Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec TV5 Monde, RFI et "Le Monde" le 13 septembre 2015, sur la crise migratoire, le référendum en Grande-Bretagne pour la sortie ou non de l'Union européenne, la dette grecque et sur la situation en Syrie.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Radio France Internationale - TV5

Texte intégral


* Migrations - Espace Schengen
Q - Tout d'abord, avant de vous interroger, retour sur quelques images, quelques chiffres et quelques réalités. Harlem Désir, votre réaction à certaines de ces images insupportables et au fait que, eh bien les 28 apportent 28 réponses différentes, il n'y a pas d'Europe, il n'y a pas de réponse européenne à cette réalité.
R - Nous sommes face au plus important mouvement de populations en Europe, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et face à cette crise, il ne peut pas y avoir 28 réponses nationales différentes, il doit y avoir une réponse européenne. Oui, mais face à l'horreur, il faut répondre par l'honneur. Face à l'horreur de ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui au péril de leur vie prennent des embarcations pour essayer de rejoindre les côtes européennes, qui se jettent sur les routes, pendant des semaines, des mois, pour essayer de trouver asile, l'honneur de l'Europe c'est le droit d'asile. La réponse, c'est celle de la dignité, c'est celle de la solidarité, et elle ne peut être que commune.
Quand on a soi-même, dans son histoire, il y a de cela 25 ans, combattu pour abattre un mur, pour abattre un rideau de fer, on n'en construit pas un nouveau au coeur de l'Europe, pour empêcher l'entrée de réfugiés qui veulent trouver un refuge. On ne le fait pas, quand on se souvient qu'en 1956, il y avait une répression à Budapest, en Hongrie, il y alors avait des Hongrois qui trouvaient refuge en Europe, en Angleterre, en France, et dans d'autres pays.
Donc, il doit y avoir cette capacité aujourd'hui à faire face, par nos valeurs, avec de l'organisation, avec la solidarité vis-à-vis des pays où arrivent massivement des migrants, la Grèce, l'Italie, la Hongrie. Et je comprends tout à fait que chacun de ces pays ait besoin de la solidarité, mais pas en renonçant à nos principes, c'est-à-dire celui de la protection des personnes qui sont persécutées et qui ont besoin de notre aide.
Q - Vous nous dites : «On n'érige pas un mur», mais quand on le fait, comme en Hongrie, eh bien ce mur il existe, ce n'est pas bien, alors vous représentez un magistère de la parole, on peut s'indigner, mais qu'est-ce qu'on fait, concrètement ?
R - D'abord, concrètement, nous demandons qu'il y ait une réponse qui repose sur l'accueil de ces réfugiés, en enregistrant ceux qui se présentent aux frontières extérieures de l'Europe, dans des centres qui doivent être mis en place, en particulier en Grèce, en Italie, sans doute en Hongrie, pour pouvoir s'assurer que ceux qui ont besoin de bénéficier d'une protection internationale, soient accueillis, et évidemment que ceux qui relèvent de l'immigration économique et qui n'ont pas d'autorisation puissent être raccompagnés dans leur pays d'origine dans le cadre d'une politique d'aide au retour, et d'aide aussi au développement de ces pays. Cela sera l'objet d'ailleurs d'un grand sommet entre l'Union européenne et l'Afrique.
Je voudrais que l'on n'oublie pas l'Afrique dans cette situation. Il y a évidemment la guerre en Syrie, en Irak, mais il y a aussi à faire face à notre relation avec le sud de la méditerranée, avec les pays de la région sahélo-saharienne et même d'Afrique de l'ouest ou d'Afrique de l'est.
Il doit y avoir une répartition. La réponse, ce n'est pas de faire un mur, c'est de dire : je suis aujourd'hui confronté à l'arrivée très massive de migrants, qui d'ailleurs en général ne veulent pas rester en Hongrie, qui est un pays de transit, plus qu'un pays de destination, mais veulent aller en Allemagne, en Suède, en France ou en Grande-Bretagne. Eh bien faisons en sorte, non pas de refuser ce que la France, l'Allemagne, ont proposé avec Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, mais d'accepter un système de répartition obligatoire et qui assurera que 28 pays accueillent ces réfugiés et non pas, que cinq pays accueillent 75 % des réfugiés.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas un décalage énorme entre les discours et les actes ? Parce que pour l'instant, au niveau du calendrier, où en, est-on de la mise sur pied, concrète, de ces centres d'accueil ?
R - Oui, vous avez raison, nous sommes dans une course de vitesse, et l'Europe joue sa crédibilité. Elle la joue au regard de ses valeurs, elle la joue aussi en termes d'efficacité, de sa capacité à faire face à ce phénomène, à mettre en place les conditions de l'accueil, les conditions de la répartition et les centres d'enregistrement, que l'on appelle parfois à Bruxelles des «hotspots», un mot qui n'est à mon avis pas très adapté.
Effectivement, si nous mettons beaucoup trop de temps, alors il n'y aura pas de maîtrise de l'accueil de ces réfugiés. Donc, pour des raisons à la fois de dignité, parce que ces hommes et ces femmes, on le voit, et moi je veux saluer quand même les maires, en France, en Allemagne, les citoyens, les organisations non gouvernementales, qui se sont mobilisés pour les accueillir, ils ont besoin de tout, souvent, de vêtements, d'hébergements, de nourriture, de soins, eh bien si nous ne sommes pas capables de faire cela, alors nous ne sommes pas à la hauteur du défi et de nos valeurs. Et pour faire cela, il faut aussi que soient mis en place ces centres, pour que dès qu'ils arrivent sur les côtes européennes, on puisse savoir quels sont ceux, parce qu'ils viennent de Syrie, parce qu'ils viennent d'Afghanistan, parce qu'ils viennent d'Érythrée, qui ont vocation à être accueillis. Il faut donc que l'on puisse les organiser très rapidement, et non pas laisser sur les routes, laisser dans des camps de fortune, ces hommes et ces femmes qui sont en attente de protection.
Q - Très concrètement, le calendrier pour ces hotspots, pour la constitution de ces lieux d'accueil, qu'est-ce qu'on en sait, quand est-ce que cela va se mettre en place ?
R - Très concrètement, pour nous, c'est une priorité. C'est ce que la France a demandé, notamment aux deux commissaires européens qui sont en charge de ces hotspots, le commissaire Avramopoulos en charge des politiques de migration et le vice-président de la Commission, Frans Timmermans. Tous deux étaient avec le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur - je les accompagnais également - à Calais il y a dix jours. Ces commissaires européens se sont depuis rendus en Grèce et ils ont donc lancé un processus de mise en place de ces hotspots. Cela signifie d'abord qu'il faut débloquer les fonds, et là il faut sans doute que la Commission européenne accélère les financements, vis-à-vis de l'Italie, vis-à-vis de la Grèce, et encore une fois, peut-être, d'autres pays où il y a un afflux massif de migrants.
Je crois aussi qu'il faudra venir en aide à des pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne mais sont dans son voisinage et ont d'ailleurs vocation un jour à rejoindre l'Union européenne, et par où passent beaucoup de migrants. Je pense à la Macédoine, où je me suis rendu. Je suis allé à la frontière entre la Macédoine et la Serbie. Ce pays fait face, j'ai envie de dire avec les moyens du bord, et l'aide du CICR, c'est-à-dire de la Croix Rouge internationale, et du HCR, mais il a besoin d?un appui européen. Cela sera à l'ordre du jour des réunions de demain à Bruxelles. Il y a une réunion, vous le savez, des ministres de l'intérieur, à laquelle participera Bernard Cazeneuve et une réunion des ministres des affaires européennes, à laquelle je me rendrai. La priorité, c'est effectivement que dès maintenant puissent être mis en place ces centres d'enregistrement.
Q - Monsieur Désir, la Hongrie, à partir de mardi 15, va mettre en place, enfin, va mettre en application une loi, qui oblige les candidats à l'asile, à entrer par un certain nombre de points d'entrée, ou alors se voient emprisonnés. Est-ce que ces points d'entrée, où leurs demandes doivent être examinées, ce sont des hotspots ?
R - Je ne le crois pas, malheureusement, puisque la Hongrie, à ce stade dit qu'elle n'accepte pas la mise en place de ces hotspots, de ces centres d'enregistrement et d'identification des migrants. Mais la Hongrie, comme tous les États membres de l'Union européenne, est tenue, qu'il y ait ou non des hotspots, de respecter nos engagements en matière d'asile. D'abord parce que tous les États membres de l'Union européenne sont engagés par les conventions de Genève et ensuite parce qu'il y a des règles européennes sur l'asile. Ces règles d'ailleurs sont que quand un demandeur d'asile dépose une demande dans un État membre, c'est l'État membre qui doit traiter sa demande, et il doit garder ce demandeur d'asile, puisque c'est le premier pays dans lequel il s'est présenté.
Ce que nous proposons avec l'Allemagne et la Commission européenne, c'est qu'il puisse y avoir une dérogation à ces règles de Dublin, et que quand un pays se retrouve, parce que c'est lui qui est le premier pays d'arrivée, d'une certaine façon débordé par le nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés, on puisse l'aider en répartissant les demandeurs d'asile. C'est ce que nous faisons nous-mêmes quand nous disons que nous accepterons d'accueillir 24.000 personnes qui s'ajoutent aux 6.000 du mois de juillet, quand nous allons à Munich proposer qu'un millier de réfugiés qui sont aujourd'hui en Allemagne puissent venir en France.
Donc, la Hongrie, dans son propre intérêt, devrait comprendre que la barrière, le mur, les barbelés, ce n'est pas la réponse, d'abord parce qu'il y a toujours des gens qui finissent par passer au travers de ces barrières, dans des conditions terribles. Ensuite parce que c'est une attitude qui va en fait provoquer un afflux de migrants vers d'autres pays, comme la Slovénie, la Croatie, l'Italie, parce que les trafiquants cherchent à organiser d'autres voies. Or, il faut que nous cassions les filières de l'immigration clandestine. Ce ne sont pas les murs qui permettent de le faire. C'est la coopération entre États membres pour l'accueil des réfugiés, et la coopération policière pour lutter contre les trafiquants d'êtres humains.
Q - Est-ce que la Hongrie se met hors des lois européennes, avec les lois qu'elle adopte, avec les méthodes qu'elle adopte, aujourd'hui ? Avec ses barbelés.
R - Avec ses barbelés, elle se met clairement hors des valeurs de l'Union européenne. Les valeurs de l'Union européenne, ce n'est pas de dresser des murs, au coeur de l'Europe, ce n'est pas d'ériger des barbelés et ce n'est certainement pas que chacun mène une politique nationale différente en réponse à cette crise.
Q - Comment réagit l'Union européenne ? Demain il y a ces rencontres des ministres de l'intérieur et des affaires européennes également, quel est le plan B si vous vous retrouvez face à une réaction négative de la part de la Hongrie, mais pas seulement, quel est le plan B, quel est le moyen de pression ?
R - Mais le plan B, ce serait quoi ? Ce serait 28 réponses nationales différentes à cette crise des migrations ? Est-ce qu'on croit que cela aurait une efficacité ? Est-ce que cela aurait une efficacité dans les Balkans ? Est-ce que cela aurait une efficacité en Méditerranée ? Est-ce que cela aurait une efficacité par rapport à la situation en Libye, en Turquie ou en Syrie, alors que, vous le savez, des millions de réfugiés sont allés dans des camps en Turquie ? Avoir 28 prises de positions différentes ? 28 négociations différentes avec la Turquie ? 28 façons différentes d'essayer d'aider le Haut-commissariat aux réfugiés de gérer ces camps ? 28 contrôles des frontières différents ? Tout cela ne marchera pas, et là, l'Europe est face à un choix historique. Elle joue sa place dans l'histoire, en termes de valeurs, en termes de dignité dans l'accueil des réfugiés, mais aussi en termes d'efficacité.
Il n'y a qu'un contrôle commun des frontières extérieures communes de l'Union européenne, qui peut être efficace. Ce dont nous avons besoin, c'est mettre en place des gardes-frontières communs. Nous avons commencé avec FRONTEX, avec cette opération en Mer Méditerranée, qui vient en aide à ceux qui sont dans des embarcations et qui permet de les secourir. Mais cette opération doit aussi être complétée par ce que l'on a appelé EUNAVFOR MED, c'est-à-dire la lutte contre les trafiquants, contre ceux qui affrètent ces bateaux. Nous sommes à une phase aujourd'hui d'identification de ces trafiquants. Il faut aller jusqu'à pouvoir mettre hors d'état de nuire les bateaux qu'ils utilisent, tout en sauvant évidemment ceux qui sont sur ces embarcations. Il doit y avoir une politique commune, encore une fois, de l'accueil et de la répartition des réfugiés. Il n'y a pas de plan B à une réponse européenne.
Q - Mais quand vous avez parlé de ce millier de réfugiés qu'on accueillerait en France, donc pour venir en aide à l'Allemagne elle-même, est-ce que ce n'est pas complètement dérisoire par rapport à la situation ?
R - Vous le savez, c'est une réponse qui vient en complément de l'engagement que nous avons pris, d'accueillir 24.000 réfugiés au cours des deux prochaines années, mais cela peut être plus rapide compte tenu de l'évolution de ces mouvements migratoires. L'accueil de 24.000 personnes en France correspond à notre part dans la nouvelle répartition de 120.000 en Europe proposée par la Commission européenne. Déjà au mois de juillet, vous le savez, il y avait eu une décision collective sur 40.000 migrants et nous avions alors accepté d'en accueillir 6.000.
Donc au total, nous sommes en fait sur une trentaine de milliers, pour lesquels la France a pris volontairement l'engagement, dans le cadre d'une solidarité européenne, d'accueillir des migrants qui sont arrivés, des réfugiés qui sont arrivés dans d'autres pays.
Ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que nous ne continuons pas à accueillir des réfugiés qui se présentent directement en France. Il y en a, qui peuvent venir de beaucoup d'autres régions du monde, du Sri Lanka, etc. Donc c'est un effort de solidarité, et ces mille, c'est un premier accueil. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides s'est rendu à Munich, vous le savez, avec des interprètes, avec des personnels, pour dire à un certain nombre de ces réfugiés, qui sont venus en Allemagne parce que souvent les trafiquants leurs disent : «C'est l'Allemagne qui est le pays où vous serez le mieux accueillis», vous pouvez aussi être accueillis en France, puisqu'au fond c'est en Europe qu'ils viennent chercher l'asile.
Q - Comment expliquez-vous leur réticence à venir en France ? Il semble qu'à Munich, le directeur de l'OFPRA a eu du mal à trouver un millier de candidats. Ce n'est pas le premier choix.
R - Oui, aujourd'hui, c'est un fait...
Q - Parce que l'image de la France n'est pas bonne ?
R - Non. D'ailleurs c'est une réponse à tous ceux qui jouent sur les peurs, qui tentent de faire croire que la France serait le pays qui serait confronté aux afflux les plus importants.
D'abord, rappelons une chose. À l'échelle internationale, l'immense majorité des réfugiés, il y a près de 60 millions de personnes déplacées dans le monde, à cause de guerres, à cause de sécheresses, d'évènements climatiques, cela nous renvoie d'ailleurs aux enjeux de la Conférence de Paris, à cause de dictatures, cela se passe souvent dans des pays en développement.
Ensuite, pour ce qui est du Moyen-Orient et des guerres qui provoquent aujourd'hui ces mouvements de populations, en Syrie, en Irak, la plupart sont dans les pays voisins. Il y a aujourd'hui près de 4 millions de réfugiés, qui sont dans des camps au Liban, un tout petit pays, mais déjà 1,5 million de réfugiés, en Jordanie, en Turquie.
Et une partie de ces réfugiés aujourd'hui, parce que la situation s'est aggravée en Syrie, parce qu'il y a eu des problèmes dans des camps de réfugiés du HCR, où le programme alimentaire mondial n'a plus eu suffisamment de moyens et de fonds pour bien traiter les réfugiés - donc cela nous renvoie aussi à la nécessité d'avoir une action au-delà même des frontières européennes -, pris en charge par les trafiquants, par des criminels, par des réseaux de passeurs, ont franchi la Méditerranée et sont arrivés en Europe. Ceux-là, ceux-là souvent, les passeurs leur disent : c'est l'Allemagne qui vous accueillera le mieux. Et l'Allemagne est un pays aujourd'hui où il y a de la croissance, où il y a le plein emploi, et où ils ont le sentiment qu'ils trouveront plus facilement un accueil.
Q - Harlem Désir, vous êtes en charge des affaires européennes, qu'allez-vous dire aux pays qui, comme le Danemark, comme la Hongrie justement dont on a parlé, comme la Pologne, comme un certain nombre de pays disent « nous, les réfugiés, on n'en veut pas » ? Est-ce qu'il faut contraindre, est-ce qu'il y a des pénalités financières ou est-ce qu'on va dire : c'est à votre bon vouloir, à votre bon coeur ?
R - D'abord, je constate que le débat évolue, parce que nous discutons, nous voulons convaincre, nous faisons appel à la...
Q - D'accord, mais si les gens vous disent non, si ces pays vous disent non ?
R - Plusieurs pays qui étaient réticents, vous avez mentionné par exemple le Danemark, ont fait savoir qu'ils acceptaient la proposition que l'Allemagne, la France, avec la Commission européenne, a mis en avant d'une répartition solidaire. D'autres pays qui étaient, semble-t-il bloqués, y compris en Europe centrale, ont évolué. Je pense à la Pologne qui disait «nous n'accueillerons que 2.000 migrants» et qui aujourd'hui a rehaussé ce chiffre et se rapproche de la demande qui est faite. Et d'autres, en revanche, convaincre...
Q - Donc il faut convaincre...
R - C'est ce que nous leur disons et ce que nous allons redire demain. Je voudrais d'abord rappeler qu'il n'y aura pas d'efficacité dans la réponse s'il y a 28 réponses différentes. Deuxièmement, que la solidarité, la solidarité entre États membres, il y a aujourd'hui des pays qui font face à une situation plus difficile que d'autres, c'est l'Italie, depuis déjà longtemps, depuis plus d'un an, la Grèce, depuis six mois, maintenant la Hongrie, des pays voisins et amis dans les Balkans. Ces pays ont besoin d'une solidarité. La solidarité c'est le principe fondateur de l'Europe. Les pays qui disent «nous, nous ne sommes pas concernés, après tout, ce sont des migrants...».
Q - Est-ce qu'on peut les obliger ?
R ? Oui, mais d'abord ce principe est très important, tout le monde à un moment a besoin de la solidarité, donc personne ne peut dire «je ne suis pas concerné». Quand un État membre...
Q - Mais s'ils le disent ?
R - Oui, mais à un autre moment, les mêmes ont eu besoin de la solidarité européenne. Oui, quand ils ont voulu rejoindre l'Europe, ils ont été aidés, il y a eu une solidarité. D'abord ils ont été accueillis, et puis il y a eu des aides, et demain qui peut dire qu'il n'aura pas besoin de la solidarité ? Chacun à un moment est confronté à des problèmes. Cela peut être des problèmes de sécurité, notamment aux frontières Est de l'Europe. Lorsqu'il y a la situation en Ukraine, tous les pays de cette région demandent qu'il y ait la solidarité européenne et la France s'engage, par exemple dans les accords de Minsk, pour apaiser la situation. Aujourd'hui il y a un impératif de solidarité, il y a un impératif d'accueil des réfugiés et il y a un impératif à avoir une réponse européenne coordonnée, sinon c'est l'Europe qui sortira de l'histoire.
Q - Harlem Désir, avant cette pause, donc nous évoquions des chiffres, des réalités, les réponses différentes des États européens. Nous parlions de ce qu'il est convenu d'appeler les hotspots, terme un, peu vague pour parler de ces centres d'accueil. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, parle de centres de rétention, ce qui est très différent. Cela peut être la solution ?
R - Alors, il faut peut-être justement laisser de côté ce terme de hotspots, pour dire de quels centres d'enregistrement il s'agit. Il s'agit de mettre en place des centres, dans lesquels d'abord puissent être accueillis, et donner l'aide humanitaire à des gens qui souvent ont été secourus en mer ou qui ont traversé à pied de très longues étendues avant d'arriver aux frontières de l'Europe, et là, d'enregistrer ces migrants, de s'assurer de leur identité, de faire en sorte d'ailleurs qu'ils soient enregistrés dans un fichier européen des demandeurs d'asile et que l'on puisse voir ceux qui relèvent de l'asile et ceux qui n'en relèvent pas.
Pour ceux qui fuient une situation de persécution, de guerre, aujourd'hui ce sont essentiellement des Syriens, mais il y a aussi des Afghans, il y a aussi des Erythréens, par exemple, il faut faire en sorte que le plus rapidement possible, leurs demandes puissent être traitées pour qu'ils deviennent effectivement des réfugiés politique en Europe.
Aujourd'hui nous avons fait une réforme du droit d'asile en France. Les délais de traitement étaient de l'ordre de 24 mois et même davantage, ce qui n'était pas du tout bon, ce qui engorgeait les places d'hébergement et laissait les gens dans une sorte d'incertitude. Aujourd'hui, grâce à la réforme que Bernard Cazeneuve a fait adopter à l'Assemblée nationale, nous allons réduire ces délais à neuf mois.
Pour cette situation exceptionnelle, avec ces centres d'enregistrement, ce à quoi nous voulons aboutir, c'est à des délais de huit semaines, de deux mois. Ça sera le cas par exemple pour ceux des réfugiés qui ont été accueillis depuis l'Allemagne.
Q - Mais est-ce que c'est un centre de rétention ou d'accueil ?
R - Ce sont des centres d'accueil, des centres d'enregistrement. Ceux qui ont vocation à devenir des réfugiés, parce que dès le premier examen, il est facile d'établir ou de prouver qu'ils sont syriens ou qu'ils sont irakiens, on ne va pas les mettre dans un centre de rétention.
Ceux qui en revanche ne relèvent pas de l'asile, et pour que le système soit soutenable, pour qu'on puisse vraiment accueillir bien ceux qui relèvent de l'asile, il faut effectivement que l'on fasse la part avec ceux qui ne relèvent pas de l'asile, qui sont des migrants économiques. S'ils n'ont pas d'autorisation - il y a des migrants économiques qui ont des autorisations à venir travailler en France, la France en accueille tous les ans, on accueille aussi des étudiants étrangers, on accueille des chefs d'entreprise, etc. -, ceux qui n'ont pas vocation à venir devront être renvoyés dans leur pays d'origine, il faut le faire d'une façon digne. Et dans le même temps il faut, je le disais, qu'il y ait un travail avec les pays, en particulier d'Afrique, qui sont concernés, pour qu'il puisse y avoir des perspectives pour la jeunesse, d'emploi, de développement, de croissance. Le Maroc, par exemple, a fait cela avec l'Espagne, le Sénégal aussi avec l'Espagne, parce qu'il y avait des trafics vis-à-vis des Canaries, il y avait des gens qui mourraient en mer, au large des côtes sénégalaises, parce que des trafiquants essayaient de les amener aux Canaries.
Un coup d'arrêt y a été porté avec cette distinction entre ceux qui pouvaient éventuellement bénéficier de l'asile et ceux qui n'y étaient pas éligibles, et qui devaient donc être ramenés au Sénégal, en faisant en sorte aussi d'aider le Sénégal à retrouver une situation économique, à développer des activités économiques, des activités agricoles, etc.
Q - Est-ce qu'il y a un travail à faire au niveau du statut des réfugiés, Harlem Désir ? Qu'est-ce que vous répondez aux injonctions de l'opposition qui estime qu'il faudrait définir un nouveau statut avec la possibilité de dire, quand les conflits sont terminés, que les gens doivent rentrer chez eux ?
R - Oui. J'ai entendu invoquer une directive européenne de 2001 qui aurait créé un statut de réfugié de guerre. Et, évidemment, j'ai vérifié. Dans le texte de cette directive, il n'y a rien de tel. Il y a dans cette directive des mesures de protection temporaire qui sont prévues pour des personnes qui fuient la guerre dans l'attente du traitement de leur demande d'asile. Cela n'empêche d'ailleurs en rien que ces personnes accueillies sous un régime de protection temporaire puissent ensuite devenir des réfugiés. Donc le statut de réfugié politique tel qu'il existe, qui engage la France depuis toujours, c'est un engagement de la République, c'est un engagement qui tient à nos valeurs universelles, il inclut évidemment la protection de celles et ceux qui fuient la guerre, il protège ceux qui fuient. C'est un statut qui protège ceux qui risquent une persécution, qui risquent leur vie, que ce soit parce qu'ils sont des opposants politiques poursuivis par une dictature, des minorités religieuses par exemple - et aujourd'hui on pense aux yazidis, on pense aux chrétiens d'Orient, on pense aussi au fait que le groupe Daech pourchasse des gens parce qu'ils sont chiites et que lui est sunnite ou d'autres sunnites parce qu'ils ne le sont pas à la façon qu'ils le souhaitent - mais aussi des réfugiés de guerre.
Donc il n'y a pas besoin d'inventer un nouveau terme et de faire croire qu'on pourrait ne pas appliquer le droit d'asile parce qu'on appliquerait une autre disposition. Cette directive de 2001 fait partie de l'arsenal européen qui permet et qui même nous enjoint d'accueillir les réfugiés. (...).

* Union européenne - Royaume-Uni
Q - Un autre rendez-vous complexe probablement pour l'Union européenne, il s'agit du référendum en Grande-Bretagne pour la sortie ou non du Royaume-Uni de l'Union européenne, est-ce que de ce point de vue-là la victoire chez les Travaillistes de Jérémy Corbyn - qui est présenté comme beaucoup plus à gauche que ses prédécesseurs - est un signe que vous vous saluez ?
R - Je ne veux pas faire le lien entre les deux ! Parce que je ne sais pas quel sera le lien, puisque Jérémy Corbyn n'a pas indiqué jusqu'à présent s'il allait proposer de soutenir le maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne ou au contraire de sortir la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Je crois comprendre que cela va dépendre de la façon dont le débat va évoluer en Grande-Bretagne d'ici au référendum.
Mais je voudrais dire une première chose : nous, nous souhaitons que la Grande-Bretagne reste dans l?Union européenne. Nous pensons que c'est sa place. Nous pensons que c'est son intérêt aussi sur le plan économique, y compris par rapport au rôle de sa place financière qui a intérêt à être liée à l'ensemble de l'économie européenne. Nous pensons que c'est préférable pour elle comme pour l'Europe, parce que nous sommes face à des grands défis, nous avons parlé de celui de l'immigration mais on pourrait parler de défi comme celui de l'énergie par exemple et du climat, on pourrait parler de la natalité...
Q - Donc, vous souhaitez le maintien ?
R - Eh bien oui nous souhaitons le maintien. Mais, en même temps, ce sont les Britanniques qui vont choisir et nous ne voulons pas et nous n'accepterons pas de remettre en cause des principes fondamentaux du fonctionnement de l'Union européenne - ceux qui sont dans les...
Q - Comme la libre circulation !
R - Par exemple la libre circulation...
Q - Ca, c'est non négociable ?
R - Non ! Ce n'est pas négociable. Il y a des gens en Grande-Bretagne qui disent : «nous resterons, mais à condition que par exemple les Polonais ne puissent plus venir en Grande-Bretagne»....
Alors, s'il n'y a plus de liberté de circulation pour les citoyens, si c'est simplement un marché où les capitaux, les marchandises circulent, mais s'il n'y a plus le fait de construire ensemble un espace politique - et donc de se faire confiance, et donc de pouvoir avoir cette liberté pour le citoyen - ce n'est plus l'Union européenne. Donc, nous voulons le faire à traité constant. S'il y a des éléments d'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne, les Britanniques sont très sensibles à ça, moins de bureaucratie et de la simplification, nous en sommes tout à fait d'accord - cela fait partie des choses que nous avons demandé à la Commission européenne - mais, si on voulait remettre en cause les principes fondateurs, y compris les droits sociaux dans l'Union européenne, regardez l'importance qu'il y a aujourd'hui à se battre pour faire respecter les règles sur le détachement des travailleurs, à lutter contre le dumping social. Donc, si la Grande-Bretagne demande de remettre en cause des éléments essentiels du modèle démocratique, citoyen et social européen, alors non nous ne le négocierons pas. Mais nous souhaitons que la Grande-Bretagne reste dans l'Union européenne. (...).
* Union européenne - Grèce
(...)
Q - On a beaucoup parlé de Grexit, la situation de la Grèce, il y a des élections la semaine prochaine. Est-ce que cette crise-là est réglée, il n'y a plus de perspective de perdre la Grèce ? Est-ce que vous êtes apaisés sur cette question-là ?
R - Sur la Grèce, oui, parce que toutes les formations politiques qui se présentent aux élections qui auront lieu le 20 septembre et qui semblent être en mesure de constituer le futur gouvernement disent qu'elles ne remettent pas en cause le programme qui a été négocié cet été. C'est évidemment la position de Syriza et d'Alexis Tsipras puisque c'est lui qui l'a négocié, même si cela a été une négociation difficile, mais il a obtenu 83 milliards d'aides pour les trois prochaines années pour la Grèce, une re-discussion de la dette - qui aura lieu d'ailleurs au mois d'octobre avec l'Europe et avec le FMI - et un certain nombre de réformes, notamment en matière d'administration, de fiscalité et de justice sociale. Les autres formations principales, dont Nouvelle démocratie - qui est le parti qui gouvernait avant Syriza - ont également soutenu ce programme d'aide
Donc, je n'ai pas d'inquiétude sur ce plan. Maintenant il y a une réalité c'est que pour que ce plan soit un succès, il faudra que l'Europe accompagne la Grèce, notamment sur un volet que le président de la République a très fortement défendu pendant ces négociations difficiles du mois de juillet, c'est que les investissements soient soutenus en Grèce, parce que l'on ne peut pas penser que la Grèce va sortir de la crise si elle est étranglée financièrement. Or elle a à faire face à des échéances de remboursement très importantes - même s'il y aura donc cette aide - mais il faut qu'il y ait une partie des fonds de l'Europe et du FMI qui puissent être consacrés à relancer l'économie, investir dans la modernisation des infrastructures, dans l'éducation, dans la relance de certains secteurs... donc là, effectivement, il faudra que nous soyons très attentifs.
Q - Mais il y a aussi une perspective de sortie, c'est ce que...
R - Non. Pas de la Grèce, mais cela ne veut pas dire qu'en Europe il n'y a pas d'autre dossier.
Q - Naturellement. On va en parler. Monsieur le Ministre, est-ce que vous pensez que les opinions européennes sont prêtes à un effacement partiel, un étalement, à quoi, à un haircut de la dette grecque... à un rééchelonnement, comme le dit le FMI ?
R - Alors, là aussi, il faut distinguer. Effacement, on l'a vu dans les débats du mois de juillet, cela ne serait pas accepté, et d'ailleurs vous savez que quand vous procédez à des effacements vous avez le risque de ne plus jamais pouvoir emprunter parce que les gens disent : «mais vous ne rembourserez pas». Donc c'est pourquoi la solution trouvée consiste à aider la Grèce à pouvoir rembourser des échéances qu'elle avait vis-à-vis de la Banque centrale, vis-à-vis du FMI - c'est ça le sens du plan de 83 milliards d'euros - et puis qu'elle puisse aussi continuer à fonctionner, payer ses fonctionnaires, payer ses retraites. Mais, en même temps, il fallait qu'elle diminue ses frais de fonctionnement parce qu'on ne peut pas durablement vivre au-dessus de ses ressources.
Deuxièmement, la Grèce a aujourd'hui une dette qui est d'un montant que le FMI et d'autres jugent non soutenable. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, si on ne rééchelonne pas cette dette, il lui est demandé de rembourser tellement tous les mois ou tous les trois mois qu'elle ne peut jamais s'en sortir même si sa situation économique va mieux. Donc la situation de la Grèce, je crois, va s'améliorer, grâce aux réformes qui vont être mises en oeuvre et à l'aide européenne. Il ne faudrait pas que tout cela soit gâché par un poids d'une dette héritée du passé et qui n'est pas de la rentabilité du gouvernement d'aujourd'hui, qui date d'il y a bien plus longtemps.
Donc il y a une discussion que nous souhaitons sur - et c'était l'un des éléments aussi très importants de l'accord du mois de juillet - un rééchelonnement de ce qu'on appelle la maturité des prêts. Cela peut être les taux d'intérêts, pour faire en sorte que la Grèce ne soit pas confrontée dans les prochaines années à l'obligation de rembourser une dette qui a atteint 170 % de son PIB.
Q - Et quelle serait l'ampleur de ce rééchelonnement ?
R - Cela va être l'objet de la négociation avec le FMI et cela doit être de nature à ne pas handicaper le redémarrage économique de la Grèce. Par exemple la Grèce va devoir procéder à un certain nombre de privatisations - des privatisations, tout le monde en fait, nous aussi de temps en temps nous vendons des parts que nous avons dans telle ou telle société - et il faut que la Grèce, comme n'importe quel pays, puisse utiliser une partie du produit de ces privatisations pour réinvestir dans d'autres domaines de son économie. Il ne faut pas qu'on lui dise... «Tout ce que vous allez avoir va juste servir à rembourser la dette, c'est-à-dire que vous ne pourrez pas gérer le patrimoine économique de votre pays». On ne va pas demander à la Grèce de vendre, je ne sais pas, ses îles. Il faut que ce soit un programme de privatisations qui ait du sens sur le plan économique et qui lui permette de tirer bénéfice de la privatisation de certains services - que beaucoup de pays privatisent - par exemple certains aéroports cela rapporte des ressources, vous les réinvestissez dans une autre industrie qui crée de l'emploi, qui prépare l'avenir.
(...)
R - Nous, nous travaillons, nous avons très bien travaillé avec le gouvernement d'Alexis Tsipras, parce que c'était le choix du peuple grec que de porter Alexis Tsipras au gouvernement pour permettre à la Grèce de rester dans la zone euro et parce que c'était le rôle de la France. D'abord en raison des liens que nous avons avec la Grèce - qui représentent quand même quelque chose de très particulier dans l'histoire de l'Europe - et parce que c'était l'intégrité de la zone euro, son avenir qui était en jeu.
Vous vous rendez compte ce que cela aurait été sur le plan géopolitique avec la crise qu'il y a aujourd'hui dans les Balkans si la Grèce était sortie de l'euro, peut-être de l'Europe ? Donc, nous, nous travaillons avec les gouvernements que les peuples se choisissent et nous avons dit depuis le début - cela a été la première prise de position du président de la République après l'élection d'Alexis Tsipras - qu'il n'y a pas une seule politique possible en Europe. Quand les peuples votent une alternance - là ils avaient décidé d'en finir avec l'austérité, ils avaient voté à gauche, ils voulaient une autre politique sur le plan social en Grèce - eh bien il faut l'accepter, il faut à la fois respecter les règles et respecter le vote des peuples, ça toujours été la position de la France. (...).
* Syrie
(...)
Q - Harlem Désir est-ce que cette décision, la décision d'entrer dans la coalition qui bombarde notamment les positions de l'État islamique Daech en Syrie, est liée à cette crise des réfugiés ?
R - Non. Cette décision annoncée par le président de la République de vols de reconnaissance pour recueillir du renseignement sur les activités du groupe Daech en Syrie, ce que nous faisions jusqu'à présent dans le cadre de la coalition en Irak et qui nous a fait participer et nous fait participer à des frappes en Irak.
Q - On va probablement faire des frappes en Syrie ?
R - C'est le président de la République qui le décidera le moment venu en fonction des renseignements qui auront été recueillis justement d'une façon autonome, indépendante par la France, parce que nous ne pouvons pas être dépendants uniquement des informations données par d'autres, les Américains qui, eux survolent déjà la Syrie. C'est lié au fait qu'il y a une grande partie des centres de décision, de commandement de Daech qui se trouvent sur le territoire syrien - pas uniquement sur le territoire irakien - et que de toute évidence les menaces qui peuvent peser sur nous en raison de l'envoi de terroristes, de combattants étrangers ou de leur activation ne sont pas seulement localisées en Irak mais sont aussi en Syrie.
Donc le président de la République, comme il l'a expliqué, veut pouvoir disposer de toutes les capacités de renseignement et d'information nécessaires pour pouvoir s'il le faut pourchasser et détruire les terroristes en Syrie comme on le fait en Irak.
Q - Mais pour pouvoir survoler la Syrie et bombarder en Syrie, il va falloir travailler avec les gens qui sont déjà en Syrie ! Bachar Al-Assad, les Russes, les Iraniens, je veux dire c'est un ciel un peu encombré quand même le ciel syrien ?
R - Non. Aujourd?hui c'est la coalition qui agit en Irak avec les Américains qui, pour une part des pays, est également en Syrie comme nous le sommes maintenant. Donc évidemment cela se fait en coordination avec les autres aviations qui interviennent dans l'espace aérien syrien, en l'occurrence donc les États-Unis, mais certainement pas avec le régime syrien.
Il est évident que nous travaillons en parallèle, parce qu'il faut trouver une solution à la situation en Syrie, à une transition politique - et de ce point de vue notre position n'a pas changé - qui doit se faire avec des éléments du régime, des éléments de l'opposition modérée, mais sans Bachar Al-Assad qui est le responsable de la guerre civile, qui a en 2011 déclenché cette guerre civile par une répression furieuse, sanguinaire, contre des jeunes, des citoyens, qui en particulier dans la ville de Homs se révoltaient contre la dictature. Il a plongé son pays dans le chaos. Donc il ne peut pas être une partie de la solution et évidemment il n'y aura aucune coopération avec Bachar Al-Assad dans la recherche d'une solution en Syrie.
Q - Malgré tout est-ce que vous reconnaissez qu'il y a une évolution de la position française sur la place que l'on doit faire ou pas à Bachar Al-Assad étant donné qu'auparavant on parlait d'un préalable et que, lors de sa conférence de presse en début de semaine, François Hollande a dit très exactement : «à un moment ou à un autre il faudra qu'il parte, à un moment ou à un autre», cela veut dire qu'on a plus de souplesse maintenant à l'égard de Bachar Al-Assad.
R - Il faut être précis. Il n'y a pas d'évolution de la position de la France quant au fait que la transition en Syrie qu'il faut rechercher et que nous recherchons en travaillant avec tous les partenaires internationaux, les États-Unis, les Russes, les Iraniens - ça c'est nouveau depuis qu'ils ont signé l'accord sur le nucléaire - les pays arabes - parce qu'ils ont évidemment à s'impliquer dans la recherche d'une solution pacifique en Syrie -, cette solution doit se faire avec des éléments du régime. Parce qu'il ne s'agit pas d'en finir avec un État en Syrie, il faudra un État, un État inclusif, un État qui fasse sa place à toutes les composantes de la société syrienne - donc ce n'est pas une revanche qui est recherchée - mais sans Bachar Al-Assad. Et cela, ça n'a pas changé pour nous, il est inconcevable d'imaginer qu'il y aura demain la paix en Syrie si on maintient Bachar Al-Assad. D'ailleurs s'il y avait un soutien donné par la communauté internationale à Bachar Al-Assad cela ne ferait que renforcer Daech qui apparaîtrait comme la seule alternative à ce bourreau.
Ce qui a changé, c'est que le président de la République a décidé qu'il fallait que nous soyons en capacité de survoler et, s'il le faut, d'intervenir par des frappes en Syrie. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2015