Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une première pour Matthias FEKL, mais je suis très heureux de vous recevoir. Bonjour.
MATTHIAS FEKL
Bonjour Jean-Jacques BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une première. Vous avez quel âge ? trente-huit ans ?
MATTHIAS FEKL
Trente-huit ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes secrétaire d'État au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger. Vous êtes né en Allemagne d'un père allemand qui était prof de français, d'une mère française qui était prof d'allemand. Jusqu'à l'adolescence, vous avez vécu en Allemagne, vous avez grandi en Allemagne. Vous avez appris vraiment à écrire le français en classe de 4ème, je ne me trompe pas ?
MATTHIAS FEKL
Je ne vous raconte pas ma première dictée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'imagine. Aujourd'hui, il y a un moment un peu historique ; je déteste ce mot mais nous verrons s'il est historique ou pas après. Aujourd'hui Angela MERKEL et François HOLLANDE sont ensemble devant le Parlement européen de Strasbourg. Pour dire quoi, Matthias FEKL ? Pour rassurer les populations ?
MATTHIAS FEKL
Pour adresser un message et pour travailler ensemble sur un des défis majeurs qui est la question des migrations qui se pose à tous les pays et auxquelles aucun pays seul ne peut répondre, parce que ce sont des problèmes géopolitiques, des problèmes économiques, des problèmes juridiques, et donc pour montrer que l'Europe avance ensemble et qu'au coeur de l'Europe, il y a le couple franco-allemand qui fait des propositions ensemble.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Toute l'Europe n'avance pas au même rythme.
MATTHIAS FEKL
Non. La France et l'Allemagne avancent ensemble sur ce sujet comme sur d'autres, comme sur la crise de l'Ukraine, comme sur la crise grecque. Sans le couple franco-allemand, aujourd'hui la Grèce ne serait plus dans la zone euro. Sur tous ces sujets qui sont majeurs, qui engagent notre avenir, ce sont la France et l'Allemagne qui ensemble avancent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi, Matthias FEKL ? Ça veut dire que la France et l'Allemagne défendent la même politique économique ; on est bien d'accord ?
MATTHIAS FEKL
Non. Je ne crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment « non » ?
MATTHIAS FEKL
Les différents pays ont chacun leur histoire, leurs intérêts aussi. L'économie allemande n'est pas l'économie française. Ça, ce n'est pas un scoop. Il n'y a pas les mêmes spécialisations, il n'y a pas la même ouverture internationale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais les politiques économiques rendues à Bruxelles
MATTHIAS FEKL
Non. Sur la Grèce, la France a fait entendre une voix différente de ce qu'était la voix allemande, en tout cas de la voix du ministre des Finances allemand, et heureusement. Parce que sans la voix de la France, et en l'occurrence sans la voix du président de la République, les choses auraient pu très mal tourner pour la Grèce, y compris quand vous regardez le débat public en Allemagne qui, à ce moment-là, était extrêmement dur et extrêmement sévère.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous sentez monter en France un sentiment anti-Merkel ?
MATTHIAS FEKL
C'est très mitigé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les Français ont beaucoup admiré Angela MERKEL, et puis tout à coup, voilà que l'opinion publique si versatile est en train de modifier son jugement.
MATTHIAS FEKL
Ça va et ça vient avec l'Allemagne. Avec l'Allemagne, c'est à fois : « Je t'aime, moi non plus » puis c'est un mariage de raison qui connaît des hauts et des bas mais qui est amené à durer. Et avec MERKEL, ça se traduit aussi comme ça. On voit bien que la chancelière sur la crise des réfugiés a porté haut et fort des choses avec le président de la République. Là aussi, ils se sont mis d'accord sur beaucoup de choses et donc quand l'Allemagne donne l'impression de dominer, d'être indifférente au sort des Européens, elle agace et elle irrite. Quand, au contraire, avec la France elle porte un message européen, ça se traduit aussi positivement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, je voudrais vous parler du sujet majeur, la raison pour laquelle je vous ai invité. Je suis franc et direct : c'est le fameux traité Transatlantique, ce fameux traité Tafta, négociations ouvertes en 2013 entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Vous suivez ce dossier pour le gouvernement français. Les négociations reprennent dans quelques jours je crois à Washington.
MATTHIAS FEKL
A Miami, à Miami le 19. C'est le onzième tour des négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 19. Matthias FEKL, est-il vrai que vous, ministre de la République, pour consulter les négociations, l'état d'avancée des négociations, vous êtes obligé d'aller à l'ambassade américaine ?
MATTHIAS FEKL
C'est vrai. En tout cas officiellement, la France a évidemment accès aux informations, mais si on respecte scrupuleusement les règles, c'est ce qui est le cas aujourd'hui, il faut aller à l'ambassade ou à Bruxelles, dans des salles sécurisées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais n'est-ce pas honteux ?
MATTHIAS FEKL
Mais c'est scandaleux, et j'ai eu l'occasion de le dire. Dès d'ailleurs ma prise de fonction, ma première décision a concerné la transparence. Transparence du mandat de négociations, et il faut construire un agenda de la transparence. On ne peut plus négocier aujourd'hui comme dans les années 90, en secret, dans des grands hôtels, derrière des portes fermées. Les enjeux sont essentiels pour les Français, pour les Européens, et d'ailleurs les gens se savent très bien. Moi, je suis frappé du degré d'information. En Lot-et-Garonne chez moi, souvent je suis interpellé y compris sur des choses très précises. Donc les gens suivent, ils sentent bien que là, il y a quelque chose qui se joue et ça doit être quelque chose qui est fait sur la place publique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous trouvez ça scandaleux mais rien ne change.
MATTHIAS FEKL
Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Nous avons obtenu avec d'autres Etats européens la transparence du mandat de négociations qui était secret. Comment peut-on imaginer qu'on engage des négociations aussi importantes en cachette ? Inconcevable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est l'Europe qui a accepté. C'est l'Europe, non ?
MATTHIAS FEKL
Non. L'Europe a, en octobre dernier, fait la publicité sur le mandat de négociations mais ça, ce n'est pas un aboutissement. Ça doit être un début, agenda de transparence. Au quai d'Orsay, je reçois régulièrement les syndicats, les ONG, les parlementaires français et européens qui doivent pouvoir être associés à tout ça. Il faut aller beaucoup plus loin, il faut que les documents soient accessibles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'ils le sont aujourd'hui ?
MATTHIAS FEKL
Non, ils ne le sont pas et c'est inacceptable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Vous dites : « C'est inacceptable », mais ils ne le sont toujours pas, Matthias FEKL. Pardonnez-moi.
MATTHIAS FEKL
C'est la définition d'une négociation. S'il suffisait que je dise : « Je veux ceci » pour que je l'obtienne, honnêtement ma vie serait plus simple.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est deux à négocier, on est bien d'accord ?
MATTHIAS FEKL
On est même plus nombreux que ça en réalité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vingt-huit au niveau européen, mais enfin il y a une entité européenne qui négocie face aux Américains qui, eux, sont unis dans la négociation, ce qui est leur force d'ailleurs. Mais aujourd'hui, vous pouvez dire aux Américains : « Nous stoppons les négociations s'il n'y a pas plus de transparence ». Vous pouvez le dire.
MATTHIAS FEKL
C'est ce que j'ai dit l'année dernière dans Sud Ouest et ça eu un écho dans la presse européenne et au-delà, en indiquant précisément que si les choses ne bougeaient pas sur la transparence, sur la question des tribunaux privés sur laquelle j'ai mené une bataille politique très importante que je suis en train de remporter au niveau européen. Sur le fond, c'est-à-dire la défense de nos produits agricoles, l'accès au marché public américain, les indications géographiques ce que j'ai appelé la diplomatie des terroirs pour défendre l'agriculture française dans les négociations où se décident les choses essentielles -, si les choses ne bougent pas dans le bon sens, la France envisagera toutes les options, y compris l'arrêt pur et simple de ces négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Dans quel délai ?
MATTHIAS FEKL
Dans un avenir raisonnable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi un avenir raisonnable ?
MATTHIAS FEKL
Ça veut dire ce que ça veut dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, attendez ! Ça ne veut pas dire ce que ça veut dire. C'est des paroles de politicien, pardonnez-moi.
MATTHIAS FEKL
Non, non, non. C'est une parole
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que vous fixez une date si les points que vous venez de soulever ne sont pas modifiés, s'il n'y a pas de modification dans le fonctionnement de ces négociations sur le fond de la part des Américains, vous êtes prêt à stopper les négociations, vous l'avez dit, on est bien d'accord.
MATTHIAS FEKL
Oui. J'ai été le seul membre d'un gouvernement à le dire, le gouvernement français a été le seul à poser cette option sur la table.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez fixé un délai, j'imagine.
MATTHIAS FEKL
Il y a le onzième tour de négociation qui s'ouvre dans quelques jours à Miami, nous allons voir l'état d'esprit à ce moment-là. Il y aura ensuite d'autres tours dans le courant de l'année prochaine. Si dans un avenir raisonnable, c'est-à-dire dans le courant des prochains tours, c'est-à-dire dans le courant de l'année prochaine les choses ne changent pas sérieusement, ces négociations s'arrêteront. En tout cas, ce sera la proposition de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si courant 2016, il n'y a pas de modification dans les négociations, d'évolution je dirais dans les négociations, la France quitte ces négociations.
MATTHIAS FEKL
Alors, c'est l'Union européenne qui négocie. Vous savez que les choses sont d'un niveau technique difficile.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais la France peut dire : « Stop » ?
MATTHIAS FEKL
Si en Europe la France ne souhaite pas qu'une négociation majeure se fasse, elle ne se fait pas. Nous sommes un pays souverain, nous avançons avec d'autres pays. Moi, je n'ai jamais été pour l'arrogance française en Europe. J'ai toujours travaillé avec les Allemands ; j'étais à Berlin encore lundi dernier avec d'autres Etats européens pour avoir une démarche la plus commune possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et d'autres Etats européens sont prêts à nous suivre ?
MATTHIAS FEKL
Nous verrons. Nous sommes aujourd'hui
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Allemagne est prête à nous suivre ?
MATTHIAS FEKL
J'étais avec Sigmar GABRIEL lundi, nous avons échangé à ce sujet. Le débat est très vif en Allemagne et les questions se posent aussi pour le gouvernement allemand. Mais encore une fois, il faut que les choses pas seulement évoluent, il faut qu'il y ait des changements totalement substantiels dans l'esprit général, c'est-à-dire la confiance, la réciprocité, l'accès aux documents et le fond des choses parce que l'Europe fait proposition sur proposition. Il n'y a aucune contre-proposition américaine sérieuse sur la table aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucune contre-proposition américaine sérieuse ? aucune ? C'est-à-dire que les négociations sont au point mort si je comprends bien.
MATTHIAS FEKL
Absolument. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui veulent négocier parce qu'il faut négocier, parce qu'on a commencé, donc il faut continuer, donc il faut conclure. Non ! Une négociation soit elle est positive et elle avance
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que c'est une position de principe, Matthias FEKL, ou une position parce que des élections se profilent ? Je pense aux régionales mais je pense surtout aux présidentielles. Parce que, vous le disiez tout à l'heure, c'est un débat qui agite l'opinion publique.
MATTHIAS FEKL
Je ne suis pas du tout un adepte du coup de bluff en politique, et si j'avais voulu faire ma promotion personnelle sur ce sujet, ça fait un an que je serais sur tous les plateaux à faire du tam-tam. Moi, je construis les positions de la France dans cette négociation. C'est vrai sur la transparence, c'est vrai sur les tribunaux privés. Nous étions seuls ou presque au début avec les Allemands et nous avons remporté en Europe le combat pour avoir une cour qui soit publique, qui soit multilatérale et interdire que des entreprises privées
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais les juges ne seront pas publics
MATTHIAS FEKL
Mais si, à terme ils le seront. C'est la proposition qui est sur la table aujourd'hui. Il y a des conflits d'intérêts dans ces affaires-là, il y a des problèmes démocratiques. Comment pouvez-vous accepter, pas vous, mais comment peut-on imaginer qu'une firme multinationale attaque des Etats pour des choix de politique publique ? Vous avez une politique de santé publique, vous avez une politique énergétique et vous allez avoir un grand groupe qui, parce qu'il a peur de perdre de l'argent, va attaquer des choix démocratiques. C'est inacceptable, et c'est pour ça que depuis un an, j'ai construit la proposition de la France sur ce sujet. Elle est devenue ensuite la position européenne avec des adaptations, des choses qui peuvent aller plus loin, mais c'est une victoire politique majeure. A l'époque, tout le monde me riait au nez ou me disait : « Tu vas voir, la France va être isolée, tu ne vas pas y arriver ». Nous y sommes arrivés et donc depuis un an, je construis la stratégie française sur ce sujet. C'est une stratégie qui a toutes les grandes étapes, que j'ai fait valider par Laurent FABIUS, par le Premier ministre, par le président de la République, et qui est une stratégie extrêmement offensive, robuste et volontariste.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dites-moi, heureusement que vous avez été attentif, sinon l'Europe aurait accepté toutes les conditions américaines.
MATTHIAS FEKL
Il y en a d'autres qui sont attentifs en Europe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Enfin, il y en a d'autres Il n'y en a pas beaucoup d'autres.
MATTHIAS FEKL
Les Allemands sont très attentifs là-dessus. Si nous avons gagné sur la cour, c'est parce que je me suis rendu à Berlin en janvier. J'ai fait une déclaration commune avec Sigmar GABRIEL sur ce sujet et nous avons porté ça ensuite dans le débat européen.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si j'ai bien compris, 2016 ces négociations se poursuivent. Si jamais les Américains ne bougent pas, la France stoppe les négociations en 2016.
MATTHIAS FEKL
Absolument. Pourquoi nous négocions ? Parce qu'aujourd'hui, il y a une bataille qui est engagée sur les normes. Si nous voulons défendre des indications géographiques nos vins, nos produits agricoles c'est parce qu'il faut être là où se définissent les normes, mais encore faut-il
JEAN-JACQUES BOURDIN
Appellations d'origine. C'est nos appellations d'origine qu'il faut protéger.
MATTHIAS FEKL
Absolument, les produits du terroir. Le pruneau d'Agen, le vin, et cætera, vous connaissez ça par coeur mais c'est indispensable. Ça se joue dans les enceintes internationales, à l'OMC, et dans ces négociations avec les Etats-Unis. Mais soit les choses avancent et c'est positif, soit il n'y a pas d'avancée et encore une fois nous en tirons les conséquences.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que l'affaire Volkswagen ne fragilise pas la position européenne dans ces négociations ?
MATTHIAS FEKL
C'est une affaire assez ambigüe pour ce qui concerne les négociations. Parce qu'à la fois, ça met un climat ça alourdit le climat, il n'y avait déjà pas un grand climat de confiance, a alourdit les choses. En même temps, si on est honnête intellectuellement, il faut reconnaître aussi que c'est une entreprise européenne allemande en l'occurrence, qui a triché, que ce sont les Américains qui ont trouvé ce problème et qui veulent voir appliquer leurs normes de santé publique, de consommation de diesel, et cætera. Encore une fois, ça alourdit le climat mais le vrai problème de cette affaire, c'est la transparence des données publiques. C'est le consommateur et le citoyen qui a le droit de savoir ce qu'il mange, ce qu'il boit, ce qu'il respire. Des choses assez simples en réalité et qui ont été bafouées dans cette affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Evidemment. Je ne parle même pas de l'accès au marché public américain qui pour l'instant est bouclé. Mais alors, vraiment bouclé.
MATTHIAS FEKL
Qui est très fermé. En fonction des chiffres, ouverture entre un tiers et la moitié ; chez nous, c'est quasiment à cent pourcents. Et pour nos entreprises, c'est des intérêts majeurs de pouvoir y accéder et notamment pour les PME. Il faut que ce soit vrai au niveau national mais aussi au niveau des Etats fédérés. Vous savez que les Etats-Unis ont une organisation très particulière, donc il y a besoin d'engagements très forts sur ce point aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, je voudrais parler de concurrence déloyale à propos d'AIR FRANCE. J'ai regardé les chiffres : quarante-deux milliards de dollars touchés par les compagnies du Golfe, les compagnies aériennes du Golfe, touchés par leurs gouvernements. N'est-ce pas là une concurrence déloyale franchement ? Est-ce qu'il n'est pas possible de taxer cette concurrence déloyale ?
MATTHIAS FEKL
C'est un problème international majeur. Il y a deux problèmes qui se posent à AIR FRANCE aujourd'hui : l'émergence du low cost, et ç'a été mal anticipé, et d'autre part la concurrence des compagnies, notamment du Golfe mais pas seulement. C'est vrai aussi dans d'autres pays. Et c'est pour cette raison-là qu'Alain VIDALIES, le ministre des Transports, a saisi en juin avec son homologue allemand, la Commission européenne pour qu'il soit mis de l'ordre là-dedans. Moi-même, dans de nombreux déplacements, j'ai évoqué ce sujet-là et il y a besoin là aussi de respecter un principe simple qui est la réciprocité. Vous savez, certains récitent un peu béatement la doxa libérale de la concurrence libre et non faussée, de la main invisible. On voit bien à cet exemple-là que ce totem-là n'existe pas et que la concurrence libre et non faussée, c'est un leurre. Il y a des compagnies très largement subventionnées qui du coup montent en gamme, qui peuvent offrir des prestations absolument incroyables. C'est un défi majeur pour AIR FRANCE et pour d'autres compagnies européennes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais l'Organisation Mondiale du Commerce autorise ses pays membres à taxer la concurrence déloyale.
MATTHIAS FEKL
Il faut ; encore une fois, j'étais au G20 hier à Istanbul, nous serons à Nairobi à la fin de l'année pour discuter de toute une série de sujets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que la France va prendre l'initiative à ce sujet ?
MATTHIAS FEKL
Il y a déjà des initiatives, avec la Commission européenne, c'est Alain VIDALIES qui pilote ce dossier, qui est à la manoeuvre là-dessus, qui a saisi la Commission dès avant l'été, précisément pour que la concurrence soit loyale et qu'il n'y ait pas des compagnies qui contournent les règles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant elle est déloyale.
MATTHIAS FEKL
Absolument, c'est pour ça qu'il faut agir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Autre chose. Est-ce que les multinationales, Amazon, Google ou autres, qui ne paient pas d'impôts, ou très peu, en France, vont enfin payer ce qu'elles doivent payer dans notre pays ?
MATTHIAS FEKL
C'est indispensable. Un certain nombre de ces organisations, de ces entreprises, sont en train de devenir justement des organisations, quasiment plus puissants que les Etats, qui peuvent vouloir définir des normes en matière numérique, et Axelle LEMAIRE suit ça de très près. Imaginez si demain les normes sont édictées par un certain nombre de grandes entreprises, qui saisissent des tribunaux privés, qui édictent une jurisprudence, tout ça c'est des combats qui sont liés avec les négociations transatlantiques, avec tout ce qui se passe au niveau international. Il faut là-dessus des initiatives européennes et internationales. Il y a des paradis fiscaux y compris au coeur de l'Europe, il y a une responsabilité historique de l'Europe que d'adresser ce problème, comme on dit en mauvais français, c'est-à-dire d'édicter, à un niveau qui soit européen, des règles. L'organisation, l'OCDE, travaille là-dessus en ce moment, au niveau mondial, aucun pays seul ne peut y arriver. Ce sont des entreprises qui sont multinationales, qui ont un pouvoir énorme, mais qui fuient leurs responsabilités et qui progressivement minent
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ces multinationales vont payer ce qu'elles doivent payer ?
MATTHIAS FEKL
C'est indispensable. C'est indispensable. Mais, encore une fois, un Etat seul ne peut pas y arriver, il y a besoin d'initiatives internationales, de contraintes, d'une reprise en main par la puissance publique, sur le cours des choses. Parce que depuis 30 ans un certain nombre de gens ont théorisé l'abandon de la puissance publique, c'est la dérégulation mondiale, c'est le libéralisme à tout-va, d'ailleurs en partie basé sur des fantasmes, et progressivement on a privé, et les Etats, et les organisations internationales, de leur pouvoir d'intervenir sur le cours des choses, c'est aussi ça qui joue sur la fiscalité, et si on veut une puissance publique forte, des services publics, il faut que chacun y paye sa part.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes jeunes, vous êtes élu, vous dites d'ailleurs, pour être légitime dans la vie publique il faut avoir la confiance des Français, c'est ce que vous dites.
MATTHIAS FEKL
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le contraire d'Emmanuel MACRON quoi, si j'ai bien compris.
MATTHIAS FEKL
Moi je ne me définie pas par rapport à tel ou tel, mais ça fait 10 ans
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, d'accord, mais vous n'avez pas du tout le même point de vue, franchement.
MATTHIAS FEKL
Non, ni le même point de vue, ni le même parcours, moi ça fait 10 ans que je considère que quand on veut faire de la politique il faut avoir la légitimité du suffrage, moi je peux agir aujourd'hui parce que les citoyens, en Lot-et-Garonne, m'ont fait confiance, d'abord sur des mandats locaux, ensuite sur un mandat national, et j'ai à coeur d'honorer cette confiance-là. Tout ce que je peux faire aujourd'hui vient du terrain et vient de la confiance de femmes et d'hommes, pour lesquels je travaille, et avec lesquels je travaille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, Matthias FEKL, vous vous intéressez, vous êtes un élu, vous vous intéressez à la vie politique, vous rêvez d'un renouvellement de la vie politique, vous le dites d'ailleurs, franchement, et clairement. Est-ce que nos institutions sont à bout de souffle, franchement ?
MATTHIAS FEKL
Moi, c'est une position personnelle, qui n'engage que moi, mais je considère que la Ve République est vraiment au bout du rouleau, c'est-à-dire qu'elle donne une stabilité en apparence, elle donne la possibilité de pouvoir réformer, y compris lorsque la majorité parlementaire n'est pas toujours d'accord, mais en réalité ces institutions minent la confiance progressivement et elles hystérisent le débat public. Vu que le but c'est
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut changer de République ?
MATTHIAS FEKL
Moi j'en suis convaincu. Il faut donner plus de pouvoir
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut passer à la VIe République ?
MATTHIAS FEKL
Le numéro n'a pas d'importance, ce qui compte c'est le fond
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une nouvelle République.
MATTHIAS FEKL
Il faut une nouvelle République, il faut qu'il y ait la possibilité de faire émerger des majorités d'ides, de donner un pouvoir au Parlement, de contrôle, de légitimation des choses. Aujourd'hui le débat est trop personnalisé, il est trop focalisé autour de telle ou telle personne plutôt que sur les enjeux de fond. Par exemple, il est indispensable que le Parlement, avant les grands conseils européens, puisse débattre des grands sujets qui sont soumis, c'est ce qui se passe en Allemagne, c'est ce qui donne une force inouïe à la chancelière quand elle arrive dans les négociations, et ce qui permet aussi une appropriation. Il y a un débat public, les médias en rendent compte, et donc les choses sont moins abstraites, moins violentes. Franchement, c'est indispensable. La Ve République, elle a été moderne, après la guerre, lorsqu'il fallait, après la décolonisation surtout, remettre le pays en mouvement, et surtout
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle a vécu là ?
MATTHIAS FEKL
Moi j'en suis convaincu. A mon avis, un des grands enjeux de la prochaine présidentielle c'est le débat démocratique. Nous traversons une crise démocratique à tous les étages, qui se traduit par l'abstention, par la crise de confiance. Cette constitution était adaptée à une société très verticale, patriarcale, où le président de la République décidait pour le pays comme le père de famille décidait pour la famille A l'évidence, et fort heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui, on est dans des sociétés complexes, on est à l'heure des réseaux sociaux, les institutions doivent s'adapter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Lot-et-Garonne, votre département, vous avez des nouvelles de CAHUZAC ?
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, aucune ?
MATTHIAS FEKL
Aucune.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jérôme CAHUZAC, aucune ?
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Terminé, la politique c'est terminé, vous ne l'avez plus croisé ?
MATTHIAS FEKL
C'est à lui qu'il faut demander.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Merci à vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être venu nous voir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 octobre 2015
C'est une première pour Matthias FEKL, mais je suis très heureux de vous recevoir. Bonjour.
MATTHIAS FEKL
Bonjour Jean-Jacques BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une première. Vous avez quel âge ? trente-huit ans ?
MATTHIAS FEKL
Trente-huit ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes secrétaire d'État au Commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger. Vous êtes né en Allemagne d'un père allemand qui était prof de français, d'une mère française qui était prof d'allemand. Jusqu'à l'adolescence, vous avez vécu en Allemagne, vous avez grandi en Allemagne. Vous avez appris vraiment à écrire le français en classe de 4ème, je ne me trompe pas ?
MATTHIAS FEKL
Je ne vous raconte pas ma première dictée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'imagine. Aujourd'hui, il y a un moment un peu historique ; je déteste ce mot mais nous verrons s'il est historique ou pas après. Aujourd'hui Angela MERKEL et François HOLLANDE sont ensemble devant le Parlement européen de Strasbourg. Pour dire quoi, Matthias FEKL ? Pour rassurer les populations ?
MATTHIAS FEKL
Pour adresser un message et pour travailler ensemble sur un des défis majeurs qui est la question des migrations qui se pose à tous les pays et auxquelles aucun pays seul ne peut répondre, parce que ce sont des problèmes géopolitiques, des problèmes économiques, des problèmes juridiques, et donc pour montrer que l'Europe avance ensemble et qu'au coeur de l'Europe, il y a le couple franco-allemand qui fait des propositions ensemble.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Toute l'Europe n'avance pas au même rythme.
MATTHIAS FEKL
Non. La France et l'Allemagne avancent ensemble sur ce sujet comme sur d'autres, comme sur la crise de l'Ukraine, comme sur la crise grecque. Sans le couple franco-allemand, aujourd'hui la Grèce ne serait plus dans la zone euro. Sur tous ces sujets qui sont majeurs, qui engagent notre avenir, ce sont la France et l'Allemagne qui ensemble avancent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi, Matthias FEKL ? Ça veut dire que la France et l'Allemagne défendent la même politique économique ; on est bien d'accord ?
MATTHIAS FEKL
Non. Je ne crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment « non » ?
MATTHIAS FEKL
Les différents pays ont chacun leur histoire, leurs intérêts aussi. L'économie allemande n'est pas l'économie française. Ça, ce n'est pas un scoop. Il n'y a pas les mêmes spécialisations, il n'y a pas la même ouverture internationale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais les politiques économiques rendues à Bruxelles
MATTHIAS FEKL
Non. Sur la Grèce, la France a fait entendre une voix différente de ce qu'était la voix allemande, en tout cas de la voix du ministre des Finances allemand, et heureusement. Parce que sans la voix de la France, et en l'occurrence sans la voix du président de la République, les choses auraient pu très mal tourner pour la Grèce, y compris quand vous regardez le débat public en Allemagne qui, à ce moment-là, était extrêmement dur et extrêmement sévère.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous sentez monter en France un sentiment anti-Merkel ?
MATTHIAS FEKL
C'est très mitigé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les Français ont beaucoup admiré Angela MERKEL, et puis tout à coup, voilà que l'opinion publique si versatile est en train de modifier son jugement.
MATTHIAS FEKL
Ça va et ça vient avec l'Allemagne. Avec l'Allemagne, c'est à fois : « Je t'aime, moi non plus » puis c'est un mariage de raison qui connaît des hauts et des bas mais qui est amené à durer. Et avec MERKEL, ça se traduit aussi comme ça. On voit bien que la chancelière sur la crise des réfugiés a porté haut et fort des choses avec le président de la République. Là aussi, ils se sont mis d'accord sur beaucoup de choses et donc quand l'Allemagne donne l'impression de dominer, d'être indifférente au sort des Européens, elle agace et elle irrite. Quand, au contraire, avec la France elle porte un message européen, ça se traduit aussi positivement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, je voudrais vous parler du sujet majeur, la raison pour laquelle je vous ai invité. Je suis franc et direct : c'est le fameux traité Transatlantique, ce fameux traité Tafta, négociations ouvertes en 2013 entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Vous suivez ce dossier pour le gouvernement français. Les négociations reprennent dans quelques jours je crois à Washington.
MATTHIAS FEKL
A Miami, à Miami le 19. C'est le onzième tour des négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 19. Matthias FEKL, est-il vrai que vous, ministre de la République, pour consulter les négociations, l'état d'avancée des négociations, vous êtes obligé d'aller à l'ambassade américaine ?
MATTHIAS FEKL
C'est vrai. En tout cas officiellement, la France a évidemment accès aux informations, mais si on respecte scrupuleusement les règles, c'est ce qui est le cas aujourd'hui, il faut aller à l'ambassade ou à Bruxelles, dans des salles sécurisées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais n'est-ce pas honteux ?
MATTHIAS FEKL
Mais c'est scandaleux, et j'ai eu l'occasion de le dire. Dès d'ailleurs ma prise de fonction, ma première décision a concerné la transparence. Transparence du mandat de négociations, et il faut construire un agenda de la transparence. On ne peut plus négocier aujourd'hui comme dans les années 90, en secret, dans des grands hôtels, derrière des portes fermées. Les enjeux sont essentiels pour les Français, pour les Européens, et d'ailleurs les gens se savent très bien. Moi, je suis frappé du degré d'information. En Lot-et-Garonne chez moi, souvent je suis interpellé y compris sur des choses très précises. Donc les gens suivent, ils sentent bien que là, il y a quelque chose qui se joue et ça doit être quelque chose qui est fait sur la place publique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous trouvez ça scandaleux mais rien ne change.
MATTHIAS FEKL
Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Nous avons obtenu avec d'autres Etats européens la transparence du mandat de négociations qui était secret. Comment peut-on imaginer qu'on engage des négociations aussi importantes en cachette ? Inconcevable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est l'Europe qui a accepté. C'est l'Europe, non ?
MATTHIAS FEKL
Non. L'Europe a, en octobre dernier, fait la publicité sur le mandat de négociations mais ça, ce n'est pas un aboutissement. Ça doit être un début, agenda de transparence. Au quai d'Orsay, je reçois régulièrement les syndicats, les ONG, les parlementaires français et européens qui doivent pouvoir être associés à tout ça. Il faut aller beaucoup plus loin, il faut que les documents soient accessibles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'ils le sont aujourd'hui ?
MATTHIAS FEKL
Non, ils ne le sont pas et c'est inacceptable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Vous dites : « C'est inacceptable », mais ils ne le sont toujours pas, Matthias FEKL. Pardonnez-moi.
MATTHIAS FEKL
C'est la définition d'une négociation. S'il suffisait que je dise : « Je veux ceci » pour que je l'obtienne, honnêtement ma vie serait plus simple.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est deux à négocier, on est bien d'accord ?
MATTHIAS FEKL
On est même plus nombreux que ça en réalité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vingt-huit au niveau européen, mais enfin il y a une entité européenne qui négocie face aux Américains qui, eux, sont unis dans la négociation, ce qui est leur force d'ailleurs. Mais aujourd'hui, vous pouvez dire aux Américains : « Nous stoppons les négociations s'il n'y a pas plus de transparence ». Vous pouvez le dire.
MATTHIAS FEKL
C'est ce que j'ai dit l'année dernière dans Sud Ouest et ça eu un écho dans la presse européenne et au-delà, en indiquant précisément que si les choses ne bougeaient pas sur la transparence, sur la question des tribunaux privés sur laquelle j'ai mené une bataille politique très importante que je suis en train de remporter au niveau européen. Sur le fond, c'est-à-dire la défense de nos produits agricoles, l'accès au marché public américain, les indications géographiques ce que j'ai appelé la diplomatie des terroirs pour défendre l'agriculture française dans les négociations où se décident les choses essentielles -, si les choses ne bougent pas dans le bon sens, la France envisagera toutes les options, y compris l'arrêt pur et simple de ces négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Dans quel délai ?
MATTHIAS FEKL
Dans un avenir raisonnable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi un avenir raisonnable ?
MATTHIAS FEKL
Ça veut dire ce que ça veut dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, attendez ! Ça ne veut pas dire ce que ça veut dire. C'est des paroles de politicien, pardonnez-moi.
MATTHIAS FEKL
Non, non, non. C'est une parole
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que vous fixez une date si les points que vous venez de soulever ne sont pas modifiés, s'il n'y a pas de modification dans le fonctionnement de ces négociations sur le fond de la part des Américains, vous êtes prêt à stopper les négociations, vous l'avez dit, on est bien d'accord.
MATTHIAS FEKL
Oui. J'ai été le seul membre d'un gouvernement à le dire, le gouvernement français a été le seul à poser cette option sur la table.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez fixé un délai, j'imagine.
MATTHIAS FEKL
Il y a le onzième tour de négociation qui s'ouvre dans quelques jours à Miami, nous allons voir l'état d'esprit à ce moment-là. Il y aura ensuite d'autres tours dans le courant de l'année prochaine. Si dans un avenir raisonnable, c'est-à-dire dans le courant des prochains tours, c'est-à-dire dans le courant de l'année prochaine les choses ne changent pas sérieusement, ces négociations s'arrêteront. En tout cas, ce sera la proposition de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si courant 2016, il n'y a pas de modification dans les négociations, d'évolution je dirais dans les négociations, la France quitte ces négociations.
MATTHIAS FEKL
Alors, c'est l'Union européenne qui négocie. Vous savez que les choses sont d'un niveau technique difficile.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais la France peut dire : « Stop » ?
MATTHIAS FEKL
Si en Europe la France ne souhaite pas qu'une négociation majeure se fasse, elle ne se fait pas. Nous sommes un pays souverain, nous avançons avec d'autres pays. Moi, je n'ai jamais été pour l'arrogance française en Europe. J'ai toujours travaillé avec les Allemands ; j'étais à Berlin encore lundi dernier avec d'autres Etats européens pour avoir une démarche la plus commune possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et d'autres Etats européens sont prêts à nous suivre ?
MATTHIAS FEKL
Nous verrons. Nous sommes aujourd'hui
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Allemagne est prête à nous suivre ?
MATTHIAS FEKL
J'étais avec Sigmar GABRIEL lundi, nous avons échangé à ce sujet. Le débat est très vif en Allemagne et les questions se posent aussi pour le gouvernement allemand. Mais encore une fois, il faut que les choses pas seulement évoluent, il faut qu'il y ait des changements totalement substantiels dans l'esprit général, c'est-à-dire la confiance, la réciprocité, l'accès aux documents et le fond des choses parce que l'Europe fait proposition sur proposition. Il n'y a aucune contre-proposition américaine sérieuse sur la table aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucune contre-proposition américaine sérieuse ? aucune ? C'est-à-dire que les négociations sont au point mort si je comprends bien.
MATTHIAS FEKL
Absolument. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui veulent négocier parce qu'il faut négocier, parce qu'on a commencé, donc il faut continuer, donc il faut conclure. Non ! Une négociation soit elle est positive et elle avance
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que c'est une position de principe, Matthias FEKL, ou une position parce que des élections se profilent ? Je pense aux régionales mais je pense surtout aux présidentielles. Parce que, vous le disiez tout à l'heure, c'est un débat qui agite l'opinion publique.
MATTHIAS FEKL
Je ne suis pas du tout un adepte du coup de bluff en politique, et si j'avais voulu faire ma promotion personnelle sur ce sujet, ça fait un an que je serais sur tous les plateaux à faire du tam-tam. Moi, je construis les positions de la France dans cette négociation. C'est vrai sur la transparence, c'est vrai sur les tribunaux privés. Nous étions seuls ou presque au début avec les Allemands et nous avons remporté en Europe le combat pour avoir une cour qui soit publique, qui soit multilatérale et interdire que des entreprises privées
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais les juges ne seront pas publics
MATTHIAS FEKL
Mais si, à terme ils le seront. C'est la proposition qui est sur la table aujourd'hui. Il y a des conflits d'intérêts dans ces affaires-là, il y a des problèmes démocratiques. Comment pouvez-vous accepter, pas vous, mais comment peut-on imaginer qu'une firme multinationale attaque des Etats pour des choix de politique publique ? Vous avez une politique de santé publique, vous avez une politique énergétique et vous allez avoir un grand groupe qui, parce qu'il a peur de perdre de l'argent, va attaquer des choix démocratiques. C'est inacceptable, et c'est pour ça que depuis un an, j'ai construit la proposition de la France sur ce sujet. Elle est devenue ensuite la position européenne avec des adaptations, des choses qui peuvent aller plus loin, mais c'est une victoire politique majeure. A l'époque, tout le monde me riait au nez ou me disait : « Tu vas voir, la France va être isolée, tu ne vas pas y arriver ». Nous y sommes arrivés et donc depuis un an, je construis la stratégie française sur ce sujet. C'est une stratégie qui a toutes les grandes étapes, que j'ai fait valider par Laurent FABIUS, par le Premier ministre, par le président de la République, et qui est une stratégie extrêmement offensive, robuste et volontariste.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dites-moi, heureusement que vous avez été attentif, sinon l'Europe aurait accepté toutes les conditions américaines.
MATTHIAS FEKL
Il y en a d'autres qui sont attentifs en Europe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Enfin, il y en a d'autres Il n'y en a pas beaucoup d'autres.
MATTHIAS FEKL
Les Allemands sont très attentifs là-dessus. Si nous avons gagné sur la cour, c'est parce que je me suis rendu à Berlin en janvier. J'ai fait une déclaration commune avec Sigmar GABRIEL sur ce sujet et nous avons porté ça ensuite dans le débat européen.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si j'ai bien compris, 2016 ces négociations se poursuivent. Si jamais les Américains ne bougent pas, la France stoppe les négociations en 2016.
MATTHIAS FEKL
Absolument. Pourquoi nous négocions ? Parce qu'aujourd'hui, il y a une bataille qui est engagée sur les normes. Si nous voulons défendre des indications géographiques nos vins, nos produits agricoles c'est parce qu'il faut être là où se définissent les normes, mais encore faut-il
JEAN-JACQUES BOURDIN
Appellations d'origine. C'est nos appellations d'origine qu'il faut protéger.
MATTHIAS FEKL
Absolument, les produits du terroir. Le pruneau d'Agen, le vin, et cætera, vous connaissez ça par coeur mais c'est indispensable. Ça se joue dans les enceintes internationales, à l'OMC, et dans ces négociations avec les Etats-Unis. Mais soit les choses avancent et c'est positif, soit il n'y a pas d'avancée et encore une fois nous en tirons les conséquences.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que l'affaire Volkswagen ne fragilise pas la position européenne dans ces négociations ?
MATTHIAS FEKL
C'est une affaire assez ambigüe pour ce qui concerne les négociations. Parce qu'à la fois, ça met un climat ça alourdit le climat, il n'y avait déjà pas un grand climat de confiance, a alourdit les choses. En même temps, si on est honnête intellectuellement, il faut reconnaître aussi que c'est une entreprise européenne allemande en l'occurrence, qui a triché, que ce sont les Américains qui ont trouvé ce problème et qui veulent voir appliquer leurs normes de santé publique, de consommation de diesel, et cætera. Encore une fois, ça alourdit le climat mais le vrai problème de cette affaire, c'est la transparence des données publiques. C'est le consommateur et le citoyen qui a le droit de savoir ce qu'il mange, ce qu'il boit, ce qu'il respire. Des choses assez simples en réalité et qui ont été bafouées dans cette affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Evidemment. Je ne parle même pas de l'accès au marché public américain qui pour l'instant est bouclé. Mais alors, vraiment bouclé.
MATTHIAS FEKL
Qui est très fermé. En fonction des chiffres, ouverture entre un tiers et la moitié ; chez nous, c'est quasiment à cent pourcents. Et pour nos entreprises, c'est des intérêts majeurs de pouvoir y accéder et notamment pour les PME. Il faut que ce soit vrai au niveau national mais aussi au niveau des Etats fédérés. Vous savez que les Etats-Unis ont une organisation très particulière, donc il y a besoin d'engagements très forts sur ce point aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, je voudrais parler de concurrence déloyale à propos d'AIR FRANCE. J'ai regardé les chiffres : quarante-deux milliards de dollars touchés par les compagnies du Golfe, les compagnies aériennes du Golfe, touchés par leurs gouvernements. N'est-ce pas là une concurrence déloyale franchement ? Est-ce qu'il n'est pas possible de taxer cette concurrence déloyale ?
MATTHIAS FEKL
C'est un problème international majeur. Il y a deux problèmes qui se posent à AIR FRANCE aujourd'hui : l'émergence du low cost, et ç'a été mal anticipé, et d'autre part la concurrence des compagnies, notamment du Golfe mais pas seulement. C'est vrai aussi dans d'autres pays. Et c'est pour cette raison-là qu'Alain VIDALIES, le ministre des Transports, a saisi en juin avec son homologue allemand, la Commission européenne pour qu'il soit mis de l'ordre là-dedans. Moi-même, dans de nombreux déplacements, j'ai évoqué ce sujet-là et il y a besoin là aussi de respecter un principe simple qui est la réciprocité. Vous savez, certains récitent un peu béatement la doxa libérale de la concurrence libre et non faussée, de la main invisible. On voit bien à cet exemple-là que ce totem-là n'existe pas et que la concurrence libre et non faussée, c'est un leurre. Il y a des compagnies très largement subventionnées qui du coup montent en gamme, qui peuvent offrir des prestations absolument incroyables. C'est un défi majeur pour AIR FRANCE et pour d'autres compagnies européennes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais l'Organisation Mondiale du Commerce autorise ses pays membres à taxer la concurrence déloyale.
MATTHIAS FEKL
Il faut ; encore une fois, j'étais au G20 hier à Istanbul, nous serons à Nairobi à la fin de l'année pour discuter de toute une série de sujets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que la France va prendre l'initiative à ce sujet ?
MATTHIAS FEKL
Il y a déjà des initiatives, avec la Commission européenne, c'est Alain VIDALIES qui pilote ce dossier, qui est à la manoeuvre là-dessus, qui a saisi la Commission dès avant l'été, précisément pour que la concurrence soit loyale et qu'il n'y ait pas des compagnies qui contournent les règles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant elle est déloyale.
MATTHIAS FEKL
Absolument, c'est pour ça qu'il faut agir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Autre chose. Est-ce que les multinationales, Amazon, Google ou autres, qui ne paient pas d'impôts, ou très peu, en France, vont enfin payer ce qu'elles doivent payer dans notre pays ?
MATTHIAS FEKL
C'est indispensable. Un certain nombre de ces organisations, de ces entreprises, sont en train de devenir justement des organisations, quasiment plus puissants que les Etats, qui peuvent vouloir définir des normes en matière numérique, et Axelle LEMAIRE suit ça de très près. Imaginez si demain les normes sont édictées par un certain nombre de grandes entreprises, qui saisissent des tribunaux privés, qui édictent une jurisprudence, tout ça c'est des combats qui sont liés avec les négociations transatlantiques, avec tout ce qui se passe au niveau international. Il faut là-dessus des initiatives européennes et internationales. Il y a des paradis fiscaux y compris au coeur de l'Europe, il y a une responsabilité historique de l'Europe que d'adresser ce problème, comme on dit en mauvais français, c'est-à-dire d'édicter, à un niveau qui soit européen, des règles. L'organisation, l'OCDE, travaille là-dessus en ce moment, au niveau mondial, aucun pays seul ne peut y arriver. Ce sont des entreprises qui sont multinationales, qui ont un pouvoir énorme, mais qui fuient leurs responsabilités et qui progressivement minent
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ces multinationales vont payer ce qu'elles doivent payer ?
MATTHIAS FEKL
C'est indispensable. C'est indispensable. Mais, encore une fois, un Etat seul ne peut pas y arriver, il y a besoin d'initiatives internationales, de contraintes, d'une reprise en main par la puissance publique, sur le cours des choses. Parce que depuis 30 ans un certain nombre de gens ont théorisé l'abandon de la puissance publique, c'est la dérégulation mondiale, c'est le libéralisme à tout-va, d'ailleurs en partie basé sur des fantasmes, et progressivement on a privé, et les Etats, et les organisations internationales, de leur pouvoir d'intervenir sur le cours des choses, c'est aussi ça qui joue sur la fiscalité, et si on veut une puissance publique forte, des services publics, il faut que chacun y paye sa part.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes jeunes, vous êtes élu, vous dites d'ailleurs, pour être légitime dans la vie publique il faut avoir la confiance des Français, c'est ce que vous dites.
MATTHIAS FEKL
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le contraire d'Emmanuel MACRON quoi, si j'ai bien compris.
MATTHIAS FEKL
Moi je ne me définie pas par rapport à tel ou tel, mais ça fait 10 ans
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, d'accord, mais vous n'avez pas du tout le même point de vue, franchement.
MATTHIAS FEKL
Non, ni le même point de vue, ni le même parcours, moi ça fait 10 ans que je considère que quand on veut faire de la politique il faut avoir la légitimité du suffrage, moi je peux agir aujourd'hui parce que les citoyens, en Lot-et-Garonne, m'ont fait confiance, d'abord sur des mandats locaux, ensuite sur un mandat national, et j'ai à coeur d'honorer cette confiance-là. Tout ce que je peux faire aujourd'hui vient du terrain et vient de la confiance de femmes et d'hommes, pour lesquels je travaille, et avec lesquels je travaille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, Matthias FEKL, vous vous intéressez, vous êtes un élu, vous vous intéressez à la vie politique, vous rêvez d'un renouvellement de la vie politique, vous le dites d'ailleurs, franchement, et clairement. Est-ce que nos institutions sont à bout de souffle, franchement ?
MATTHIAS FEKL
Moi, c'est une position personnelle, qui n'engage que moi, mais je considère que la Ve République est vraiment au bout du rouleau, c'est-à-dire qu'elle donne une stabilité en apparence, elle donne la possibilité de pouvoir réformer, y compris lorsque la majorité parlementaire n'est pas toujours d'accord, mais en réalité ces institutions minent la confiance progressivement et elles hystérisent le débat public. Vu que le but c'est
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut changer de République ?
MATTHIAS FEKL
Moi j'en suis convaincu. Il faut donner plus de pouvoir
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut passer à la VIe République ?
MATTHIAS FEKL
Le numéro n'a pas d'importance, ce qui compte c'est le fond
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une nouvelle République.
MATTHIAS FEKL
Il faut une nouvelle République, il faut qu'il y ait la possibilité de faire émerger des majorités d'ides, de donner un pouvoir au Parlement, de contrôle, de légitimation des choses. Aujourd'hui le débat est trop personnalisé, il est trop focalisé autour de telle ou telle personne plutôt que sur les enjeux de fond. Par exemple, il est indispensable que le Parlement, avant les grands conseils européens, puisse débattre des grands sujets qui sont soumis, c'est ce qui se passe en Allemagne, c'est ce qui donne une force inouïe à la chancelière quand elle arrive dans les négociations, et ce qui permet aussi une appropriation. Il y a un débat public, les médias en rendent compte, et donc les choses sont moins abstraites, moins violentes. Franchement, c'est indispensable. La Ve République, elle a été moderne, après la guerre, lorsqu'il fallait, après la décolonisation surtout, remettre le pays en mouvement, et surtout
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle a vécu là ?
MATTHIAS FEKL
Moi j'en suis convaincu. A mon avis, un des grands enjeux de la prochaine présidentielle c'est le débat démocratique. Nous traversons une crise démocratique à tous les étages, qui se traduit par l'abstention, par la crise de confiance. Cette constitution était adaptée à une société très verticale, patriarcale, où le président de la République décidait pour le pays comme le père de famille décidait pour la famille A l'évidence, et fort heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui, on est dans des sociétés complexes, on est à l'heure des réseaux sociaux, les institutions doivent s'adapter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Lot-et-Garonne, votre département, vous avez des nouvelles de CAHUZAC ?
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, aucune ?
MATTHIAS FEKL
Aucune.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jérôme CAHUZAC, aucune ?
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Terminé, la politique c'est terminé, vous ne l'avez plus croisé ?
MATTHIAS FEKL
C'est à lui qu'il faut demander.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Merci à vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être venu nous voir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 octobre 2015