Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec ITélé le 14 septembre 2015, sur l'Union européenne face à l'afflux de réfugiés.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Itélé

Texte intégral


Q - L'Allemagne a fait, on peut le dire, volte-face d'une certaine manière, en annonçant la suspension de Schengen, le rétablissement des contrôles aux frontières aujourd'hui. Est-ce que la France doit faire pareil ?
R - D'abord, l'Allemagne a été confrontée à une arrivée de réfugiés, parce que ce ne sont pas tellement des migrants, même s'il y en a aussi qui viennent des pays des Balkans et qui d'ailleurs n'ont pas vocation eux à se voir accorder le statut de réfugié. Ces réfugiés qui viennent de Syrie, d'Irak, qui sont persécutés, viennent en Allemagne dans une proportion qui est sans commune mesure avec ce qu'ont connu les autres pays, avec ce qu'a connu la France. L'Allemagne a donc rétabli un contrôle aux frontières mais n'a pas érigé une barrière contrairement à ce qu'a pu faire par exemple la Hongrie. Elle n'est pas sortie des règles de Schengen. Les règles de Schengen prévoient qu'en cas d'urgence, dans des situations exceptionnelles, on peut temporairement suspendre...
Q - Est-ce que la France doit faire pareil ?
R - Non, parce que je crois que la France n'est pas du tout confrontée à la même situation. Ce que nous faisons nous, c'est que nous demandons avec l'Allemagne qu'il y ait maintenant une politique commune à l'échelle européenne, à la fois de contrôle de la frontière, d'enregistrement des réfugiés quand ils se présentent à une frontière extérieure de l'Europe, en particulier en Grèce et en Italie avant même d'arriver en Hongrie. Qu'il y ait donc là ce que l'Europe appelle des hot spots, c'est-à-dire des centres d'accueil, d'enregistrement, où on fera la distinction entre ceux qui ont le droit, qui ont vocation aux termes des règles de l'asile, aux termes des conventions internationales de Genève, aux termes de nos règles européennes, à être accueillis en Europe et qui doivent ensuite être répartis dans les vingt-huit pays, et ceux qui sont des migrants illégaux et qui, eux, doivent être renvoyés dans leur pays mais de façon humaine et dans le cadre d'accords de réadmission avec les pays d'origine.
Q - On va en reparler parce qu'encore faut-il qu'il y ait un accord ce soir, notamment un préaccord à Bruxelles. On va reparler de cela mais d'abord, je voudrais vous montrer : finalement, c'est la frontière d'aujourd'hui dans l'Union européenne. Regardez, cela se dessine totalement différemment maintenant. On a l'Allemagne, la Slovaquie, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne qui se déclarent prêtes à rétablir le contrôle aux frontières. Bref, le retour des frontières en Europe. Ils se trompent tous, tous ces pays ? Il n'y a que la France qui ne devrait pas le faire ?
R - Non. Tout cela veut dire que si on a vingt-huit politiques différentes pour faire face à cette crise migratoire sans précédent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale - ce sont les mouvements de population en Europe les plus importants qu'on ait connus depuis soixante-dix ans -, si on n'est pas capable d'y faire face ensemble, nous n'aurons ni l'efficacité, ni la dignité. Face à l'horreur qui pousse des hommes et des femmes sur les routes ou dans les mers parce qu'ils fuient la persécution, parce qu'ils fuient la guerre, il faut qu'il y ait l'honneur. L'honneur de l'Europe, c'est le droit d'asile. Mais ça ne peut être mis en place que si, dans le même temps, nous avons un contrôle de nos frontières extérieures communes. Si nous voulons qu'il n'y ait pas cette carte mais qu'il y ait le maintien...
Q - Comme pour l'instant ça ne marche pas, la question est de savoir si la France ne doit pas faire comme eux, comme le demandent Les Républicains ce soir, c'est-à-dire d'une certaine manière : «Nous aussi, il faut qu'on suspende Schengen». On ne peut pas être les seuls à le garder aujourd'hui.
R - La réponse c'est qu'aujourd'hui, les migrants vont vers l'Allemagne. Certains essayent d'aller vers l'Angleterre et se retrouvent à Calais,
Q - Vous ne pensez pas qu'ils peuvent éventuellement après revenir vers la France ?
R - Nous faisons face à une situation réelle. La situation, c'est que nous avons besoin, si nous voulons préserver une politique commune de l'asile et si nous voulons préserver notre espace de liberté de circulation au sein de l'Europe qui est un acquis...
Q - Il n'existe plus ce soir.
R - Exactement, parce qu'il n'y a pas eu l'autre volet qui est d'assurer un contrôle en commun de nos frontières extérieures.
Q - Pourquoi on ne ferait pas comme Berlin en disant : «Nous aussi, on supprime Schengen en attendant» ?
R - Il faut être précis. Quelle est la raison pour laquelle à Berlin cette décision a été prise, concernant d'ailleurs plutôt la frontière entre l'Autriche et l'Allemagne ? Parce qu'il y a eu vingt mille réfugiés migrants en un week-end, qui se sont présentés. Tout cela est la démonstration de ce que nous disons, la France avec l'Allemagne d'ailleurs, depuis plusieurs mois : on ne pourra pas faire face à cette crise s'il n'y a pas une politique commune qui comprenne à la fois le contrôle de nos frontières extérieures et l'accueil de réfugiés, et en même temps la répartition solidaire. Je crois que ce soir à Bruxelles, nous avançons vers un premier accord.
Q - Justement, normalement la réunion vient juste de se terminer. On attend la déclaration de Bernard Cazeneuve d'un instant à l'autre. Il y a un accord politique ce soir pour la répartition, pour les quotas, pour les centres d'accueil ?
R - Oui. Il y a un accord, je pense, d'une majorité d'États membres avec la Commission européenne sur plusieurs plans. D'abord, vous savez qu'il y avait une première décision qui était de répartir quarante mille réfugiés. C'était la décision prise politiquement au mois de juillet. L'acte juridique a été adopté aujourd'hui, donc cette répartition va pouvoir commencer à être mise en oeuvre.
Deuxièmement, il y a les cent vingt mille. Il y a un accord politique de la majorité des États membres. Je pense qu'il y aura une majorité qualifiée, c'est-à-dire qu'il y a une minorité qui est encore en train de s'y opposer. Il va donc falloir que la discussion se poursuive pour qu'on puisse adopter, mais à la majorité qualifiée on peut l'adopter, ce mécanisme de répartition qui est indispensable parce qu'on ne peut pas accepter qu'il n'y ait que quatre ou cinq pays dont la France, l'Allemagne, l'Italie, qui accueillent l'essentiel, 80 % des réfugiés en Europe.
Troisièmement, il y a un accord aussi pour mettre en place ces centres d'enregistrement en Grèce et en Italie, et il y a une discussion avec la Hongrie. La question se pose aussi de savoir s'il ne faut pas en créer dans les pays des Balkans, en particulier en Macédoine, en Serbie qui sont aujourd'hui la route de ces migrations.
Q - Il y a donc encore beaucoup de discussions, rien n'est réglé ce soir à Bruxelles.
R - On ne peut pas dire que rien n'est réglé. On peut dire qu'on avance, même si je suis évidemment d'accord avec vous pour dire qu'il est absolument indispensable et urgent que soient mis en place tous les éléments de cette politique, parce que c'est la crédibilité de l'Europe qui est en jeu.
Q - La Hongrie justement, une image, c'est un peu l'image de la soirée. Ça y est, elle a achevé de bloquer sa frontière avec la Serbie. Regardez, c'est le dernier tronçon sur ces rails justement où les réfugiés continuent à passer parce que c'est fini. C'est le dernier morceau, il a été posé ce soir et à partir de minuit on pourra emprisonner les réfugiés qui tentent de passer. Votre réaction ?
R - Je crois que la réponse européenne, ce n'est pas de construire des murs ou un rideau de fer, surtout quand soi-même dans son histoire, on s'est battu il y a vingt-cinq ans comme la Hongrie pour abattre un rideau de fer, pour pouvoir rejoindre justement l'Europe démocratique, l'Europe de la liberté. Quand des Hongrois eux-mêmes, quand ils ont été victimes de la répression en 1956 - c'était il y a longtemps mais, c'est encore dans les mémoires - à Budapest ont été des réfugiés parce qu'ils ont été chercher refuge dans les pays d'Europe de l'ouest.
Q - Ce n'est pas digne de l'Europe et des valeurs européennes ?
R - Non. Je crois que ce n'est pas digne, ce n'est pas conforme aux valeurs européennes. Les valeurs européennes, c'est la coopération, c'est la solidarité avec les pays qui sont effectivement exposés aujourd'hui à l'arrivée massive de migrants. Il a été proposé à la Hongrie que de façon solidaire tous les pays de l'Union européenne participent à l'accueil des réfugiés qui se présenteraient en Hongrie. La réponse, ce n'est pas que chacun s'enferme derrière des barbelés. Je crois que ce serait une terrible régression et ce ne serait pas efficace.
Q - Cela dit, la Hongrie est aux frontières de Schengen. On lui demande de protéger les frontières européennes de Schengen. C'est un petit peu ce qu'elle essaye de faire avec ses moyens. Est-ce qu'il faut le lui reprocher ?
R - Assurer le contrôle de sa frontière, nous-mêmes nous avons été amenés à le faire à certains moments avec l'Italie quand il y avait une situation où tout à coup il y avait énormément de migrants sans contrôle.
Q - Pourquoi reprocher à la Hongrie ce que finalement Angela Merkel a décidé aujourd'hui, un contrôle aux frontières ?
R - Vous remarquerez que ce n'est pas du tout la même chose, cela n'a rien à voir.
Q - Ce n'est pas tout à fait la même chose mais ils ne disent pas non plus quand même qu'ils vont totalement bloquer.
R - Mais d'ailleurs, je crois que vous avez-vous-même montré dans un reportage la façon dont il était procédé en Allemagne. C'est un contrôle, un contrôle des véhicules, un contrôle des gens qui franchissent la frontière dans les gares, sur les routes. Ce n'est pas la même chose que de fermer la frontière et surtout, cela veut dire qu'on fait la distinction entre ceux qui ont vocation à être accueillis, des réfugiés, et ceux qui n'ont pas le droit de venir. Mais ceux qui ont vocation à être accueillis, on les accueille. Ce sont des persécutés, et à ce moment-là on demande aux vingt-huit pays de l'Union européenne de partager cet accueil.
Q - Trente secondes, c'est ma dernière question. Vous dites qu'il y a un accord à la majorité qualifiée pour la répartition, pour la façon dont on va opérer, ce qui veut dire qu'il y a plusieurs États - et on l'a compris, la Hongrie qui dit toujours non ce soir. Ça veut dire que ces États-là de fait vont se mettre hors-jeu de l'Union européenne pour la suite ?
R - Non. Ça veut dire d'abord qu'on va continuer à discuter avec eux, à les convaincre que cela ne serait pas efficace pour chaque pays d'essayer de mettre en place ses propres procédures pour faire face à cette crise. Est-ce que l'on croit qu'il peut y avoir vingt-huit politiques différentes pour répondre à la crise en Syrie ? Pour répondre à la situation en Libye ? Pour assurer dans la Méditerranée à la fois un contrôle de la frontière et une coopération avec les pays d'origine et les pays de transit ? Ce serait totalement inefficace. Et est-ce que l'on peut accepter que certains pays, parce que c'est là que se présentent les réfugiés pour des raisons géographiques, soient laissés seuls face à l'afflux de réfugiés qui sont liés à des crises internationales ? L'Italie doit être laissée seule, la Grèce doit être laissée seule, la Hongrie doit être laissée seule ? Non, nous ne le croyons pas. Nous allons continuer à discuter mais s'il y a une règle qui est adoptée, elle devra être appliquée par tout le monde.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2015