Point de presse de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la lutte contre le financement du terrorisme aux plans national et international, Paris le 23 novembre 2015.

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Mesdames, messieurs,
C'est la première fois que nous nous revoyons depuis le 13 novembre.
Il y a maintenant dix jours, nous étions frappés, à Paris, par des attentats terroristes d'une ampleur sans précédent.
Je sais que certains d'entre vous ont été éprouvés personnellement par les événements qui se sont produits. C'est aussi le cas pour ce ministère, qui a perdu trois de ses agents, qui aimaient la vie et qui aimaient la musique.
Je veux donc commencer en disant à tous tout notre soutien dans cette épreuve et toute notre détermination à nous battre de manière extrêmement déterminée contre le terrorisme.
Lutter contre le terrorisme, pour le ministère des Finances et des Comptes publics, c'est avant tout lutter contre son financement. Mais c'est aussi récolter et partager des informations sur les relations financières, ou issues de la surveillance douanière, qui aident à identifier les terroristes, leurs déplacements et leurs réseaux.
C'est le sens de la présence à mes côtés de Bruno DALLES, qui est à la tête du service chargé du renseignement financier, Tracfin, et de Jean-Paul GARCIA, qui dirige la Direction nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED). C'est, enfin, une action qui se déploie au niveau national comme au niveau international, dans des enceintes comme le G20 ou le GAFI, d'où la présence à mes côtés du directeur général du Trésor, Bruno BEZARRD.
C'est évidemment une action au long cours, que nous avons intensifiée depuis janvier dernier. Je souhaite donc partager avec vous un constat sur ce qui a été fait et notre volonté d'avancer sur ce qui reste à faire.
Lutter contre le terrorisme, c'est d'abord assurer que l'information circule de manière parfaitement fluide entre les services de l'Etat.
Avec Bernard CAZENEUVE, lors d'une réunion en janvier, nous avions partagé notre volonté de renforcer encore les liens qui existaient entre nos services en charge du renseignement.
C'est désormais chose faite. Il existe désormais des officiers de liaison de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanière (DNRED) à la DGSI, à Tracfin et au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) [Service de l'état-major des armées] et un agent de Tracfin est mis à la disposition de la DGSI.
Sans entrer dans les détails, je me contenterai de dire d'ores et déjà, que ces dispositifs ont montré leur utilité, à la fois en récoltant de l'information sur les personnes liées aux attaques du 13 novembre 2013 et en mettant en évidence des liens avec d'autres.
Nous sommes évidemment très vigilants à maintenir ce niveau de fluidité et de réactivité complète entre les équipes.
Lutter contre le terrorisme, pour le ministère, c'est aussi spécifiquement chercher à resserrer les mailles du filet pour rendre plus difficile et plus repérable le financement des activités terroristes. Si des terroristes parviennent à commettre des attentats, c'est parce qu'ils peuvent se procurer les ressources financières pour ce faire, en France ou à l'étranger.
En mars 2015, j'ai présenté un plan de lutte contre le financement du terrorisme qui poursuit trois objectifs :
- faire reculer l'anonymat dans l'économie afin de mieux tracer les opérations financières ;
- mieux surveiller, grâce à la mobilisation des acteurs financiers dans la lutte contre le terrorisme ;
- renforcer les capacités de gel contre les avoirs détenus par les financeurs ou les acteurs du terrorisme.
L'ensemble du plan sera mis en oeuvre totalement d'ici le premier trimestre 2016.
Comme vous le savez, les sommes en jeu sont souvent modestes, et les terroristes cherchent à échapper à toute traçabilité.
Nous avons donc pris des mesures qui réduisent l'usage de l'argent liquide dans l'économie, en abaissant les limites autorisées.
Vous trouverez dans le dossier qui vous a été distribué un point précis sur la mise en oeuvre des mesures décidées en mars.
Nous poursuivons leur mise en oeuvre à un double titre. D'abord nous encadrerons plus strictement l'utilisation des cartes prépayées, dont il a été fait usage dans les attentats du 13 novembre, afin de faire reculer l'anonymat.
Ensuite, nous étendrons le dispositif national de gel des avoirs des terroristes aux avoirs immobiliers et aux véhicules et le gel s'appliquera aux prestations et autres sommes versées par les collectivités publiques et les organismes sociaux.
Le projet de loi pour la transparence et la modernisation de la vie économique, qui sera transmis très prochainement au Conseil d'Etat, portera cette réforme.
Mais ce projet de loi ira plus loin. Il permettra aussi la transposition de la 4ème directive anti blanchiment, dont les dispositions permettent aussi de lutter contre le financement du terrorisme, par ordonnance. De plus, ce projet de loi élargira le pouvoir de Tracfin de recevoir et de communiquer des informations et lui permettra de désigner aux établissements des situations justifiant l'adoption de mesures de vigilance renforcées.
Enfin, afin de favoriser la diffusion aux services chargés de la lutte contre le terrorisme d'informations pertinentes et ciblées, un accès au fichier des personnes recherchées (FPR) sera par ailleurs ouvert à Tracfin (par décret).
Ces mesures s'accompagnent d'une action de sensibilisation de l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le financement du terrorisme.
J'ai, avec le Gouverneur de la Banque de France, rappelé à l'ensemble des institutions concernées (établissements de crédit et établissement financiers) leur devoir de vigilance. Les lignes directrices sur la conduite à tenir ont été actualisées très récemment par Tracfin et par l'ACPR.
J'ai demandé à mes services de diffuser un guide à destination des associations pour les informer des risques en matière de financement du terrorisme.
Enfin, parce qu'une partie de l'argent du terrorisme provient du trafic d'oeuvres d'art, j'ai adressé très récemment une lettre aux syndicats des antiquaires pour leur rappeler les interdictions en vigueur et leur devoir de vigilance.
Mais, vous le savez, le terrorisme et ses financements ont des ramifications qui cherchent à se jouer des frontières. La lutte contre le terrorisme ne peut donc pas être uniquement nationale.
Nous avons tous reçu des messages de sympathie et de soutiens de nos collègues étrangers, et nous y avons été très sensibles.
Il faut maintenant aller au-delà de l'émotion, et passer à l'action !
Nous devons pour commencer agir plus vite et plus fort au niveau européen.
Nous partageons un espace commun, la menace est commune et il faut donc y répondre ensemble.
C'est vrai pour ce qui est du contrôle de notre espace commun. Vendredi dernier, Bernard CAZENEUVE et Christiane TAUBIRA étaient à Bruxelles pour un conseil exceptionnel des ministres des Affaires intérieures. Ils ont pris des décisions fortes sur la coopération entre services nationaux et sur le contrôle des frontières extérieures. Ils ont aussi redit leur volonté que certains chantiers cruciaux, comme le PNR, qui mettent tant de temps à avancer, soient enfin débloqués.
C'est vrai en matière de lutte contre le financement du terrorisme. J'ai fait des propositions au Conseil ECOFIN dès fin janvier, nous avons avec Wolfgang SCHÄUBLE, écrit une lettre conjointe à la Commission européenne fin mars pour faire des demandes précises.
La Commission a adopté en avril une feuille de route.
Il faut maintenant que ces chantiers avancent concrètement ! Oui, ceci nécessitera de vaincre des réticences, chacun étant attaché à ses particularités nationales. Mais nous ne pouvons pas aller d'attentat en menace dans l'espace européen sans nous assurer que la lutte contre le financement du terrorisme, et contre son opacité, sont traitées de manière prioritaire !
C'est pourquoi j'ai demandé que la question du financement du terrorisme soit ajoutée à l'ordre du jour du Conseil des ministres des Finances du 8 décembre.
La France porte des propositions concrètes, là encore pour faire reculer l'anonymat dans l'économie, mieux surveiller les flux, et renforcer nos capacités à assécher les flux financiers :
- nous devrions tous avoir des cellules de renseignement financier autonomes et efficaces, pour traquer les flux, qui échangent entre elles de manière fluide ;
- nous devrions tous avoir des registres centralisés des comptes bancaires et de paiement, pour identifier les flux suspects et permettre de geler rapidement les avoirs terroristes ;
- nous devrions, enfin, nous doter des moyens d'exploiter nos propres données : aujourd'hui, plus de 90% des transferts de fonds internationaux passent par le système d'information SWIFT, dont un des deux serveurs est situé en Europe (l'autre aux Etats-Unis), et nous Européens ne sommes pas capables d'exploiter nos propres données !
- nous devrions enfin nous donner les moyens d'assécher le financement du terrorisme :
* en améliorant la surveillance des transferts de fonds, quelle que soit leur nature ;
* en renforçant la lutte contre le trafic des oeuvres d'art ;
* en contrôlant davantage encore l'utilisation des cartes prépayées ;
* et en améliorant les capacités de gel d'avoirs liés au terrorisme.
Nous devons aussi être plus efficaces au-delà des frontières de l'Union européenne.
Lors du G 20 à Antalya, j'ai redit toute la détermination de la France à lutter au plan international contre le financement du terrorisme, sous toutes ses formes.
Après les attentats de janvier, j'avais demandé au GAFI une évaluation des dispositifs mis en oeuvre pour lutter contre le financement du terrorisme dans 194 pays. A Antalya, le GAFI nous a expliqué que tous ne sont pas au niveau. D'ici au G20 finances de février, nous devrons identifier les pays présentant des failles et proposer un mécanisme de suivi efficace, pour faire pression sur ces pays défaillants jusqu'à ce qu'ils modifient leur législation et qu'ils l'appliquent effectivement. J'y veillerai.
J'irai prochainement à Washington pour aborder ces sujets avec mon homologue.
Soyez bien assurés qu'avec l'ensemble du Gouvernement, ma détermination et ma mobilisation sont totales pour lutter contre le terrorisme et contre son financement.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 24 novembre 2015