ils représentent. Mais lorsque, dans d'autres circonstances, on qualifie de « terroristes » des gens qui peut-être ont des méthodes discutables mais qui sont surtout des opposants au régime, c'est un autre problème ! Donc faisons attention, lorsqu'on nous propose par exemple une guerre générale contre le terrorisme. Si c'est une guerre générale, une alliance contre Daech, parfait ! Mais si c'est une alliance contre tous ceux qui ne sont pas d'accord avec les gouvernements en place, c'est un autre problème. Donc voilà le seul commentaire que je ferai par rapport à votre question.
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Q - Sur la légalité des interventions éventuelles décidées par le président de la République, après les reconnaissances, ce sera évidemment des frappes dans le but de tuer des terroristes et des terroristes français, de nationalité française, ou qui sont reconnus comme tels, et qui sont susceptibles donc d'être éliminés. Quelles sont les bases légales pour autoriser ce fait dans un pays qui n'est pas couvert normalement par notre intervention ?
R - Sur la légalité de ce que nous faisons en Syrie, pour le moment, nous ne sommes pas intervenus. Nous avons survolé le territoire syrien, enfin en tous les cas une partie, et nous devons notifier cela - c'est le droit international qui veut cela - aux Nations unies. Nous le faisons, nous le ferons - je ne sais pas si nous l'avons fait aujourd'hui ou si nous le ferons demain - sur la base de l'article 51, c'est-à-dire la légitime défense. À partir du fait que, dès lors qu'il est avéré qu'à partir du territoire syrien, qui n'est pas entièrement contrôlé par le gouvernement syrien - c'est le moins qu'on puisse dire -, les forces de Daech menacent des intérêts français à la fois à l'extérieur et en France, nous sommes parfaitement légitimes à nous défendre. Et c'est sur cette base-là que cela peut se faire. Actuellement, ce sont des prises de photos par avion et, peut-être, si le président de la République en décide, y aura-t-il d'autres conséquences. Mais c'est sur la base de l'article 51.
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Q - (en anglais - sur ISIS)
R - Il y a une troisième question : «what about the strategy about Daesh ?». Je pense que la stratégie que nous avons utilisée, même si elle n'a pas actuellement encore donné tous les résultats - il n'y en a pas beaucoup d'autres -, consiste à la fois à déployer des moyens militaires, des moyens de force. Les gens de Daech ne sont pas des gens avec lesquels vous allez faire une conférence à La Sorbonne ! Ce n'est pas le sujet. Vous avez vu comment ils pratiquent : la terreur, ce n'est pas seulement un modus operandi, c'est leur marque de fabrique ! Il faut donc s'organiser militairement mais nous considérons que, pour ce qui est des troupes au sol, à partir des expériences précédentes - je pense à l'Afghanistan, je pense à l'Irak - il faut qu'il y ait un engagement des populations elles-mêmes. Cet engagement des populations elles-mêmes n'est possible que s'il y a une situation politique que j'ai appelée «inclusive». Et c'est la même chose en ce qui concerne Daech.
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Q - Vous avez évoqué la question des chrétiens d'Orient et des problèmes auxquelles ils ont à faire face en Syrie et en Irak, et vous avez réaffirmé votre orientation politique envers Bachar Al-Assad. Je pense pouvoir affirmer qu'une majorité des chrétiens en Syrie continuent de soutenir le régime de Bachar Al-Assad et sont très pessimistes sur leur avenir, si le régime venait à tomber. Quelles sont vos réponses à leurs inquiétudes ?
R - Concernant les chrétiens et Bachar, ce que vous avez dit est juste, il y a pas mal de chrétiens ou de minorités qui pensent que Bachar les protège ! Même s'ils n'ont pas d'amour particulier pour Bachar et même s'ils savent - gardons cela présent à l'esprit - qu'à l'origine de tout cela - aujourd'hui, vous avez 240.000 morts en Syrie et beaucoup de millions de déplacés et de réfugiés - c'est une révolte d'une dizaine de jeunes dans un coin de la Syrie qui a été traitée de telle manière qu'aujourd'hui nous aboutissons à ce chaos. Lorsque nous avons tenu la première conférence de Genève en juin 2012, je me rappelle très bien, c'était au début où j'arrivais au Quai d'Orsay, Daech n'existait pas ! Tous ces gens-là n'existaient pas ! Et c'est simplement parce que, pour des raisons complexes, sur lesquelles je ne vais pas revenir, énormément de temps a été perdu que, petit à petit, le terrorisme s'est installé avec, au départ, une complicité, avérée, entre Bachar et les terroristes.
Maintenant, prenons les situations telles qu'elles sont. Quel objectif faut-il poursuivre ? L'objectif à poursuivre, c'est d'essayer, si c'est encore possible, d'avoir une Syrie unie où chaque communauté soit respectée, où chaque droit soit respecté. Eh bien, évidemment, il y a des transitions à opérer mais je crois que personne de sensé ne peut penser que c'est M. Bachar Al-Assad qui va pendant quinze ans dominer la Syrie et arriver à cela ! Non !
Donc il faut opérer des transitions avec, je l'ai dit, des éléments du régime, qui ne seront pas toutes des saintes personnes, et avec des éléments non-terroristes de l'opposition. Pour cela, on a besoin de travailler avec les Arabes, avec les Turcs, avec les Russes, avec les Iraniens, avec les Américains, et c'est diablement compliqué aujourd'hui ! Et néanmoins il faut continuer.
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* Turquie - Daech - Populations kurdes
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Q - Par rapport à la Turquie, je voulais savoir ce que vous pensez de la politique actuelle de M. Erdogan, par rapport notamment aux Kurdes et à ce que j'appellerais un double jeu en finançant des mouvements islamistes et terroristes, comme Al-Nosra en Syrie, pour jouer ce type de mouvement contre les populations kurdes ? Je vous remercie.
R - Enfin, dernier élément : vous m'interrogez sur la politique turque. Là aussi, il faut faire attention. La Turquie est réellement engagée dans la lutte contre Daech. Il lui avait été reproché, à certains moments, de ne pas être assez engagée mais, pour avoir conversé pas plus tard qu'hier avec mon collègue turc qui était à Paris, cet engagement est réel. Après, il y a la question kurde. Nous, nous disons simplement que nous souhaitons, dans ce conflit comme dans d'autres, que ce soit par la discussion et la négociation que l'on trouve des solutions à un problème qui, d'ailleurs, n'est pas simplement en Turquie mais qui est beaucoup plus large. Je sais bien que l'on dit beaucoup de choses sur la période électorale, sur ceci, sur cela, mais je ne veux pas entrer dans ces considérations.
Je pense que, dès lors que la Turquie est engagée vraiment dans la lutte contre Daech, c'est quelque chose de positif. Par ailleurs, s'il y a des conflits internes en Turquie, il faut essayer de les résoudre par la négociation.
Enfin, dernier point qui n'est pas un mystère, je me rappelle que mon collègue Davutoglu, qui aujourd'hui est Premier ministre mais qui, à l'époque, était ministre des affaires étrangères, m'avait dit, quand il y avait 100.000 Syriens en Turquie : «Ce n'est pas possible que ce soit au-dessus» ; aujourd'hui, ils sont 1,8 million. Vous voyez donc la difficulté pour les Turcs. Ce qu'ils ont à l'esprit, c'est ce qu'ils appelaient autrefois les «safe zone» ou «No fly zone», c'est-à-dire, au nord de la Syrie, de pouvoir avoir une zone qui soit «safe», «secure» et où les Syriens pourraient être sans être menacés ni par les bombes de Bachar ni par les bombes de Daech. C'est la base des discussions qu'ils ont eues, notamment avec les Américains. Ceci n'est pas encore fait, mais c'est l'idée, si j'ai bien compris, qu'ils ont à l'esprit. Voilà ce que je peux dire sur la politique turque. La Turquie est un pays avec lequel nous discutons et qui va bientôt être soumis au jeu électoral.
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* Migrations
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Chaos en Syrie, persécution des minorités au Moyen-Orient, ces drames, pour une part importante, même si d'autres tragédies sont en cause, sont largement à l'origine de la grave crise migratoire à laquelle l'Europe doit faire face. J'ai dit qu'il ne fallait pas oublier la genèse de l'échouage sans vie, sur les côtes de Turquie, du petit Syrien Aylan. Ces images ont bouleversé le monde.
Un mécanisme permanent et obligatoire d'accueil des réfugiés va être mis en place au plan européen. La Commission européenne a articulé ces chiffres, des réunions auront lieu prochainement, chaque pays devra prendre sa part. Nous y reviendrons sans doute dans les questions. Pour notre part, nous considérons qu'il faut faire preuve de solidarité. Le devoir d'accueil vis-à-vis des réfugiés, de l'asile, est un devoir qui ne peut pas être contourné et qui - je donne mon sentiment - ne peut pas être échangé contre des avancées monétaires, même s'il y a des aspects financiers. Quand on doit remplir un devoir d'accueil vis-à-vis de femmes et d'hommes pourchassés on ne peut pas s'en exonérer en disant «voilà l'amende que je vais payer», ce n'est pas du même ordre, chacun peut le comprendre.
Mais tout cela est très difficile à mettre en oeuvre. Et il y a aussi bien sûr la distinction à opérer entre le devoir d'asile, qui est absolu, et en même temps l'attitude qu'il faut adopter vis-à-vis des migrations qu'on appelle de type économique, qui évidemment lorsqu'elles sont massives, demandent un autre traitement. Et puis il y a l'attitude à adopter vis-à-vis des pays de transit. Et puis il faut à aller à la source, que cette source soit la pauvreté dans un certain nombre de pays - je pense notamment à l'Afrique - ou que la source soit les conflits. On pourrait parler bien sûr, et on devrait le faire, on le fera si cela vous intéresse dans les questions, de la Libye.
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Q - Les nations les plus riches du monde se réuniront mi-novembre pour le sommet du G20 en Turquie. La France est-elle prête à travailler avec ses partenaires dans le cadre de ce sommet, pour que la crise des réfugiés, la crise humanitaire dans la région soit à l'ordre du jour officiel de ce sommet ?
R - Le G20 a lieu en Turquie à la mi-novembre et je suis sûr qu'au-delà des questions économiques qui sont traditionnellement abordées, au-delà des questions climatiques qui seront aussi abordées, la question des migrations sera nécessairement abordée. Elle ne va pas être résolue, comme cela, d'un trait de plume ! Mais il est évident que c'est une grande question qui se pose et, bien sûr, elle ne pourra pas être éludée.
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Q - Est-ce que la France a une stratégie pour concilier la nécessité d'accueillir des immigrés ? Enfin des réfugiés, plutôt ? Et l'hostilité de l'opinion française, de la majorité de l'opinion française ?
R - Sur la deuxième question, l'accueil des réfugiés, les choses sont évidemment complexes. Je crois qu'il est très tôt et qu'il serait hasardeux de dire que l'opinion française est pour ou contre tel élément. Je pourrais vous répondre que quand nous décidons une politique, nous le faisons en fonction de ce que nous jugeons être l'intérêt national et non pas en fonction de tel ou tel sondage. C'est vrai, même s'il faut évidemment tenir compte aussi de ce qu'est l'opinion publique.
Je crois que sur ce sujet, beaucoup de gens sont partagés et, d'ailleurs, peut-être l'êtes-vous vous-même ! Enrico disait que la photo du petit Aylan, a certainement bouleversé beaucoup de choses et que les gens, avant, n'étaient pas nécessairement sensibles à ce qui se passait. Beaucoup de gens disaient : «En Syrie, c'est loin, ils se disputent, qu'est-ce qu'on a à faire là-bas ?» J'ai entendu cela. Et puis voilà, vous avez tout d'un coup le choc d'une fragilité, d'une tendreté, avec cette monstruosité ! Et vous dites : «on est des êtres humains ! On ne peut pas rester sans réagir !» Donc, nous-mêmes, nous sommes dans une contradiction ; je ne parle pas des responsables politiques mais de la population. Si vous interrogez les Français - mais cela dépend beaucoup de la question ! - en leur demandant : «est-ce que vous pensez qu'il y a beaucoup de gens étrangers qui doivent venir en France ?» Je ne suis pas sûr que la réponse soit très positive. Mais si vous dites : «écoutez, voilà, les gens qui sont pourchassés par Daech, par ceci, par cela, est-ce qu'on peut les laisser mourir, est-ce qu'on peut les laisser crever, est-ce qu'on peut les laisser se noyer en mer Méditerranée ? Ou bien même si c'est difficile, est-ce qu'il faut faire quelque chose ?» La réponse sera différente.
Cela dit, je ne dissimule pas le fait - et c'est ça, le sens profond de votre question - que si les nombres en cause devaient être durablement très forts, il peut y avoir une réaction négative de l'opinion ! Déjà, vous avez vu - je ne veux pas faire de cas particuliers - que les pays d'Europe ne sont pas tous à l'unisson : il y a la réaction des Allemands qui est d'une certaine façon, il y a la réaction d'autres pays, et puis il y a des histoires nationales qui sont différentes.
Sur un sujet comme celui-ci, je pense qu'il faut éviter la démagogie. Il faut se poser les questions sérieusement. Il faut à la fois dire que le droit d'asile existe, qu'il faut donc l'appliquer et, qu'en même temps - je crois que c'était Michel Rocard qui disait cela - on doit prendre une part de la misère du monde mais on ne peut pas prendre toute la misère du monde, sur le plan économique. Il faut s'adresser aux causes, le développement, le sous-développement, la pauvreté, agir sur les pays de transit, mais savoir que, de toutes les manières, la population sera très partagée.
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* Ukraine - Russie
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Et puis, dernier élément que je veux citer : la crise ukrainienne. Vous savez qu'avec l'Allemagne, la France ne ménage pas ses efforts pour permettre la mise en oeuvre des accords de Minsk 2, avec un retrait définitif des armes, des élections à l'automne, y compris dans le Donbass, et un retour au plein contrôle par les Ukrainiens de leur frontière avec la Russie.
Mais, autant sur le plan des armements il semble dans ces derniers jours y avoir eu des avancées, autant malheureusement il n'y a pas encore de certitudes sur le vote par la Rada des textes nécessaires aux élections. Et il faut que ces élections aient eu lieu pour que les accords de Minsk puissent être respectés et qu'on puisse enfin espérer la levée des sanctions.
Et donc j'aurai probablement l'occasion après-demain sans doute de me rendre chez un de nos trois autres partenaires pour ce format «Normandie» qui joue un rôle utile pour faire avancer la solution de ce sujet très difficile.
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* Libye
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Q - Ma question porte sur le conflit en Libye. Étant donné le fait que la France est en partie responsable de la situation actuelle en Libye, j'aimerais savoir si, selon vous, elle a un rôle à jouer dans la résolution du conflit actuel ?
R - Concernant la Libye, vous avez affirmé avec force que la France portait une responsabilité dans la situation et qu'est-ce qu'on allait faire pour sortir de cette situation ? Je réponds sans me défiler. Au moment où il y a eu une intervention française en Libye, je me trouvais, avec ma formation, dans l'opposition mais nous avions soutenu cette intervention. Je ne vais donc pas faire semblant de ne pas l'avoir soutenue. Simplement, je crois, sans donner de leçon rétrospective - ce qui n'a aucun intérêt - que l'erreur qui a été commise a été de ne pas assurer le suivi de tout cela. Vous pouvez - j'allais dire : vous devez - dans certaines circonstances utiliser votre aviation, vos moyens militaires pour modifier telle ou telle situation, mais l'idée que dans un pays comme la Libye, qui n'est pas un État, qui est une collection de tribus, avec beaucoup de richesses et beaucoup d'armes, parce que M. Kadhafi n'était plus là on trouvait une solution immédiatement démocratique, c'est une illusion totale !
Il y a donc eu une période assez longue de vacuité. La nature, comme la politique, a horreur du vide, et cela a été rempli par des conflits entre tribus et peu à peu des oppositions, Tobrouk, Misrata, enfin vous connaissez tout cela. Et puis, des villes qui étaient irrédentistes, comme Dera, se sont données à Daech ; et puis comme il y avait, au Sahel, des montées de terrorisme et personne ne contrôlait rien, des terroristes se sont installés au sud. Et vous avez la situation actuelle.
Quelle est la situation actuelle ? Il y a un envoyé des Nations unies, un homme tout à fait remarquable, Bernardino Leon, qui fait un travail en ce moment et qui a proposé plusieurs plans, notamment un dernier plan qui, espère-t-il, va permettre d'avoir l'accord, là encore, pour obtenir un gouvernement d'union ! Si vous voulez qu'il y ait une action contre les terroristes, il faut d'abord que vous ayez un gouvernement d'union ! Vous ne pouvez pas avoir deux gouvernements, deux parlements. Donc, ce travail est difficile, d'autant qu'il y a toute une série de pressions extérieures.
Quelle est la position de la France ? C'est de soutenir l'action de l'ONU et de Bernardino Leon. C'est ce que nous faisons, de même que nos amis espagnols, italiens, etc. Nous sommes bien évidemment engagés en ce sens.
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* Mali
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Une autre avancée internationale, moins commentée, mais elle aussi importante, c'est l'accord de réconciliation et de paix au Mali. Il ne faut pas oublier, même si nous avons tous la mémoire courte, la situation qui existait il y a moins de trois années. Il y avait au Mali des autorités de transition qui étaient menacées de mort, il y avait des terroristes qui dans ce grand pays circulaient sans entrave et étaient à quelques heures de faire main-basse sur l'ensemble du Mali. Et, c'est l'intervention française de janvier 2013 qui a porté un coup d'arrêt.
Nous n'avons pas alors commis l'erreur, qui peut exister, de considérer que la solution serait seulement militaire et que le suivi de ces opérations ne nous concernait pas. Nous avons accompagné le Mali, sur les plans politique, militaire et économique et nous avons rassemblé des Européens, des Africains, des membres de la communauté internationale. Enfin, nous avons soutenu les efforts de paix entre le gouvernement légitime du Mali et les groupes du nord qui ont abouti, avec l'appui de nos amis algériens, à un accord en juin 2015.
Cela ne veut pas dire que tout soit réglé, et des exactions parfois graves continuent, qu'il faut combattre, mais au Mali, comme d'ailleurs en Centrafrique où des élections doivent avoir lieu d'ici quelques semaines, la France, sa diplomatie, sa force armée, a rempli ses devoirs de puissance de sécurité et de paix et on peut dire - tout en restant prudent - que c'est un succès.
(...).
* Sénégal - Casamance
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Q - (en anglais - sur le Sénégal et la Casamance)
R - Sur la première question qui porte sur le Sénégal et la Casamance. Pour des raisons évidentes, je ne vais pas m'ingérer dans ce qui est la politique intérieure du gouvernement sénégalais qui est un gouvernement ami. Disons que la situation est différente de ce que nous avons fait au Mali. Au Mali, il y avait des terroristes qui menaçaient de prendre le contrôle de tout le Mali ; les autorités de transition nous ont demandé d'intervenir, nous sommes intervenus. Là, c'est tout à fait autre chose, c'est une rébellion qui existe depuis très longtemps, qui est liée à différents facteurs, ethniques, économiques, etc., et il serait tout à fait déplacé de la part de la France de vouloir intervenir. Simplement, ce que nous devons souhaiter, bien sûr, c'est qu'on trouve des solutions pacifiques à cette difficulté qui existe d'ailleurs depuis très longtemps.
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* Économie - Union européenne - Partenariat transatlantique - Grèce
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Q - Les deux prochaines années seront deux années dans lesquelles les étudiants qui sont ici seront très attentifs à la question de «quel sera le futur et le rôle des commerces internationaux dans le monde ?». Quel sera le rôle et quelle sera la possibilité, dans le commerce international, de trouver des accords ? L'Europe vient de trouver un accord avec le Vietnam. Il y a d'autres grands sujets qui sont devant nous. Naturellement, il y a le grand sujet du TTIP et d'autres... Qu'est-ce que tu en penses, si tu as une prévision à faire et si tu as, naturellement, une idée de comment l'Union européenne va entamer, pendant les prochaines deux années, ce dossier ?
R - Sur le commerce international, l'approche générale, pour des raisons évidentes, c'est d'essayer de le développer car c'est évidemment un outil majeur pour développer la croissance et nous avons tous besoin de croissance. Et je pense qu'il y aura - tu prenais l'exemple de l'Europe - un certain nombre d'accords qui seront passés. Sur la question la plus difficile, celle du TTIP, sur le plan des principes, nous n'avons évidemment pas d'obstacles, mais quand je vois le contenu concret et l'état des négociations, je me pose quand même des questions. Je vais faire état de trois séries de problèmes.
Première série de problèmes : la question dite des marchés publics. On peut passer un accord entre l'Europe et les États-Unis si c'est un accord d'intérêt réciproque. Or, jusqu'à présent, il y a une différence sensible entre l'ouverture aux Américains des marchés publics européens et l'ouverture des marchés publics américains, y compris des marchés régionaux, aux Européens. Les chiffres sont très différents puisqu'on doit être, dans un cas - vous me corrigerez si je me trompe -, de l'ordre de 75 à 80% et, dans l'autre cas, de l'ordre de 30%. Évidemment, c'est une affaire décisive ! Or, pour en avoir discuté avec le négociateur américain, je ne suis pas sûr, au moment où l'on parle, qu'il y ait une disponibilité de nos amis américains à ouvrir, au niveau local, les marchés publics. Si cela ne pouvait pas être le cas, évidemment, ce serait une difficulté considérable. C'est le premier point.
Le deuxième point, c'est tout ce qui concerne le secteur agricole et les préférences collectives. Je crois qu'il faut que chacun comprenne bien qu'il y a, en Europe - ce n'est pas uniquement le cas de la France - un certain nombre d'habitudes, de respects en matière de santé, en matière d'environnement dont il faut tenir compte.
Et puis le troisième point, celui-là bien connu, c'est la question des panels de jugement.
Après, il faut projeter tout cela dans le calendrier politique américain qui est un peu compliqué, puisqu'il va y avoir une élection l'année prochaine ; évidemment, tout va devenir extrêmement politisé. J'ai donc toujours dit, quand on m'a posé la question de principe : «Écoutez, nous sommes tout à fait ouverts à cet accord. Je pense que c'est une bonne chose de pouvoir développer le commerce international, mais il n'y a pas d'accord possible si les deux parties n'y trouvent pas leur avantage.» Je ne suis pas sûr que pour le moment, les négociations aient suffisamment avancé.
(...)
Dans un tout autre contexte - et Enrico y faisait allusion -, dans la crise grecque nous avons su au cours des derniers mois amener, petit à petit, les États de la zone euro à prendre avec la Grèce les décisions difficiles nécessaires conformément au principe de solidarité et de responsabilité qui, selon nous, doivent gouverner l'Europe.
Nous étions conscients des risques considérables non seulement, Mesdames et Messieurs, économiques, mais j'allais dire surtout géopolitiques qu'aurait présenté ce qu'on appelle un «grexit».
Nous avons fait partager cette analyse à nos partenaires, notamment à nos partenaires allemands puis à d'autres, et, même si nous restons très vigilants puisqu'il y a encore des incertitudes qui demeurent, nous avons, je crois, contribué à l'élaboration d'un compromis européen. Et d'ailleurs, nous en tirons aujourd'hui des leçons plus générale, en proposant, là aussi avec nos amis allemands et d'autres, les voies nécessaires à la consolidation de la zone euro.
(...)./.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2015