Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur les nouveaux indicateurs de richesse, à l'Assemblée nationale le 26 novembre 2015.

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Mesdames et Messieurs les députés,
Le 13 avril dernier, la loi que vous avez-vous-même proposée visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques a été adoptée, avec le soutien du Gouvernement. Je m'en félicite car c'est une loi de progrès. C'est une loi en effet qui nous conduit à nous interroger sur la qualité de la croissance : d'abord pour la définir, puis pour identifier les chemins afin de l'améliorer. En d'autres termes, il s'agit de choisir un jeu d'indicateurs complémentaires au Produit Intérieur Brut, afin d'avoir une vision plus complète et plus juste de l'évolution du pays. Je dis « complémentaire au PIB » et non pas « alternatif au PIB » car il ne s'agit pas de remplacer le PIB – cela n'aurait pas de sens -, et encore moins d'abandonner tous nos efforts pour consolider la reprise qui est en marche. Nous atteindrons plus de 1% de croissance cette année, et nous prévoyons 1,5% l'année prochaine : la dynamique qui a été lancée depuis trois ans maintenant doit se poursuivre ; c'est le sens de notre action.
Pour construire ce tableau de bord d'indicateurs, nous nous sommes appuyés sur le travail qui a été mené par France Stratégie et le Conseil Economique, Social et Environnemental, dont je pense que nous nous accorderons tous à dire qu'il est de très grande qualité. La consultation citoyenne qu'ils ont menée a permis de dégager 10 thèmes prioritaires pour les français avec, pour chaque thème, des propositions d'indicateurs à retenir. Je sais d'avance que certains d'entre vous se demandent pourquoi le Gouvernement n'a pas retenu à la lettre les 10 indicateurs proposés et je tiens à être très clair là-dessus : il ne faut pas y voir malice ! Au contraire, puisque nous avons même privilégié un indicateur, l'artificialisation des sols, pour lequel l'évolution ces dernières années n'est pas particulièrement favorable. Nous avons en réalité voulu privilégier les indicateurs dont la mesure est fiable, avec un dernier point dans le temps qui soit le plus récent possible, et permettant des comparaisons européennes. C'était le cas pour la plupart des propositions du CESE et de France Stratégie, mais cela nous a conduit à effectuer quelques ajustements, notamment en arbitrant entre les indicateurs phares ou les indicateurs complémentaires proposés par le CESE et France Stratégie - tout en respectant les résultats de la consultation citoyenne, car c'est bien cela le plus important. A la publication du rapport, le CESE a ainsi considéré que le Gouvernement avait effectivement repris ses propositions, c'était pour nous un objectif essentiel, mais je pourrai bien sûr revenir en détail sur les évolutions auxquelles nous avons procédé si vous le souhaitez.
Très clairement, ces dix thèmes n'épuisent pas le champ de l'action du gouvernement. La sécurité, par exemple, n'y figure qu'indirectement, à travers notamment l'indicateur de qualité de vie. Vous savez néanmoins la mobilisation qui est celle du Gouvernement sur ces questions ; j'ai moi-même fait des annonces en matière de lutte contre le financement du terrorisme en début de semaine. Mais ce n'est pas l'objectif de ces indicateurs, que de refléter l'ensemble de l'agenda gouvernemental ; il s'agit, ici, de mesurer avant tout la qualité de la croissance, sur le court terme comme sur le long-terme.
Aussi, indépendamment des priorités du moment, j'ai le sentiment que ce tableau de bord, pour être utile, doit désormais rester stable pour devenir véritablement un outil supplémentaire de pilotage des politiques publiques. « Supplémentaire » car il en existe d'autres, notamment au niveau européen, je pense à la stratégie Europe 2020, qui vise à construire une Europe tournée vers l'avenir. Nous avons fait en sorte de garantir la cohérence de cette démarche nationale avec la démarche européenne, car la convergence européenne est indispensable à la réussite des Etats membres.
Sur le fond, que nous disent ces nouveaux indicateurs de richesse ? D'abord que la France a de nombreux atouts et de nombreuses forces. Pour six indicateurs sur dix, nous faisons mieux que la moyenne européenne. Je crois que nous pouvons être fiers de lire que la France fait mieux que la moyenne européenne concernant le taux de sortie précoce du système scolaire ; le taux de pauvreté ; le taux de dépenses de R&D ; l'espérance de vie en bonne santé ; les inégalités de revenu ; les émissions de gaz à effet de serre et l'empreinte carbone. Sur les autres indicateurs, nous ne sommes pas marginalisés, nous sommes plutôt tout juste dans la moyenne européenne. Mais cela signifie qu'il ne faut pas relâcher nos efforts. En matière d'endettement par exemple, nous devons poursuivre notre stratégie de réduction des déficits publics à un rythme adapté pour ne pas pénaliser la reprise.
J'observe aussi que l'évolution récente des indicateurs va, globalement, dans le bon sens, même si je me garderais de tout triomphalisme. Ainsi, les inégalités de revenu ont baissé en 2013 jusqu'à effacer l'augmentation vécue depuis 2008 lorsque l'on compare le revenu des 20% les plus riches à celui des 20% les plus pauvres. C'est le résultat d'une meilleure redistribution, tant par la qualité des services publics – je pense notamment à la santé ou à l'éducation – que par la défense d'un modèle social plus juste et plus inclusif. Là encore, des efforts restent à faire pour aller plus loin, c'est le sens de notre action.
Par ailleurs, le rapport ne se contente pas d'analyser un tableau de bord d'indicateurs, il évalue, conformément à la loi, les principales mesures en cours de mise en oeuvre ou à venir. Pour cette première édition, nous en avons étudié six qui donnent les grandes lignes de l'action du Gouvernement : le pacte de solidarité et de responsabilité tant dans ses volets « entreprises » que « ménages », dont la mise en oeuvre se poursuit dans les textes financiers de fin d'année ; la loi de transition énergétique qui apparaît comme une évidence dans cet exercice ; le plan pauvreté ; le plan « très haut débit » ; et la réforme du collège. Ces mesures, analysées à travers le prisme du tableau de bord d'indicateurs, apparaissent toutes comme des réformes de progrès, c'est-à-dire qu'elles vont plutôt globalement dans le sens d'une amélioration des indicateurs. En d'autres termes, elles contribuent à enrichir la croissance en emplois, à améliorer les conditions de vie, et à intensifier nos efforts en faveur du développement durable. Cet exercice d'évaluation n'est bien sûr pas exhaustif, c'est une première étape.
Plus généralement, ce rapport sera enrichi dès l'année prochaine. Il le sera, à mon sens, selon trois axes. D'abord en termes d'accessibilité, il faut que chaque citoyen puisse s'emparer des indicateurs, nous allons pour cela faire en sorte que les données soient centralisées et facilement accessibles. Ensuite, en termes d'ouverture et de débat, le Premier ministre a proposé que le Conseil économique, social et environnemental rende chaque année un avis complémentaire aux analyses qui sont faites. Enfin, il faut que nous approfondissions les outils dont nous disposons pour effectuer les évaluations quantitatives des réformes que nous menons, je pense en particulier à l'impact des réformes sur les émissions de gaz à effet de serre. Ce sont des chantiers qui sont en cours.
Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes à la veille de la COP 21, durant laquelle des engagements importants seront pris pour lutter contre le réchauffement climatique, je n'en doute pas. Ces engagements concernent des hausses de températures qui pourraient avoir lieu dans plusieurs dizaines d'années, et pourtant, il faut les prendre maintenant, sans tarder. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il est impératif désormais que le long-terme soit au coeur des politiques publiques, et que les décisions prises ne soient pas au détriment des générations futures. C'est le sens de notre action lorsque nous donnons la priorité à la jeunesse. C'est le sens de notre action lorsque nous assurons la pérennité de notre système de santé, en parvenons à diviser par deux son déficit depuis 2010, sans rien renier sur la qualité des soins. C'est aussi le sens de notre action lorsque nous donnons un cadre favorable à nos entreprises pour permettre l'émergence des champions de demain.
Or cette obligation politique, et, je le crois, également morale, de penser le long-terme dans les politiques publiques, mérite d'être sans cesse rappelée, contrôlée, débattue, défendue. Les nouveaux indicateurs de richesse sont aussi une forme, parmi d'autres, de prise en compte de cette obligation : les tendances longues qui y sont décrites mettent en lumière les progrès accomplis et les défis qui restent devant nous.
Car des défis, il en reste et c'est à nous de les relever. Depuis 2012, nous réformons et continuerons à le faire jusqu'au bout, dans tous les domaines. Cette première édition du rapport le montre, et je vous donne rendez-vous l'année prochaine pour la prochaine édition qui, j'en suis certain, montrera que de nouveaux progrès auront été accomplis.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 27 novembre 2015