Texte intégral
Nous nous félicitons que les conditions aient pu être réunies pour un échange approfondi entre les directions de nos deux formations.
Il nous semblait, en effet, opportun au vu des événements de ces derniers mois et pour la franchise des relations que la CGT souhaite maintenir avec le PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, d'avoir une nouvelle occasion permettant aux uns et aux autres de livrer leur analyse de la situation et de préciser leur démarche dans leur champ d'intervention respectif.
On a entendu et lu beaucoup de choses ces derniers temps sur ce que seraient les relations entre nos deux organisations, ce qui n'est pas très nouveau en soi mais appelle, pour le moins, de lever les ambiguïtés ou les incompréhensions que certaines campagnes peuvent alimenter.
Nous avons donc préparé collectivement cette rencontre au niveau du Bureau Confédéral et nous attacherons de l'importance à en rendre compte dans l'organisation.
Je vais m'efforcer de préciser notre état d'esprit de manière synthétique à travers trois aspects complémentaires :
Ce qu'est la démarche syndicale de la CGT
Notre conception des relations avec les partis politiques
Plus précisément celle avec le PCF.
La démarche de la CGT
La CGT défend les salariés dans une société où dominent malheureusement les logiques et les contraintes du capitalisme.
Sa démarche est d'abord une démarche revendicative concrète alimentée par l'écoute attentive des besoins et des attentes d'un monde salarial en profonde évolution, et fragilisé par 20 ans de déstabilisation des statuts professionnels. Elle repose sur la formulation des revendications émanant de toutes les catégories du salariat dans sa diversité et sur la construction des convergences qui continuent à fonder son unité en dépit du développement de la précarité.
Nous voulons promouvoir un syndicalisme de conquête sociale.
Exprimer la diversité et affirmer la convergence des intérêts des salariés est la vocation du syndicalisme. Les deux actions sont indispensables à la création d'un rapport de force dont le seul objectif est de gagner sur les revendications. La construction d'un rapport de force doit intégrer le débat d'idées et le rassemblement dans l'action, au service d'une approche offensive de la négociation pour les intérêts des salariés.
C'est pour maîtriser les dynamiques sociales créées par la diversification et l'extension du statut salarial que nous avons besoin d'un syndicalisme démocratique, unitaire, indépendant, susceptible d'opérer dans les faits et dans les consciences le lien entre la revendication quotidienne et des objectifs de transformation qui constituent son horizon. La façon propre au syndicalisme de prendre en compte les intérêts individuels et collectifs des salariés dans la confrontation qui les opposent à ceux des employeurs, réside dans cette relation intime entre le vécu immédiat des salariés et les propositions alternatives du syndicat.
Nous considérons le syndicalisme confédéré comme le mieux à même de promouvoir la solidarité et les convergences, d'affronter les nouveaux enjeux de société.
Nous voulons inverser la tendance à la faible syndicalisation, à la division syndicale systématique qui profite avant tout au patronat.
Notre démarche pour un syndicalisme rassemblé correspond à une dimension essentielle de notre stratégie.
Le pluralisme syndical est un fait dans la société française. Il est le résultat, pour partie, de l'héritage de l'histoire sociale et politique de notre pays et de l'attitude patronale, confortée par une tradition institutionnelle faisant peu de cas, ou même se méfiant de ce qu'on appelle les corps sociaux intermédiaires entre l'individu et l'Etat. Les conditions ne sont toujours pas créées permettant au mouvement syndical d'asseoir la continuité de sa légitimité, en dehors des périodes de conflit majeur. L'incroyable " exception française ", que constituent en Europe notre notion de représentativité syndicale et les modalités qui s'y rattachent, en est une preuve tangible.
Nous avons, comme vous le savez, des propositions à verser au dossier pour une nouvelle démocratie sociale.
Pour autant, dans le paysage actuel et conscients des différences qui existent dans les conceptions syndicale en présence, nous militons en faveur de nouvelles relations entre organisations syndicales. Nous voulons le rassemblement des forces qui, unies, peuvent changer la donne afin que les aspirations des salariés puissent se muer en exigences.
Nous n'avons pas d'interlocuteur privilégié et avons décliné des propositions qui visaient à figer le paysage syndical dans une logique de blocs qui s'opposeraient à partir d'un certain nombre de présupposés.
Des convergences sont aussi possibles avec d'autres acteurs qui visent des objectifs similaires aux nôtres. Ce peut être le cas, par exemple, avec des mouvements associatifs.
Notre présence, désormais active au sein de la Confédération Européenne des Syndicats, participe de la même démarche.
Nous avons fait le choix d'être acteur dans la réflexion et la mobilisation au niveau européen, dimension incontournable pour toute action syndicale prétendant agir sur le réel.
L'ampleur de la transformation et de l'accélération des effets induits par le capitalisme à l'échelle du monde nécessite, selon nous, une profonde rénovation du syndicalisme pratiqué à l'échelle internationale. Mais force est de constater l'incapacité collective de dépasser les clivages historiques qui ont façonné les internationales syndicales, toutes assez inefficaces, au stade actuel, pour faire face aux besoins de salariés.
Nous avons encore beaucoup à faire pour disposer des structures syndicales adaptées aux besoins des salariés, là où ils se trouvent. 50 % des salariés travaillent dans des PME de moins de 50 salariés et n'ont donc pas de comité d'entreprise. Plus généralement, une majorité de salariés n'a pas de contact direct même intermittent avec le mouvement syndical. Vous pouvez constater combien cette situation constitue un handicap grave pour le type de syndicalisme que nous voulons promouvoir, pour la conception de la démarche revendicative qui est au cur de la stratégie de la CGT.
Notre conception des relations avec les partis politiques découle naturellement de notre démarche.
Lors de notre dernière Commission Exécutive, je rappelais qu'il n'y avait pas de pays au monde où la question de la nature des rapports entre syndicats et partis quels qu'ils soient, entre syndicats et pouvoir ne se pose en permanence, et qu'il n'y avait donc aucune raison qu'elle ne se pose pas en France.
Nous constatons des situations très diverses à travers le monde : des syndicats, manifestement " instruments " des gouvernements en place ; des syndicats faisant reposer leurs espoirs et leur démarche syndicale sur l'accès au pouvoir du parti politique avec lequel ils s'estiment le plus proche, ce qui d'ailleurs provoque parfois des déconvenues ; des syndicats qui ont des représentants ès qualité dans le Parlement ou l'exécutif de leur pays ; il n'y a pas si longtemps encore, des syndicats où le fait de s'y syndiquer avait pour conséquence, d'adhérer et de cotiser de facto à un parti politique.
Ce sont là des conceptions qui ne correspondent pas à la société française et, en tout cas, pas à la conception que la CGT a de son rôle d'organisation syndicale.
Les partis ont pour ambition légitime d'accéder au pouvoir, ce n'est naturellement pas l'objectif d'un syndicat. Cela étant, le contenu de l'état ne se résume pas à la conquête et à l'exercice du ou des pouvoirs qui le constituent. Les institutions qui le composent sont des lieux essentiels et permanents pour la régulation sociale. C'est pourquoi nous avons conscience que ce qui est communément appelé " la crise du politique " ne peut pas être sans conséquences sur la réflexion et l'action syndicales.
Nous avons remarqué, par exemple, que le taux d'abstention avait le plus progressé dans la catégorie des ouvriers et des employés lors des dernières élections municipales.
Les adhérents de la CGT ne se situent pas en dehors de cette tendance. La majorité d'entre eux ne sont membres d'aucun parti politique, et toutes les sensibilités y sont présentes. Vis-à-vis des hommes politiques, comme tous les français, les syndiqués, les militants de la CGT sont d'abord attentifs à la réalité de leur action, comme à la conformité de leurs actes à leurs paroles.
Constater une certaine prise de distance entre les citoyens et la représentation politique ne veut pas dire s'en satisfaire, et encore moins prétendre combler un vide en sortant de notre rôle.
Pour donner des leçons et des gages d'indépendance, il pourrait être assez commode de se fondre dans le courant assez démagogique condamnant " la politique ". Le MEDEF surfe sur ce courant pour développer sa propre stratégie allant jusqu'à contester au législateur ou aux partis politiques la compétence et bientôt le droit d'intervenir sur les enjeux économiques et sociaux. Le " laissez faire " est une politique, c'est même la définition pragmatique du libéralisme.
Notre conviction de la nécessité d'une démarche indépendante vis-à-vis du patronat, des gouvernements, des institutions européennes et internationales, des partis, ne signifie pas pour autant notre indifférence au contexte politique. Il signifie encore moins notre désintérêt à l'égard de l'intervention des partis dans le débat démocratique, sur la forme et sur le fond.
L'histoire sociale et politique de notre pays atteste que la volonté d'instrumentaliser le syndicalisme à des fins politiques est une tentation qui réapparaît régulièrement. Certains, il y a quelques années, avaient poursuivi le dessein de " remodeler " le paysage syndical ; d'autres s'engagent dans des organisations syndicales avec le dessein essentiel de s'en servir comme " caisse de résonance " de leurs idées partisanes. C'est l'Extrême-droite qui, par le biais des élections prud'homales, a tenté de faire reconnaître des syndicats qui n'étaient que de vulgaires faux nez. Nous sommes déterminés à rester sans cesse vigilants sur ce terrain.
Dans une société ou le salariat, dans sa diversité, représente l'immense majorité de la population, aucun parti politique ne peut négliger la réalité des luttes et des idées syndicales, tous les partis sont obligés d'en comprendre la teneur et d'en mesurer l'influence, que ce soit pour s'appuyer sur elles, les contenir, les contourner ou les combattre.
Lorsque ce sont les partis de gauche qui sont au gouvernement, la tentation est grande de compter que les organisations syndicales dont la sensibilité est historiquement plutôt à gauche, vont adopter un comportement " modéré " sinon modeste. Cependant, aucune organisation syndicale, ni la CGT ni les autres, n'est et ne sera jamais une composante de la majorité gouvernementale.
Ainsi, par exemple, comment ne pas interpréter l'absence assez systématique de consultation des organisations syndicales avant que le gouvernement ne prenne ses décisions sur des domaines qui les intéressent au premier chef, sans avoir le sentiment que ce gouvernement estime sa légitimité politique dans le domaine social comme autosuffisante et permettant de faire l'économie de la concertation ?
N'y a t il pas là la survivance d'une certaine confusion des rôles et des responsabilités au sein de la gauche en général, la marque d'une conception fortement ancrée dans la culture républicaine " de gauche ", d'une suprématie naturelle de l'ordre du politique pouvant entretenir une subordination du
syndicalisme ?
En période pré-électorale, tous les actes prennent une dimension particulière.
C'est le cas lorsque les partis s'intéressent à l'opinion des syndicats, à celle de la CGT en particulier.
A partir de là, on a pu entendre ou lire des thèses un peu fumeuses sur ce que serait l'attitude de la CGT, ainsi soumise à l'écoute de certaines sirènes. Les choses sont sans doute beaucoup plus simples. De nombreux partis, à gauche comme à droite, ont sans doute longtemps considéré soit que la CGT était une organisation à l'horizon bouché, soit que leur relation privilégiée avec telle ou telle confédération syndicale pouvait suffire à leur réflexion. Ils ont du se rendre à l'évidence. L'influence de première confédération syndicale qui, jusqu'à preuve du contraire, nous est toujours accordée par les salariés, rend la CGT incontournable sur pratiquement tous les enjeux sociaux.
Notre autonomie de réflexion et de prise de décision garantit l'authenticité des débats que nous pouvons avoir avec les différents acteurs de la vie économique, sociale et politique, lesquels peuvent déboucher sur des constats d'accord ou de désaccord suivant les cas. C'est ce qui s'est produit les 16 octobre et 9 juin.
La CGT veut établir de nouveaux rapports avec les partis politiques. Elle est donc pleinement disposée à débattre en permanence avec tous les partis démocratiques, d'organisation à organisation, dans le respect des prérogatives et de l'identité de chacun, dès lors que cela peut être utile pour ses objectifs revendicatifs ou que les partis eux-mêmes estiment utile pour leur propre réflexion d'entendre l'opinion de la CGT sur un sujet particulier. Cela exclue par contre toute attitude de soutien ou de co-élaboration d'un projet politique quel qu'il soit.
S'agissant des relations plus particulières de la CGT avec le PCF dans le contexte d'aujourd'hui :
Les relations que nous voulons entretenir avec le PCF s'inscrivent à l'évidence dans le même cadre général que celui que je viens de décrire concernant la base de nos rapports avec les partis politiques.
Cependant nous ne pouvons pas en rester là en faisant l'impasse sur une histoire commune issue notamment des origines du mouvement ouvrier, des traditions du syndicalisme révolutionnaire et de l'Internationale des travailleurs. Elle a été fortement marquée par le formidable espoir insufflé par la révolution russe de 1917, les grands moments de lutte ouvrière du Front populaire, de la Résistance et de la Libération, jusqu'à l'épisode difficile de la " guerre froide ", ayant abouti au cataclysme géopolitique de la fin du siècle qui a bouleversé l'Europe et les schémas de pensée qui s'y étaient solidifiés.
Au cours de cette longue histoire s'est constituée une culture qui continue à habiter nos deux organisations. Mais comme toutes les cultures elle doit sans cesse renouer avec une analyse sans concessions de la réalité et de ses évolutions, si elle veut que la partie la plus vivante de son héritage et de son message continue à s'incarner dans un projet pour la société.
Dans cet héritage figure certainement l'idée force que le monde du travail a besoin de se rassembler comme tel pour défendre son existence, conquérir son émancipation et participer à la transformation de la société.
Il est clair que tant les militants de la CGT que ceux du PCF ont partagé cette conviction, et le cheminement de ces deux organisations s'inspirant de ce même idéal a marqué durant toute une période la société française. Leur place, leur rôle, tout en étant distincts, semblaient se confondre quant aux finalités. Des générations de militants ont exercé des responsabilités de part et d'autre, alternativement ou simultanément, avec cet état d'esprit construit autour d'une même famille de pensée.
Il est vrai qu'aux yeux de tous, tout s'ordonnait dans la perspective d'une rupture totale, d'un changement complet de société débarrassée à jamais des scories du capitalisme. La tendance naturelle qui s'en dégageait, parce que la fin justifie parfois les moyens, consacrait une primauté à l'engagement politique sur l'engagement syndical.
C'est une longue période jalonnée de conquêtes sociales très importantes, marquée par une conception du rapport de la lutte syndicale à l'action politique, plus précisément inscrite dans le rapport de la CGT au PCF, dans laquelle les objectifs qui dominaient étaient directement ou indirectement liés à l'horizon stratégique de la conquête du pouvoir sous l'hégémonie du courant de pensée politiquement incarné par le Parti communiste.
L'histoire est certainement plus complexe et je me garderai de résumer nos rapports à l'expression usitée de " simple courroie de transmission ". Cela dit, notre façon de penser le syndicalisme et les objectifs qui en découlaient étaient " portés " par cette vision de la transformation de la société.
Depuis, et à plusieurs reprises, nos deux organisations ont décidé de rompre avec ce type de conception tout en sachant qu'il demeurerait encore longtemps des attitudes et comportements enracinés dans cette façon de penser.
Comme je l'ai déclaré lors de notre 46ème congrès, la CGT " est un syndicat fier de son passé mais lucide sur ses faiblesses et parfois ses erreurs, confiant dans son approche des réalités sociales, mais attentif à la démarche des autres, désintoxiqué et donc allergique à toutes les " pensées uniques ", à l'affût de tout ce qui pourrait nourrir le combat commun ".
Aujourd'hui, le sens de la démarche que nous tentons d'initier avec les partis démocratiques intègre, pour ce qui concerne nos deux organisations, l'histoire commune que nous avons eue avec le PCF.
Cependant, le contexte est différent, nos stratégies respectives ont beaucoup évolué, la société bouge et les exigences vis-à-vis des partis politiques et des organisations syndicales sont à la fois devenues plus concrètes, plus précises et plus différenciées.
Tout ce qu'il y a d'expérience commune dans notre passé, produit de nos engagements respectifs pour de grandes causes avec des succès et des échecs, ne doit pas être invoqué au service d'une simple reconduction, empreinte d'une nostalgie trompeuse ou d'une arrière pensée déplacée. L'important n'est pas de nous répéter que " nous ne partons pas de rien ", mais de chercher les voies et les thèmes d'un échange fructueux et d'une coopération efficace.
Je pense que nous sommes à un moment de la situation politique, économique, sociale où nous devons réévaluer les rapports que nous voulons entretenir. Le fond du problème consiste à clarifier ce que l'on peut appeler " identité de vue " pour des organisations qui ont des champs de pertinence et des prérogatives différentes. C'est, je pense, par un travail patient et approfondi entre nos deux organisations, identifiant des sujets qui permettent à chacun d'avancer et de définir avec clarté les objectifs communs recherchés, que les évolutions indispensables se produiront.
Il en est de même sur le diagnostic que nous pouvons tirer à un moment donné de la conjoncture économique et sociale, des mobilisations qu'elle appelle sans pour autant que les formes d'intervention des uns et des autres se confondent.
Chacun à notre place, nous sommes collectivement confrontés à un enjeu de renouvellement de la démocratie. En ce sens, nous sommes disponibles pour approfondir avec vous les sujets cruciaux qui préoccupent les salariés, étant entendu qu'à chaque fois, la seule règle qui nous guide dans notre réflexion et notre démarche, ce sont les orientations qui définissent notre stratégie syndicale et que j'ai rappelées tout à l'heure.
(Source http://www.pcf.fr, le 26 juillet 2001)
Il nous semblait, en effet, opportun au vu des événements de ces derniers mois et pour la franchise des relations que la CGT souhaite maintenir avec le PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, d'avoir une nouvelle occasion permettant aux uns et aux autres de livrer leur analyse de la situation et de préciser leur démarche dans leur champ d'intervention respectif.
On a entendu et lu beaucoup de choses ces derniers temps sur ce que seraient les relations entre nos deux organisations, ce qui n'est pas très nouveau en soi mais appelle, pour le moins, de lever les ambiguïtés ou les incompréhensions que certaines campagnes peuvent alimenter.
Nous avons donc préparé collectivement cette rencontre au niveau du Bureau Confédéral et nous attacherons de l'importance à en rendre compte dans l'organisation.
Je vais m'efforcer de préciser notre état d'esprit de manière synthétique à travers trois aspects complémentaires :
Ce qu'est la démarche syndicale de la CGT
Notre conception des relations avec les partis politiques
Plus précisément celle avec le PCF.
La démarche de la CGT
La CGT défend les salariés dans une société où dominent malheureusement les logiques et les contraintes du capitalisme.
Sa démarche est d'abord une démarche revendicative concrète alimentée par l'écoute attentive des besoins et des attentes d'un monde salarial en profonde évolution, et fragilisé par 20 ans de déstabilisation des statuts professionnels. Elle repose sur la formulation des revendications émanant de toutes les catégories du salariat dans sa diversité et sur la construction des convergences qui continuent à fonder son unité en dépit du développement de la précarité.
Nous voulons promouvoir un syndicalisme de conquête sociale.
Exprimer la diversité et affirmer la convergence des intérêts des salariés est la vocation du syndicalisme. Les deux actions sont indispensables à la création d'un rapport de force dont le seul objectif est de gagner sur les revendications. La construction d'un rapport de force doit intégrer le débat d'idées et le rassemblement dans l'action, au service d'une approche offensive de la négociation pour les intérêts des salariés.
C'est pour maîtriser les dynamiques sociales créées par la diversification et l'extension du statut salarial que nous avons besoin d'un syndicalisme démocratique, unitaire, indépendant, susceptible d'opérer dans les faits et dans les consciences le lien entre la revendication quotidienne et des objectifs de transformation qui constituent son horizon. La façon propre au syndicalisme de prendre en compte les intérêts individuels et collectifs des salariés dans la confrontation qui les opposent à ceux des employeurs, réside dans cette relation intime entre le vécu immédiat des salariés et les propositions alternatives du syndicat.
Nous considérons le syndicalisme confédéré comme le mieux à même de promouvoir la solidarité et les convergences, d'affronter les nouveaux enjeux de société.
Nous voulons inverser la tendance à la faible syndicalisation, à la division syndicale systématique qui profite avant tout au patronat.
Notre démarche pour un syndicalisme rassemblé correspond à une dimension essentielle de notre stratégie.
Le pluralisme syndical est un fait dans la société française. Il est le résultat, pour partie, de l'héritage de l'histoire sociale et politique de notre pays et de l'attitude patronale, confortée par une tradition institutionnelle faisant peu de cas, ou même se méfiant de ce qu'on appelle les corps sociaux intermédiaires entre l'individu et l'Etat. Les conditions ne sont toujours pas créées permettant au mouvement syndical d'asseoir la continuité de sa légitimité, en dehors des périodes de conflit majeur. L'incroyable " exception française ", que constituent en Europe notre notion de représentativité syndicale et les modalités qui s'y rattachent, en est une preuve tangible.
Nous avons, comme vous le savez, des propositions à verser au dossier pour une nouvelle démocratie sociale.
Pour autant, dans le paysage actuel et conscients des différences qui existent dans les conceptions syndicale en présence, nous militons en faveur de nouvelles relations entre organisations syndicales. Nous voulons le rassemblement des forces qui, unies, peuvent changer la donne afin que les aspirations des salariés puissent se muer en exigences.
Nous n'avons pas d'interlocuteur privilégié et avons décliné des propositions qui visaient à figer le paysage syndical dans une logique de blocs qui s'opposeraient à partir d'un certain nombre de présupposés.
Des convergences sont aussi possibles avec d'autres acteurs qui visent des objectifs similaires aux nôtres. Ce peut être le cas, par exemple, avec des mouvements associatifs.
Notre présence, désormais active au sein de la Confédération Européenne des Syndicats, participe de la même démarche.
Nous avons fait le choix d'être acteur dans la réflexion et la mobilisation au niveau européen, dimension incontournable pour toute action syndicale prétendant agir sur le réel.
L'ampleur de la transformation et de l'accélération des effets induits par le capitalisme à l'échelle du monde nécessite, selon nous, une profonde rénovation du syndicalisme pratiqué à l'échelle internationale. Mais force est de constater l'incapacité collective de dépasser les clivages historiques qui ont façonné les internationales syndicales, toutes assez inefficaces, au stade actuel, pour faire face aux besoins de salariés.
Nous avons encore beaucoup à faire pour disposer des structures syndicales adaptées aux besoins des salariés, là où ils se trouvent. 50 % des salariés travaillent dans des PME de moins de 50 salariés et n'ont donc pas de comité d'entreprise. Plus généralement, une majorité de salariés n'a pas de contact direct même intermittent avec le mouvement syndical. Vous pouvez constater combien cette situation constitue un handicap grave pour le type de syndicalisme que nous voulons promouvoir, pour la conception de la démarche revendicative qui est au cur de la stratégie de la CGT.
Notre conception des relations avec les partis politiques découle naturellement de notre démarche.
Lors de notre dernière Commission Exécutive, je rappelais qu'il n'y avait pas de pays au monde où la question de la nature des rapports entre syndicats et partis quels qu'ils soient, entre syndicats et pouvoir ne se pose en permanence, et qu'il n'y avait donc aucune raison qu'elle ne se pose pas en France.
Nous constatons des situations très diverses à travers le monde : des syndicats, manifestement " instruments " des gouvernements en place ; des syndicats faisant reposer leurs espoirs et leur démarche syndicale sur l'accès au pouvoir du parti politique avec lequel ils s'estiment le plus proche, ce qui d'ailleurs provoque parfois des déconvenues ; des syndicats qui ont des représentants ès qualité dans le Parlement ou l'exécutif de leur pays ; il n'y a pas si longtemps encore, des syndicats où le fait de s'y syndiquer avait pour conséquence, d'adhérer et de cotiser de facto à un parti politique.
Ce sont là des conceptions qui ne correspondent pas à la société française et, en tout cas, pas à la conception que la CGT a de son rôle d'organisation syndicale.
Les partis ont pour ambition légitime d'accéder au pouvoir, ce n'est naturellement pas l'objectif d'un syndicat. Cela étant, le contenu de l'état ne se résume pas à la conquête et à l'exercice du ou des pouvoirs qui le constituent. Les institutions qui le composent sont des lieux essentiels et permanents pour la régulation sociale. C'est pourquoi nous avons conscience que ce qui est communément appelé " la crise du politique " ne peut pas être sans conséquences sur la réflexion et l'action syndicales.
Nous avons remarqué, par exemple, que le taux d'abstention avait le plus progressé dans la catégorie des ouvriers et des employés lors des dernières élections municipales.
Les adhérents de la CGT ne se situent pas en dehors de cette tendance. La majorité d'entre eux ne sont membres d'aucun parti politique, et toutes les sensibilités y sont présentes. Vis-à-vis des hommes politiques, comme tous les français, les syndiqués, les militants de la CGT sont d'abord attentifs à la réalité de leur action, comme à la conformité de leurs actes à leurs paroles.
Constater une certaine prise de distance entre les citoyens et la représentation politique ne veut pas dire s'en satisfaire, et encore moins prétendre combler un vide en sortant de notre rôle.
Pour donner des leçons et des gages d'indépendance, il pourrait être assez commode de se fondre dans le courant assez démagogique condamnant " la politique ". Le MEDEF surfe sur ce courant pour développer sa propre stratégie allant jusqu'à contester au législateur ou aux partis politiques la compétence et bientôt le droit d'intervenir sur les enjeux économiques et sociaux. Le " laissez faire " est une politique, c'est même la définition pragmatique du libéralisme.
Notre conviction de la nécessité d'une démarche indépendante vis-à-vis du patronat, des gouvernements, des institutions européennes et internationales, des partis, ne signifie pas pour autant notre indifférence au contexte politique. Il signifie encore moins notre désintérêt à l'égard de l'intervention des partis dans le débat démocratique, sur la forme et sur le fond.
L'histoire sociale et politique de notre pays atteste que la volonté d'instrumentaliser le syndicalisme à des fins politiques est une tentation qui réapparaît régulièrement. Certains, il y a quelques années, avaient poursuivi le dessein de " remodeler " le paysage syndical ; d'autres s'engagent dans des organisations syndicales avec le dessein essentiel de s'en servir comme " caisse de résonance " de leurs idées partisanes. C'est l'Extrême-droite qui, par le biais des élections prud'homales, a tenté de faire reconnaître des syndicats qui n'étaient que de vulgaires faux nez. Nous sommes déterminés à rester sans cesse vigilants sur ce terrain.
Dans une société ou le salariat, dans sa diversité, représente l'immense majorité de la population, aucun parti politique ne peut négliger la réalité des luttes et des idées syndicales, tous les partis sont obligés d'en comprendre la teneur et d'en mesurer l'influence, que ce soit pour s'appuyer sur elles, les contenir, les contourner ou les combattre.
Lorsque ce sont les partis de gauche qui sont au gouvernement, la tentation est grande de compter que les organisations syndicales dont la sensibilité est historiquement plutôt à gauche, vont adopter un comportement " modéré " sinon modeste. Cependant, aucune organisation syndicale, ni la CGT ni les autres, n'est et ne sera jamais une composante de la majorité gouvernementale.
Ainsi, par exemple, comment ne pas interpréter l'absence assez systématique de consultation des organisations syndicales avant que le gouvernement ne prenne ses décisions sur des domaines qui les intéressent au premier chef, sans avoir le sentiment que ce gouvernement estime sa légitimité politique dans le domaine social comme autosuffisante et permettant de faire l'économie de la concertation ?
N'y a t il pas là la survivance d'une certaine confusion des rôles et des responsabilités au sein de la gauche en général, la marque d'une conception fortement ancrée dans la culture républicaine " de gauche ", d'une suprématie naturelle de l'ordre du politique pouvant entretenir une subordination du
syndicalisme ?
En période pré-électorale, tous les actes prennent une dimension particulière.
C'est le cas lorsque les partis s'intéressent à l'opinion des syndicats, à celle de la CGT en particulier.
A partir de là, on a pu entendre ou lire des thèses un peu fumeuses sur ce que serait l'attitude de la CGT, ainsi soumise à l'écoute de certaines sirènes. Les choses sont sans doute beaucoup plus simples. De nombreux partis, à gauche comme à droite, ont sans doute longtemps considéré soit que la CGT était une organisation à l'horizon bouché, soit que leur relation privilégiée avec telle ou telle confédération syndicale pouvait suffire à leur réflexion. Ils ont du se rendre à l'évidence. L'influence de première confédération syndicale qui, jusqu'à preuve du contraire, nous est toujours accordée par les salariés, rend la CGT incontournable sur pratiquement tous les enjeux sociaux.
Notre autonomie de réflexion et de prise de décision garantit l'authenticité des débats que nous pouvons avoir avec les différents acteurs de la vie économique, sociale et politique, lesquels peuvent déboucher sur des constats d'accord ou de désaccord suivant les cas. C'est ce qui s'est produit les 16 octobre et 9 juin.
La CGT veut établir de nouveaux rapports avec les partis politiques. Elle est donc pleinement disposée à débattre en permanence avec tous les partis démocratiques, d'organisation à organisation, dans le respect des prérogatives et de l'identité de chacun, dès lors que cela peut être utile pour ses objectifs revendicatifs ou que les partis eux-mêmes estiment utile pour leur propre réflexion d'entendre l'opinion de la CGT sur un sujet particulier. Cela exclue par contre toute attitude de soutien ou de co-élaboration d'un projet politique quel qu'il soit.
S'agissant des relations plus particulières de la CGT avec le PCF dans le contexte d'aujourd'hui :
Les relations que nous voulons entretenir avec le PCF s'inscrivent à l'évidence dans le même cadre général que celui que je viens de décrire concernant la base de nos rapports avec les partis politiques.
Cependant nous ne pouvons pas en rester là en faisant l'impasse sur une histoire commune issue notamment des origines du mouvement ouvrier, des traditions du syndicalisme révolutionnaire et de l'Internationale des travailleurs. Elle a été fortement marquée par le formidable espoir insufflé par la révolution russe de 1917, les grands moments de lutte ouvrière du Front populaire, de la Résistance et de la Libération, jusqu'à l'épisode difficile de la " guerre froide ", ayant abouti au cataclysme géopolitique de la fin du siècle qui a bouleversé l'Europe et les schémas de pensée qui s'y étaient solidifiés.
Au cours de cette longue histoire s'est constituée une culture qui continue à habiter nos deux organisations. Mais comme toutes les cultures elle doit sans cesse renouer avec une analyse sans concessions de la réalité et de ses évolutions, si elle veut que la partie la plus vivante de son héritage et de son message continue à s'incarner dans un projet pour la société.
Dans cet héritage figure certainement l'idée force que le monde du travail a besoin de se rassembler comme tel pour défendre son existence, conquérir son émancipation et participer à la transformation de la société.
Il est clair que tant les militants de la CGT que ceux du PCF ont partagé cette conviction, et le cheminement de ces deux organisations s'inspirant de ce même idéal a marqué durant toute une période la société française. Leur place, leur rôle, tout en étant distincts, semblaient se confondre quant aux finalités. Des générations de militants ont exercé des responsabilités de part et d'autre, alternativement ou simultanément, avec cet état d'esprit construit autour d'une même famille de pensée.
Il est vrai qu'aux yeux de tous, tout s'ordonnait dans la perspective d'une rupture totale, d'un changement complet de société débarrassée à jamais des scories du capitalisme. La tendance naturelle qui s'en dégageait, parce que la fin justifie parfois les moyens, consacrait une primauté à l'engagement politique sur l'engagement syndical.
C'est une longue période jalonnée de conquêtes sociales très importantes, marquée par une conception du rapport de la lutte syndicale à l'action politique, plus précisément inscrite dans le rapport de la CGT au PCF, dans laquelle les objectifs qui dominaient étaient directement ou indirectement liés à l'horizon stratégique de la conquête du pouvoir sous l'hégémonie du courant de pensée politiquement incarné par le Parti communiste.
L'histoire est certainement plus complexe et je me garderai de résumer nos rapports à l'expression usitée de " simple courroie de transmission ". Cela dit, notre façon de penser le syndicalisme et les objectifs qui en découlaient étaient " portés " par cette vision de la transformation de la société.
Depuis, et à plusieurs reprises, nos deux organisations ont décidé de rompre avec ce type de conception tout en sachant qu'il demeurerait encore longtemps des attitudes et comportements enracinés dans cette façon de penser.
Comme je l'ai déclaré lors de notre 46ème congrès, la CGT " est un syndicat fier de son passé mais lucide sur ses faiblesses et parfois ses erreurs, confiant dans son approche des réalités sociales, mais attentif à la démarche des autres, désintoxiqué et donc allergique à toutes les " pensées uniques ", à l'affût de tout ce qui pourrait nourrir le combat commun ".
Aujourd'hui, le sens de la démarche que nous tentons d'initier avec les partis démocratiques intègre, pour ce qui concerne nos deux organisations, l'histoire commune que nous avons eue avec le PCF.
Cependant, le contexte est différent, nos stratégies respectives ont beaucoup évolué, la société bouge et les exigences vis-à-vis des partis politiques et des organisations syndicales sont à la fois devenues plus concrètes, plus précises et plus différenciées.
Tout ce qu'il y a d'expérience commune dans notre passé, produit de nos engagements respectifs pour de grandes causes avec des succès et des échecs, ne doit pas être invoqué au service d'une simple reconduction, empreinte d'une nostalgie trompeuse ou d'une arrière pensée déplacée. L'important n'est pas de nous répéter que " nous ne partons pas de rien ", mais de chercher les voies et les thèmes d'un échange fructueux et d'une coopération efficace.
Je pense que nous sommes à un moment de la situation politique, économique, sociale où nous devons réévaluer les rapports que nous voulons entretenir. Le fond du problème consiste à clarifier ce que l'on peut appeler " identité de vue " pour des organisations qui ont des champs de pertinence et des prérogatives différentes. C'est, je pense, par un travail patient et approfondi entre nos deux organisations, identifiant des sujets qui permettent à chacun d'avancer et de définir avec clarté les objectifs communs recherchés, que les évolutions indispensables se produiront.
Il en est de même sur le diagnostic que nous pouvons tirer à un moment donné de la conjoncture économique et sociale, des mobilisations qu'elle appelle sans pour autant que les formes d'intervention des uns et des autres se confondent.
Chacun à notre place, nous sommes collectivement confrontés à un enjeu de renouvellement de la démocratie. En ce sens, nous sommes disponibles pour approfondir avec vous les sujets cruciaux qui préoccupent les salariés, étant entendu qu'à chaque fois, la seule règle qui nous guide dans notre réflexion et notre démarche, ce sont les orientations qui définissent notre stratégie syndicale et que j'ai rappelées tout à l'heure.
(Source http://www.pcf.fr, le 26 juillet 2001)