Déclaration de Mme Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, sur la lutte contre la prostitution des mineurs et les mesures contre le proxénétisme, Paris le 1er octobre 2015.

Prononcé le 1er octobre 2015

Intervenant(s) : 

Texte intégral


La prostitution des jeunes et des mineurs est une question qui interpelle notre société. Peu visible, elle existe néanmoins bel et bien. Nous parlons de mineurs et de jeunes, qui ne devraient pas être confrontés à cette violence. A l'âge où la plupart font des rêves d'avenir, découvrent les sentiments, essaient de se projeter dans un futur, d'autres, garçons et filles, sont contraints de se prostituer.
Il existe peu de chiffres, et peu d'études. Et pour cause, cette prostitution est cachée. Qu'elle soit régulière ou occasionnelle, les associations et les travailleurs qui sont sur le terrain le disent : la prostitution des mineurs et des jeunes est en augmentation alarmante.
Et elle passe – ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre- par de multiples formes. Elle peut répondre à un besoin vital de se nourrir, de payer ses études. Mais elle peut aussi – et c'est, semble-t-il de plus en plus fréquent-, être le fait de jeunes non désocialisés qui s'y adonnent «parce que ça se fait».
Le gouvernement, a fait de la lutte contre le système prostitutionnel une priorité. Déposée en octobre 2013, la proposition de loi a été adoptée à la majorité absolue en première lecture à l'Assemblée Nationale, le 4 décembre, soit deux mois après son dépôt. Depuis mon arrivée au Secrétariat des droits des femmes, j'ai voulu donner une nouvelle impulsion. Ainsi en mars 2015, le Sénat a effectué sa première lecture, puis le texte est retourné devant l'Assemblée Nationale en juin 2015. Il faut désormais achever le parcours législatif pour que cette loi s'applique dans les meilleurs délais. Car, tous les jours, sur le terrain, ce sont des milliers de femmes et de jeunes (filles ou garçons) qui souffrent de devoir se prostituer.
Cette proposition de loi a été souvent mal expliquée. Il faut reparler de son principe et de ses buts. S'appuyant sur 4 piliers, elle apportera une meilleure protection, nous en sommes convaincus. Car la prostitution touche les personnes les plus vulnérables et les plus précaires. En France, un renversement s'est produit en l'espace de dix ans : en 1990, 20% des personnes prostituées étaient de nationalité étrangère. Elles représentent aujourd'hui près de 90%. Dans la majorité des cas, ces femmes, plus ou moins jeunes, sont sous la domination de réseaux et de mafias, violentes. On estime que les profits tirés de l'exploitation et du travail forcé s'élèvent à 150 milliards de dollars par an. Près des 2/3 proviennent de l'exploitation sexuelle. Une estimation qui fait de la traite des êtres humains et du travail forcé la deuxième forme de criminalité la plus lucrative derrière le trafic de drogue. La réalité de la prostitution, c'est bien l'exploitation d'humains par d'autres humains, ne nous y trompons pas !
L'image d'Epinal consistant à faire croire que les prostituées sont heureuses et autonomes dans leur choix doit être réfutée. C'est un argument fallacieux, qu'il est de plus en plus insupportable d'entendre.
Le choix de quoi ? De la traite ? De la violence ? Des rapports tarifés ? Du sexe à la chaîne ? Des problèmes sanitaires ?
Non, la plupart des personnes prises dans les mailles de ces filets n'ont pas fait ce choix. Souvent abusées, elles se retrouvent piégées par des réseaux de trafics, réduites au statut de chair à vendre et à revendre.
C'est pourquoi cette loi doit être votée à une large majorité. Ce n'est pas une question de courants politiques ou de clivages, c'est une question de dignité humaine. C'est une lutte constante contre ces réseaux, leur cynisme et l'impunité dont ils pensent bénéficier. Pour mettre fin à ces situations, la réponse, c'est la fermeté.
La loi s'appuie donc sur 4 piliers, qui sont :
- La lutte contre le proxénétisme et la traite
- L'accompagnement social et sanitaire des personnes prostituées
- La sensibilisation sur ces réalités de la prostitution pour prévenir cette violence
- La responsabilisation des clients.
Car les coupables, ce sont bel et bien les réseaux de proxénètes. Et nous allons continuer à leur envoyer un message de fermeté : la France n'est pas un pays d'accueil des réseaux.
Mais nous voulons également responsabiliser le client, car il est urgent de faire évoluer les représentations et les comportements. Comme le dit justement Rosen Hicher : « donner le droit aux clients d'acheter des femmes, c'est donner le droit aux proxénètes de les vendre ». C'est pourquoi la France a, depuis les années 70, une position forte : c'est celle de l'abolition. Une position, encore réaffirmée il y a peu par les députés français. Et qui se fonde aussi (et c'est important), sur les engagements internationaux de la France.
Et si d'aucuns doutent encore, qu'ils regardent ce qui se passe chez nos voisins européens. Partout où la prostitution a été réglementée, elle a augmenté de manière significative, charriant dans son sillage violences, exploitation et parfois féminicides. Partout où les positions abolitionnistes ont été adoptées, elle a reculé.
Par ailleurs, cette loi va nous permettre d'abroger le délit de racolage, qui pénalise les personnes prostituées.
Car, comme toutes les autres victimes de violences, ces femmes, ces jeunes doivent être protégées, et non pas criminalisées.
Je suis allée plusieurs fois à la rencontre de ces femmes, en maraude ou dans des centres d'hébergement d'urgence, avec l'Amicale du Nid. Et je peux vous dire que lorsqu'on rencontre ces personnes, lorsqu'on écoute leurs récits, leurs parcours, la prise de conscience est brutale, glaciale. Leurs témoignages nous font réaliser à quel point ces violences, subies tous les jours, sont effroyables. Et donnent l'envie d'agir. Vite et concrètement.
C'est pourquoi cette proposition de loi dessine un dispositif cohérent et efficace. C'est primordial. Car elle nomme les victimes, tout comme elle nomme les bourreaux. Car elle donne des outils pour mieux protéger les personnes prostituées. Et renforce nos moyens pour lutter contre les réseaux de traite humaine.
Concernant la sanction, je veux rappeler que nous n'en créons pas une pour l'achat d'acte sexuel. Nous étendons une sanction déjà existante, concernant jusqu'à présent les personnes vulnérables ou mineures.
Je sais pouvoir compter sur les associations, qui travaillent de concert avec ces femmes, et ces mineurs, exploités, parfois oubliés.
Je vous suis reconnaissante de mettre la lumière sur un phénomène encore trop peu connu, et très choquant : celui de la prostitution des mineurs et des jeunes. Il n'est pas acceptable que, dans notre pays, des personnes soient obligées d'en arriver là, qu'elles n'aient pas été mieux protégées, mieux orientées, mieux identifiées. C'est le travail que vous faites au quotidien. C'est le travail sur lequel je veux m'appuyer pour qu'ensemble, nous fassions reculer de manière significative et irrémédiable cette traite. Et que nous puissions faire comprendre à tous et à toutes que des alternatives et des protections existent. Pour redonner l'espoir aux femmes, aux jeunes pris dans ces filets. Et plus globalement, pour protéger les plus exposés. Car non, la prostitution, comme l'ont si bien dit Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, ce n'est pas le plus vieux métier, mais c'est bien « la plus vieille violence du monde »
source http://femmes.gouv.fr, le 6 octobre 2015