Texte intégral
Merci Messieurs les Présidents pour vos accueils et invitations et cela me fait plaisir d'être avec vous. Je remercie beaucoup les commissions de l'environnement et des affaires étrangères du Parlement européen de m'accueillir pour parler de la COP21, la conférence de Paris, que je vais avoir l'honneur de présider dans maintenant un mois.
Un mot aussi pour saluer le rapport d'initiative préparé par Gilles Pargneaux, qui est parmi nous, et qui est un rapport fort utile. Je voudrais vous dire comment, aujourd'hui, les choses se passent de mon point de vue. Aussi je serais très concret et ne m'en veuillez si je ne fais pas une description générale du sujet mais la valeur ajoutée que je peux apporter c'est de vous dire comment les choses se déroulent.
Vous y avez fait allusion, il y a eu, la semaine dernière, l'ultime session de négociation à Bonn. Les débats ont été mouvementés, au début il y avait un texte assez court qui a été récusé et c'est un autre texte qui a été adopté. On ne peut pas juger un texte seulement sur sa longueur mais enfin la longueur compte aussi. Le texte fait une cinquantaine de pages, malheureusement, il y a encore beaucoup d'options qui sont ouvertes et, dans le même temps, il ne faut pas être catastrophiste. Je rappelle qu'à Copenhague le texte faisait deux cents pages et si on se fie à longueur on peut dire que cinquante pages c'est mieux. Mais il reste beaucoup de points ouverts, mais il ne faut pas être excessif sur quelques points. D'ici là le travail va se poursuivre.
À la fin de la semaine prochaine, je vais réunir à Paris une pré-COP avec 80 ministres. L'objectif n'est pas de faire le travail des négociateurs mais de discuter des questions de fond pour pouvoir avancer sur le sujet. J'ai déjà fait deux informelles de ce type, elles sont utiles, et j'espère que plus on se rapproche de la COP21, plus on pourra avancer. Ensuite, parmi les nombreuses réunions qui vont avoir lieu je rappelle qu'il y aura la réunion du G20 en Turquie à la mi-novembre et une réunion du Commonwealth à Malte à la veille de la COP21. J'indique que le président de la République et moi nous nous rendons ce week-end à Pékin et il est prévu que nous ayons une déclaration commune avec nos amis chinois qui peut être intéressante et permettre d'avancer en ce qui concerne les positons géographiques de nos deux pays.
Tout cela nous mènera au 30 novembre au début de la COP21. Comme vous le savez, nous avons innové en invitant les chefs d'État et de gouvernement qui souhaitent venir à Paris le premier jour et ceci en tirant les leçons de Copenhague. À Copenhague, les chefs d'État étaient venus à la fin et ils avaient pensé pourvoir résoudre les questions mais ce n'est pas en une nuit qu'on ne peut les résoudre. Alors là nous avons demandé aux uns et autres de venir au début pour donner une impulsion politique et après ce sera aux négociateurs de faire le travail plus technique et nous avons déjà 80 réponses, ce qui est beaucoup et en particulier, seront présents les responsables européens. À partir du 1er décembre, et c'est ainsi que sont fabriquées les COP, les négociateurs du groupe « ADP » reprendront leurs discussions sur la base du texte de Bonn et à la fin de la première semaine ils nous remettront le texte. A ce moment-là, les ministres feront leur travail et nous nous attacherons à conclure. Pour ma part, en tant que président de la COP21, et non comme représentant du gouvernement français, j'ai compris que mon rôle devait consister à, écouter les uns et les autres, à garder un certain niveau d'ambition, le plus élevé possible pour un accord et à trouver des compromis. Vous connaissez la règle, il faut que tout le monde soit d'accord avec le texte et on est amenés à faire des compromis ; c'est sans doute pour cela que l'on a demandé à un ministre des affaires étrangères de présider la COP21.
Sur le fond, on me pose très souvent la question de savoir ce qu'est un succès de la conférence de Paris. Il y a différentes réponses mais moi j'en vois deux ou trois principales. La première c'est qu'il faut parvenir à un accord qui soit juridiquement contraignant, qui permette de limiter le réchauffement climatique d'ici 2100 à deux degrés voire 1,5 degré - c'est cela le premier critère du succès si on arrive à avoir un texte qui a l'accord des uns et des autres. De ce point de vue-là, je veux rendre hommage, mais si certains d'entre vous trouvent que les engagements sont insuffisants ou peu explicites, au travail que fait l'Union européenne parce que quand je compare les engagements des uns et des autres, l'Europe est dans la partie la plus haute.
Par rapport à cet objectif d'avoir un accord ambitieux bien évidemment il faut prendre en compte ce qui s'est passé au cours de ces dernières semaines en matière de contribution, ce que l'on appelle en anglais INDC. Au moment où je m'exprime il y a 154 pays qui ont déposés leur INDC, cela représente à peu près 90% des émissions de gaz à effet de serre et il faut se rappeler que Kyoto, c'était de l'ordre de 15%. Évidemment, je ne vais pas donner un classement des contributions, cela n'aurait pas de sens, mais certaines sont plus ambitieuses que d'autres et il y a une certaine hétérogénéité. Pourtant, ce n'est pas cela que je veux retenir. Je veux retenir le fait - et je pense qu'il faut avoir cela à l'esprit - que c'est la première fois que l'on procède ainsi et que dans 155 pays, qui, je pense, seront à la fin 180, on ait fait la démarche de se poser la question suivante : «quelle doit être notre politique pour les années qui viennent en matière énergétique et des transports ?»
C'est un changement considérable, qui aura nécessairement des effets positifs. Comme vous le savez, le résultat de ces contributions doit être rendu public par le secrétariat de la cellule «triple C» au 1er novembre, et j'attendrai les commentaires du secrétariat pour faire les miens mais il y a déjà eu des évaluations.
Que peut-on dire sans risque de se tromper ? Les experts du GIEC nous disent que si l'on ne fait rien, on ira vers quatre, cinq voire six degrés, sachant que notre objectif, c'est deux degrés voire 1,5 degré. On verra quels chiffres nous donnera le secrétariat mais je pense que l'on se situera autour de 2,7 à 3 degrés.
C'est donc nettement mieux que le risque, mais ce n'est pas encore 2 degrés. Il y a donc un travail supplémentaire à faire. Pour moi, l'un des critères du succès, je vous le dis, ce sera précisément la manière dont ce travail supplémentaire sera fait. C'est là où intervient une notion absolument clef, celle de révisions et de clauses de révisions. Je dois évidemment rester objectif mais s'il y a un point sur lequel je vais agir et me battre, c'est pour que dans l'accord de Paris, on parvienne à avoir un mécanisme de révision - de plus en plus de délégations disent tous les cinq ans - qui nous permette de faire le point. Je n'emploie pas les termes techniques, j'emploie les termes généraux ; il s'agit de regarder où nous en sommes pour avoir une révision des contributions qui permette d'améliorer les prévisions.
Si on arrive à faire cela, je dois dire que Paris sera vraiment - comme l'on dit en bon français - un «turning point». Cela nous permettra d'aller d'une trajectoire autour de 3°C à 2°C voire un 1,5 °C. Je vous le dis, pour moi, c'est vraiment l'un des critères principaux du succès.
Ce n'est pas encore acquis, bien sûr, parce qu'il y a des pays qui sont réticents, des pays qui disent que les pays riches doivent réviser leurs contributions mais pas les pays pauvres, mais je pense que ce sera tout à fait décisif.
La deuxième condition du succès, c'est que l'accord doit être juridiquement contraignant. Je vous passe les détails de ce qu'est le «legally binding» mais il faut trouver des éléments qui permettent que l'opinion publique et les pays eux-mêmes aient la certitude que ce n'est pas une discussion politique générale et que c'est un accord. Cela ne veut pas dire que ceux qui ne vont pas respecter l'accord seront mis en prison, ce n'est pas ainsi que cela se passe. Mais, il faut quand même qu'il y ait une traduction juridique et concrète et c'est également un grand enjeu.
Il y a un autre grand enjeu : Est-ce que ce «legally binding» s'applique uniquement pour les pays riches ou est-ce valable aussi pour les pays qui ne sont pas réputés riches ? Évidemment, il serait souhaitable que cela puisse concerner tout le monde même si les degrés d'engagement ne sont pas les mêmes.
La troisième condition du succès, c'est l'aspect financier et technologique. Quand vous discutez avec un certain nombre de dirigeants de pays africains, ils vous disent qu'ils sont d'accord mais, qu'eux-mêmes ne sont absolument pas responsables des gaz à effet de serre et qu'ils en sont les premières victimes. «Nous voulons bien aller dans le sens que vous indiquez» disent-ils, mais «à condition que nous ayons les finances et les technologies et que vous les apportiez».
Lors de la conférence de Lima qui a eu lieu il y a deux semaines, nous avons avancé un chiffre à partir de l'étude de l'OCDE, même si elle est contestée par certains. On sait qu'en 2014, nous étions à 62 milliards de dollars et que le chemin est ouvert vers 100 milliards de dollars dès lors évidemment que chacun fait un gros effort et que l'on fasse un effort d'adaptation et pas simplement d'atténuation. L'adaptation est le point qui manque.
Si nous réussissons sur ces trois aspects à avoir un bon résultat à Paris, je pense que Paris sera un vrai succès.
(Interventions des parlementaires)
Merci beaucoup à ceux qui m'ont posé des questions ; merci également à ceux qui n'en ont pas posées. Je vais essayer d'y répondre en dix minutes mais ne soyez pas choqués si je ne réponds pas aussi précisément à chaque intervenant comme vous pourriez le souhaiter.
En vous écoutant j'ai noté quelques thèmes qui se recoupent, je vais donc les reprendre.
L'un d'entre vous a dit - je rejoins tout à fait son sentiment - que cette conférence porte sur l'environnement, mais pas seulement. C'est non seulement une idée très juste mais c'est une idée qu'il faut populariser autour de nous. De plus en plus de citoyens du monde sont conscients qu'il y a un dérèglement climatique. Toute la difficulté, c'est à la fois de les conforter, en montrant les conséquences dramatiques qu'aurait l'inaction - car bien sûr l'action a un coût mais l'inaction aurait un coût encore plus grand - et, en même temps, de montrer qu'il y a des solutions possibles et que ces solutions sont à portée de nos mains. Si on décrit les choses de façon trop dramatique sans apporter de solution, alors on ne mobilise personne.
Je pense qu'il faut aussi, dans une approche générale de la Conférence, expliquer que ce n'est pas simplement une affaire climatique au sens étroit, mais que - vous en êtes tous conscients - les conséquences sont transversales. C'est la question de la nourriture ou de la famine ; c'est la question des inondations ou des territoires vivables ; c'est la question des modes de vie - plusieurs d'entre vous ont abordé cette question ; c'est la question des migrations - déjà nous voyons les problèmes posés par l'immigration de centaines de milliers de personnes, mais imaginez ce que cela signifierait si vous ajoutez plusieurs zéros.
Et finalement, j'irai à l'essentiel, c'est la question de la paix ou de la guerre, de la sécurité qui est posée derrière tout cela. Je pense donc qu'il faut que nous donnions toute son ampleur à cette perspective.
Dans mon propos introductif trop court, je n'ai pas assez parlé - pour l'instant, cela n'a pas été beaucoup dit non plus - d'acteurs qui, dans cette conférence seront déterminants - et c'est la première fois : ce sont les acteurs non-gouvernementaux. Nous avons pris la décision, mon prédécesseur péruvien et moi-même, et nous l'avons fait inscrire dans le texte de la Conférence de Lima en 2014, que désormais dans les COP il y aurait toute une partie consacrée aux acteurs non-gouvernementaux ; c'est-à-dire les communes, les régions, les entreprises et à la société civile. C'est absolument décisif car lorsque l'on regarde qui émet véritablement des gaz à effet de serre, ce ne sont pas directement les gouvernements. Les gouvernements émettent des normes, portent des jugements, prennent des décisions mais selon l'orientation que prendra telle ou telle région sur le plan des transports, des déchets, selon que telle entreprise ira dans le sens sur le plan du bilan carbone, c'est cela qui va, espérons-le, changer dans le sens positif le mode de développement. Ayons donc cela à l'esprit.
Il y a eu également toute une série de questions sur les finances. Je prendrai toutes ces questions ensemble en vous priant de m'excuser si je suis trop rapide.
D'abord, l'objectif qui a été fixé à Copenhague et repris à Cancún, c'est 100 milliards de dollars par an, pour le climat, des pays du nord vers les pays du sud. C'est l'objectif.
Jusqu'à présent, par une sorte d'aberration, il n'existait pas de comptabilisation pour savoir où nous en étions. Or, pour connaître quel effort il reste à faire, il faut évidemment savoir où nous en sommes. L'OCDE a fait un travail considérable, rendu public à Lima il y a quelques jours où il fixe, après une étude méthodologiquement très intéressante, la contribution des pays du nord aux pays du sud en matière de climat en 2014 à 62 milliards. Il faut donc aller depuis 2014 jusqu'en 2020 de 62 à 100 milliards.
Lors de cette Conférence de Lima, un certain nombre de banques multilatérales ont annoncé des engagements supplémentaires - un certain nombre de pays aussi mais pas tous - et je pense qu'il est possible, nécessaire qu'avant-même la conférence de Paris on montre que les 100 milliards pourront être atteints en 2020.
Le fonds vert : ceux qui sont intervenus à ce sujet ont pris soin de dire et ils ont eu raison que le fonds vert ne représente pas la totalité de ces 100 milliards, c'est souvent une erreur qui est faite. Les 100 milliards, ce sont à la fois les fonds publics, bilatéraux et multilatéraux et les fonds privés. Parmi les fonds, il y a le fonds vert que l?on veut doter de plus en plus - aujourd'hui c'est un peu plus de 10 milliards mais il faudrait monter encore - qui va prendre ses premières décisions d'ici quelques jours - ce sont des décisions concrètes - mais ce ne sera qu'une partie. Donc, faisons attention à cela.
Concernant les financements innovants, ils sont souhaitables et nécessaires. De ce point de vue, le conseil ECOFIN qui aura lieu, je crois, le 10 novembre sera un moment important. Il faut que les pays d'Europe s'engagent d'une façon concrète. Et puisque l'un d'entre vous a posé la question de la taxe sur les transactions financières, je pense que ce serait une excellente chose que l'on puisse concrétiser, j'ai entendu parler du 1er janvier 2017. Pour ce qui la concerne, la France consacrera une part importante de la taxe à la question climatique. Je pense qu'il ne sera pas possible - je ne porte pas de jugements de valeurs, j'essaie de voir ce qu'on me rapporte - qu'il y ait une décision disant que tous les pays feront la même chose - certains pourront le regretter - mais déjà, avançons vers ces financements-là aussi concrets que possible.
De la même façon, certains d'entre vous disent qu'il faut mettre un terme aux subventions fossiles. Les dernières études dont nous disposons dans ce domaine montrent que cela représente 500 milliards de dollars par an alors que l'on cherche 100 milliards. Il faut donc que dans tous les pays, pas seulement les nôtres mais aussi tous les autres, on incite à mettre progressivement un terme à ces subventions fossiles.
Je crois aussi que la question du ou des prix du carbone doit être posée de plus en plus. Elle ne sera pas décidée au cours de la Conférence de Paris car nous n'avons pas de mandat pour le faire mais, de plus en plus, avec cette idée simple que si on veut aller vers les énergies décarbonées, il faut d'une part qu'il y ait un prix au carbone et d'autre part que les énergies renouvelables décarbonées soient de moins en moins chères et de plus en plus accessibles. Il faut que les deux mouvements aillent de pair et c'est pour cela qu'il faut essayer de convaincre tous les gouvernements à travers le monde.
Enfin, la dernière question, qui n'est pas la plus facile et que vous avez posée, c'est l'après 2020. C'est une question qui n'a pas beaucoup été posée jusqu'à présent et, au fur et à mesure que l'on approche de la conférence de Paris et d'un succès possible et souhaitable, c'est une question que de plus en plus de pays posent. Il faudrait donc, dans les semaines qui viennent se poser cette question qui n'est pas encore tranchée.
Plusieurs d'entre vous de manière diverses ont posé la question. Comment ce que nous pouvons faire, nous Européens, ne nous pénalise vis-à-vis d'autres pays ? Finalement, vous posez indirectement la question qu'il faut poser en termes clairs : l'effort doit-il être fait seulement par quelques-uns ou doit-il être plus général.
Je dois dire que c'est évidemment une des questions les plus difficiles. Dans les travaux auxquels nous procédons, de plus en plus, on parle de différenciation. Même si les pays riches doivent faire un effort particulier, car ils ont une responsabilité historique et ils ont des richesses que n'ont pas les autres, tous les pays doivent faire un effort. Ils ne seront pas nécessairement les mêmes : on ne peut pas demander le même effort au Mali et aux États-Unis, cela va de soi, mais ce n'est pas une question qui peut être traitée par d'autres et laissée de côté.
De ce point de vue, il faut bien sûr faire très attention aux questions de compétitivité. L'une d'entre vous qui me posait la question a raison : il faut faire passer le message disant : «Oui, l'action coûte moins cher que l'inaction mais l'action ne signifie pas que nous nous sacrifiions, c'est un bénéfice pour tout le monde». Je voudrais être plus long sur ce point mais je ne peux pas l'être.
Les îles : non seulement il faut s'en occuper en général mais, j'allais dire, de nos îles en particulier. Des travaux sont prévus en ce sens, à la fois dans le sens de l'atténuation et dans le sens de l'adaptation. Il y a par exemple un programme, poussé par la France mais adopté maintenant par le G7, le système d'alerte avancée face aux catastrophes (CREWS) qui permet d'avertir à l'avance - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - tout le monde de catastrophes possibles. Dans ce domaine un projet avance, sur ce que l'on appelle «pertes et dommages». Des dispositions spécifiques doivent être prises parce que ces îles, à juste raison, disent : «Votre démarche, c'est très bien mais qu'est-ce que cela changera pour nos habitants s'ils doivent être pénalisés voire recouverts.»
Crédibilité, vérification - «reporting» -, c'est une question fondamentale. La réponse est dans les nuances-mêmes que l'un d'entre vous, à juste titre, a apporté dans sa question. Ce ne sera pas un accord de droit pénal, mais il faut qu'il soit «legally binding» - juridiquement contraignant - et cela dépend de chaque phrase. Ce n'est pas la même chose - en général c'est en anglais - si c'est «shall», «should», «would» ou «will». Il faut donc être très précis là-dessus et c'est l'une des questions de la négociation.
Il y aura bien sûr ce que l'on appelle la «pression des paires» ; il y a les engagements. Quand vous avez pris un engagement, vous devez le respecter, les révisions y serviront. Je souhaite vous rendre attentif à ceci. Nous allons avoir des évolutions technologiques qui vont quand même pas mal changer les choses. Nous allons avoir des satellites qui tourneront et indiqueront quelle est la dose d'émission de gaz à effet de serre au-dessus de tel ou tel pays. Cela ne viendra peut-être pas uniquement du pays en question. Si un pays prend un engagement et que l'on s'aperçoit, cinq ans après, que le satellite qui tourne indique qu'il n'a pas progressé mais au contraire qu'il a régressé, cela créera un débat politique nécessairement au niveau national et international qui est très important.
Le dernier point concerne le facteur temps. Mesdames et Messieurs, cette négociation n'est pas une négociation comme les autres. Lorsqu'on agit en matière de commerce, si on ne réussit pas une année, on peut dire nous reprendrons l'an prochain ou deux ans plus tard. Là, c'est un combat contre le temps parce que les gaz à effet de serre, une fois qu'on les a émis, ne disparaissent pas comme ça. Ils restent dans l'atmosphère, pour certains des années, pour d'autres des décennies et pour d'autres encore des siècles. Et si nous dépassons un certain volume d'émission de gaz à effet de serre, alors ce sera irréversible. Donc, il faut expliquer que l'on ne peut pas dire que c'est soit Paris, soit la COP dans deux ans ou celles qui aura lieu dans huit ans ; c'est maintenant qu'il faut agir. Il y a des solutions, il y a des avancées technologiques, il y a des bénéfices à escompter. Tout cela à condition que l'on ait les prudences et les audaces nécessaires.
(Interventions des parlementaires)
Je veux commencer par cela puisque je l'avais omis dans ma précédente réponse, il y avait eu des questions sur les secteurs maritimes et aériens. Je vous renvoie à ce qui est certainement votre livre de chevet, c'est-à-dire le texte adopté à Bonn la semaine dernière : l'article III, paragraphe 19, traite, même si c'est bref, de cette question. Vous avez tout à fait raison de le dire, il faut bien sûr l'inclure dans notre réflexion, sinon on passe à côté d'un point important.
Plusieurs d'entre vous sont revenus sur le prix du carbone et notamment la question de savoir si la chine, qui a décidé de le faire et de le généraliser en 2017, est concernée.
Il y a beaucoup de travaux sur le prix du carbone et sa tarification. Mon opinion personnelle, ayant comme vous réfléchit à cela, c'est qu'il est indispensable d'aller en ce sens. À vrai dire, j'espère ne pas vous choquer en disant que toutes les décisions de financement public que nous prenons et qui sont nécessaires sont beaucoup moins importantes par leur ampleur que les changements que nous sommes capables d'apporter dans les mécanismes de marché. Si nous incluons vraiment une tarification du carbone et que, par ailleurs - j'ai retenu votre expression qui était excellente sur le «spray» du soleil -, nous arrivons à faire que les énergies renouvelables soient moins chères, à ce moment-là, nous modifions, dans des proportions qui sont sans communes mesures avec les financements publiques d'ailleurs, tout le système et le mode de développement et c'est vers cela qu'il faut aller. De ce point de vue, je ne sais pas si vous avez pris connaissance d'une réunion qui a eu lieu en Inde qui est extrêmement intéressante. L'Inde est un pays qu'il faut prendre en considération pleinement. D'abord, c'est un pays qui compte un milliard 400 millions d'habitants. Le Premier ministre Modi est lui-même très intéressé par les technologies nouvelles. Lorsqu'il était Premier ministre du Goudjarat, il a fait des choses en matière de renouvelable qui étaient excellentes. Il nous dit ceci et mettons-nous chacun à sa place : «Je veux absolument contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique mais j'ai 500 millions de personnes à sortir de la pauvreté et ma ressource, actuellement, c'est le charbon. Aidez-moi donc à faire en sorte que je puisse, petit à petit me passer du charbon, en tout cas du charbon sale et que je puisse aller vers les énergies renouvelables.» Il va prendre la tte, avec notre concours et celui d'autres pays, d'une alliance pour les énergies solaires qui évidemment répond en grande partie à la question.
Une question m'a été posée sur la Chine. Nous allons en Chine avec le président de la République à la fin de la semaine ou au début de la semaine prochaine. Nous allons rendre publique une déclaration commune et dans cette déclaration, sur laquelle nous travaillons en ce moment, nous avons prévu de faire référence à la décision chinoise, en 2017, d'adopter un marché du carbone. Bien sûr on ne pourra pas à Paris - faisons attention -, décider - j'allais dire décréter - que le prix du carbone est X pour le monde entier, mais il y aura quand même une convergence d'initiatives qui va dans le bon sens.
Un rapport a été fait, notamment par M. Canfin - je ne sais pas si vous avez pu le lire -, qui examine les différentes techniques et qui parle d'un corridor des prix du carbone. C'est quelque chose d'assez intéressant qui, d'ailleurs, s'inspire de méthodes que nous avions adoptées en d'autres temps pour le système monétaire. On part d'éléments qui peuvent être différents et, petit à petit, on peut rapprocher les éléments. Encore une fois, l'accord de Paris ne peut pas en décider ; on ne peut pas dire, voilà, dans tel pays, au Guatemala, le prix du carbone sera X, nous n'en avons pas le pouvoir ni la capacité, indépendamment des aspects techniques. En revanche, il y aura beaucoup d'initiatives qui iront dans ce sens et qui je crois vont permettre de changer pas mal les choses.
Une question m'a été posée sur l'harmonisation des contributions nationales (INDC) et sur les vérifications. Il est vrai, vous avez raison de le souligner, que les contributions qui ont été proposées sont assez hétérogènes. Pourquoi ? L'année dernière, lorsqu'à Lima, nous avons dû décider si oui ou non, désormais, il y aurait des contributions publiées, nous n'avons pu obtenir cette décision qui est tout à fait novatrice qu'en acceptant que, pour la première fois, les contributions qui seraient remises soient assez hétérogènes. Nous avons fait une liste d'un certain nombre de dispositions qui devaient y figurer mais nous ne pouvions pas faire un cahier des charges trop précis parce que les pays ne l'acceptaient pas. Nous avons donc considéré, dans un accord qui encore une fois doit être accepté par tous, que l'important était de s'engager dans le processus et qu'ensuite, au fur et à mesure du temps, nous pourrions avoir des contributions qui seraient harmonisées. Quand on regarde attentivement ces contributions, certaines sont ce que j'appellerai des contributions absolues et d'autres, notamment les contributions de pays pauvres, sont des contributions conditionnelles. Concrètement, les pays disent : «Voilà ce que je peux m'engager à faire, en tout état de cause, et voilà ce que je ferais si on me fournit des financements et des technologies.» Ce qui rend d'ailleurs la comptabilisation assez compliquée car ce sont des choses hétérogènes. Mais, au nom du réalisme, il n'était pas possible de faire autrement.
Une question m'a été posée sur la transparence, la décision du Parlement européen, etc. Je dois dire - j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur - que je n'ai pas encore pris connaissance de la délibération qui était la vôtre mais la question est posée, de toutes les manières, puisque vous avez vu que dans la session de Bonn, il y avait une décision, prise d'ailleurs sur proposition du Japon, non pas du tout par rapport au lobby mais par rapport aux ONG, de dire qu'il y a des choses que l'on doit faire et que l'on doit négocier en toute transparence et puis il y a des choses que l'on doit négocier, entre négociateurs. Ce n'est pas la plus facile des décisions à prendre. Je ne sais pas, je vais consulter mes collègues parce qu'il faut à la fois que l'on soit très ouverts, je le dis par rapport aux observateurs, je ne parle pas de l'aspect lobbying mais, en même temps, il faut que l'on parvienne à un résultat. Vous en avez fait l'expérience, certains au Parlement européen comme dans les Parlements nationaux, si on discute, tout étant ouvert - il y aura 20 000 délégués je crois et 3 000 journalistes -, vous voyez la difficulté de trouver des compromis.
Je ne sais donc pas exactement quelle approche nous allons choisir. En tout cas, il n'est pas question de céder en quoi que ce soit au lobby - comme l'on dit - mais je parle d'autre chose. C'est une question très difficile qui, d'ailleurs, n'est pas posée simplement pour la COP, c'est une question beaucoup plus générale de la démocratie moderne.
Concernant le groupe des 77, cela dépend des uns et des autres mais il est vrai que ce groupe, qui comme son nom ne l'indique pas, comporte 134 membres, est à certains égards, mais pas dans tous les domaines, assez méfiant vis-à-vis des pays riches. Il nous revient à la fois de surmonter cette méfiance, pour montrer que nous n'avons pas d'agenda caché et que nous voulons jouer le jeu honnêtement, et il revient aussi à ces pays de comprendre qu'il y a eu un certain nombre d'évolutions. En effet, si l'on regarde la liste des pays riches et la liste des pays non-riches - si je puis dire - qui a été élaborée il y a 25 ans, il y a eu quand même des évolutions. Certains pays riches étant devenus moins riches et certains pays, à l'époque très pauvres, étant devenus tout de même, comme on dit, émergents, voire émergés.
Mais je pense que l'on peut par le concret faire la preuve, par exemple les mesures que nous allons prendre pour l'adaptation, car dans le rapport de l'OCDE il y a une chose très intéressante et incontestable, c'est qu'il y a des financements importants pour l'atténuation mais il y en a très peu pour l'adaptation. L'OCDE fixe le chiffre à 16%. Il dit que dans le total des fonds qui ont été donnés, attribués, il n'y en a que 16% pour l'adaptation. Or, pour la plupart des pays pauvres, même s'ils reconnaissent l'importance de l'atténuation, ils disent : «notre problème, c'est l'adaptation parce que nous n'allons pas attendre 25 ans avant que les choses changent».
Soyons concrets là-dessus, soyons concrets sur les choses qu'il faut faire, y compris avant 2020 ; c'est un point aussi très important. L'accord de Paris, théoriquement, enfin pratiquement et juridiquement, ne prend application qu'en 2020. Mais avant 2020, il y a cinq ans et nous n'allons pas rester comme cela sans rien faire.
Il y a des initiatives dont vous avez entendu parler :
- le système d'information précoce de toutes les personnes concernées par l'arrivée de catastrophe appelée «CREWS» ;
- le système de réassurance proposé par nos amis allemands et accepté par le G7;
- le système qui est étudié actuellement par la banque africaine de développement d'avoir des mesures concrètes pour les énergies renouvelables en Afrique. Vous savez que l'Afrique est le pays le moins «raccordé» du monde entier, c'est 25%.
Il y a des techniques qui ne coûtent pas très chères, que l'on peut installer pour changer la vie des gens. Un de mes amis qui dirige le gouvernement du Bénin a un projet, qui ne coûte pas plus de quelques dizaines de millions, qui permettrait de raccorder la moitié de la population, avec des conséquences immédiates ; les enfants, par exemple, pourront faire leurs devoirs le soir alors qu'actuellement ils sont soumis à tout simplement le cours du soleil. Et puis, il dit, d'une façon qui est à la fois convaincante et à la fois très touchante, que c'est la seule manière d'empêcher que les serpents entrent dans les cases. Cela coûte quelques dizaines de millions pour une population entière. Ce sont ces choses-là qu'il faut décider vite et qui surmonteront peut-être la méfiance.
Sur l'agriculture : oui, bien sûr, l'agriculture doit être incluse dans les mécanismes. Il y a des mécanismes qui ont été pris. Je crois que c'est la France qui a pris l'initiative dite « 4 pour 1000 » - un programme de recherche international sur la séquestration du carbone dans les sols, discutée par certains. Il y a d'autres initiatives mais, bien sûr, il faut inclure cela dans nos préconisations.
J'ai cru comprendre que l'un d'entre vous considérait que c'était en fonction des considérations environnementales qu'il fallait abandonner le Parlement européen à Strasbourg. Non les choses ne se présentent pas ainsi. Il y a des textes qui sont là et, d'autre part, je ne voudrais pas, si l'aspect environnemental était le seul critère retenu, que l'on oblige tous ceux qui vont à Bruxelles, quel que soit leur pays d'origine, à y aller en vélo.
Il y a d'autres considérations : la préoccupation environnementale est fondamentale mais il y a aussi d'autres dispositions qu'il faut prendre en compte.
Je termine, en m'excusant une fois de plus si j'étais trop court mais sinon je serais trop long, en faisant écho à ce qui a été dit, très aimable, sur l'un d'entre vous qui dit : «nous faisons confiance à la France pour trouver une solution». C'est vrai que c'est une grande responsabilité sur nos épaules. La France n'est que le pays hôte. Il ne faut pas confondre le pays hôte, le pays qui a la présidence... Vous savez, vous en avez l'habitude, ce sont les présidents qui doivent intervenir avec des pattes de colombe. Je ne dis pas que nous soyons sans influence, mais il faut faire attention. Mais à la France, je voudrais associer le Pérou. L'année dernière, le Pérou a fait un très bon travail et, toute cette année, nous avons travaillé avec nos amis péruviens. Je pense que c'est important. En effet, qu'il y ait un pays du Sud, un pays pauvre, et qu'il y ait un pays du Nord, réputé riche, qui travaillent ensemble et qui prépare les choses ensemble, je pense que c'est aussi de nature à donner une certaine confiance à des pays qui, sinon seraient méfiants.
La tâche est très difficile, vous l'avez tous souligné, mais soyez convaincus que nous allons faire, avec votre soutien, le maximum pour réussir. Quand je dis « avec votre soutien », c'est vraiment avec votre soutien parce que l'Europe, dans cette affaire, a un rôle absolument clé. On peut dire qu'il y a telle ou telle insuffisance dans les positions européennes mais, tout de même, si je compare les positions des uns et des autres, l'Europe est quand même l'un des continents - pour ne pas vexer les autres - qui montrent un certain chemin et comme on dit en bon français, un certain «leadership». Je crois que les positions que prendront vos négociateurs européens seront extrêmement importantes, non pas pour imposer quoi que ce soit - nous n'en avons pas la possibilité juridiquement - mais pour montrer que vraiment l'Europe est engagée vers un changement qui est vraiment indispensable si on veut que la planète puisse continuer à être vivable.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 novembre 2015