Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la préparation de la Conférence de Paris sur le climat, à Paris le 6 novembre 2015.

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Madame le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
J'ai souhaité vous réunir aujourd'hui pour deux raisons. D'abord nous allons lancer, avec Mme Royal, la campagne de communication sur la Conférence de Paris sur le climat, et je vais vous expliquer un certain nombre d'exercices.
Et je vais commencer par vous dire quelques mots sur la «pré-COP» qui se tiendra à Paris de dimanche à mardi - du 8 au 10 novembre -, et que je co-présiderai avec mon collègue péruvien Manuel Pulgar-Vidal, président de la COP20.
L'objectif de la Conférence de Paris est clair : c'est la recherche d'un ambitieux compromis. Ambitieux on le comprend, vous connaissez les défis et les objectifs qui sont de rester en dessous des 2°C voire des 1,5°C de réchauffement du climat. C'est très difficile mais c'est indispensable. Et le compromis parce qu'il faut mettre d'accord 196 parties qui n'ont pas toutes les mêmes positions et les mêmes intérêts.
C'est pourquoi nous avons pris la décision d'organiser cette pré-COP où seront présents plus d'une soixantaine de ministres représentants l'ensemble du monde.
Seront là, en particulier, la Chine, les États-Unis, les Européens, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Arabie saoudite. Nous accueillerons aussi de nombreux pays particulièrement vulnérables au changement climatique : le Bangladesh ainsi que plusieurs petits États insulaires en développement. Vous savez, sans doute, qu'au sein de la COP il y a des groupes de négociation et l'ensemble des groupes de négociation et des positions seront représentés. Il s'agit d'une sorte de répétition générale avant Paris, puisqu'à partir de la deuxième semaine de la COP, la négociation aura lieu au niveau des ministres.
L'objet de cette pré-COP ne consiste pas à renégocier le texte issu de la dernière session de négociations formelles - celles menées à Bonn par le «groupe ADP» il y a deux semaines. C'est le texte de Bonn qui se trouvera sur la table des négociations au début de la Conférence de Paris.
Mais, pour autant, la responsabilité des ministres c'est de faciliter l'accord final. Le texte de Bonn comporte encore beaucoup d'options non tranchées : l'objectif de ces trois journées de négociations informelles de cette pré-COP est de trouver le chemin de l'accord sur le plus grand nombre d'options possibles.
Nous avons déjà utilisé cette méthode deux fois puisque j'avais organisé, fin juillet et début septembre, des réunions ministérielles informelles et nos discussions ont permis d'avancer. Et la dernière session de Bonn, même si elle a été décevante, aurait été plus délicate encore si elle n'avait pas été précédée du travail effectué par les ministres lors des réunions informelles.
Cette pré-COP intervient, et nous avions prévu le calendrier en conséquence, quelques jours après la visite du président de la République en Chine et en Corée du Sud, deux déplacements centrés sur l'enjeu climatique. Ces déplacements ont eu une dynamique positive en particulier liée à la déclaration franco-chinoise qui devrait être encore amplifiée lors de la pré-COP.
L'objectif, dans les jours qui viennent, c'est d'élargir le soutien aux solutions contenues dans ce texte franco-chinois.
Entre cette pré-COP et cette Conférence de Paris il y aura plusieurs réunions importantes. En marge du Sommet UE-Afrique à La Valette, la France organisera le 12 novembre au matin une réunion consacrée au climat avec les chefs d'État et de gouvernement africains, en présence de la Commission européenne, de l'Allemagne et du président de la Banque africaine de développement. La question du climat sera également à l'ordre du jour du G20 en Turquie les 15 et 16 novembre ainsi que du sommet France-Océanie les 25 et 26 novembre à Paris, ou encore du sommet du Commonwealth à Malte fin novembre, auquel se rendra le président de la République. Nous avons toute une série de réunions dans cette dernière ligne droite qui ont pour effet, je l'espère, d'apporter une contribution utile au succès de la Conférence de Paris. Mais, dans le chemin qui nous sépare du 30 novembre, date d'ouverture de la Conférence, l'étape de la pré-COP est majeure.
Quels sujets aborderons-nous au cours de ces deux jours en demi ? Nous avons choisi de nous concentrer sur 4 thèmes principaux : l'ambition de la COP, la notion d'équité, les actions concrètes à mettre en oeuvre d'ici 2020 et la question des financements après 2020.
Nous avons défini ces thèmes à partir des résultats de la session de Bonn. Le texte qui est sorti de Bonn est long, trop long, mais il est désormais stabilisé dans sa structure globale. Il comporte un préambule et 26 articles portant chacun sur un thème précis : adaptation, atténuation, transparence, renforcement des capacités, pertes et dommages, technologies, etc. Dans chacun de ces articles, ce sont les mêmes types de questions, d'une nature transversale, qui se posent. En travaillant dès aujourd'hui sur ces questions transversales, nous pourrons avancer dès l'ouverture de la Conférence de Paris sur l'ensemble du projet d'accord. Quelques mots sur chacun des quatre thèmes.
1/ Le premier c'est l'ambition. Si nous nous accordons sur le principe et sur la périodicité d'une clause de révision à la hausse des engagements nationaux, permettant de rejoindre progressivement la trajectoire des deux degrés, nous aurons accompli un pas majeur. C'est ce que nous avons fait dans la déclaration franco-chinoise et nous souhaitons qu'elle soit acceptée par l'ensemble des parties.
Si nous parvenons également à nous mettre d'accord sur un objectif de long terme, en général 2050, qui soit clair et opérationnel, une autre grande étape aura été franchie.
2/ La deuxième question est celle de l'équité. Les pays en développement s'accordent aujourd'hui pour prendre des engagements en matière d'atténuation de leurs émissions et d'adaptation. Mais ils souhaitent que les responsabilités passées et les capacités présentes de chaque pays soient prises en considération dans la définition même de leurs obligations. C'est la question de la «différenciation». Le principe est accepté par tous, mais des discussions demeurent sur les modalités de mise en oeuvre. Si nous pouvons avancer sur ce sujet, les négociateurs pourront arbitrer en début de COP une série d'options encore non tranchées, dans les articles sur l'atténuation, les financements, la transparence, etc.
3/ Troisième thème : ce sont les actions concrètes à mettre en oeuvre dès maintenant - c'est-à-dire sans attendre 2020, date à laquelle entre en vigueur l'accord de Paris. Notre objectif est d'entériner que l'action pré-2020 est indispensable et que les engagements pris doivent être tenus, en particulier la promesse des 100 milliards de dollars annuels. Nous discuterons également de «l'Agenda pour l'action» et de la manière dont l'accord de Paris pourrait «institutionnaliser» les engagements des acteurs non étatiques en vue des futures COP. Vous savez qu'à Paris il y aura, à la fois, ce qui est fait, par les gouvernements et puis les engagements des entreprises, des collectivités et de la société civile. Et nous allons voir comment nous pouvons lier tout cela.
4/ Quatrième thème : les financements après 2020. Un accord existe pour les 100 milliards de dollars en 2020 mais évidemment la vie ne s'arrête pas en 2020 et nous essaierons, durant cette pré-COP, d'avancer sur plusieurs points : le principe d'une augmentation des financements pour le climat au-delà de 2020, l'encouragement des pays émergents, et pas seulement des pays riches, à contribuer également à cet effort, le principe d'un renforcement de la part affectée à l'adaptation - on distingue l'atténuation et l'adaptation et il y a une forte demande pour que les financements pour l'adaptation soient relevés, ou encore la transparence et la prévisibilité des fonds.
Pour arriver à cela nous aurons beaucoup de réunions, et nous recevrons dimanche matin avec Manuel Pulgar-Vidal, Christiana Figueres, qui est la secrétaire de la Convention, et plusieurs de mes homologues - des représentants des 9 groupes de la société civile internationale reconnus par le Secrétariat de la Convention climat des Nations unies.
À l'issue de cette rencontre, plusieurs d'entre nous, en compagnie de Christiana Figueres, se rendront sur le site du Bourget. Cette visite de chantier sera l'occasion de faire le point sur l'état d'avancement des travaux et de nous familiariser avec cet espace que nous sommes en train d'aménager.
Nous rejoindrons ensuite le centre de conférence ministériel de la Convention pour le début officiel de la pré-COP. Vous avez été conviés à assister, à partir de 15 heures, à la séquence d'ouverture au cours de laquelle Manuel Pulgar-Vidal et moi-même interviendrons. S'ensuivront des travaux en session plénière, puis un dîner avec les chefs de délégation.
La journée du lundi sera consacrée aux travaux de groupe. Les ministres seront répartis en quatre groupes, correspondant à chacun des quatre thèmes que j'ai évoqués. Dans chaque groupe, deux ministres feront office de «facilitateurs».
Lundi soir, je réunirai les ministres des pays africains. Nous pensons qu'il y a un travail qui sera consacré spécifiquement à leurs attentes, tant sur le contenu de l'accord lui-même que sur les initiatives rapides et concrètes qui doivent être mises en oeuvre - je pense notamment à l'accès aux énergies renouvelables en Afrique ou à l'initiative lancée par la France et d'autres pays d'étendre les systèmes d'alerte précoce en cas de catastrophes climatiques dans les pays les plus vulnérables.
Mardi matin, nous présiderons avec mon collègue péruvien une session plénière de restitution des travaux de la veille. Elle nous permettra de tirer de nos discussions une série de conclusions précises pour parvenir à des esquisses de rédactions de compromis qui pourront être discutées dès le premier jour des négociations à Paris.
Afin d'assurer la transparence nécessaire, les conclusions des échanges à Paris seront rendues accessibles à toutes les parties y compris celles qui ne sont pas à la pré-COP. Cette méthode de travail est celle que nous avions adoptée lors des réunions informelles de juillet et septembre. Elle a fait ses preuves.
Mardi à midi, nous tiendrons une conférence de presse afin de vous faire part des principaux résultats de cette pré-COP.
J'en viens à la campagne de communication que nous lançons ce matin. Les études d'opinion montrent qu'une large majorité de Français a déjà entendu parler de la Conférence de Paris pour le climat. Pour autant, il nous est apparu indispensable, dans cette dernière ligne droite, de renforcer le travail de sensibilisation sur l'importance de cet événement et sur ses enjeux. C'est l'objet de cette campagne.
Elle s'articule autour de deux axes principaux : d'une part, une série de «visuels» présentant quatre slogans simples et mobilisateurs et, d'autre part, un court film d'une trentaine de secondes, que nous visionnerons dans quelques instants.
En ce qui concerne les visuels, il y a quatre thèmes principaux : «La planète est entre nos mains», «Plus tard ce sera trop tard», «7 milliards d'habitants. 1 seule planète», «Nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas», plus le slogan destiné aux aéroports «Bienvenue à ceux qui viennent défendre la planète». Ce sont des thèmes très simples. Deux qui sont défensifs pour démontrer «Plus tard ce sera trop tard» et «nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas» et deux qui sont positifs : «La planète est entre nos mains» et «7 milliards d'habitants. 1 seule planète».
Cette campagne sera diffusée à partir de lundi 9 novembre sur quatre supports : par affichage, dans la presse, sur Internet et dans les salles de cinéma. L'affichage est prévu dans une cinquantaine de villes en France, avec un accent particulier dans les transports franciliens et avec l'installation de grandes toiles à la périphérie de Paris. Tout à l'heure nous allons présenter, avec Ségolène Royal, les toiles installées sur la façade du Quai d'Orsay. Sur Internet pour le court-film, qui constituera évidemment un vecteur-clé de diffusion, la campagne sera présente sur les portails institutionnels du gouvernement ainsi que sur certains sites d'information, avec, en outre, une mobilisation des réseaux sociaux - Facebook, Twitter, Instagram. Nous utiliserons bien sûr nos réseaux sociaux institutionnels, mais nous souhaitons également que le nombre le plus important possible d'internautes s'approprient cette campagne et la partagent à leur tour. Enfin, le spot de mobilisation sera diffusé à la fois sur Internet et dans plusieurs réseaux de salles de cinéma.
Cette diffusion multi-supports doit permettre de sensibiliser le public le plus large aux enjeux de la Conférence de Paris. L'objectif c'est de confirmer l'urgence et la gravité de la menace, mais aussi de montrer que la mobilisation pour notre planète constitue une grande chance. Au-delà des bénéfices économiques de la transition verte, porteuse de croissance et d'emploi, un accord universel et ambitieux à Paris - j'ai dit ambitieux compromis - permet d'incarner des valeurs positives : la solidarité, la justice, la fraternité, le rassemblement, la responsabilité à l'égard des générations futures. C'est un aspect positif important, que nous voulons mettre en avant avec cette campagne.
Un mot enfin pour remercier les deux agences de communication avec lesquelles nous avons conçu cette campagne : BETC pour les «visuels» et CAPA pour le spot. Merci également à l'ensemble des mécènes qui nous apportent un soutien précieux dans la diffusion de la campagne.
Je suis maintenant prêt à répondre à quelques questions.
Q - Vous avez parlé du fait d'ajouter 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Pourquoi est-ce important de parler d'un ajout à ce montant ? 100 milliards de dollars, cela ne suffira pas ?
R - Cette question n'est pas encore tranchée. L'engagement qui a été pris à Copenhague en 2009 et confirmé l'année suivante, ce sont les 100 milliards de dollars annuels en 2020. Jusqu'à récemment, les choses étaient assez diffuses. Le travail qui a été fait par l'OCDE à Lima a permis de rendre les choses beaucoup plus précises. On sait maintenant qu'en 2014, il y avait autour de 62 milliards de dollars qui étaient consacrés, par les pays riches, au climat dans les pays pauvres, aussi bien directement par les budgets des États que par les agences multilatérales et par l'investissement privé. Il est donc plus clair, dès lors que nous voulons aller de 62-64 milliards de dollars à 100 milliards de dollars, qu'il faut faire des efforts supplémentaires. Évidemment, beaucoup de pays nous disent que cela ne s'arrêtera pas en 2020 puisque précisément, l'effet de la COP commence en 2020. La question est posée, elle a été pour le moment peu abordée, que se passera-t-il après 2020 ? Les décisions ne sont pas prises et il y aura diverses positions possibles. Bien sûr, nous avons choisi dans la pré-COP ce thème qui est important - puisque les choses ne s'arrêtent pas en 2020 - soit l'un des thèmes que nous abordons. Mais je vous le précise, à ce stade, il n'y a pas encore d'accord.
Est-ce que ce seront les mêmes sommes qui seront reconduites ? Est-ce que ce sera d'autres sommes ? Est-ce seulement les pays riches ou réputés riches qui doivent contribuer ou est-ce une contribution plus large ?
Toutes ces questions sont ouvertes et nous allons les discuter pendant le week-end.
Q - Vous avez employé à deux reprises le terme d'ambitieux compromis, est-ce à dire qu'on n'est plus, aujourd'hui, à la recherche d'un accord universel et contraignant ?
R - Non pas du tout, cette formule juridique que vous utilisez reste tout à fait pertinente : universelle, juridiquement contraignant, différencié, permettant de rester en dessous de 2 degrés ou si possible 1,5 degré d'élévation de la température. Ces termes sont parfaitement justes. Mais si, passant de l'aspect juridique à quelque chose de plus simple pour le grand public, on essaie de réfléchir à ce qui fera le succès de la Conférence de Paris, ce terme d'ambitieux compromis me paraît refléter assez bien ce dont il s'agit.
Pourquoi ? Ambition, parce que parvenir à limiter la progression de la température à 1,5 degré ou 2 degrés - vous le savez je n'ai pas besoin de développer cela devant vous qui êtes des spécialistes - c'est quelque chose de très ambitieux et de très nécessaire.
C'est ambitieux parce qu'il faut que ce soit universel et faire se mettre d'accord 196 parties, c'est très compliqué, c'est même si compliqué qu'on n'y est jamais arrivé.
C'est ambitieux parce qu'il faut que ce soit juridiquement contraignant mais en même temps, il faut un compromis parce que les positions de départ sont très différentes pour des raisons qui sont d'ailleurs souvent intrinsèques aux pays.
Si vous comparez la situation d'un pays pétrolier du Golfe avec les îles Maldives, la Bolivie et avec un pays du nord de l'Europe, ce sont des situations objectivement différentes. Or, il faut que nous obtenions le consensus et il faut que chacun y mette du sien. Bien sûr il y a des groupes, ce qui va permettre de discuter plus facilement ; ces groupes existent pour que la discussion puisse être organisée et l'accord doit se faire avec ces groupes. Mais il ne faut pas croire que l'on pourra imposer une solution et la France, en tant que présidence de la COP, est là pour faciliter ce compromis. Ce sont donc les deux éléments.
Si j'avais seulement dit compromis, le compromis peut être fait au rabais et si j'avais dit seulement ambition, je n'aurais pas fait état d'une contrainte qui est qu'il faut mettre tout le monde d'accord.
Cette formule d'ambitieux compromis ne revient absolument pas sur les termes que vous avez eu raison de rappeler mais c'est un peu ce qui est la difficulté et l'objectif de la COP.
Q - Faudra-t-il l'unanimité dans la COP21, tous les pays doivent-ils présenter leur contribution nationale ou est-ce seulement un consensus ?
Par ailleurs, si je ne me trompe pas, l'Arabie Saoudite n'a pas encore présenté sa contribution nationale, j'aimerais savoir si la participation à la pré-COP pour vous reflète un signal important ?
R - Ce sont deux choses un peu différentes mais votre question me permet de revenir là-dessus.
Chaque pays doit présenter sa contribution nationale. C'est quelque chose qui a été décidé à Varsovie et qui a été encore précisé à Lima l'an dernier, ce que les Anglais appellent INDC. Chaque pays doit le faire et normalement, chaque pays devait le faire au mois d'octobre puisque le secrétariat chargé de collationner toutes ces données devait rendre ses conclusions - et il l'a fait - au 1er novembre. Au 1er novembre, nous avions 154 pays qui l'avaient fait. On peut dire que 154, ce n'est pas 196 mais c'est quand même considérable puisque c'était la première fois que l'on faisait cet exercice et ces 154 pays représentent à peu près 87% des émissions de gaz à effet de serre, alors que Kyoto qui est le résultat le plus ambitieux, c'était 15%.
Vous voyez que c'est un progrès considérable. C'est un progrès non seulement chiffré mais c'est aussi un progrès parce que cela a poussé, cela a obligé chaque pays à faire la démarche de savoir ce qu'il souhaite faire pour les années qui viennent en matière d'énergie, et plus généralement en matière de gaz à effet de serre.
À cette date, un certain nombre de pays n'ont pas publié leur contribution et, à mon avis, beaucoup vont le faire. Vous citez l'Arabie Saoudite et lorsque nous nous sommes rendus avec le président de la République il y a quelques jours dans ce pays, j'ai eu des discussions avec le ministre du pétrole qui est chargé de cela et il m'a indiqué qu'ils allaient le faire, je pense donc qu'ils le feront.
D'autres pays font au fur et à mesure et leurs contributions ne peuvent pas être intégrées dans le calcul puisqu'elles viennent après la date limite, mais cela ne changera pas les ordres de grandeur.
Ces contributions seront mises en annexe de l'accord mais c'est autre chose que le vote. Ce n'est pas parce que vous avez publié votre contribution que vous allez voter dans tel ou tel élément.
Les contributions, c'est très important parce que c'est ce qui engage les pays et c'est à mettre en rapport avec ce que je disais au début de mon intervention sur la déclaration franco-chinoise. Si la clause de révision est acceptée, les contributions vont évidemment permettre, tous les cinq ans, de se rapprocher de l'objectif des 2%.
Mais le vote, c'est autre chose. À la fin de la conférence de Paris, le 11 décembre, il y aura un texte qui comportera à la fois les principes et des décisions et ce texte doit être soumis au vote. Ensuite, ce vote doit être acquis par consensus.
Voilà quel est exactement le processus.
Q - Du succès de la COP21 dépend le succès de la COP22 à Marrakech. Quel rôle attendez-vous du Maroc ?
R - Nous travaillons avec nos amis marocains et nous avons coutume de dire avec mon collègue Mezouar que tout le travail qui aura été fait à Paris sera du travail en moins pour nos amis marocains.
De la même façon que nous avons travaillé très étroitement avec les Péruviens et je veux vraiment rendre hommage au travail de nos amis péruviens qui ont fait un travail magnifique, que ce soit le président Humala ou Manuel Pulgar-Vidal. Vraiment ils ont fait un très bon travail et c'est très utile car il est bon qu'il y ait, en l'occurrence un pays du sud qui était le Pérou - en développement - avec un pays du nord - plus riche - qui est la France.
Et de la même façon, nous allons travailler en liaison avec nos amis marocains. Meilleurs seront les résultats à Paris, meilleurs aussi seront les résultats l'année prochaine au Maroc.
Q - Une question concernant la société civile. Vous avez convié neuf organisations de la société civile. Pendant les négociations à Bonn, la société civile a été mise à l'écart. Quel sera le rôle de la société civile pendant la COP21 ? Sera-t-elle de retour dans la salle de négociations en tant qu'observateur ou pas ?
R - Nous travaillons bien sûr étroitement avec la société civile et Mme Royal voit très souvent ses représentants, moi-même aussi, ainsi que Laurence Tubiana. Nous avons jugé utile, dans la pré-COP, d'avoir une réunion le dimanche matin avec quelques-uns de mes collègues pour voir aussi leurs représentants.
Il est vrai qu'à Bonn une décision a été prise à l'initiative du Japon qui a été ressentie un peu difficilement par certaines organisations.
Je ne sais pas encore, au moment où je m'exprime, quelle sera exactement notre approche, il faut bien sûr que je consulte mes collègues, ce n'est pas une décision que je vais prendre tout seul. Il faut concilier les objectifs comme toujours. D'un côté, nous devons avoir la transparence maximum, de l'autre, on comprend facilement qu'il y a des moments de négociation qui sont plus délicats où des échanges entre pays doivent se faire et qui sont difficilement ouverts. Il faut donc trouver le juste équilibre et je ne peux pas vous dire exactement, au moment où vous m'interrogez, comment il sera trouvé, mais nous allons certainement en discuter avec mes collègues.
D'une façon générale, la société civile sera étroitement associée à l'ensemble de la COP. Et nous avons conçu, avec Ségolène Royal en particulier, le fonctionnement et je dirais même l'organisation physique de la COP pour permettre à la société civile d'être extrêmement présente : il y a, dans les très grands espaces aménagés - 160.000 m2 -, une place très importante qui est réservée pratiquement aux différentes organisations représentatives. Et puis, il y aura tous les jours toute une série d'événements qui sont organisés par et pour la société civile. Donc, bien évidemment, ce sera une conférence des parties, une COP où celles-ci auront une grande place. Cela, nous l'avons voulu, en liaison avec les Nations unies et en liaison vraiment avec toutes les parties prenantes.
Mais, comme cela a été rappelé dans une réponse à une question précédente, en ce qui concerne le vote - c'est ainsi que cela fonctionne -, le vote est fait par les gouvernements. Mais cela n'empêche pas qu'il faut que les sociétés civiles soient partie prenante.
Q - La taxe carbone et la taxe sur les transactions financières (TTF) feront-elles partie de l'accord de Paris ? Où en sont les discussions sur ces deux thèmes ?
Q - En ce qui concerne la taxation du carbone c'est un sujet qui monte énormément et à juste titre. Et c'est peut-être cela qu'il faut expliquer autour de nous. Tout l'objet de cette conférence, c'est de passer d'une économie et d'une société carbonées, sur lesquelles nous nous reposons depuis les débuts de la civilisation industrielle, à une société décarbonée, moins carbonée.
C'est-à-dire, en clair : jusqu'à présent, nous avons fonctionné surtout à partir du charbon, du pétrole, du gaz ; on voit quelles sont les conséquences liées à l'activité humaine. Il faut de plus en plus aller vers les énergies renouvelables, certains, dont la France, disent aussi le nucléaire. Mais, en tout cas, un monde décarboné, à cause de ce qui est écrit sur ces affiches, parce que si l'on continuait le mode de développement actuel, une planète n'y suffirait pas.
Je pense que les citoyens du monde le perçoivent de plus en plus. D'ailleurs, une étude d'opinion sur plus de quarante mille personnes est sortie très récemment et montre qu'il y a une prise de conscience très importante de la gravité du phénomène. Même si, paradoxalement, les deux pays où la gravité du phénomène est moins prise en conscience, ce sont les États-Unis et la Chine, je ne parle pas de la part des dirigeants mais de la part des populations.
Il faut donc aller d'une société carbonée vers un société moins carbonée ou décarbonée. Pour y parvenir, il n'y a pas besoin d'être un grand spécialiste pour comprendre qu'il faut mettre un prix au carbone, parce qu'actuellement le carbone, qui a des conséquences négatives, n'a pas de prix d'évaluation. Vous pouvez évacuer votre carbone, utiliser votre carbone, qui a des incidentes négatives, sans que cela soit pris en compte en termes de prix. D'où l'importance de la taxation du carbone. Ça, c'est un aspect. L'autre aspect corrélatif c'est qu'il faut rendre les énergies décarbonées moins chères et plus accessibles. Il faut agir des deux côtés.
Il n'est donc pas étonnant et il est même très souhaitable que la question de la taxation du prix du carbone - il y a différentes techniques - soit de plus en plus considérée. Cela va être le cas. Dans la déclaration que les Chinois et les Français ont faite ensemble, il est fait référence au fait qu'en Chine, premier émetteur, en 2017, il y aura un marché du carbone au niveau du pays. Le président de la République chinois et le Premier ministre nous ont expliqué qu'en ce moment ils procédaient dans certaines régions à des expérimentations, qu'ils vont en tirer les conséquences et qu'en 2017 ils vont le faire. En Europe, cela existe aussi mais jusqu'à présent les choses ont été faites de telle façon qu'il n'y avait pas une efficacité suffisante. Il va donc falloir reprendre cette question. C'est vrai dans un certain nombre de régions. Donc, la taxation du carbone est un thème qui va se développer de plus en plus.
Dans la loi sur la transition énergétique, présentée et soutenue par Mme Royal et votée l'été dernier, ceci est pris en compte d'une manière très précise, puisque, sauf erreur de ma part, c'est un chiffre de 22 euros la tonne en 2016 qui est prévu, qui doit être porté à 56 euros en 2020 et à 100 euros en 2030, c'est très précis. Nous n'allons pas nous citer en exemple mais je crois que la France est à l'avant-garde dans ce domaine.
Donc, il n'y aura pas un article de la décision disant - parce que cela n'aurait pas de sens : «à partir de 2020, partout le prix du carbone sera X». Mais ce thème sera fortement pris en compte et, à titre personnel si je puis dire, au titre de la présidence française, nous souhaitons que ce soit un thème de plus en plus pris en compte.
En ce qui concerne la TTF, c'est autre chose, c'est au niveau européen. Des travaux ont eu lieu qui concernent essentiellement onze pays. Dans le dernier état de ma connaissance, ceux-ci devraient intervenir au 1er janvier 2017. Il y a encore des discussions : quelle est la base ? Quel est le taux ? etc. Mais il est évident que, si on veut à la fois trouver les financements nécessaires et, en même temps, décourager l'utilisation des énergies carbonées et encourager les énergies décarbonées, c'est un mécanisme qui est très souhaitable.
Un rapport spécial a été produit sur ce sujet par deux économistes, parmi lesquels Pascal Canfin, qui parle - et je pense que c'est une idée intéressante - d'un corridor des prix du carbone qui permettrait de fixer un plancher, un plafond et, petit à petit, de se rapprocher. Et l'on peut envisager des solutions nationales qui deviennent régionales puis qui deviennent internationales.
Q - Vous avez parlé d'action immédiate. Est-ce qu'il y a des choses dans les tuyaux, notamment avec le Fonds vert ? Deuxième précision, juste pour bien fixer les esprits : on est bien sur une pente de 2,7 avec les contributions qui ont été déposées jusqu'à présent ?
R - Le Fonds vert, cette nuit, en Zambie, s'est réuni et a pris ses premières décisions. Ce sont, je crois, huit décisions qui ont été prises, qui concernent toute une série de pays en développement, de pays pauvres situés dans les différents continents.
Je pense qu'il était important que ce Fonds vert montre concrètement qu'il était en situation de prendre des décisions dès avant l'ouverture de la COP21. Ces décisions ne portent pas sur des montants énormes. On parle de centaines de millions de dollars pour un Fonds qui est déjà doté de 10 milliards. Ces sommes ne sont pas énormes mais elles sont significatives pour les pays concernés. Ce sont huit décisions qui ont été prises sur 37 dossiers dont il est déjà saisi. Bien sûr, ces dossiers doivent être analysés et au fur et à mesure des mois qui viennent, le Fonds vert, selon les règles qui sont les siennes, va être en situation de prendre des décisions. Il a déjà adopté un certain nombre de mesures de principe. Notamment de réserver la moitié de ses financements à l'adaptation. C'est une très bonne chose.
Sur votre deuxième question concernant les contributions nationales, il faut se référer à la déclaration et au communiqué qui ont été faits par Mme Figueres au nom de la Convention des Nations unies. Il y a plusieurs chiffres qui sont articulés. Ce chiffre de 2,6°C, 2,7°C fait référence à une étude qui a été faite par un ensemble de think tank. Disons que le point moyen dont parle beaucoup de spécialistes est de l'ordre de 3°C. Qu'est-ce que l'on peut dire sur ces 3°C ? Des choses évidentes. C'est que c'est beaucoup mieux que les 5°C, 6°C, 4°C qu'anticipaient les experts du GIEC si rien n'était fait. Mais qu'en revanche, ce n'est pas encore 2°C ou 1,5°C. Ce qui prouve que du travail supplémentaire doit être fait. C'est là où est l'intérêt capital de la clause de révision. Parce que, si à Paris, comme nous le souhaitons, sont à la fois décidés toute une série de mesures et de principes et que parmi ces principes il y a le fait que tous les cinq ans chacun doit revoir son INDC à la hausse en fonction de l'évaluation de la situation, à ce moment-là Paris est vraiment un point tournant. Ce que les Américains appellent «turning point» et qui va permettre de passer d'un régime précédent à un autre.
Q - Il y a une frontière entre nos deux pays (la France et la Belgique). Pouvez-vous donner quelques détails sur le contrôle aux frontières que la France va mettre en place ? Pourriez-vous dire pour quelle date ce sera ? Cela va durer un mois mais quand exactement ? Quelle est la menace qui pèse dans cette décision ?
R - C'est une pratique qui a toujours été suivie lors de chaque COP. Là, il s'agit, pour des raisons de sécurité évidentes, pendant la durée de la COP, cela ne va pas au-delà, d'avoir des dispositions spécifiques pour être certain que nous n'ayons pas une masse de visiteurs qui n'aient pas des idées pacifiques en tête. Pendant le temps de la COP jusqu'à mi-décembre.
Q - J'aimerais savoir s'il y a des mécanismes pour superviser la mise en oeuvre de ce compromis vers 2020 mais aussi vers 2050. Est-ce qu'il y aura une action pour les pays qui ne font pas de compromis ? J'aimerais savoir aussi quelle sera la place dans les négociations des compagnies pétrolières ?
R - C'est une négociation entre États. Les compagnies pétrolières n'ont pas de place particulière. Pour ce qui concerne, si j'ai bien compris votre question, le contrôle et l'application de l'accord de Paris. Bien évidemment, c'est comme beaucoup d'accords internationaux, il n'est pas prévu qu'un pays qui ne respecterait pas ses obligations, son président soit déféré devant un tribunal et mis en prison. Non. Il y a quelques pays qui réfléchissent à l'idée d'un tribunal international. C'est autre chose mais ce n'est pas du tout d'actualité.
En revanche, ce qui est certain, c'est qu'à partir du moment où il y aura un accord international qui aura été passé, mondial en l'occurrence, qui, dans plusieurs pays demandera d'ailleurs une ratification parlementaire, à partir du moment où chaque pays aura publié ses engagements et à partir du moment où il va être assez facile de vérifier ses engagements - j'y viendrai dans quelques instants -, la pression internationale pour respecter les engagements sera extrêmement forte.
Quand je dis la vérification, c'est un aspect qui va être abordé dans nos travaux. C'est la transparence. Chacun demande qu'il y ait une transparence sur à la fois les engagements et les résultats. La technologie va beaucoup nous aider. Parce que, sans qu'il soit besoin de faire des efforts particuliers, avec les mécanismes de satellites, on va très vite distinguer d'une manière extrêmement précise quelles sont les émissions de gaz à effet de serre et d'autres gaz sur les différents territoires. Évidemment, si un État prend des engagements, s'il souscrit à cet accord international et si, lorsque l'on a connaissance des résultats, les résultats ne sont pas au rendez-vous, la pression sera extrêmement forte. Peut-être dans le futur, y aura-t-il d'autres dispositions ? Mais pour le moment, cette pression, que l'on appelle par les pairs et par l'opinion internationale et par l'opinion nationale, est un élément déjà important.
Q - Quel sera le mécanisme ou les personnes qui surveilleront l'application du Fonds vert ?
R - Le Fonds vert c'est autre chose. Le Fonds vert a un conseil d'administration qui est composé d'une façon équilibrée. Il est dirigé par une jeune femme tunisienne très compétente, un certain nombre de dossiers lui sont soumis, il examine ces dossiers et son conseil d'administration décide quels sont les dossiers qui peuvent être retenus tout de suite, ceux qui peuvent être retenus plus tard et quels sont les dossiers qui ne répondent pas aux considérations. Il a déjà procédé ainsi pour les huit premiers dossiers. Il va faire la même chose pour le reste.
Merci beaucoup. Nous allons nous rendre avec Mme Royal dehors et nous vous rejoignons.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2015