Point de presse de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la lutte contre l'érosion fiscale et sur le volet financier de la lutte contre le réchauffement climatique en vue de la COP 21, Lima (Pérou) le 8 octobre 2015.

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Circonstance : Réunion annuelle FMI et banque mondiale, à Lima (Pérou) le 8 octobre 2015

Texte intégral

L’un des premiers objectifs de ces trois jours pour la France est de réussir l’adoption du plan BEPS [base erosion and profit shifting, érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices] nous nous trouvons en effet actuellement dans la phase de clôture de l’élaboration des principes qu’il conviendra d’adopter au niveau international pour lutter contre l’érosion fiscale.
Il faut cependant aussi se préparer à la phase suivante, qui consiste en la mise en oeuvre des accords qui seront signés par les nations. La France, depuis le début très favorable au BEPS, est déterminée à sa mise en place rapide. Nous l’avons vu au niveau européen avec l’adoption de la transparence des rulings par le Conseil. Il s’agit là d’une décision fiscale applicable immédiatement qui ne nécessite pas de dialogue avec le Parlement.
Nous en tirerons bien évidemment des conséquences dans le cadre des lois de finances qui seront adoptées d’ici à la fin de cette année : la loi de finances initiale pour l’année prochaine ou la loi de finances rectificative pour cette année.
L’autre grand sujet de préoccupation de la France est le volet financier de la lutte contre le réchauffement climatique, en vue de la COP21. La réunion ministérielle organisée à la demande de la France sera co-présidée avec le Pérou. Elle permettra de réunir tous les ministres des Finances à un moment clé de la chronologie des événements et des dynamiques nécessaires pour réussir la COP21.
Un bon travail a été fait par les négociateurs, il existe aujourd’hui un texte qui n’est pas finalisé mais qui est mieux adapté à la COP21 car c’est en effet la question financière qui a fait échouer Copenhague. Donc si nous voulons réussir la Conférence de Paris, il faut que la question financière soit à 90%, pour ne pas dire à 100%, dégagée avant l’ouverture de la conférence.
C’est un sujet très difficile qui a été jusqu’à présent poussé à l’image d’un monticule de poussière jusqu’à la négociation finale. Cela faisait désordre. Plus personne ne comprenait rien, la confiance se perdait. Les pays pauvres qui avaient besoin d’argent n’avaient pas le sentiment qu’on leur disait des choses suffisamment précises. Les pays plus riches qui devaient pouvoir apporter quelque chose n’avaient pas une vision claire des efforts supplémentaires qu’il convenait de faire.
D’où venait l’absence de confiance sur ce sujet pourtant si décisif ? Si les pays à qui on demande des décisions, des efforts ont le sentiment qu’en face, il n’y pas la capacité de les financer, ils n’ont aucune raison d’annoncer des mesures. Et c’est ce qu’il s’est précisément passé à Copenhague.
Il s’agit, fort de cette expérience, de ne pas commettre les mêmes erreurs et donc de traiter ici le plus gros des questions. Il faut pour cela agir avec méthode. Une méthode pour redonner confiance et pour appréhender les financements pour la protection contre les effets du réchauffement climatique, ou les financements pour mettre en oeuvre une économie qui soit moins consommatrice de carbone, surtout dans les pays qui ont besoin de se développer mais qui doivent pouvoir le faire avec des énergies peu ou dé-carbonées, par rapport à ce que des pays comme les nôtres ont pu connaître.
On a en effet pour habitude d’annoncer un chiffre important, qui inclut toutes sortes de mesures de nature très différentes. Il faut expliquer en quoi consiste ces 100 milliards, il fallait là une méthode commune aux pays et aux institutions concernées qui soit sécurisante pour ceux qui sont attentifs à la mise en oeuvre de ce chiffre.
La France et le Pérou ont demandé à l’OCDE de faire ce travail de méthodologie et de recensement de l’état actuel des financements. Un travail objectif dont vous connaissez maintenant le chiffre : 61,8 milliards pour 2014, qui fait apparaitre un progrès depuis l’année dernière. Ce chiffre montre qu’on est sur une phase ascendante, que l’effort est bien réel et qu’il permet de prendre des engagements pour atteindre d’ici à 2020 les 100 milliards.
- Sur cet objectif des 100 milliards avez-vous une ambition chiffrée ?
Je souhaite que ces quelques jours ne soient pas seulement un moment où l’on fait un constat important et encourageant sur les 100 milliards… mais que ce soit un jour pour qu’un certain nombre de partenaires permettent de dire : « voilà l’effort que je fais en plus » pour atteindre les 100 milliards. Il faut qu’en s’appuyant là-dessus, ils puissent progresser aussi sur le montant des engagements. Il y a une progression à attendre. Vous savez que le travail fourni en 2014 ne prend pas en compte un certain nombre de choses qui ont été dites en 2015. Il y a un certain nombre d’annonces qui ont été faites ces dernières semaines. Je pense à la Grande-Bretagne et à la France à l’Assemblée générale de l’ONU. Les évolutions peuvent être les plus fortes pour le multilatéral et le privé pour permettre d’atteindre ces 100 milliards. C’est mon souhait … c’est comme ça qu’on atteindra les 100 milliards. On en rajoutera un peu du côté des Etats. Un milliard par-ci, un milliard par-là, mais la dynamique appartient au système multilatéral et au dispositif privé. Il y a des discours très positifs. J’ai bon espoir que demain, ces organismes prennent des engagements en termes de pourcentages, des engagements généraux. Si je prends l’exemple de la Banque mondiale, sauf erreur de ma part, 20% de ses engagements va à des projets s’inscrivant dans le cadre de ces 100 milliards. La Banque européenne d’investissements peut aussi augmenter la part qui est consacrée au réchauffement climatique.
- Une taxe carbone est-elle préférable à un système de quotas d’émission, est-ce que vous pensez que c’est une solution réaliste ?
Dans la taxe carbone, dès qu’on parle de taxe, ça fait des recettes. Mais ce n’est pas l’intérêt principal, l’intérêt principal de la taxe carbone c’est de faire grossir le rouge, c’est de faire grossir la part du privé. Investir dans du carboné va coûter plus cher et va coûter de plus en plus cher par rapport aux produits dé-carbonés. Cela oriente les investissements parce que c’est des grands enjeux au-delà de la COP21 : que l’économie soit une économie moins carbonée. Par exemple : la mine de charbon qui était surement rentable jusqu’à présent sera moins rentable avec une taxe carbone et la prise en compte des risques de l’industrie charbon. Cela deviendra trop risqué donc on se désengagera du charbon pour aller vers les systèmes solaires. La taxe carbone est une bonne solution en soit parce que c’est un élément d’orientation économique, la question de ce que ça rapporte n’est pas tellement importante … c’est le coût du carbone qui compte ; et je pourrais vous dire la même chose pour la TTF. La TTF française est orientée principalement et majoritairement vers le financement de ces fonds divers et variés de soutien aux pays en voie de développement. L’enjeu, le seul, est de donner de la crédibilité pour la COP21 à la fin de l’année. L’autre enjeu c’est la réorientation de l’économie mondiale vers des investissements le moins carbonés possible. Il y aura un travail demain sur la base du rapport du séminaire du FSB à Londres. Mark Carney a travaillé sur l’évaluation des risques carbonés et des règlementations qui permettraient de diminuer ces risques. C’est très important pour l’évolution à venir des placements, des investissements, des orientations.
- Qu’en est-il de l’agenda de demain ?
Il y aura un déjeuner en présence du président péruvien et moi-même : il présentera son rapport, Ban Ki Moon doit nous dire comment mobiliser des investissements privés et présenter un rapport sur la question, de l’évaluation des risques au niveau des systèmes financiers.
- Un sujet un petit peu différent, Grèce et FMI ?
Je ne peux pas dire que c’est quelque chose d’acquis, le FMI le dira au moment des négociations en juillet. Le FMI est présent dans l’examen des propositions et des revues du programme grec ; le FMI fait des propositions aujourd’hui sur, par exemple, les systèmes de pensions … donc je n’ai pas de doutes que le FMI restera à bord demain. Justement ce qui reste à faire dans les dossiers avec le FMI comme avec la Grèce et les autres institutions européennes c’est de quelle manière et avec quelles conditionnalités on aménage la dette grecque.
L’avantage d’avoir une longévité dans un poste c’est que l’on remarque les évolutions incroyables d’une réunion à l’autre : l’année dernière ce qui allait faire exploser, c’était la zone euro. Et à l’intérieur de la zone euro, c’est la France qui était regardée. Aujourd’hui, le sujet c’est l’Amérique latine et les pays émergents : est-ce que cela peut avoir des conséquences sur l’Europe et dans un mécanisme par ricochet, pas de manière directe ? De même qu’au niveau européen, le sujet français existe aujourd’hui mais existe pour n’importe quel autre pays et il y a l’Espagne qui a pris la place, si je puis dire, de potentiel mauvais élève par rapport à ce que la France était. La même chose pour la Grèce : c’était le sujet qui allait faire exploser la zone euro puisque en avril. Aujourd’hui, on ne la considère plus comme un risque lourd.
- Vous en pensez quoi, que c’est toujours un risque ?
Dans la nuit du 12 au 13 juillet il s’est passé quelque chose politiquement, je vous rappelle quel était le raisonnement de la situation : la Grèce sort mais si la Grèce sort, la zone euro n’est plus indestructible … quel sera alors le prochain pays par ricochet.
- Le ralentissement de la progression du commerce mondial est un sujet qu’on a entendu ici ?
Les pays du Sus ont besoin d’être rassurés par les pays du Nord qui ont quelques capacités pour que l’engagement soit suffisant. D’où l’enjeu de ces quelques jours, qui a bien progressé. Grâce aux travaux de l’OCDE, nous savons maintenant qu’il y a déjà 62 milliards de transferts qui peuvent aider les pays en voie de développement à lutter contre le réchauffement climatique. Il faut maintenant progresser… J’espère qu’au cours du séjour, il y aura de nouvelles propositions, de nouveaux engagements. Oui, c’est possible de réussir Paris et dès aujourd’hui on va y travailler.
- Vous parlez de Copenhague, des moyens financiers qui ont fait chuter l’accord. Quelles sont les barrières qu’il faut dépasser ?
Chacun doit réorienter, parfois augmenter ses financements : là où des investisseurs pourraient mettre de l’argent dans des mines de charbons, il faudrait mettre de l’argent sur l’énergie éolienne et de l’énergie solaire, là où des pays finançaient le développement avec des centrales qui étaient des centrales très productives de gaz à effet de serre. Il vaut mieux, même avec des dons, aider les pays en développement dès maintenant à investir dans une énergie propre. Et puis, il faut aussi que tous les mécanismes multinationaux et multilatéraux, les banques mondiales, les banques régionales, la banque américaine, la banque africaine, asiatique et européenne réorientent aussi une partie de leurs financements vers cette économie « dé-carbonée ». Donc, ce sont des décisions internes à reprendre, c’est du travail à effectuer avec des pays concernés.
- Sur les investissements privés ?
Je pense que c’est une bonne manière de faire : que les investissements privés s’orientent vers des investissements « dé-carbonés ». Si le carbone à un prix, à ce moment-là on peut l’intégrer dans les calculs sur la rentabilité d’un investissement. Si il n’y a pas de prix, si c’est aussi peu, voire moins cher de faire des centrales au charbon pourquoi réorienter ces investissements ? La taxe carbone fait partie des résolutions simples et bonnes et donc sa taxe, son prix soit prise en considération économiquement par des investisseurs.
- Quelle confiance sur la croissance en Europe cette année ?
La zone euro retrouve tout juste la croissance. Donc la croissance est réelle comme dans des pays comme la France, mais elle est encore insuffisante. Il faut qu’on ait une croissance qui accélère. l’Europe a tellement besoin de croissance, elle a vécu pendant des années la crise, elle peut et doit rattraper cet écart de croissance. L’Europe a une capacité à croître par elle-même indépendamment des mouvements qui existent au niveau international.
- Et croyez-vous que la banque centrale européenne peut aider ?
La banque centrale européenne depuis quelques mois, depuis un an, a pris de bonnes décisions et les met en valeur. L’enjeu est que la Banque centrale européenne continue dans cette direction-là jusqu’à ce que l’Europe ait trouvé un taux de croissance suffisant et un taux d’inflation qui lui permettent un développement économique.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 21 octobre 2015