Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à France-Inter le 6 octobre 2015, sur le dialogue social et l'équilibre des régimes de base des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Bonjour.
PATRICK COHEN
Qu'est-ce qui est le plus violent dans les événements d'hier à AIR FRANCE, ces cadres molestés ou l'annonce de 2.900 suppressions de postes ?
MARISOL TOURAINE
L'annonce de suppressions de postes, c'est évidemment un choc, et je comprends que cela vienne bouleverser des salariés qui sont attachés à leur entreprise. Mais le dialogue social, il doit être respectueux, il doit se passer de façon partagée, non pas apaisée, éventuellement vigoureuse, mais en tout cas, respectueuse des personnes, et ce qu'on a vu hier, ce sont des images qui, malheureusement, font le tour du monde, ce sont des images qui sont insupportables…
PATRICK COHEN
A qui la faute ? Est-ce que pour en arriver-là, la direction n'a pas commis des erreurs, des maladresses ?
MARISOL TOURAINE
Rien… écoutez, moi, je ne suis pas au fait exactement de la vie d'AIR FRANCE, mais je peux vous dire que rien ne justifie la violence envers un homme, quelles que soient ses fonctions, rien ne justifie que le dialogue social donne à voir ces images-là, et je souhaite évidemment que ce dialogue puisse reprendre au sein de l'entreprise, que chacun y participe, notamment les pilotes, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. AIR FRANCE joue une partie de son avenir, cet avenir, c'est avec les salariés, il faut donc que chacun se mette autour de la table.
PATRICK COHEN
Les syndicats d'AIR FRANCE en appellent au gouvernement, à l'Etat, AIR FRANCE, c'est encore une compagnie nationale ou c'est une entreprise privée, comme les autres ?
MARISOL TOURAINE
AIR FRANCE est une entreprise privée, qui a évidemment un retentissement important dans l'histoire de notre pays et dans la société, puisque, AIR FRANCE, c'est une vitrine de la France. Mais le dialogue social, il doit se passer au sein de l'entreprise, entre les partenaires sociaux. Et on ne peut pas, à la fois vouloir négocier, discuter et imaginer que c'est à l'extérieur que ce dialogue se fait.
PATRICK COHEN
Oui, c'est une entreprise privée qui va chercher ces dirigeants dans le cabinet du Premier ministre, puisque c'est le directeur de cabinet de Manuel VALLS, Gilles GATEAU, qui va prendre la DRH du groupe, c'est le symbole aussi de la forme de porosité entre le pouvoir et cette compagnie, et cette société…
MARISOL TOURAINE
Écoutez, il y a des personnes qui passent du public dans le privé ou dans d'autres entreprises privées, mais on ne peut pas, d'un côté, trouver que la Fonction publique ou les serviteurs de l'État sont trop enfermés dans leur monde et dans leurs certitudes, et lorsqu'ils vont assumer des responsabilités, dont vous concevrez ou vous m'accorderez qu'elles ne sont pas simples, à l'évidence, lorsqu'ils prennent des risques pour aller aussi s'engager dans le monde des entreprises, dire que, au fond, leur place serait de rester là où ils sont.
PATRICK COHEN
Bon, on verra tout à l'heure comment…
MARISOL TOURAINE
Et donc je lui souhaite bonne chance parce que, à l'évidence, le travail est difficile.
PATRICK COHEN
Oui. On verra tout à l'heure comment François HOLLANDE ira célébrer le dialogue social à la française pour les 70 ans de la Sécurité sociale. Il aura face à lui tous les partenaires syndicaux et patronaux dont il est question dans ce dossier. Vous avez vu ce sondage, Marisol TOURAINE, sondage ODOXA pour Le Parisien et France Info : 8 Français sur 10 se disent inquiets pour l'avenir de la Sécurité sociale. Et vous ?
MARISOL TOURAINE
Mais 8 Français sur 10 sont, et même plus, plus de 8 Français sur 10, expriment un attachement extrêmement important à la Sécurité sociale, et ils ont raison. Et moi, je veux les rassurer, parce que la Sécurité sociale, elle joue son rôle, et elle se modernise au quotidien pour mieux répondre aux besoins de nos concitoyens. Les études disent que les Français ont comme principale inquiétude, la retraite. Eh bien, grâce aux efforts qui ont été accomplis, à partir de l'année prochaine, les régimes de retraite du régime général, c'est-à-dire pour les salariés du privé, seront à l'équilibre, et ils deviendront progressivement excédentaires. Ça n'était pas arrivé depuis 2005. Et donc ça, c'est une bonne nouvelle parce que cela veut dire, pour les Français, que leurs retraites seront payées, que leurs retraites sont garanties, et cela pour de nombreuses décennies. Donc…
PATRICK COHEN
Pour leurs enfants aussi ?
MARISOL TOURAINE
Oui, puisque les projections…
PATRICK COHEN
Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de français qui soient convaincus que le système de retraite, il est assuré pour…
MARISOL TOURAINE
Eh bien moi… mais écoutez, ça n'est pas moi qui le dis, c'est l'INSEE qui a sorti une étude, c'est le Centre d'orientation des retraites, qui indique que les régimes de base des retraites sont équilibrés jusqu'en 2060, au-delà, ils ne sont pas allés regarder les données de la situation, c'est un peu loin. Donc nous avons rétabli, mais en demandant des efforts, il ne s'agit pas de le nier, et c'est cela, je trouve, qui représente bien la Sécurité sociale d'aujourd'hui, des efforts sont demandés, nous devrons tous travailler plus longtemps, mais en même temps, nous tenons compte de la situation individuelle des parcours professionnels, et c'est pour cela que j'ai tenu à introduire la prise en compte de la pénibilité dans notre politique de retraite, parce que travailler plus longtemps, c'est une exigence, mais tout le monde ne doit pas travailler plus longtemps parce que certains ont été exposés à des carrières plus difficiles que d'autres.
PATRICK COHEN
Des médecins en grève encore aujourd'hui, médecins mobilisés contre le projet de loi Santé, qui passe au Sénat en ce moment, et notamment contre la généralisation du tiers-payant, d'après le syndicat MG France, un cabinet sur deux fermé en Ile-de-France, tout au long de ces mois, Marisol TOURAINE, vous n'avez pas réussi à convaincre les médecins des bienfaits du système du tiers-payant que vous voulez mettre en place ?
MARISOL TOURAINE
Là, nous arrivons dans la dernière phase d'une campagne électorale, puisque les médecins vont choisir leurs représentants d'ici quelques jours…
PATRICK COHEN
Ah, c'est l'effet de la campagne électorale ?
MARISOL TOURAINE
Non, moi, je ne méconnais pas le mécontentement, mais il n'est pas utile d'annoncer des chiffres de grévistes qui ne correspondent pas à la réalité.
PATRICK COHEN
Ce n'est pas vrai, un cabinet sur deux en Ile-de-France ?
MARISOL TOURAINE
Écoutez, nous avons des indicateurs très précis, nous devons évidemment réquisitionner des médecins lorsqu'il y a des grèves, nous avons réquisitionné quelques dizaines de médecins pour toute la France, il y a plus de 100.000, près de 120.000 médecins libéraux dans notre pays. Et donc il n'y a pas de fermetures de cabinets. Je sais que les médecins sont inquiets, parfois très mécontents du tiers-payant généralisé, mais franchement, nous mettons tout en place pour que toutes les garanties leur soient apportées. Et moi, je veux rappeler…
PATRICK COHEN
Et alors ? Et alors pourquoi ?
MARISOL TOURAINE
Eh bien, vous savez, ils étaient aussi opposés à la carte Vitale, et aujourd'hui, la carte Vitale, elle est généralisée et elle fonctionne naturellement…
PATRICK COHEN
Donc les médecins sont rétrogrades en France ? Ils sont conservateurs, ils sont…
MARISOL TOURAINE
Je suis convaincue… ils sont parfois un peu frileux, et je leur dis que leurs patients attendent d'eux qu'ils s'engagent, qu'ils s'engagent pour moderniser notre système de soins, et dans la loi de Santé, qui a d'ailleurs tenu compte de beaucoup de leurs observations et de leurs demandes, il y a des tas de mesures pour les patients, parce que c'est une loi qui s'adresse aux médecins, mais c'est aussi une loi pour les patients, pour mieux accompagner la prise en charge en proximité. Un numéro de téléphone unique pour trouver un médecin de garde, la mise en place d'un médecin traitant pour l'enfant, la mise en place de coopération entre les médecins, les infirmières, les kinés ; tout cela, c'est la modernisation de notre système de santé, et je dis aux médecins, si on passe à côté de cette modernisation, ce sont les patients qui vous le reprocheront.
PATRICK COHEN
Marisol TOURAINE, on vous retrouve dans quelques minutes avec les questions des auditeurs d'Inter et d'autres sujets qui sont là sur la table, notamment ce débat sur la fin de vie à l'Assemblée nationale, puisque les députés ont rejeté hier soir la possibilité d'une assistance médicalisée active à mourir, que soutenaient des élus socialistes et radicaux de gauche. On verra cela tout à l'heure. Dans 50 secondes, « La revue de presse » !
source : Service d'information du Gouvernement, le 8 octobre 2015