Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la formation des ingénieurs des travaux publics, sur la coopération universitaire de l'Ecole nationale des Ponts et chaussées et sur le rayonnement de la cité Descartes, Marne la Vallée le 23 octobre 1997.

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Circonstance : 250ème anniversaire de l'Ecole nationale des Ponts et chaussées : inauguration des nouveaux locaux à Marne la Vallée le 23 octobre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Ecole Nationale
des Ponts et Chaussées,
Monsieur le Ministre de l'Agriculture, de l'Equipement
et de l'Environnement du Royaume du Maroc, ancien élève de cette maison,
Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les Elus,
Mesdames, Messieurs les Chercheurs, les Enseignants, les Elèves,
Mesdames, Messieurs,
LEcole Nationale des Ponts et Chaussées est une institution vénérable, à la fois, par son ancienneté et par sa notoriété nationale et internationale.
En même temps, elle est, à l'évidence, jeune, vivante, dynamique, en prise directe sur le monde, et pleinement insérée dans notre enseignement supérieur.
Les nouveaux locaux que jai le plaisir dinaugurer aujourdhui et que votre Ecole partage avec la très remarquable Ecole Nationale des Sciences Géographiques, témoignent de cette alliance, subtile et réussie, entre tradition et novation, entre fidélité à tout ce qui fait votre identité et volonté douverture.
Ces nouveaux espaces, qui ont été « portés » par lEtat, lInstitut Géographique National et le Conseil Régional dIle-de-France, et que nous devons au talent des architectes, Messieurs Chaix et Morel, sont le signe de lesprit résolument moderne qui anime lune de nos plus anciennes maisons dingénieurs, comme le disait tout à l'heure votre Président.
LEcole Nationale des Ponts et Chaussées peut être légitimement fière de son histoire. Fondée il y a deux cent cinquante ans par votre illustre ancien, Jean-Rodolphe Perronet, première des grandes écoles dingénieurs civils du monde, elle fête cette année un quart de millénaire voué à lexcellence. Dans notre paysage éducatif, elle est emblématique de ces « grandes écoles », spécialité bien française, qui inspire admiration, fascination, et parfois, il faut le dire, chez certains, un peu dagacement.
Dans votre cas, si ladmiration est justifiée, lagacement na pas lieu dêtre. Vous avez su, en vous remettant en question, et en vous tournant constamment vers lavenir, rendre caduques les critiques parfois que lon aime faire aux grandes écoles. Et je salue à cet égard la tâche accomplie par les Directeurs ici présents.
Ainsi, on leur reprochait, à nos grandes écoles, un côté « hexagonal », qui nuisait à leur notoriété à lextérieur de nos frontières. Vous, au contraire, vous avez développé un système déchanges fructueux avec létranger et vous avez conclu plus de soixante accords de coopération avec des universités, qui vont jusquà un système novateur et très intéressant de double diplôme avec des facultés allemandes, espagnoles ou italiennes. Cette politique douverture ne se limite pas aux frontières de lEurope. Je pense, notamment et entre autres, aux liens qui vous unissent heureusement à lUniversité de Tongji à Shangaï.
Dans ces conditions, la présence, dans ces murs, de près de trois cents étudiants étrangers nest pas étonnante, non plus que la place importante faite, dans votre enseignement, et nous l'avons vu tout à l'heure, à la maîtrise des langues, ou la participation délèves à des chantiers étrangers à loccasion de stages. Cest le signe dun état desprit qui fait partie de votre culture.
On a pu aussi reprocher à nos grandes écoles - je ne suis pas solidaire de ces reproches - dêtre un peu isolées au sein de notre enseignement supérieur. Cela nest plus dactualité. Vous avez su dabord vous regrouper, depuis cinq ans, avec huit autres établissements prestigieux comme les Mines ou les Télécom, formant ainsi le « G.E.I. Paris », qui est un M.I.T. parisien, capable de rivaliser avec les grandes universités américaines. Vous avez ensuite multiplié les accords avec le monde universitaire. Je pense notamment aux Universités de Marne la Vallée, Créteil, Paris VI et Paris VII, montrant de façon éclatante que les grandes écoles et les universités ne sont pas antagonistes mais complémentaires.
En synergie avec lenseignement supérieur, vous êtes naturellement, est-il besoin de le préciser, en synergie avec les entreprises. Votre Ecole se signale par un va-et-vient incessant entre les enseignants, les chercheurs de vos laboratoires, et les praticiens de ces techniques qui sont dans les bureaux détude ou dans les entreprises. Parler, à propos de vos étudiants, de contacts ou dexpériences dans le monde de lentreprise est trop peu. Il faut plutôt parler de constante coopération et dimbrication féconde.
Rien détonnant à ce que votre Ecole soit au coeur de la Cité Descartes, tout entière dédiée aux sciences et aux technologies du futur, et qui donne le sentiment de pénétrer de plain-pied dans le siècle prochain. Cette réalisation, portée par la clairvoyance et lénergie de quelques-uns - et je souhaite, à cette occasion, saluer tout particulièrement Jean Poulit, nouveau Directeur de lInstitut Géographique National, et véritable père de la Cité Descartes - est à mes yeux un modèle pour notre système de formation et de recherche.
La Cité Descartes à Marne la Vallée , cest dabord une chance pour le développement concerté et harmonieux de lIle-de-France.
La Cité Descartes, cest aussi, pour lEcole des Ponts, la proximité, ou plutôt la complicité avec lEcole Nationale des Sciences Géographiques, lointaine héritière de « lEcole topographique » de la Révolution et de « lEcole de Géographes et dAérostiers » du Directoire, établissement de très haut niveau qui jouit dune remaquable réputation, formant des spécialistes reconnus et attendus.
La création de cette véritable cité scientifique est une chance. Implanter sur un même site de nombreux instituts de recherche, cest permettre une meilleure intégration des formations. Cest multiplier des échanges fructueux entre des étudiants, des chercheurs, des professeurs venus dhorizons très variés. Cest favoriser la curiosité intellectuelle et louverture desprit. Cest contribuer au dynamisme et à la créativité des instituts de formation et de recherche comme des entreprises partenaires.
Car la Cité Descartes n'a pas seulement vocation à être un lieu d'enseignement. Elle est aussi un lieu de prospective, une fenêtre ouverte sur l'avenir.
Les villes du futur, qui se construisent aujourdhui, doivent être des lieux de vie et déchanges harmonieux, rude Défi. Tel est l'enjeu de la réflexion pluridisciplinaire sur les sciences de la ville et sur leurs implications économiques, qui sera menée ici.
La construction des villes constitue un marché en plein essor qui recèle des potentialités de développement extraordinaires pour nos entreprises. La France jouit en effet en matière d'urbanisme d'un savoir-faire indiscuté.
Nul doute que les chercheurs et les futurs ingénieurs rassemblés au sein de la cité Descartes sauront exploiter et enrichir ce savoir-faire, pour en tirer le meilleur, avec le soutien des entreprises et des universités étrangères qui ont participé à la création de la Cité Internationale des Sciences de la Ville.
Je tiens d'ailleurs à saluer leurs représentants. Leur présence est plus qu'un témoignage d'amitié. Elle est gage d'ouverture aux réalités internationales et économiques. Une ouverture qui constitue pour des écoles d'ingénieurs telles que les vôtres, pour un centre de recherche tel que celui de Marne la Vallée, la véritable clef de l'avenir.
L'Ecole des Ponts et Chaussées s'est dotée de bâtiments à la mesure de son ambition. Il appartient désormais à chacun d'entre vous de lincarner cette ambition.
Vous avez tout en main pour le faire. Dabord, la tradition dexcellence des ingénieurs français, qui savent allier la rigueur et labstraction propres à des scientifiques de haut niveau, à limagination et à la créativité.
Permettez-moi de rendre hommage à tous les grands ingénieurs si nombreux, sortis de votre Ecole et qui ont tant apporté à la France et au monde. Parmi eux, hier, Albert Caquot et ses travaux sur la résistance des matériaux, Eugène Freyssinet, un Corrézien, inventeur du béton précontraint. Aujourdhui, ceux qui, mettant au point les calculs de dynamique de structures les plus avancés, ont permis la réalisation du Pont de Normandie, dont nous sommes si fiers, et tant dautres. Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, ce sont les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées qui, depuis 1716, ont la charge de ce qui deviendra au 20ème siècle laménagement du territoire : routes, canaux, ports, puis chemins de fer, aéroports, autoroutes.
Mais les ingénieurs jouent aussi un rôle de premier plan au sein des grandes entreprises françaises, privées ou publiques. Vous serez nombreux à exercer des fonctions dencadrement et de direction, fonctions auxquelles vous devez vous préparer dès maintenant.
Pour prendre votre place là où se crée la richesse de la France, vous disposez des meilleurs atouts, et dabord celui dune formation polyvalente, donnée par une Ecole qui a compris que linnovation technique la plus performante nest rien si elle nest pas accompagnée et mise en valeur.
La compétitivité réside désormais dans la complémentarité des talents. Pour faire aboutir un projet, il faut réunir les compétences d'ingénieurs, de chercheurs, de commerciaux, de juristes, de financiers et de gestionnaires.
Le succès dun pays ne tient plus uniquement à sa capacité dinvention. Il repose surtout sur son aptitude à mobiliser les intelligences pour créer et diffuser des produits et des services nouveaux.
Il importe davoir des idées, mais il importe encore davantage de les faire vivre. La fonction de lingénieur consiste à mettre une intelligence au service dune action. Cest une tâche exigeante, et cest celle que nous attendons de vous.
Pour être présente sur les marchés les plus porteurs, la France a besoin dun vivier de professionnels compétents et créatifs. Elle a besoin de scientifiques de haut niveau, prêts à se remettre sans cesse en cause, à adapter leurs comportements et leurs sujets détudes à un monde qui change sans cesse.
Nous le savons, les technologies de l'information sont à la source dune révolution comparable à la révolution industrielle du XIXème siècle. Notre pays ne pourra réussir sa mutation vers la société de l'information et du savoir sans le concours actif, très actif de ses ingénieurs.
LEcole des Ponts et lEcole des Sciences Géographiques le savent bien, elles qui maîtrisent parfaitement les systèmes dinformations géographiques et la modélisation des projets pour les insérer au mieux dans leur environnement.
Un monde régi par l'information et la communication est en effet un monde qui a besoin d'infrastructures performantes. Et ce besoin ne peut que croître.
Il faut donc appliquer les nouvelles technologies à l'aménagement du territoire, à la conception et à l'organisation des ensembles urbains. Les métiers traditionnels des travaux publics et du bâtiment y trouveront de nouveaux débouchés et surtout de nouveaux défis à relever.
Ladaptation est le maître mot.
Même si les dimensions de la France ne sauraient être comparées à celles des Etats-Unis ou de la Chine, je suis convaincu que nos qualités nous permettront de nous maintenir au tout premier rang, si nous savons valoriser cette souplesse et cette réactivité qui sont aujourdhui la clef du développement économique.
Un développement économique marqué par la mondialisation de la production et des échanges qui crée un contexte inédit et inéluctable de très forte concurrence. Ne nous trompons pas, nous ne percevons encore que les prémices dun bouleversement de grande ampleur. Aucun secteur de léconomie ne sera épargné. De nouvelles activités se créent. De nouveaux besoins apparaissent. De nouveaux produits, de nouveaux services voient le jour. Cest une chance formidable pour la croissance de demain.
La mondialisation conforte notre développement et fait émerger de nouvelles zones de croissance. Cest donc aussi une chance pour lemploi pour peu que nous prenions les bonnes voies, en sortant dun conservatisme qui, trop souvent dans notre pays, nous bride.
Nos vieilles nations industrialisées ont des handicaps à surmonter. Elles sont pénalisées, et cest vrai pour la France, par le coût et lampleur des charges, mais aussi par une insuffisante incitation au travail et à leffort.
Dans le monde de demain, rien ne sera donné, tout devra être conquis. Cest par la qualité de notre système de formation, le talent de nos artisans, paysans, salariés, ingénieurs et la bonne santé de nos entreprises que nous créerons une France plus riche et plus forte, ce qui est mon objectif, ce qui doit être notre objectif à tous.
Il ne sagit pas dassister nos entreprises. Elles ne nous le demandent pas. Il sagit de les mettre sur la même ligne de départ que leurs homologues européennes et faire en sorte que lentreprise française, cest-à-dire nos emplois, ne soient pas pénalisés. Il serait très grave de prendre la direction contraire avec le risque de perdre nos talents qui choisiraient létranger, aujourdhui si proche. Ne loublions pas, nous vivons dans un monde complètement ouvert.
Voyons plus loin. Déjà la croissance française résulte, pour une large part, de nos performances sur les marchés extérieurs. Nous sommes le quatrième exportateur mondial, le deuxième pour lagriculture et les services et le premier par habitant pour le génie civil. Mais ne nous reposons pas sur nos lauriers. Allons chercher la croissance là où elle est. Soyons davantage présents sur les grands marchés de demain, en Asie, en Europe de lEst, en Amérique Latine. Nhésitez pas, vous qui êtes jeunes, à élargir vos horizons, pour mieux comprendre ce quest la vie, pour mieux servir notre pays.
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Mesdames, Messieurs,
Les règles du jeu économique ont subi au cours des dernières années de profondes modifications. Sachons discerner dans ces bouleversements une chance inédite pour notre pays. La chance d'un nouvel essor.
Il dépend de chacun d'entre nous que la France soit à la hauteur du défi qui lui est lancé, qui est dabord et avant tout le défi de léducation.
Nos établissements de formation, avec au premier rang nos grandes écoles qui forment 25.000 ingénieurs par an, sont une de nos cartes maîtresses dans un monde qui change.
Vous tous, qui avez les talents et les ambitions de la jeunesse, vous êtes dépositaires de notre avenir. Vous saurez, jen suis sûr, donner à la France le rôle éminent auquel elle peut et doit prétendre. Aux jeunes ingénieurs en formation ici, nous vous faisons confiance.
Je vous remercie.
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