Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les financements privés de la lutte contre le dérèglement climatique, au Bourget le 4 décembre 2015.

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Circonstance : Conférence de Paris pour le climat, au Bourget (Seine-Saint-Denis) du 30 novembre au 11 décembre 2015

Texte intégral


Je suis ravi d'être avec vous. J'arrive en cours de route donc je ne suis pas sûr que ce que je vais dire sera en ligne avec ce que vous attendez mais soyez indulgents.
D'abord je pense que cet évènement est important dans le cadre du plan d'action Lima-Paris. À plusieurs reprises, j'ai souligné l'importance de votre rôle notamment lors du «Finance and Climate Day» qui avait été organisé, à Paris, en mai dernier, tout simplement parce que la lutte contre le changement climatique passe aussi bien sûr par la mobilisation du secteur financier.
Dans ce domaine, et j'imagine que c'est l'un des thèmes principaux que vous avez traités, on a enregistré des progrès extrêmement importants au cours de cette année 2015. Une partie de plus en plus importante des acteurs financiers, qu'il s'agisse des banques, des assurances, des investisseurs institutionnels, est désormais mobilisée et c'est incontestable. Il y avait déjà toute une série d'investisseurs qui s'étaient engagés, à mesurer l'empreinte carbone de leur portefeuille mais, maintenant, ils vont plus loin car ils souhaitent la réduire.
C'est ce qui a conduit le principal fonds de retraite néerlandais ABP et la Caisse des dépôts et consignations, dont je salue le directeur général, déjà signataires de l'engagement de Montréal pour le climat, à annoncer leurs adhésions à la coalition pour la décarbonation des portefeuilles «portfolio decarbonization coalition». Au total et j'espère que le chiffre est exact, on m'indique que 230 milliards de dollars d'actifs vont être décarbonés dans le cadre de cette coalition. La dynamique qui avait été engagée en septembre 2014 au sommet pour le climat organisé à New York par le secrétaire général des Nations unies s'est amplifiée depuis. L'utilisation d'indices bas carbone par le fonds de retraite de l'État de New York - je cite quelques exemples, je ne peux pas être exhaustif - s'inscrit dans la même logique et le marché des obligations vertes s'est développé de manière spectaculaire. Ainsi, cette année, ce marché va permettre de mobiliser 50 milliards de dollars. Il y a beaucoup de banques qui rejoignent le mouvement dont le Crédit Agricole - permettez-moi de prendre un exemple français - qui s'est engagé à doubler en deux ans le niveau de ses financements dans les énergies renouvelables et va consacrer, d'ici à 2020, 5 milliards d'euros à des projets de transition énergétique. Beaucoup d'autres banques agissent dans la même direction. On peut donc dire que le secteur financier est au rendez-vous de cette COP21. Cette mobilisation doit être en phase avec celle des gouvernements.
Lundi dernier lorsque nous avons lancé cette COP il y a eu, comme vous le savez, 150 chefs d'État et de gouvernement qui sont venus dire qu'ils étaient engagés pour la lutte contre le dérèglement climatique. Les spécialistes me disent que jamais en un même jour dans un même lieu et sur un même thème, il y avait autant de chefs d'État et gouvernement.
Dans le même temps, on a appris que 185 pays avaient déposé leur contribution nationale, la fameuse «INDC», ce qui permet de voir comment les différents pays veulent engager leur futur en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Ce qui est clair c'est que nous avons, d'une part, un engagement très actif du secteur financier et, d'autre part, un engagement évident de la part des chefs d'État et de gouvernement.
Mais, il faut que maintenant les négociateurs et les ministres soient à la hauteur de cet engagement. Alors que le mouvement a été lancé par les gouvernements eux-mêmes, il ne faut pas qu'ils soient en retard par rapport à la société civile et le secteur financier. Toute notre tâche, et en particulier la mienne, dans les jours qui viennent - puisque j'ai jusqu'à vendredi 11 décembre pour arriver à réussir - va être de faire que les gouvernements représentés par leur ministres soient à la hauteur des instructions qu'ont données les présidents et les Premiers ministres et à l'unisson de l'effort que l'on constate dans le secteur financier.
Nous n'en sommes pas là, car pour le moment, le compte n'y est pas. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l'ensemble des politiques publiques contribuent à la démarche de la transition écologique y compris, bien sûr, à la politique relative au secteur financier. Mon ami, Michel Sapin, a évoqué devant vous les travaux qui s'engagent au niveau international, et qui sont d'une très grande importance. La présidence chinoise - nous rencontrions l'autre jour le président Xi Jinping - a fait de la finance vert dans le cadre du G20 une de ses priorités. Et le conseil de stabilité financière a engagé des travaux très prometteurs sur la publication d'informations sur le risque climatique pris par les entreprises. Et, même si c'est un domaine adjacent, mais très important, les avancées que nous constatons dans la réflexion mais aussi dans l'action sur le prix du carbone, vont être absolument déterminantes. Ce qui me fait dire que la solidarité financière est évidemment nécessaire à la solidarité climatique et notre réussite commune va passer par la combinaison innovante de fonds publics et de fonds privés afin de réussir la transition vers une économie résiliente et sobre en carbone.
De nouveaux outils financiers doivent être développés pour réduire les risques, pour diminuer le coût des investissements privés, pour identifier les projets les plus pertinents - je comprends que certains vous seront présentés dans quelques instants. À cet égard, on peut notamment penser au programme - mais il y en a beaucoup d'autres - initié par la Banque interaméricaine de développement, ou aux émissions d'obligations vertes dédiées à l'efficacité énergétique dans les pays latino-américains, dont je remarque que c'est un des huit premiers projets soutenus par le Fonds vert pour le climat, en novembre. Je veux saluer l'émergence de ces nouveaux outils qui doivent se développer plus largement.
Au total, je dirais la chose suivante : le développement d'outils innovants et la mobilisation de la communauté financière sont absolument centraux pour traduire dans la réalité de l'économie mondiale l'accord universel que nous espérons conclure vendredi prochain.
Le mouvement a été lancé par les États. Il est maintenant rejoint - et c'est très heureux - par toute une série d'entreprises, singulièrement les entreprises du secteur financier, mais il faut que les deux avancent de pair et que l'accord intergouvernemental ne prenne pas de retard par rapport aux actions de plus en plus importantes qui sont réalisées par le secteur privé. Car, dans un domaine comme dans l'autre, c'est-à-dire dans le domaine gouvernemental comme dans le domaine du secteur financier, en particulier du secteur financier privé, la COP21 ne doit pas être un point final mais un tournant, «a turning point». Il y aura beaucoup de choses à faire après Paris, mais ces choses ne sont pas possible à réaliser s'il n'y a pas, à Paris, l'accord que nous espérons et auquel nous sommes en train de travailler. Au fond, la COP21 doit constituer le début d'une transformation assez profonde de nos économies, dans lesquels les acteurs financiers ont un rôle tout à fait majeur à jour.
Vous êtes donc les acteurs majeurs du tournant de la COP21, à Paris, et c'est à ce titre que je voulais à la fois vous féliciter et vous saluer.
Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 2015