Texte intégral
* Dérèglement climatique - Conférence de Paris pour le climat
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Q - Pourquoi le sommet de Paris, la COP21, est-il celui de la dernière chance sur le climat ? Qu'est-ce qui a changé depuis le sommet de Copenhague en 2009 ?
R - Plusieurs changements importants se sont produits. D'abord, la situation du climat s'est dégradée. Certains phénomènes climatiques extrêmes se sont amplifiés. L'année 2014 est la plus chaude que nous ayons jamais connue. Et 2015 sera sans doute encore plus chaude. La prise de conscience sur la nécessité d'agir est donc plus forte. Ce qui change aussi, c'est que la réalité scientifique du réchauffement climatique, de ses causes n'est désormais plus sérieusement contestée. Les savants du GIEC sont d'accord sur leur analyse de l'avenir, sur la probabilité d'une augmentation de 4, 5, 6°C si nous ne faisons rien ou pas assez vite. Ils ont obtenu, pour leurs travaux, non pas le prix Nobel de physique ou de chimie, mais le prix Nobel de la paix.
Q - L'engagement de la Chine est-il plus important ?
R - L'engagement de la Chine a un effet d'entraînement considérable. Aux États-Unis, le président Obama s'engage, lui aussi, beaucoup. Or États-Unis et Chine sont les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre. Auparavant, de nombreux pays hésitaient à avancer tant que les grands émetteurs ne s'engageaient pas. Cette évolution est donc très importante.
L'autre facteur positif, c'est la prise de conscience assez générale que la lutte contre le dérèglement climatique peut aussi constituer une opportunité de croissance. Si l'on additionne l'engagement de grandes autorités spirituelles et religieuses, il est clair que la conférence de Paris s'inscrit dans un contexte plus favorable qu'à Copenhague.
Q - Et comment convaincre Inde et Brésil ?
R - Ce sont des situations différentes. La présidente Dilma Rousseff est positivement déterminée. En Inde, le premier ministre est très passionné par les nouvelles technologies, en particulier le solaire. Mais le charbon est aujourd'hui la principale source de production d'énergie de son pays, où il faut sortir 400 ou 500 millions de personnes de la pauvreté. Nous discutons donc avec l'Inde, comme avec les autres pays, et recherchons des compromis qui garantissent leur croissance sans altérer les ambitions de la COP21.
Q - Malgré tout, nous sommes loin de la limitation à 2°C de la hausse de la température en 2100...
R - Attendons d'avoir des chiffres plus précis dans les prochaines semaines. La conférence de Paris, ce sont quatre objectifs principaux. D'abord il faut arriver à un accord juridiquement contraignant, limitant à 1,5 ou 2°C au maximum l'élévation de la température en 2100. C'est la base juridique. C'est ce qui fera le succès ou l'échec. Le deuxième objectif, c'est l'addition des engagements nationaux : tous les pays du monde doivent, avant novembre, formuler leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour le moment, 64 pays qui représentent entre 60% et 65% des émissions, les ont adressés. Quand on additionne les engagements de ces pays, il est acquis qu'on ne se situe plus à 4, 5 ou 6°C d'augmentation de la température moyenne, mais il est probable que nous ne sommes pas encore à 2°maximum. C'est pourquoi l'un des aspects importants de la Conférence de Paris sera de se mettre d'accord sur un mécanisme qui nous engage, par exemple tous les cinq ans, à un réexamen dans le bon sens de ces engagements. Si nous y parvenons, l'accord de Paris sera un grand succès.
Q - Et les deux derniers ?
R - Le troisième objectif, ce sont les finances et les technologies. Le monde s'est engagé, en 2009, à ce que les pays riches contribuent en matière de climat à hauteur de 100 milliards de dollars par an - à la fois publics, parapublics et privés - pour les pays pauvres. Le Fonds vert représente une partie de ce total. De façon surprenante, nous ne savions pas jusqu'à récemment où nous en étions. Un travail a donc été confié à l'OCDE qui le rendra public en octobre. Je pense qu'il y aura un effort supplémentaire à faire pour certains pays riches. Les Allemands ont déjà annoncé qu'ils y étaient prêts. Les Français sont mobilisés. Les Anglais également. Il restera à en convaincre d'autres. Enfin, il faut ajouter les engagements des collectivités locales, des entreprises et de la société civile.
Q - Vous aimeriez donc aussi négocier avec le secteur privé...
R - Bien sûr. Mais pour le secteur privé, il ne s'agit pas de dons mais d'investissements. Il s'agit de comptabiliser beaucoup de mécanismes - fixation du prix du carbone, modification des circuits financiers, réduction du coût des technologies propres - qui montrent que nous avançons désormais vers des énergies décarbonées qui vont constituer la transition écologique.
Q - Quels thèmes restent en débat ?
R - J'en citerai trois parmi d'autres. Le thème de la différenciation : nous avons distingué, il y a plusieurs années, la notion de pays «riches» et «pauvres». Cette catégorisation a évolué. Ceux qui polluent aujourd'hui ne sont plus seulement les pays dits «riches». Il faut donc se mettre d'accord sur le sens et les conséquences concrètes de cette différenciation entre pays, la responsabilité commune mais différenciée.
L'arbitrage financier entre l'adaptation et l'atténuation est aussi un thème majeur. Je cite aussi un problème de nature juridique : l'accord doit être juridiquement contraignant. Mais certains pays, comme les États-Unis, souhaitent que l'on trouve une formulation qui ne conduise pas à la paralysie juridique. Or un accord sans les États-Unis n'aurait pas grand sens.
Q - François Hollande a dramatisé ce rendez-vous, parlant de vie ou de mort...
R - L'adjectif qui définit le mieux cette négociation est celui de «vital». Notre planète restera-t-elle viable ou non ? Si nous n'agissons pas contre le dérèglement climatique, les conséquences de ce phénomène seront ravageuses : sécheresse, famines, inondations, migrations massives, finalement la guerre ou la paix. Ce sont potentiellement des dizaines de millions de personnes qui seraient concernées par les mouvements migratoires. La COP21 n'est pas une négociation internationale comme une autre qui pourrait être remise à l'année prochaine. Plus tard, ce serait trop tard.
Mais ne sombrons pas dans le catastrophisme. Les solutions, financières, technologiques, sont là, à portée de main, et elles peuvent, elles doivent, nous conduire à un changement rapide et positif de nos modèles de croissance, en ayant à l'esprit ce que les syndicats appellent une transition juste.
Q - Est-ce que l'échec de la COP21 serait aussi celui de François Hollande ?
R - Si c'était un échec, ce le serait pour le monde entier. Si c'est un succès, les gens feront la part des choses. En tout cas, c'est un honneur et une responsabilité pour la France d'accueillir cette conférence, même s'il est vrai que, compte tenu des difficultés, nous étions alors le seul pays candidat ! À Varsovie, quand nous avons été désignés, les collègues sont venus me féliciter, mais sur un ton parfois compatissant. Maintenant, je comprends pourquoi...
* Migrations - Espace Schengen
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Q - Comment faire face à l'afflux de réfugiés ?
R - Il faut à la fois mettre en place des centres d'accueil et d'identification («hotspots») dans les pays de première entrée, organiser un système de répartition équitable, aider les pays hors de l'Union qui sont en première ligne (Turquie, Jordanie, Liban), rechercher activement une solution politique et militaire au Levant... Ce n'est pas par les égoïsmes nationaux qu'on y arrivera. Si on n'agit pas vite, les risques d'explosion sont réels et considérables, et les conséquences seront de tous ordres.
Q - Faut-il créer des «hotspots» en Italie et en Grèce, mais aussi en dehors de l'Europe ?
R - En Europe, c'est indispensable et il faut qu'ils fonctionnent effectivement. Pour les pays extérieurs, ce sera plus difficile. Certains l'acceptent, je pense au Niger. Mais on ne peut pas l'imposer. C'est une question de souveraineté.
Q - Une police européenne des frontières ?
R - La logique de Schengen, c'est bien cela. Des contrôles efficaces aux frontières extérieures et la libre circulation à l'intérieur, avec bien sûr une certaine harmonisation et des mesures exceptionnelles en cas d'urgence. Mais créer des garde-frontières européens, ça prend du temps. Et l'afflux brutal des réfugiés et des migrants a déséquilibré tout le système.
Q - La France pourrait-elle rétablir des frontières ?
R - Dans les termes prévus par Schengen. Cela a déjà été le cas à la frontière avec l'Italie.
Q - Angela Merkel a-t-elle commis une erreur ?
R - Son geste fort a été perçu de façon encore plus forte. La France, avec l'Allemagne, cherche les solutions, mais il faut pouvoir tenir sur le long terme. Chacun doit prendre sa part de la situation, d'une situation qui soit maîtrisée.
Q - Un sommet européen aura lieu mercredi. Que peut encore l'Europe ?
R - L'Europe a connu d'autres crises. Mais là, d'une certaine façon, c'est sa raison d'être et son fonctionnement même qui sont en cause. C'est une illusion de croire que chacun s'en sortira en rétablissant les frontières nationales. Mais il faut avoir l'honnêteté de dire qu'au-delà de la solidarité nécessaire envers les réfugiés, on ne pourra pas avoir les portes grandes ouvertes à tous les migrants économiques. Sinon, qu'est-ce qui va se passer ? Un chaos, un délitement, une extrémisation, y compris dans les esprits, et des conséquences lourdes pour l'Europe sur tous les plans. Par exemple, comment se déroulera le référendum britannique l'an prochain si la question des réfugiés n'est pas réglée ? (...).
* Syrie - Daech
Q - La Russie voudrait une coalition internationale contre Daech : quelle est votre position ?
R - Moscou dit vouloir une coalition de bonnes volontés. Pourquoi pas ? Mais dans les bonnes volontés, comment inclure Bachar Al-Assad ? Rappelez-vous l'origine du chaos syrien : une manifestation de jeunes, réprimée dans de telles conditions par Bachar que le drame s'est propagé avec des violences inouïes, l'utilisation d'armes chimiques, la volonté d'éliminer l'opposition, le développement du terrorisme... Et aujourd'hui 240.000 morts, des millions de réfugiés, un pays déchiré. Dans tout cela, Bachar porte une responsabilité écrasante. Ce n'est pas qu'une question de morale, mais aussi d'efficacité. La plupart des réfugiés ont fui le régime. Et je ne dis pas cela pour diminuer la responsabilité monstrueuse de Daech. Penser qu'on pourrait obtenir l'unité de la Syrie, le respect indispensable des diverses communautés en proposant comme solution le principal responsable de tant de malheurs, c'est une illusion. La France est volontaire pour éradiquer Daech. Mais la solution passe par un gouvernement d'union nationale.
Q - Incluant des membres du régime Assad ?
R - Nous l'avons dit depuis longtemps. Pour éviter un effondrement du système comme en Irak, il faudra conserver l'armée et d'autres piliers de l'État. La négociation doit aborder ces aspects : il faut à la fois des éléments du régime et des membres de l'opposition qui refusent le terrorisme.
Q - Le départ d'Assad reste un préalable ?
R - Toute discussion est vouée à l'échec si l'on dit : «Quoi qu'il arrive, le futur de la Syrie, ce sera Bachar Al-Assad.» Mais si on exige, avant même que la négociation commence, qu'Assad présente ses excuses, on n'avancera pas non plus.
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Q - La France tient-elle son rôle international ?
R - Gardons-nous de toute arrogance, mais quand on fait le tour du monde, la diplomatie de la France est en général appréciée, voire admirée ! Voyez nos actions pour lutter contre le terrorisme au Mali, notre rôle pour chercher à trouver des solutions en Ukraine ou en Grèce, notre contribution à l'accord nucléaire avec l'Iran, nos engagements pour la paix, la sécurité, la planète ou l'Europe !
Q - La France n'a-t-elle pas manqué de cohérence en refusant, puis en envisageant des bombardements en Syrie, au risque de renforcer Assad ?
R - Nous avons reçu des éléments précis selon lesquels des attentats contre la France et d'autres étaient en préparation par des éléments de Daech depuis la Syrie. Face à cette menace, nous avons pris la décision d'effectuer des vols de reconnaissance pour nous mettre en situation de frapper, si nécessaire. C'est de la légitime défense. Il n'y a pas d'incohérence : nous avons adapté notre dispositif face à une menace avérée et augmentée.
Q - Pourrait-il y avoir une intervention au sol ?
R - Il n'est pas envisageable d'envoyer, seuls en plus, des soldats français au sol. D'ailleurs, aucun pays ne veut y aller. S'il existe une leçon à tirer des conflits armés récents, c'est qu'on ne gagne pas ce type de guerre avec des troupes au sol extérieures au pays. L'aviation de la coalition peut aider, doit aider, mais il faut que ce soient les populations locales et régionales qui interviennent. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er octobre 2015