Texte intégral
Madame la Présidente de la commission des affaires étrangères et présidente de la fondation Anna Lindh, Chère Élisabeth,
Monsieur le Président de la Chambre des représentants du Maroc,
Monsieur le Secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée,
C'est un honneur pour moi d'ouvrir cette conférence sur le dialogue interculturel en Méditerranée, un dialogue qui fait à la fois toute la complexité et toute la richesse de notre longue tradition d'échanges et de coopération.
Au carrefour des civilisations, la Méditerranée est d'abord une unité de lieu ; un lieu de diversité et de multiplicité ; mais un lieu unifié dans une communauté de destin.
Notre destin, c'est celui que nous partageons depuis des siècles, un destin qui, plus que jamais, nous lie désormais à celui de la planète tout entière.
Le réchauffement climatique nous projette, où que nous soyons sur cette planète, dans un avenir incertain. Pour la première fois dans l'histoire, nous savons que si nous ne réagissons pas aujourd'hui, alors demain il sera demain trop tard.
En réduisant les ressources à disposition, en créant de la rareté, en altérant les écosystèmes, en plongeant les plus fragiles dans la précarité, le dérèglement climatique crée des positions hégémoniques et menace la cohésion sociale. Il génère de la frustration et des oppositions. Il freine le dialogue, parfois l'interrompt. La guerre pour les ressources est vieille comme le monde. Avec le dérèglement climatique et ses conséquences sur les écosystèmes, les occasions de conflits se multiplient.
L'eau, par exemple, est une ressource rare en Méditerranée. Une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l'Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil. L'eau est également au coeur des relations entre Israël et Palestine. Le dérèglement climatique, qui accentuera encore davantage la rareté de la ressource, devrait amplifier ces conflits pour l'eau.
L'eau, mais aussi la terre, est elle-aussi au coeur de conflits. De même que le sont les ressources agricoles ou les matières premières ... autant de menaces pour la paix.
Plus que jamais, alors que la COP21 approche, alors que ce grand partenariat pour sauver la planète est notre seule issue, il est urgent de retrouver le sens du dialogue.
Pourtant, rien n'est moins évident ... d'un côté la mondialisation uniformise et nous conduit à regarder dans la même direction ; de l'autre, elle fragilise les repères traditionnels, renforce les oppositions, exacerbe les frustrations et les résistances au coeur des sociétés civiles et des cultures locales. La carte de cet espace est aujourd'hui tachée de sang par les drames qui l'ont déchiré et le déchirent encore, au Nord comme au Sud, à l'Est comme à l'Ouest, au cours des vingt dernières années.
Comment, dès lors, rassembler autour de cet objectif commun qu'est la lutte contre le réchauffement climatique et la recherche d'une prospérité durable ? Comment bâtir des solutions sur cette diversité de perceptions ?
Le dialogue interculturel est essentiel pour répondre à ces questions. Encore faut-il créer les conditions adéquates pour le rendre possible.
Ce dialogue doit, en premier lieu, pouvoir s'engager sur des bases claires. Le principe de l'égale dignité de toutes les cultures doit être au coeur de cette démarche. Il permet de le fonder sur le respect d'autrui, mais aussi sur le respect de soi et la fidélité à ses propres valeurs. Le défi qui nous est posé réside précisément dans cette tension entre la préservation de ce qui fait notre différence et notre diversité d'une part, et, d'autre part, la recherche d'un socle acceptable par tous, autrement dit universel, qui rend le dialogue possible.
Je salue à cet égard, comme un immense progrès dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences positives, l'adoption d'un agenda universel du développement durable, à New York, fin septembre dernier. La communauté des États s'est dotée à cette occasion d'un socle sur lequel nous pourrons, je l'espère, construire une véritable communauté internationale. L'espace méditerranéen doit s'inscrire pleinement dans ce cadre universel.
Une fois les bases de ce dialogue posées, encore faut-il créer les espaces où il peut se conduire. Car au-delà des concepts, le dialogue interculturel est avant tout fait d'interactions humaines. Les fora de dialogue, en se multipliant, génèrent du lien social, une compréhension commune des enjeux, une confiance dans l'échange et dans l'autre, un dialogue créatif et l'invention de solutions.
De précieuses instances font vivre ce dialogue au quotidien. Je pense au Dialogue 5+5, lancé en 1990 par François Mitterrand, qui est particulièrement sensible aux questions d'environnement et de changement climatique ; Je pense au processus euro-méditerranéen lancé à Barcelone en 1995, qui a intégré la question de l'environnement dès son lancement et a vu la transformation du processus en Union pour la Méditerranée.
Le dialogue interculturel a son volet «pratique», c'est la co-création, la co-construction de projets de part et d'autre des deux rives, entre des régions, entre des communautés.
Dès le début de son mandat, le président de la République a tracé la ligne de la politique de la France en Méditerranée : construire la Méditerranée des projets. En cette année de COP21, le projet qui nous rassemble, en Méditerranée, c'est d'abord la réponse que nous devons, collectivement, apporter aux défis du changement climatique ; et cette Méditerranée des projets, nous la souhaitons exemplaire dans le domaine de la lutte contre le dérèglement climatique. C'est avec elle, c'est grâce à elle, que nous ferons évoluer les manières de produire et de consommer, les manières de vivre ensemble, au service d'un développement durable. La Méditerranée, particulièrement touchée par le dérèglement climatique, sera un acteur au coeur des solutions.
Bien sûr, d'autres causes bousculent nos pensées à l'évocation de combats communs en Méditerranée : la lutte contre le terrorisme, bien sûr, en cette année où à Paris comme à Tunis, nous avons été meurtris par ce même ennemi ; la terrible cause des migrants qui, pour beaucoup, font de cette Méditerranée un horizon fatal ; les fureurs de la guerre en Syrie ou ailleurs au Proche Orient.
Le dialogue est ce qui reste quand l'espoir vacille. Le prix Nobel de la paix décerné au dialogue national tunisien l'a magnifiquement rappelé. Merci à la fondation Anna Lindh de faire vivre le dialogue. Merci de lancer des ponts entre les rives ; merci de renforcer jour après jour la confiance et la compréhension entre les peuples.
Et merci Madame la Présidente de porter haut ces échanges indispensables à ce grand partenariat que nous bâtissons ensemble, pour la COP21 bien sûr, et pour plus loin, pour une Méditerranée enfin pacifiée et solidaire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2015