Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur "le défi du maintien de la paix en Afrique et le rôle des organisations internationales", le rôle de l'OUA et sur la coopération militaire franco-africaine, notamment au travers du programme RECAMP, Paris le 14 juin 1999.

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Circonstance : XIIIème session internationale Afrique-Madagascar de l'IHEDN à Paris le 14 juin 1999

Texte intégral

Mon Général,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Lorsqu'il m'a invité à cette manifestation, le général Germanos m'a dit l'importance qu'il attachait à la présence du ministre délégué à la Coopération pour resituer votre exercice et les problématiques qui le sous-tendent dans le cadre plus général des priorités de politique extérieure de nos pays respectifs. L'actualité de nos continents suffirait, à elle seule, à démontrer que la question du maintien ou du rétablissement de la paix est au coeur de nos préoccupations. Toutefois, j'ai souhaité venir vers vous, d'abord pour vous manifester l'honneur que je ressens d'ouvrir votre session de travail ; une réflexion commune, conduite par des responsables d'origines, de cultures et d'histoires différentes représente en effet un potentiel formidable d'idée nouvelles susceptibles d'être mises en oeuvre ensemble.
La deuxième raison de ma présence tient, quant à elle, à l'actualité qui nous a placés, nous Européens, dans une situation à certains égards comparable à celle de nombre de pays africains pendant ces derniers mois. Je suis, bien entendu, particulièrement heureux que notre rendez vous coïncide avec le dénouement du conflit des Balkans, preuve que la barbarie peut être réduite par des Nations enfin unies. Je fais le voeu que d'autres conflits, en particulier sur votre continent connaissent, au plus vite, la même issue. Vos pays le souhaitent aussi bien sur ardemment et recherchent, souvent avec nous, d'ailleurs les instruments les plus efficaces pour y parvenir. Lundi dernier, j'ai eu une brillante illustration de cette volonté avec l'inauguration de l'Ecole de formation au maintien de la paix de Zambakro, en Cote d'Ivoire. L'événement était d'importance et personne ne s'y est trompé, ni les autorités des pays intéressés, ni les représentants du corps diplomatique, ni les médias qui ont largement repris et commenté la manifestation. Nous sommes là, de plain-pied, avec votre sujet.
En effet, vous avez choisi de travailler cette année sur "le défi du maintien de la paix en Afrique et le rôle des organisations internationales". Ce thème porte en lui la double problématique de la responsabilité du maintien de la paix en Afrique et de la prise en mains par les Etats africains eux-mêmes du destin de leur continent. C'est autour de ces questions que la France a construit sa réflexion et sa politique d'appui aux processus et organisations visant à la prévention des conflits et au maintien de la paix.
1 - Quel est le bon cadre pour apprécier les enjeux du maintien de la paix en Afrique ? Dans le contexte de mondialisation qui caractérise nos sociétés en cette fin de siècle, on comprend que la question ne peut plus être appréciée au regard du seul continent africain. La stabilité de l'Afrique concerne le monde entier mais les mutations de l'environnement international ont aussi affecté l'Afrique. La fin de la guerre froide, la mondialisation, notamment, ont conduit à des bouleversements parfois déstabilisateurs : globalisation parfois trop rapide, échanges incontrôlés à travers des frontières mal maîtrisées, tensions politiques de la transition, contrastes déstabilisant entre modernisation des techniques et stagnation des moyens et, dans le même temps, persistance voire renaissance des clivages ethniques, comme réponse identitaire et dangereuse à la problématique des l'universalisation du monde. Les anciennes zones d'influence coloniale ou linguistique ont été, certes, reléguées à l'Histoire mais, si la relève des générations est un puissant facteur de renouveau, elle ne suffit pas à donner aux nouveaux dirigeants la capacité magique à maîtriser les tensions et les contradictions de sociétés en plein bouleversement. Pourtant, les efforts engagés en Afrique pour libéraliser l'économie tout en la régulant, donner une nouvelle impulsion à l'initiative privée et encourager la société civile, gérer avec sérieux et transparence les fonds publics, enraciner l'Etat de droit et la démocratie sont autant de perspectives d'espoir qu'il conviendrait aussi de médiatiser, en contrepoint des violences et des échecs qui font la une de l'actualité africaine. La France croit au développement économique et social du continent africain comme clé de la stabilisation et de l'essor démocratique. De là, découle pour la Communauté internationale, un double devoir d'assistance et de solidarité pour contribuer à régler de façon pacifique les conflits persistants et reconstruire la paix là pour que les peuples puissent consacrer leurs efforts aux tâches du développement.
2 - Depuis plusieurs années, nous avons réfléchi ensemble à la définition et la mise en oeuvre de moyens appropriés au maintien de la paix en Afrique.
De notre côté, nous avons rénové notre "politique africaine", conscients que nous sommes des profondes mutations de vos pays, de leur ouverture au monde et de notre intérêt mutuel à renforcer un authentique partenariat. Le chef du gouvernement, Lionel Jospin, définissait à Bamako en décembre dernier notre nouvel état d'esprit en "ni ingérence, ni indifférence", fidélité à nos liens traditionnels mais aussi ouverture à de nouveaux partenaires. Sur le terrain du maintien de la paix, nous sommes attentifs à la volonté de vos pays de se doter de meilleures capacités pour prévenir les conflits, avec l'appui de la communauté internationale, sous l'égide des Nations unies, de l'OUA et dans un cadre sous-régional, que nous voulons encourager dans ce domaine comme au plan économique et social.
Que vous désiriez, à cette fin, bénéficier du soutien de pays extérieurs au continent africain, dont la France, dans des conditions qui, bien sûr, maintiennent toute votre liberté d'action, est le signe de la maturité de nos relations.
Déjà, lors du Sommet franco-africain de Biarritz en 1994, la question d'une force interafricaine de paix avait été posée. La France avait marqué alors sa disponibilité à participer à cette entreprise, à la condition qu'ensemble, vous en définissiez les modalités. Quel chemin parcouru depuis lors ! Et qui pourrait contester le développement et les premiers résultats de la diplomatie préventive, conduite par l'OUA et les organisations sous-régionales ?
Depuis lors, nous marchons d'un même pas comme en témoigne la définition du programme RECAMP, sur lequel je reviendrai dans un instant et qui s'inscrit bien dans un cadre global de coopération entre vos pays et leurs partenaires du Nord.
- En 1995 et 1996, c'est à l'issue d'une concertation internationale conduite par la France, que les Etats-Unis lançaient un projet de création d'une Force de réponse aux crises africaines (ACRF), qu'ils ont ensuite transformé en Initiative de Réponse aux Crises Africaines (ACRI).
- Qu'il s'agisse des actions françaises dans le cadre du programme RECAMP, des actions américaines dans le cadre du programme ACRI, des actions menées par les Britanniques ou par d'autres partenaires également soucieux du maintien de la paix en Afrique, toutes sont complémentaires. Ainsi, le 22 mai 1997, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont mis en place une coordination tripartite, qui témoigne de notre volonté de dépasser, dans ce domaine au moins, une logique de concurrence ou de compétition. Nous avons dit, ensemble, aux Nations unies que nous étions disposés à contribuer à renforcer les capacités des armées africaines en matière de maintien de la paix, que nous souhaitions agir dans une complète transparence, sous l'égide des Nations unies et en liaison avec l'Organisation de l'unité africaine. Nous pouvons être satisfaits de ce travail dans lequel le secrétariat général des Nations unies nous a efficacement relayés avec :
- la mise en place d'un dispositif multilatéral qui réunit l'ensemble des pays africains intéressés par le renforcement de leurs capacités de maintien de la paix et l'ensemble des pays extérieurs au continent qui sont susceptibles d'apporter une contribution dans ce domaine,
- mais aussi par la tenue de réunions à New York, en 1997, 1998 et le 22 janvier 1999, destinées à évoquer, concrètement, les actions menées et les synergies possibles dans le domaine de la formation. Un dialogue fructueux, ouvert à tous, a ainsi été engagé. A l'intérieur du dispositif qui se met ainsi en place, les programmes de renforcement de ces capacités constituent désormais la part majeure de l'effort de la communauté internationale pour contribuer à la stabilité en Afrique.
3 - Mais je voudrais saluer aussi les initiatives purement africaines dans ce domaine essentiel.
L'OUA, longtemps désarmée face aux conflits qui opposaient ses membres, a créé en 1993 un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Il s'agit d'une avancée conceptuelle considérable à laquelle l'OUA est d'ailleurs déterminée à donner davantage de contenu et de visibilité. De fait, la médiation et la facilitation des sorties de crise sont devenues une des activités les plus importantes de l'organisation. Son intervention est à présent recherchée et appuyée par la communauté internationale. La France, vous le savez, a ainsi choisi de participer au financement de son Fonds pour la paix, en lui accordant une subvention importante dès 1998. La CEDEAO est sans doute l'organisation la plus expérimentée. C'est elle qui a poussé le plus loin ses interventions, avec le déploiement, dès 1990, d'une force sous-régionale au Liberia (ECOMOG). Mais c'est, bien plus tard, à la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement, réunie à Abuja en octobre dernier, qu'a été décidée la création d'un mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits et de maintien de la paix et de la sécurité, auquel il faut maintenant que les pays concernés donnent un contenu. Pour autant, les intentions, aussi louables et fortes soient elles, ne suffisent pas. Je ne doute d'ailleurs pas que vous analyserez les interventions de la CEDEAO et que vous en tirerez des enseignements. Nul doute non plus que vous passerez au crible la situation de Guinée-Bissao, les conditions politiques et pratiques de l'intervention et du retrait de la force multinationale. Il est aussi important de mesurer les limites ou d'évaluer les obstacles aux projets les plus ambitieux. La Sierra Leone offre de ce point de vue un autre sujet d'étude particulièrement actuel.
Pour la SADC, c'est le Sommet de Gaborone en 1996 qui a avalisé la création d'un organe politique, de défense et de sécurité aux objectifs ambitieux, parmi lesquels on trouve la création d'une capacité collective de sécurité dans le cadre d'un pacte mutuel de défense, et d'une capacité régionale de maintien de la paix.
De son côté, l'IGAD veut aussi se doter d'une politique sous-régionale en matière de prévention, de gestion et de règlement des conflits. On ne peut qu'observer combien un tel instrument est nécessaire dans la Corne de l'Afrique et espérer qu'il produise au plus vite tous ses effets.
Enfin, je ne saurais passer sous silence l'entreprise de la CEEAC, qui devrait entériner son projet de Conseil de paix et de sécurité pour l'Afrique centrale - le projet COPAX - au Sommet de Malabo dans les prochaines semaines.
Certains pourraient parler de foisonnement des projets et regretter leur incapacité relative à traiter les conflits en cours. Je ne suis pas de ceux là. Toutes ces initiatives reposent sur des réalités régionales ou sous régionales qui concrétisent des solidarités réelles porteuses d'espoir de développement. Je vous l'ai dit, la France a fait le choix d'encourager les mécanismes propres à renforcer l'intégration régionale, dans tous les domaines. C'est le cas du programme RECAMP, que je citais tout à l'heure et dont je voudrais à présent dire l'essentiel. Je laisserai évidemment à l'ambassadeur de Bellescize et aux responsables des services concernés le soin d'étudier avec vous plus avant la traduction de ce concept en termes opérationnels.
4 - Les objectifs de RECAMP sont donc, sous l'égide de l'ONU et avec l'accord de l'OUA, de renforcer les capacités africaines de maintien de la paix, sur le principe des modules de forces en attente de l'ONU, c'est à dire d'instruire, d'entraîner et d'équiper en partie, au niveau de la sous-région et avec l'aide de pays donateurs, une capacité africaine de maintien de la paix.
Celle-ci est destinée à être engagée dans le cadre des dispositions du chapitre VI de la charte des Nations unies, donc dans des opérations de maintien de la paix, et, le cas échéant, dans des opérations humanitaires. En Afrique bien sur, mais aussi sur d'autres théâtres pour manifester la volonté et la capacité des pays africains à prendre leur place et leurs responsabilités dans le concert des Nations.
La France a engagé un effort spécifique de formation, d'entraînement et d'équipement en faveur des armées africaines, en utilisant pour cela à la fois ses forces dites "prépositionnées" en Afrique et ses moyens de coopération militaire et de défense. Ce programme est unique parmi ceux des pays contributeurs, à couvrir l'ensemble des aspects de la préparation opérationnelle aux opérations de maintien de la paix, c'est à dire la formation, notamment celle des cadres et des experts, l'entraînement des forces et, le moment venu - je pense à la MINURCA en RCA, ou à l'ECOMOG en Guinée-Bissao - leur équipement en matériel collectif et un soutien logistique et financier.
4.a - Quelques mots sur l'impératif de formation de cadres et d'unités militaires aux techniques particulières du maintien de la paix . 1.500 militaires africains s'y préparent dans les écoles françaises et africaines. Je vous disais en introduction l'honneur qui fût le mien de représenter mon pays lors de l'inauguration de l'Ecole de formation au maintien de la paix de Zambakro en Côte d'Ivoire, dans laquelle la France a investi plus de 16 MF l'an dernier. Les stages commencent immédiatement et l'ambition de l'école est de voir reconnue et sanctionnée la qualité de son enseignement par l'ONU dont le drapeau flotte aux côtés des drapeaux ivoirien et français. Cette ambition sera d'autant mieux satisfaite que l'école aura su accueillir indifféremment des stagiaires francophones, anglophones ou lusophones.
Mais la formation sous RECAMP, c'est aussi une réponse à des besoins ponctuels, par exemple la préparation d'exercices multinationaux. Ainsi, une quinzaine de détachements d'Instruction opérationnelle français ont participé à la préparation de divers contingents africains engagés dans l'exercice Guidimakha l'an dernier.
4.b - RECAMP, c'est aussi l'entraînement de forces multinationales africaines, lors d'exercices d'une certaine ampleur.
Après l'exercice Nangbeto qui a rassemblé en février 1997 le Togo, le Bénin, le Burkina-Faso et la France, l'exercice franco-africain de maintien de la paix "Guidimakha 98" a ainsi rassemblé, au mois de février 1998, près de 3000 soldats africains et 500 militaires français, américains et britanniques à la frontière du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie.
Désormais, la France est disposée à participer à l'organisation tous les deux ans d'un exercice sous-régional de maintien de la paix en Afrique. Le prochain exercice d'envergure est planifié en l'an 2000 au Gabon. Outre ces exercices auxquels elle participe directement, La France apporte son soutien à d'autres initiatives menées dans le même but : c'est ainsi qu'elle a apporté un soutien technique à l'exercice "Kompienga 1998" organisé par le Togo avec sept autres pays de la sous-région en avril 1998. Elle contribue aussi à l'exercice Blue Crane organisé en Afrique du Sud par la SADC.
4.3 - Dans RECAMP, enfin, il y a la mise en place de matériels collectifs pour équiper des unités de maintien de la paix. Une capacité d'intervention rapide des forces africaines suppose, bien entendu, le regroupement des matériels et des équipements collectifs fournis par les donateurs et conservés en état de fonctionnement. Je pense principalement aux véhicules et, dans certains cas, au matériel médical de campagne.
RECAMP dispose donc depuis janvier 98 de l'équipement d'un bataillon africain de maintien de la paix, soit une centaine de véhicules ainsi que les matériels d'un hôpital médico-chirurgical de campagne. Ce matériel, initialement stocké au sein des forces françaises à Dakar, a été utilisé au cours de l'exercice "Guidimakha 98" et se trouve actuellement mis à la disposition de la Mission des Nations unies en République centrafricaine (MINURCA). A la fin de l'opération de la MINURCA, les matériels RECAMP engagés à Bangui seront rapatriés sur Dakar et remis à niveau. Un complément de matériel a aussi été envoyé en janvier à Dakar afin d'équiper un bataillon de l'ECOMOG dans le cadre de l'opération en Guinée-Bissao et il est prévu de mettre en place le même type d'équipement à Libreville en 1999 et à Djibouti en l'an 2000. Outre ces considérations sur le programme RECAMP, je voudrais ajouter que la France apporte un soutien actif au Centre de prévention et de règlement des conflits (CPC) de l'OUA et au Centre du Caire de prévention des conflits et de formation au maintien de la paix.
A l'issue de cette intervention, j'ai l'impression d'avoir été ou trop long ou trop court. Le sujet est tellement important qu'on ne peut en rester aux généralités et la tentation est grande de détailler les mécanismes, de dire les enseignements retirés de telle ou telle expérience, les ambitions de tel ou tel programme auquel on croit. Mais la réalité est là pour nous ramener sur terre et nous inviter à la mesure. Aucun exposé ne traitera de l'intégralité du sujet et seule l'analyse de cas, l'expertise pratiquée en commun permettra à chacun de retirer un bénéfice maximal de votre session. En naviguant entre ces deux alternatives, j'espère vous avoir convaincu que la France a fait de votre sujet de réflexion une de ses priorités de politique extérieure, en particulier dans sa relation aux pays du continent africain. L'Europe sort de son côté d'une crise grave, l'Afrique est encore confrontée à plusieurs conflits ; chacun de nous doit, dans la mesure de ses moyens, participer à la remise en "ordre de développement" et mettre en oeuvre les instruments nécessaires à la prévention de nouvelles crises.
Durant cette session du Siam, vous allez apporter, vous aussi, votre contribution à l'effort collectif. Le "défi du maintien de la paix en Afrique et le rôle des organisations" -appelle des réflexions, des analyses et des propositions que les dirigeants de vos pays et nous-mêmes analyserons avec attention. Sollicitez l'expérience des hauts responsables africains, malgaches et français réunis par l'IHEDN à cette occasion, et travaillez librement. Soyez ambitieux.
Je vous remercie.
(Source :http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 1999)