Texte intégral
Ma première expression publique sur l'utilisation de l'image des femmes se situe en avril 1999, au moment de l'affaire dite des " mannequins vivants ". J'étais en charge des Droits des femmes depuis quatre mois.
Ma réflexion se portait déjà sur une approche globale de l'égalité entre les hommes et les femmes. Ma conviction me poussait à avancer sur tous les fronts : la parité en politique, l'égalité professionnelle, l'articulation de nos temps de vie, mais aussi des sujets de société plus identitaires ; je pense aux violences privées subies par les femmes et à l'utilisation abusive de notre image. C'est pourquoi, par exemple, j'ai signé le 25 février 2000 une convention avec les ministres de l'Éducation nationale, Claude Allègre et Ségolène Royal, et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, Jean Glavany, " pour une éducation non sexiste et non violente ".
À la même époque, je mets en place avec le ministère de la Culture un groupe de travail auquel le Bureau de vérification de la publicité est déjà associé pour élaborer un code d'éthique avec les professionnels.
Le Premier ministre tient à insérer dans son discours du 8 mars 2000 une référence à cet axe de travail, présent dans la plate-forme gouvernementale qu'il expose. " Ici même, en France, l'exploitation de l'image des femmes et de leur corps à des fins marchandes reste une tentation trop fréquente. Bien souvent, la publicité véhicule une image des femmes chargée de stéréotypes humiliants et de clichés machistes, qui entretiennent des représentations collectives archaïques. C'est pourquoi je souhaite que madame Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, engage, avec les représentants de la presse, de l'édition et de l'audiovisuel, une discussion sur le traitement des femmes dans les médias. "
Au même moment, la publicité " Babette " me fait perdre mon humour. C'était l'époque où je visitais les centres d'accueil pour femmes battues. La " noix d'honneur " d'un célèbre hebdomadaire me fait retrouver mon humour et redoubler d'énergie.
Les semaines qui suivent sont aussi celles d'un remaniement ministériel et je reprends mon travail de conviction auprès de Catherine Tasca.
Un nouveau groupe de travail est mis en place et c'est avec beaucoup d'intérêt que je vais, avec vous, prendre connaissance de son travail et de ses propositions.
Je sais bien que notre regard est celui de personnes habituées à exercer leur esprit critique et que, peut-être, plus que d'autres, nous décodons les messages de publicité. Sommes-nous représentatifs du regard de l'opinion publique lorsque nous disons " non " à ces publicités ?
J'ai souhaité connaître à mon tour l'état de l'opinion. Un sondage IPSOS a été effectué pour le secrétariat d'État aux Droits des femmes, les 22 et 23 juin 2001, auprès de 1 015 personnes.
À la question : " Vous, personnellement, vous arrive-t-il de vous sentir choqué par la manière dont on montre les femmes dans la publicité ? ", 46 % des sondés disent " oui, très souvent " ou " assez souvent ", dont 50 % de femmes.
Les 50 % de femmes choquées le sont à 75 % " plus souvent qu'avant ". Elles sont 63 % à rejeter des attitudes sexuellement provocantes et 71 % à souhaiter protester, disant que les publicitaires vont trop loin.
La moitié de la population a donc un regard " qui glisse " sur le support de la pub et voit surtout le produit commercialisé
Mais peut-on pour autant affirmer que les messages dévalorisants et parfois violents pour les femmes ne s'impriment pas inconsciemment dans les têtes, qu'ils ne participent pas au maintien d'une représentation, d'un rapport de forces ancestral de domination, contre lesquels nous luttons au nom de l'égalité et de la dignité de la personne humaine ?
Et nous sommes face à la confrontation de deux principes fondamentaux d'une démocratie que sont la liberté d'expression et le respect de la personne humaine. C'est pourquoi notre sujet est difficile. La publicité, contrairement aux autres médias, comporte une dimension particulière par rapport au citoyen auquel elle s'impose : c'est une consommation forcée par un consommateur captif. Dès lors, ne joue pas seulement la notion fondamentale de responsabilité, mais aussi celle même de liberté, non pas cette fois celle du créateur mais celle du receveur.
Peut-être le moment est-il venu de réconcilier ces deux exigences.
CONCLUSION
Tout d'abord, je voudrais saluer la qualité des travaux qui viennent de nous être présentés.
Je remercie vivement chaque membre du groupe de travail, institutions publiques et représentants de la société civile, et ceux qui produisent, encadrent ou observent l'utilisation de l'image des femmes dans la publicité et ont accepté d'être auditionnés dans le cadre de cette étude.
Ils ont permis d'aboutir d'une part à une analyse précise de notre encadrement juridique et conventionnel, d'autre part à une vision synthétique de la pratique actuelle des professionnels.
Je remercie plus spécifiquement le Service des droits des femmes et de l'égalité qui a coordonné ce travail, en particulier Brigitte Grésy et Caroline Méchin.
Le rapport a mis en évidence l'inégale prise en compte par la loi et les mesures conventionnelles, selon le support considéré, du principe de la dignité humaine et de ce qui en découle : la lutte contre les violences et les discriminations.
C'est pourquoi, vu l'importance des enjeux, il me semble indispensable que se poursuivent et s'approfondissent un débat public sur le sujet et un travail interministériel.
J'ai personnellement apprécié, au titre des Droits des femmes, la cohérence des quatre axes proposés.
1 - Une responsabilisation accrue des professionnels - créateurs, annonceurs, afficheurs ou diffuseurs - à travers l'adhésion volontaire à des règles d'autodiscipline adaptées.
Les pouvoirs publics regarderont d'un il tout à fait favorable les initiatives qui seront prises par les professionnels. Il semble important qu'il y ait une réflexion spécifique sur les affiches publicitaires et sur l'adhésion à l'autodiscipline du prêt-à-porter de luxe et des parfums.
2 - Une actualisation des textes en vigueur, permettant de sanctionner les atteintes à l'image des femmes par la provocation à la discrimination sur tout support de communication. Il s'agit de prendre en compte l'évolution des transformations survenues au sein de la société française au cours de la dernière décennie.
L'aménagement suggéré vise donc l'intégration du principe de non discrimination sexuelle dans l'article 24 de la loi de 1881, comme ont été intégrées les dispositions anti-racistes de la loi de 1971.
Nous pourrions d'ailleurs élargir cette révision du texte de 1881 et intégrer les discriminations liées à l'orientation sexuelle et à l'âge, en prenant en compte le sens de l'article 13 du Traité d'Amsterdam.
3 - Un renforcement de la capacité de parole et d'action conférée au corps social, s'exprimant plus particulièrement à travers la voix des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et les discriminations.
Ce point fondamental, qui consoliderait une sorte de droit de réponse du corps social, mérite un large débat.
Des dispositions pourraient être envisagées, comme la participation des associations féminines et féministes au Conseil national de la consommation.
Ce droit fondamental nécessite d'intégrer dans l'article 48 de la loi sur la presse de 1881 la possibilité pour les associations d'ester en justice quand leur intérêt à agir est évident. Ce n'est pas à l'Etat de juger ce qui est dégradant ; c'est au corps social, au travers des associations et au travers de la justice, de s'exprimer.
4 - Des mesures d'accompagnement, à la fois en termes d'éducation et de conditions à mettre en uvre, pour permettre l'émergence du débat public sur cette question de l'image des femmes dans la publicité.
L'Etat peut lancer ou encourager des mesures d'accompagnement afin de sensibiliser à l'égalité entre les femmes et les hommes, consommateurs et professionnels.
Cette démarche peut trouver tout naturellement sa place dans la convention que j'ai signée le 20 février 2000 avec le ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et le ministère de l'Agriculture et de la Pêche. Cette convention a notamment pour objectif de promouvoir une éducation non violente et non sexiste.
L'État peut de même intégrer des modules de formation sur ce sujet dans les programmes des Instituts universitaires de formation des maîtres. Sensibilisation également des écoles de stylisme, de l'École nationale de la magistrature Pourquoi ne pas introduire une dimension " droits des femmes " dans le commerce éthique ? Une étude du CREDOC montre qu'une très large majorité de consommateurs y serait sensible.
Je partage aussi la nécessité de mettre en place un comité de suivi qui évaluera l'état d'avancement des travaux et remettra un rapport tous les deux ans à la ministre chargée des Droits des femmes.
Je vais donc saisir les ministres concernés et des réunions interministérielles se tiendront dès la rentrée sur les mesures évoquées.
Mesdames et messieurs, dans les années qui viennent de s'écouler, la place de la femme dans la société a connu de profondes modifications. J'ai eu la très grande chance de construire et de porter la loi sur la parité en politique. Le partage du pouvoir est une conquête majeure de l'égalité, qui non seulement rénovera la vie politique mais dont les répercussions n'ont pas fini de bouleverser les autres sphères de la vie économique et sociale. Les rapports de force psychologiques et physiques entre les hommes et les femmes évolueront vers plus d'égalité.
Ne laissons pas se creuser un écart de plus en plus choquant entre cette réalité et les images parfois dégradantes que nous renvoient, à des fins commerciales, certaines publicités. Car ce sont les personnes les plus faibles qui en sont les premières victimes. Dans une société démocratique, ayant un souci d'équité et de respect de la dignité de chacun, nous avons un devoir d'agir.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 16 août 2001)
Ma réflexion se portait déjà sur une approche globale de l'égalité entre les hommes et les femmes. Ma conviction me poussait à avancer sur tous les fronts : la parité en politique, l'égalité professionnelle, l'articulation de nos temps de vie, mais aussi des sujets de société plus identitaires ; je pense aux violences privées subies par les femmes et à l'utilisation abusive de notre image. C'est pourquoi, par exemple, j'ai signé le 25 février 2000 une convention avec les ministres de l'Éducation nationale, Claude Allègre et Ségolène Royal, et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, Jean Glavany, " pour une éducation non sexiste et non violente ".
À la même époque, je mets en place avec le ministère de la Culture un groupe de travail auquel le Bureau de vérification de la publicité est déjà associé pour élaborer un code d'éthique avec les professionnels.
Le Premier ministre tient à insérer dans son discours du 8 mars 2000 une référence à cet axe de travail, présent dans la plate-forme gouvernementale qu'il expose. " Ici même, en France, l'exploitation de l'image des femmes et de leur corps à des fins marchandes reste une tentation trop fréquente. Bien souvent, la publicité véhicule une image des femmes chargée de stéréotypes humiliants et de clichés machistes, qui entretiennent des représentations collectives archaïques. C'est pourquoi je souhaite que madame Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, engage, avec les représentants de la presse, de l'édition et de l'audiovisuel, une discussion sur le traitement des femmes dans les médias. "
Au même moment, la publicité " Babette " me fait perdre mon humour. C'était l'époque où je visitais les centres d'accueil pour femmes battues. La " noix d'honneur " d'un célèbre hebdomadaire me fait retrouver mon humour et redoubler d'énergie.
Les semaines qui suivent sont aussi celles d'un remaniement ministériel et je reprends mon travail de conviction auprès de Catherine Tasca.
Un nouveau groupe de travail est mis en place et c'est avec beaucoup d'intérêt que je vais, avec vous, prendre connaissance de son travail et de ses propositions.
Je sais bien que notre regard est celui de personnes habituées à exercer leur esprit critique et que, peut-être, plus que d'autres, nous décodons les messages de publicité. Sommes-nous représentatifs du regard de l'opinion publique lorsque nous disons " non " à ces publicités ?
J'ai souhaité connaître à mon tour l'état de l'opinion. Un sondage IPSOS a été effectué pour le secrétariat d'État aux Droits des femmes, les 22 et 23 juin 2001, auprès de 1 015 personnes.
À la question : " Vous, personnellement, vous arrive-t-il de vous sentir choqué par la manière dont on montre les femmes dans la publicité ? ", 46 % des sondés disent " oui, très souvent " ou " assez souvent ", dont 50 % de femmes.
Les 50 % de femmes choquées le sont à 75 % " plus souvent qu'avant ". Elles sont 63 % à rejeter des attitudes sexuellement provocantes et 71 % à souhaiter protester, disant que les publicitaires vont trop loin.
La moitié de la population a donc un regard " qui glisse " sur le support de la pub et voit surtout le produit commercialisé
Mais peut-on pour autant affirmer que les messages dévalorisants et parfois violents pour les femmes ne s'impriment pas inconsciemment dans les têtes, qu'ils ne participent pas au maintien d'une représentation, d'un rapport de forces ancestral de domination, contre lesquels nous luttons au nom de l'égalité et de la dignité de la personne humaine ?
Et nous sommes face à la confrontation de deux principes fondamentaux d'une démocratie que sont la liberté d'expression et le respect de la personne humaine. C'est pourquoi notre sujet est difficile. La publicité, contrairement aux autres médias, comporte une dimension particulière par rapport au citoyen auquel elle s'impose : c'est une consommation forcée par un consommateur captif. Dès lors, ne joue pas seulement la notion fondamentale de responsabilité, mais aussi celle même de liberté, non pas cette fois celle du créateur mais celle du receveur.
Peut-être le moment est-il venu de réconcilier ces deux exigences.
CONCLUSION
Tout d'abord, je voudrais saluer la qualité des travaux qui viennent de nous être présentés.
Je remercie vivement chaque membre du groupe de travail, institutions publiques et représentants de la société civile, et ceux qui produisent, encadrent ou observent l'utilisation de l'image des femmes dans la publicité et ont accepté d'être auditionnés dans le cadre de cette étude.
Ils ont permis d'aboutir d'une part à une analyse précise de notre encadrement juridique et conventionnel, d'autre part à une vision synthétique de la pratique actuelle des professionnels.
Je remercie plus spécifiquement le Service des droits des femmes et de l'égalité qui a coordonné ce travail, en particulier Brigitte Grésy et Caroline Méchin.
Le rapport a mis en évidence l'inégale prise en compte par la loi et les mesures conventionnelles, selon le support considéré, du principe de la dignité humaine et de ce qui en découle : la lutte contre les violences et les discriminations.
C'est pourquoi, vu l'importance des enjeux, il me semble indispensable que se poursuivent et s'approfondissent un débat public sur le sujet et un travail interministériel.
J'ai personnellement apprécié, au titre des Droits des femmes, la cohérence des quatre axes proposés.
1 - Une responsabilisation accrue des professionnels - créateurs, annonceurs, afficheurs ou diffuseurs - à travers l'adhésion volontaire à des règles d'autodiscipline adaptées.
Les pouvoirs publics regarderont d'un il tout à fait favorable les initiatives qui seront prises par les professionnels. Il semble important qu'il y ait une réflexion spécifique sur les affiches publicitaires et sur l'adhésion à l'autodiscipline du prêt-à-porter de luxe et des parfums.
2 - Une actualisation des textes en vigueur, permettant de sanctionner les atteintes à l'image des femmes par la provocation à la discrimination sur tout support de communication. Il s'agit de prendre en compte l'évolution des transformations survenues au sein de la société française au cours de la dernière décennie.
L'aménagement suggéré vise donc l'intégration du principe de non discrimination sexuelle dans l'article 24 de la loi de 1881, comme ont été intégrées les dispositions anti-racistes de la loi de 1971.
Nous pourrions d'ailleurs élargir cette révision du texte de 1881 et intégrer les discriminations liées à l'orientation sexuelle et à l'âge, en prenant en compte le sens de l'article 13 du Traité d'Amsterdam.
3 - Un renforcement de la capacité de parole et d'action conférée au corps social, s'exprimant plus particulièrement à travers la voix des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et les discriminations.
Ce point fondamental, qui consoliderait une sorte de droit de réponse du corps social, mérite un large débat.
Des dispositions pourraient être envisagées, comme la participation des associations féminines et féministes au Conseil national de la consommation.
Ce droit fondamental nécessite d'intégrer dans l'article 48 de la loi sur la presse de 1881 la possibilité pour les associations d'ester en justice quand leur intérêt à agir est évident. Ce n'est pas à l'Etat de juger ce qui est dégradant ; c'est au corps social, au travers des associations et au travers de la justice, de s'exprimer.
4 - Des mesures d'accompagnement, à la fois en termes d'éducation et de conditions à mettre en uvre, pour permettre l'émergence du débat public sur cette question de l'image des femmes dans la publicité.
L'Etat peut lancer ou encourager des mesures d'accompagnement afin de sensibiliser à l'égalité entre les femmes et les hommes, consommateurs et professionnels.
Cette démarche peut trouver tout naturellement sa place dans la convention que j'ai signée le 20 février 2000 avec le ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et le ministère de l'Agriculture et de la Pêche. Cette convention a notamment pour objectif de promouvoir une éducation non violente et non sexiste.
L'État peut de même intégrer des modules de formation sur ce sujet dans les programmes des Instituts universitaires de formation des maîtres. Sensibilisation également des écoles de stylisme, de l'École nationale de la magistrature Pourquoi ne pas introduire une dimension " droits des femmes " dans le commerce éthique ? Une étude du CREDOC montre qu'une très large majorité de consommateurs y serait sensible.
Je partage aussi la nécessité de mettre en place un comité de suivi qui évaluera l'état d'avancement des travaux et remettra un rapport tous les deux ans à la ministre chargée des Droits des femmes.
Je vais donc saisir les ministres concernés et des réunions interministérielles se tiendront dès la rentrée sur les mesures évoquées.
Mesdames et messieurs, dans les années qui viennent de s'écouler, la place de la femme dans la société a connu de profondes modifications. J'ai eu la très grande chance de construire et de porter la loi sur la parité en politique. Le partage du pouvoir est une conquête majeure de l'égalité, qui non seulement rénovera la vie politique mais dont les répercussions n'ont pas fini de bouleverser les autres sphères de la vie économique et sociale. Les rapports de force psychologiques et physiques entre les hommes et les femmes évolueront vers plus d'égalité.
Ne laissons pas se creuser un écart de plus en plus choquant entre cette réalité et les images parfois dégradantes que nous renvoient, à des fins commerciales, certaines publicités. Car ce sont les personnes les plus faibles qui en sont les premières victimes. Dans une société démocratique, ayant un souci d'équité et de respect de la dignité de chacun, nous avons un devoir d'agir.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 16 août 2001)