Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,
Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer lors de la journée débat organisée par l'Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés et les associations du groupe Laïcité et Intégration.
C'est un grand plaisir pour moi de venir pour la première fois depuis mon élection à la Présidence du Sénat ici, dans l'enceinte du Conseil Economique et Social, troisième Assemblée instituée par notre texte fondateur, dont la réflexion est toujours précieuse.
Le Conseil n'hésite pas à aborder des sujets au fond, sans attendre que l'actualité s'en empare et de prendre des positions courageuses. Sur le sujet qui vous préoccupe, celui de l'insertion professionnelle des handicapés, il a remis en 1992 un rapport au titre dépourvu de toute ambiguïté : " le potentiel productif des personnes handicapées ".
La question de l'intégration des personnes handicapées me paraît être une question essentielle en elle-même mais aussi par ses implications. La capacité de la société à intégrer les handicapés est en quelque sorte le meilleur test de la solidarité nationale, de l'acceptation de la différence, de l'efficacité des politiques publiques et de nos modes d'organisation.
Plusieurs chefs d'entreprises désireux ou contraints d'accueillir des handicapés ont souvent constaté que cela leur permettait de découvrir l'inadaptation profonde de l'organisation de leur atelier non seulement pour les handicapés mais aussi pour les autres.
La politique à l'égard du handicap est ainsi un révélateur des maux de notre société et les enjeux de l'insertion sociale concernent la nation toute entière. C'est la raison pour laquelle je voudrais, au-delà des questions techniques sur lesquelles vous avez présenté des propositions pertinentes, tirer quelques enseignements de cette politique.
De toute évidence, depuis la loi de 1975, des progrès considérables ont été accomplis. Un dispositif complet de ressources a été mis en place dont les montants ont augmentés de manière continue. Les politiques du handicap ont souffert moins que d'autres des tentatives de maîtrise des dépenses sociales. Le nombre des établissements d'accueil a cru de manière rapide ainsi que les capacités d'hébergement.
Autant dire que la collectivité nationale n'a pas ménagé ses efforts. Pour autant, les résultats ne sont pas satisfaisants et amènent à s'interroger.
L'insertion en milieu ordinaire malgré la modification de l'obligation d'emploi et le renforcement des sanctions financières reste insuffisante. Le chiffre de 6% est rarement atteint et quand il l'est, c'est souvent sans que l'entreprise ait fait d'autres d'efforts que celui de conserver en son sein ses propres accidentés du travail, ce qui est bien le moins. A cet égard, il est frappant de constater que cette obligation d'emploi est presque mieux respectée dans les petites entreprises où elle ne s'applique pas que dans les grandes. Ne faut-il y voir une plus grande générosité des entreprises de taille humaine ? Je crains fort en effet que ce constat révèle une société qui toute entière tournée vers la compétition économique oublie l'homme et la nécessaire solidarité.
A cet égard, je trouve préoccupantes les contestations dont font l'objet les Ateliers protégés par les entreprises du secteur marchand qui les accusent parfois de concurrence déloyale. Je comprends bien que les PME sont souvent dans des situations difficiles, qu'elles souffrent de manière insupportable de la concurrence d'entreprises clandestines ne payant pas d'impôts. Mais que l'on s'en prennent pour cette raison aux handicapés en priorité parce qu'il est plus facile d'identifier l'Atelier protégé ou le Centre d'aide par le travail que le clandestin, c'est bien souvent choquant. A ce titre, une fois de plus, l'insertion des handicapés est un test.
J'ajouterai que sur ce point, un scandale demeure : le non-respect par l'administration des obligations d'emploi. Celle-ci profite trop facilement du fait qu'elle n'est pas soumise à l'amende pour se soustraire à ces obligations. C'est là un phénomène préoccupant car très général. Chacun a à l'esprit l'exemple de telle ou telle administration de l'Etat qui a construit des services sans permis de construire et sans demander l'avis de l'architecte des Bâtiments de France. Les administrations ont trop souvent tendance à se soustraire aux règles édictées pour tous les citoyens, souvent par certitude de l'impunité, parfois parce que converties fraîchement au culte de la productivité et de la modernisation, elles ont perdu leur âme et ne veulent plus s'encombrer des contraintes qu'elles imposent pourtant aux autres. Cette situation est fâcheuse pour l'esprit public. Là encore, l'insertion des handicapés est un révélateur.
Le bilan des structures d'aide au travail reste nuancé. En particulier, l'effet pervers qui consiste depuis le début des politiques à considérer les centres d'aides par le travail et les ateliers protégés moins comme des structures de préparation à l'insertion que comme des structures de cantonnement ne s'est que peu atténué. Trop de handicapés restent dans des structures inadaptés alors qu'ils pourraient s'intégrer davantage.
Vous avez identifié tous les dysfonctionnements. Les associations, qui font un travail remarquable, développent une énergie considérable à vaincre les rigidités et vous proposez des solutions.
Mais je souhaiterais identifier devant vous et sur un plan plus général ce qui est au coeur du problème : la complexité et l'esprit même de notre organisation administrative.
Nous n'avons pas moins de six définitions du handicap , de six régimes d'évaluation et d'indemnisation, autant de barèmes et de procédures. Des Centres d'aide par le travail, des Ateliers protégés, des Instituts médico-professionnels, des Maisons d'accueil spécialisées, des foyers à double tarification. La vie d'une personne handicapée malgré les efforts financiers considérables des collectivités, est suspendue aux décisions des COTOREP, souvent engorgées ou à d'autres commissions, ainsi qu'à la disponibilité de places dans les établissements adéquats. Toute la prise en charge du handicap a obéit à une logique planificatrice et bureaucratique et qui a fait son temps. On découpait la population par âge, par handicap, par origine du handicap, par collectivité de prise en charge et cela définissait une multitude de statuts et de cadres qui ont eu une tendance naturelle à s'ossifier avec leurs règles propres. L'amendement Creton était une première tentative de dépasser ces clivages administratifs. Les foyers à double tarification sont une autre tentative de décloisonner les structures.
La décentralisation est venue accroître cette complexité en instaurant un partage de compétences, au demeurant assez problématique entre l'Etat et le département.
Ce sont ainsi les personnes les plus fragiles qui sont soumises à l'organisation la plus compliquée qui soit. Elles seraient le plus souvent perdues sans l'aide des associations. Encore une fois, les handicapés sont un révélateur d'une certaine incapacité de notre organisation à répondre à des cas particuliers et tous les handicapés sont évidemment des cas particuliers qui méritent une attention spécifique.
Il nous appartient, il vous appartient, de trouver de nouvelles formes d'organisation.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que le Sénat dresse un bilan de la décentralisation et ouvre une nouvelle étape. On voit bien dans ce cas d'espèces, que les répartitions de compétences bricolées dans les années 80 et rarement assorties hélas de clés de financement honnêtes, ne sont pas satisfaisantes.
C'est la raison pour laquelle, nous devons conduire une réflexion approfondie et sans tabou sur notre organisation. Comment la simplifier ? Comment faire pour que des personnes fragiles qu'il s'agisse des handicapés, ou des chômeurs, ou des petites entreprises ne soient pas entravées dans les mailles de réglementations et de dispositifs administratifs ubuesques ou kafkaïens ? Comment substituer la logique de l'usager à celle du grand ordonnateur administratif qui a classé les citoyens dans les cases de réglementations souvent rigides ?
A l'heure où, profitant des voeux, les plus hautes autorités de l'Etat, expriment leur intérêt pour la réforme de l'Etat, pour la modernisation de la vie publique, citant parfois comme le Premier ministre des problèmes qui n'intéressent que le microcosme comme le cumul des mandats, je n'hésiterai pas, en ce qui me concerne, m'inspirant de l'exemple pratique de la politique du handicap, à passer des généralités aux travaux pratiques et à mettre le doigt, de manière un peu subversive, sur les causes véritables des dysfonctionnements.
Nous devons d'abord nous interroger sur les fondements mêmes de notre ordre juridique et du droit public. Si les handicapés sont ballottés de service en service, d'institution en institution, n'entrent pas dans les clous pour telle ou telle prestation, c'est bien parce qu'à chaque fois des textes auxquels on ne peut déroger ont encadré telle ou telle prestation. On peut inventer à loisir des structures de concertation et des mécanismes de résolution des conflits. Il serait bien plus productif de donner de la souplesse au droit, de permettre aux autorités locales de transgresser les règles lorsqu'elles sont absurdes dans un cas d'espèce, de permettre aux collectivités d'expérimenter. Ce serait l'aboutissement d'une décentralisation intelligente qui devrait être accompagnée des moyens adéquats et qui ne porterait nullement atteinte à l'unité de la République. Faire reculer le droit, ou plus exactement assouplir les règles excessives serait la première mesure de salut public.
A cette complexité, si l'on veut bien ne pas rester dans les généralités, il y a une autre raison : le pouvoir excessif de l'administration des finances. N'oublions pas que s'il existe de multiples statuts d'organismes, s'il existe des dizaines de prestations obéissant chacune à des conditions strictes, c'est presque toujours à l'origine par que la direction du budget, soucieuse d'en contenir le coût, a imposé des critères stricts. La complexité est fille du ciblage qui résulte lui-même d'une préoccupation d'économie. Loin de moi l'intention d'affranchir les gestionnaires de toute contrainte budgétaire. Mais on ferait bien de prendre conscience, si l'on veut que la réforme de l'Etat n'en reste pas au stade des déclarations, que le pouvoir excessif de la Direction du budget, dès la conception même des politiques et des prestations, présent à toutes les réunions d'arbitrages, imposant ses critères, ses conditions, verrous et contraintes, comme autant de barrages contre le Pacifique, est l'une des principales sources de complexité administrative et finalement de gaspillages de l'argent public.
Mesdames et messieurs, parce que l'insertion sociale et professionnelle des handicapés me paraît être un test du bon fonctionnement de notre société, j'ai souhaité donner une perspective plus large à mon propos et tracer quelques pistes pour surmonter les derniers obstacles. Je forme le voeu que le Gouvernement donne suite à vos propositions. Je tiens à vous redire le respect et l'admiration que l'on doit porter à tous les bénévoles qui, dans des associations comme la vôtre, font tant pour nos frères handicapés.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.senat.fr,le 8 juin 1999)
Mesdames et messieurs,
Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer lors de la journée débat organisée par l'Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés et les associations du groupe Laïcité et Intégration.
C'est un grand plaisir pour moi de venir pour la première fois depuis mon élection à la Présidence du Sénat ici, dans l'enceinte du Conseil Economique et Social, troisième Assemblée instituée par notre texte fondateur, dont la réflexion est toujours précieuse.
Le Conseil n'hésite pas à aborder des sujets au fond, sans attendre que l'actualité s'en empare et de prendre des positions courageuses. Sur le sujet qui vous préoccupe, celui de l'insertion professionnelle des handicapés, il a remis en 1992 un rapport au titre dépourvu de toute ambiguïté : " le potentiel productif des personnes handicapées ".
La question de l'intégration des personnes handicapées me paraît être une question essentielle en elle-même mais aussi par ses implications. La capacité de la société à intégrer les handicapés est en quelque sorte le meilleur test de la solidarité nationale, de l'acceptation de la différence, de l'efficacité des politiques publiques et de nos modes d'organisation.
Plusieurs chefs d'entreprises désireux ou contraints d'accueillir des handicapés ont souvent constaté que cela leur permettait de découvrir l'inadaptation profonde de l'organisation de leur atelier non seulement pour les handicapés mais aussi pour les autres.
La politique à l'égard du handicap est ainsi un révélateur des maux de notre société et les enjeux de l'insertion sociale concernent la nation toute entière. C'est la raison pour laquelle je voudrais, au-delà des questions techniques sur lesquelles vous avez présenté des propositions pertinentes, tirer quelques enseignements de cette politique.
De toute évidence, depuis la loi de 1975, des progrès considérables ont été accomplis. Un dispositif complet de ressources a été mis en place dont les montants ont augmentés de manière continue. Les politiques du handicap ont souffert moins que d'autres des tentatives de maîtrise des dépenses sociales. Le nombre des établissements d'accueil a cru de manière rapide ainsi que les capacités d'hébergement.
Autant dire que la collectivité nationale n'a pas ménagé ses efforts. Pour autant, les résultats ne sont pas satisfaisants et amènent à s'interroger.
L'insertion en milieu ordinaire malgré la modification de l'obligation d'emploi et le renforcement des sanctions financières reste insuffisante. Le chiffre de 6% est rarement atteint et quand il l'est, c'est souvent sans que l'entreprise ait fait d'autres d'efforts que celui de conserver en son sein ses propres accidentés du travail, ce qui est bien le moins. A cet égard, il est frappant de constater que cette obligation d'emploi est presque mieux respectée dans les petites entreprises où elle ne s'applique pas que dans les grandes. Ne faut-il y voir une plus grande générosité des entreprises de taille humaine ? Je crains fort en effet que ce constat révèle une société qui toute entière tournée vers la compétition économique oublie l'homme et la nécessaire solidarité.
A cet égard, je trouve préoccupantes les contestations dont font l'objet les Ateliers protégés par les entreprises du secteur marchand qui les accusent parfois de concurrence déloyale. Je comprends bien que les PME sont souvent dans des situations difficiles, qu'elles souffrent de manière insupportable de la concurrence d'entreprises clandestines ne payant pas d'impôts. Mais que l'on s'en prennent pour cette raison aux handicapés en priorité parce qu'il est plus facile d'identifier l'Atelier protégé ou le Centre d'aide par le travail que le clandestin, c'est bien souvent choquant. A ce titre, une fois de plus, l'insertion des handicapés est un test.
J'ajouterai que sur ce point, un scandale demeure : le non-respect par l'administration des obligations d'emploi. Celle-ci profite trop facilement du fait qu'elle n'est pas soumise à l'amende pour se soustraire à ces obligations. C'est là un phénomène préoccupant car très général. Chacun a à l'esprit l'exemple de telle ou telle administration de l'Etat qui a construit des services sans permis de construire et sans demander l'avis de l'architecte des Bâtiments de France. Les administrations ont trop souvent tendance à se soustraire aux règles édictées pour tous les citoyens, souvent par certitude de l'impunité, parfois parce que converties fraîchement au culte de la productivité et de la modernisation, elles ont perdu leur âme et ne veulent plus s'encombrer des contraintes qu'elles imposent pourtant aux autres. Cette situation est fâcheuse pour l'esprit public. Là encore, l'insertion des handicapés est un révélateur.
Le bilan des structures d'aide au travail reste nuancé. En particulier, l'effet pervers qui consiste depuis le début des politiques à considérer les centres d'aides par le travail et les ateliers protégés moins comme des structures de préparation à l'insertion que comme des structures de cantonnement ne s'est que peu atténué. Trop de handicapés restent dans des structures inadaptés alors qu'ils pourraient s'intégrer davantage.
Vous avez identifié tous les dysfonctionnements. Les associations, qui font un travail remarquable, développent une énergie considérable à vaincre les rigidités et vous proposez des solutions.
Mais je souhaiterais identifier devant vous et sur un plan plus général ce qui est au coeur du problème : la complexité et l'esprit même de notre organisation administrative.
Nous n'avons pas moins de six définitions du handicap , de six régimes d'évaluation et d'indemnisation, autant de barèmes et de procédures. Des Centres d'aide par le travail, des Ateliers protégés, des Instituts médico-professionnels, des Maisons d'accueil spécialisées, des foyers à double tarification. La vie d'une personne handicapée malgré les efforts financiers considérables des collectivités, est suspendue aux décisions des COTOREP, souvent engorgées ou à d'autres commissions, ainsi qu'à la disponibilité de places dans les établissements adéquats. Toute la prise en charge du handicap a obéit à une logique planificatrice et bureaucratique et qui a fait son temps. On découpait la population par âge, par handicap, par origine du handicap, par collectivité de prise en charge et cela définissait une multitude de statuts et de cadres qui ont eu une tendance naturelle à s'ossifier avec leurs règles propres. L'amendement Creton était une première tentative de dépasser ces clivages administratifs. Les foyers à double tarification sont une autre tentative de décloisonner les structures.
La décentralisation est venue accroître cette complexité en instaurant un partage de compétences, au demeurant assez problématique entre l'Etat et le département.
Ce sont ainsi les personnes les plus fragiles qui sont soumises à l'organisation la plus compliquée qui soit. Elles seraient le plus souvent perdues sans l'aide des associations. Encore une fois, les handicapés sont un révélateur d'une certaine incapacité de notre organisation à répondre à des cas particuliers et tous les handicapés sont évidemment des cas particuliers qui méritent une attention spécifique.
Il nous appartient, il vous appartient, de trouver de nouvelles formes d'organisation.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que le Sénat dresse un bilan de la décentralisation et ouvre une nouvelle étape. On voit bien dans ce cas d'espèces, que les répartitions de compétences bricolées dans les années 80 et rarement assorties hélas de clés de financement honnêtes, ne sont pas satisfaisantes.
C'est la raison pour laquelle, nous devons conduire une réflexion approfondie et sans tabou sur notre organisation. Comment la simplifier ? Comment faire pour que des personnes fragiles qu'il s'agisse des handicapés, ou des chômeurs, ou des petites entreprises ne soient pas entravées dans les mailles de réglementations et de dispositifs administratifs ubuesques ou kafkaïens ? Comment substituer la logique de l'usager à celle du grand ordonnateur administratif qui a classé les citoyens dans les cases de réglementations souvent rigides ?
A l'heure où, profitant des voeux, les plus hautes autorités de l'Etat, expriment leur intérêt pour la réforme de l'Etat, pour la modernisation de la vie publique, citant parfois comme le Premier ministre des problèmes qui n'intéressent que le microcosme comme le cumul des mandats, je n'hésiterai pas, en ce qui me concerne, m'inspirant de l'exemple pratique de la politique du handicap, à passer des généralités aux travaux pratiques et à mettre le doigt, de manière un peu subversive, sur les causes véritables des dysfonctionnements.
Nous devons d'abord nous interroger sur les fondements mêmes de notre ordre juridique et du droit public. Si les handicapés sont ballottés de service en service, d'institution en institution, n'entrent pas dans les clous pour telle ou telle prestation, c'est bien parce qu'à chaque fois des textes auxquels on ne peut déroger ont encadré telle ou telle prestation. On peut inventer à loisir des structures de concertation et des mécanismes de résolution des conflits. Il serait bien plus productif de donner de la souplesse au droit, de permettre aux autorités locales de transgresser les règles lorsqu'elles sont absurdes dans un cas d'espèce, de permettre aux collectivités d'expérimenter. Ce serait l'aboutissement d'une décentralisation intelligente qui devrait être accompagnée des moyens adéquats et qui ne porterait nullement atteinte à l'unité de la République. Faire reculer le droit, ou plus exactement assouplir les règles excessives serait la première mesure de salut public.
A cette complexité, si l'on veut bien ne pas rester dans les généralités, il y a une autre raison : le pouvoir excessif de l'administration des finances. N'oublions pas que s'il existe de multiples statuts d'organismes, s'il existe des dizaines de prestations obéissant chacune à des conditions strictes, c'est presque toujours à l'origine par que la direction du budget, soucieuse d'en contenir le coût, a imposé des critères stricts. La complexité est fille du ciblage qui résulte lui-même d'une préoccupation d'économie. Loin de moi l'intention d'affranchir les gestionnaires de toute contrainte budgétaire. Mais on ferait bien de prendre conscience, si l'on veut que la réforme de l'Etat n'en reste pas au stade des déclarations, que le pouvoir excessif de la Direction du budget, dès la conception même des politiques et des prestations, présent à toutes les réunions d'arbitrages, imposant ses critères, ses conditions, verrous et contraintes, comme autant de barrages contre le Pacifique, est l'une des principales sources de complexité administrative et finalement de gaspillages de l'argent public.
Mesdames et messieurs, parce que l'insertion sociale et professionnelle des handicapés me paraît être un test du bon fonctionnement de notre société, j'ai souhaité donner une perspective plus large à mon propos et tracer quelques pistes pour surmonter les derniers obstacles. Je forme le voeu que le Gouvernement donne suite à vos propositions. Je tiens à vous redire le respect et l'admiration que l'on doit porter à tous les bénévoles qui, dans des associations comme la vôtre, font tant pour nos frères handicapés.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.senat.fr,le 8 juin 1999)