Déclaration à la presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations entre le deux rives de la Méditerranée, la situation en Libye, la question climatique, le conflit israélo-palestinien et sur la crise migratoire, à Tanger le 7 octobre 2015.

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Circonstance : Déplacement à Tanger (Maroc) pour la réunion ministérielle du dialogue de la Méditerranée occidentale, le 7 octobre 2015

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, une bonne réunion pour un bon fond. Une bonne réunion parce que, grâce à la préparation très attentive de mes amis et collègues marocain et portugais, cette réunion de Tanger a été utile. Nous avons passé en revue en particulier les questions qui concernent la jeunesse, l'économie, la sécurité et nous nous sommes projetés dans le futur. Je veux à la fois féliciter et remercier Salaheddine de son accueil toujours chaleureux. Nous nous trouvions à Tanger il n'y a pas si longtemps pour une visite remarquable et c'est toujours la même gentillesse. Et puis Rui, qui maintenant passe la main à la présidence française, a fait un travail remarquable et je veux l'en féliciter.
Une bonne réunion, donc, et un bon format. Des formats il y en a beaucoup. Nous sommes les uns les autres appelés par nos fonctions à parcourir la planète. Ce format-ci, «5+5», est à la bonne taille et a le bon objet. Nous sommes 10, nous avons de plus en plus l'habitude de travailler ensemble et nous avons des intérêts futurs, des projets, évidemment communs, d'un côté et de l'autre de la Méditerranée. D'une certaine façon, nos destins sont liés et de plus en plus nous travaillons ensemble.
Ce qui m'a frappé dans cette réunion, c'est à la fois les sujets que nous avons traités qui sont tout à fait centraux, sécurité, économie, jeunesse, mais aussi la projection que nous avons effectuée vers de nouveaux sujets, puisqu'il a été décidé, vous le verrez dans le communiqué final, que ce format «5+5» va s'emparer de nouveaux sujets avec toujours la même méthode associée à la société civile : être aussi précis que possible, être aussi concret que possible et faire en sorte que chacun soit écouté.
J'aurai le plaisir, au cours du semestre prochain où, avec Salaheddine, nous co-présiderons ce dialogue «5+5», d'accueillir mes collègues et amis à Paris.
Deux mots pour terminer. D'abord sur la Libye. Le représentant de la Libye est là et il a été insisté à juste titre sur la nécessité et l'urgence de faire en sorte que l'accord qui a été proposé soit accepté et que puisse être ainsi constitué ce gouvernement de concorde nationale. Nous insistons tous, les uns et les autres, sur la nécessité et sur l'urgence.
Et puis, il a été aussi beaucoup question de climat puisqu'il se trouve que la France va accueillir d'ici quelques semaines la conférence COP21 sur le climat que j'aurai l'honneur de présider et qu'ensuite, ce sera le tour du Maroc à la fin de l'année prochaine. J'ai fait le point rapidement auprès de mes collègues pour leur dire que, même si je reste prudent parce que le sujet est extraordinairement complexe et que dans le passé les COP ont connu beaucoup de déception, je pense qu'à partir de toute une série de résultats, d'engagements, d'informations, de nouvelles, des prises de conscience qui se sont opérées, il y a un optimisme actif qui enfin peut se dégager. Nous allons le vérifier, pas plus tard que vendredi, lorsque nous nous trouverons au Pérou, à Lima où nous parlerons finance.
Comme chacun sait, dans ce domaine comme dans les autres, la question financière et technologique est très importante, mais je dirais que les choses se présentent - tout en restant prudent - d'une manière plus positive et que tous ceux qui sont ici s'en réjouiront : le Portugal, parce qu'au sein de l'Europe il est associé très activement à ce mouvement ; le Maroc, puisque comme tu me disais en plaisantant, tout ce qui sera fait à Paris n'aura pas à être fait ensuite ; et moi-même parce que c'est un sujet absolument majeur non seulement en termes environnementaux mais pour nos vies elles-mêmes et les vies de nos enfants. C'est cette atmosphère que nous allons essayer de traduire dans les faits d'ici quelques semaines.
Voilà Mesdames, Messieurs. J'imagine que mes collègues et moi-même nous sommes prêts à répondre à quelques questions et on est à votre disposition, merci.
Q - Le Maghreb connaît un blocage, une intégration économique qui se fait lente. La France peut-elle jouer un rôle de médiation pour remettre ce train sur les rails ? Deuxième question, sur le Moyen-Orient, la Palestine. La France a toujours été connue comme étant un acteur déterminant dans ce dossier, mais malheureusement ces derniers temps, on a ressenti un relâchement. Est-ce que la France ne peut pas se réveiller ?
R - Sur le premier point, vous connaissez bien sûr, comme chacun de mes collègues, les données de la question. Je pense que tout le monde souhaite que le Maghreb puisse travailler ensemble. Si les problèmes qui existent étaient résolus, cela donnerait une force supplémentaire et chacun le comprend bien. Maintenant, pour des raisons que vous connaissez, les choses ne sont pas toujours faciles à réaliser. En tout cas, sans parler de médiation au sens juridique, la France qui est bien sûr l'amie des uns et des autres est à disposition pour essayer de faire en sorte que les choses avancent dans le respect des règles internationales.
Nous avons abordé la question israélo-palestinienne ; chacun dans son propos l'a abordé. C'est une plaie qui est ouverte et tant qu'il n'y aura pas - les choses sont liées -, d'une part, justice rendue aux Palestiniens et, d'autre part, sécurité pour Israël, cette question restera une question ouverte et qui peut à tout moment, malheureusement, embraser l'ensemble de la région.
La France ne se résigne pas. Nous avons fait, il y a quelques semaines de cela, des propositions - lors d'une tournée d'ailleurs que j'avais faite dans la région - et nous nous appliquons à convaincre de la justesse de ces propositions. Il s'est produit un événement, à New York, qui n'a pas été suffisamment noté. L'une des idées de la France, partagée d'ailleurs par les pays arabes notamment et beaucoup plus largement, c'est qu'il faut bien sûr que les deux parties négocient et discutent. Nous sommes partisans qu'il y ait un accompagnement international large pour les convaincre d'entrer dans la discussion et, si la discussion a lieu, pour permettre d'aboutir. C'est ce que nous avons appelé «Groupe international de soutien». Il y avait un certain nombre de réticences mais, c'est ce à quoi je fais allusion, à New York, ce groupe s'est réuni après le Quartet et nous étions là nombreux, à la fois les membres du Quartet, les pays arabes, puisqu'ils ont un intérêt direct à trouver une solution et il faut rappeler l'initiative arabe de paix, des pays européens et d'autres. Et nous avons bien l'intention de continuer cette initiative internationale qui n'entend pas se substituer aux parties mais dire aux parties «Mesdames et Messieurs il faut avancer».
Alors, en plus évidemment, toute une série de sujets se pose. Vous connaissez notre position aux uns et aux autres sur la colonisation. Nous sommes partisans de la solution des deux États, mais la solution des deux États, qui est la position de la communauté internationale, il ne faut pas qu'elle soit empêchée par le fait que la colonisation la rende impossible. Donc, nous travaillons avec les uns, avec les autres, pour essayer d'avancer. En tout cas, par rapport à votre question, la France ne baisse pas les bras.
Q - Comment les pays du «5+5» comptent-ils travailler ensemble pour mettre fin à la grave crise humanitaire liée bien sûr à la montée des flux migratoires ? Donc comment concrètement vous comptez travailler ensemble ?
R - Je peux donner quelques éléments. Le développement, la montée, ce que vous appelez la montée des flux migratoires a plusieurs causes. Il y a des causes profondes et déterminantes qui sont la pauvreté, l'insuffisance du développement, les conflits politiques vifs. Chaque fois que l'on cite ces causes, on donne la piste de solutions même si la solution est difficile.
S'il s'agit de lutter contre la pauvreté, de favoriser le développement, c'est une action que l'Europe peut mener vis-à-vis de l'ensemble de l'Afrique mais c'est une action que nous pouvons mener au sein du «5+5». S'agissant des conflits politiques, nous avons à l'esprit notamment le conflit libyen, le conflit syrien, qui sont directement dans notre zone ou pas loin. Cela rejoint ce dont nous avons parlé ce matin lorsque nous disions qu'il faut trouver très rapidement les voies et moyens en appuyant la démarche de Bernardino León d'un gouvernement de concorde nationale en Libye. Il va de soi que si ce gouvernement existe, s'il est capable de reprendre le contrôle de la Libye, cela aura des conséquences évidemment très fortes sur le développement des flux migratoires, en l'occurrence positives.
Il y a donc l'action de fond en matière économique, il y a l'action proprement politique qui ne dépend pas uniquement de nous, mais pour une partie de nous, et puis il a des mesures immédiates à prendre. C'est ce que fait l'Europe pour à la fois développer ses relations avec les pays sources, pour installer ce que l'on appelle les «hot spots», pour faire en sorte qu'il y ait un accueil, pour différencier entre l'asile, j'allais dire politique, et puis les mouvements migratoires de type économique. Nous devons faire cela en lien avec l'ensemble des pays sources et, évidemment, pour une part avec les pays du «5+5». Il va y avoir bientôt des réunions au niveau européen ou africain qui vont permettre d'aller en ce sens. C'est un ensemble et, évidemment, le «5+5», là-dedans, joue un rôle qui n'est pas exclusif mais qui est important. Et puis, il faut avoir à l'esprit ce qui a été fait, et qui est exemplaire, de la part de certains pays qui, étant confronté à ce genre de difficultés, ont pu passer avec tel ou tel autre pays du nord et du sud de la Méditerranée, des accords qui ont permis de maitriser le phénomène. Donc il faut utiliser tous ses canaux. (...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2015