Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur le financement de la politique économique et la présentation de son fonds de pension à la française, Paris le 27 novembre 2015.

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Circonstance : 7è édiction de la conférence internationale de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), à Paris le 27 novembre 2015

Texte intégral

Bonjour à toutes et à tous,
Pardon de vous avoir fait attendre, mais la journée a été un peu bousculée, parce que vous n'êtes pas sans savoir que c'est aujourd'hui que l'hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre dernier a été rendu. Et deux semaines après les événements, nous sommes non seulement encore dans une période de deuil, mais aussi au début d'un long défi.
Ce long défi qui commence touche non seulement la France mais, il faut bien le dire, toute l'Europe. Il sera un défi évidemment militaire et diplomatique, sécuritaire mais aussi politique, social, économique, moral sans doute. Et face à ce défi, chacun devra prendre sa place et ses responsabilités. Et je crois que les acteurs économiques que vous êtes ont leur place et leur responsabilité à prendre dans ce défi, comme tous les décideurs économiques. Je pense que nous aurons toutes et tous, dans les prochains mois, les prochaines années, à le faire valoir.
Toutefois, malgré l'urgence, le drame, un défi global ne peut en chasser un autre. Et à moins de trois jours de l'ouverture de la COP 21, la lutte contre le changement climatique doit évidemment nous mobiliser. Vous avez passé la journée à parler de ce défi, je ne veux pas y revenir trop longuement, nous connaissons les chiffres, nous savons que c'est non seulement le défi des générations à venir mais c'est déjà le nôtre. La population va continuer de croître, neuf milliards d'humains pour 2050 ; elle continuera à s'urbaniser de plus en plus ; les classes moyennes continueront à augmenter. Et il faudra de plus en plus être vigilant en termes environnementaux, en termes de défi climatique : il faudrait déjà deux planètes pour soutenir le rythme actuel de consommation.
C'est donc d'une mobilisation active et collective dont nous avons besoin : celle des Etats, qui auront à travers leurs représentants à négocier une feuille de route et des engagements ; celle des collectivités locales ; de la société civile ; et bien entendu des acteurs économiques, des entreprises y compris le secteur assurantiel que vous représentez. Et votre responsabilité dans ce cadre est évidemment de protéger, vous qui êtes des professionnels du risque, et de financer. Notre responsabilité, c'est de vous soutenir, de vous accompagner dans cette bataille.
Protéger et financer parce que vous êtes des acteurs clés de la protection en tant qu'assureurs de risques. Et nous sommes au coeur – les événements tragiques que j'évoquais nous l'ont rappelé –, nous sommes au coeur de cette société du risque dont parlait Ulrich BECK. Elle prend des formes multiples, vous en êtes – assureurs ou réassureurs – les témoins quotidiens, et le changement climatique est au coeur de celle-ci. Il s'accompagne d'une hausse des incertitudes et des risques qui pèsent à la fois sur la société et sur les acteurs économiques. Qu'il s'agisse de catastrophes naturelles, de sécheresses, elles sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus aléatoires. Et cette bataille climatique, c'est à la fois évidemment un défi, mais en même temps une série d'opportunités, si on arrive à mieux les prévenir, mieux les encadrer, mieux y faire face. Et nous aurons de plus en plus besoin évidemment de vous pour couvrir les risques : la fréquence et la gravité des catastrophes allant en croissant, la demande de protection croîtra aussi, en même temps qu'elle s'accélère. Et nous avons besoin à cet égard de votre expertise car par la nature même des contrats que vous portez, vous avez une longueur d'avance dans la gestion des enjeux liés au changement climatique. Vous avez évoqué ce matin les progrès qu'il reste à accomplir en matière de prévention et de culture du risque, nous serons attentifs, avec Michel SAPIN à toutes les propositions que vous pourrez nous faire en ce sens.
Mais vous êtes aussi des acteurs clés de la transition en tant qu'investisseurs de long terme. Parce que derrière la bataille climatique, il n'y a pas simplement la prévention ou la réponse au risque il y a également la préparation du monde, l'accompagnement du monde à ce changement. D'abord à travers le déploiement des infrastructures qui vont permettre cette transformation, et le besoin d'infrastructures n'a jamais été aussi élevé : pour remplacer les installations existantes ; pour en développer de nouvelles, plus écologiques, plus respectueuses de l'environnement. Et là nous avons besoin des investisseurs de long terme que vous êtes. L'innovation, et à travers elle la recherche et le développement, est au coeur de la bataille, et il faut la financer. Nous avons de nombreuses jeunes entreprises qui se lancent dans le développement des solutions vertes et innovantes qui constituent une large partie de la réponse au défi climatique. Je remettrai d'ailleurs tout à l'heure les prix du concours Cleantech pour désigner les startups qui seront les ambassadrices de la France à la COP 21. Là aussi, dans leur financement, vous avez un rôle fondamental à jouer.
Le plan Juncker apporte une partie de la réponse à ces besoins de financement, mais une partie seulement. Parce que sa philosophie, sa logique même reposent sur l'investissement privé, comme démultiplicateur des quelques 21 milliards d'argent public que nous mettrons sur la table. Pour atteindre nos objectifs, en matière de renouvelables notamment, nous avons besoin de la mobilisation de toutes les sources de financement et en particulier des investisseurs de long terme. Parce que la transition énergétique ne s'opérera pas du jour au lendemain. Nos startups orientées entièrement vers l'avenir disposent rarement des garanties suffisantes pour accéder aux circuits bancaires classiques et nous devons améliorer leur capacité à trouver les gros investissements qui leur permettront d'acquérir une taille internationale. Et cette bataille pour les fonds propres, qu'ils livrent, elle est d'autant plus vraie dans le secteur de la transition énergétique, où parfois le temps d'accès au marché est plus long. Et vous êtes, en tant que gestionnaires d'assurance-vie notamment, des investisseurs de long terme. Vous pouvez jouer un rôle fondamental dans le financement de cette transition, parce que vous êtes capables d'investir dans des actifs moins liquides, vous pouvez réorienter les flux financiers au profit d'investissements dans les technologies propres, les infrastructures vertes ou les obligations vertes.
C'est pourquoi notre responsabilité, à nous pouvoirs publics, c'est de vous soutenir dans cette bataille, de vous donner les moyens de livrer cette bataille. D'abord, en s'assurant que nous ayons au niveau mondial un équilibre accru, une plus grande loyauté dans les échanges ou la concurrence qui est livrée. Je sais que vous tenez à ce que les services financiers puissent faire partie de la négociation commerciale avec les Etats-Unis, et je partage cette vision des choses. Cette négociation prendra du temps, beaucoup plus que d'aucuns ont pu le dire, elle n'est d'ailleurs pas forcément gagnée. C'est une négociation qui n'est pas simplement sur les tarifs, elle n'est pas simplement sur les prix, c'est une négociation sur notre préférence collective réciproque – les services financiers doivent en faire partie.
Ensuite, au niveau communautaire bien évidemment, où se joue une bataille fondamentale avec en particulier la mise en oeuvre de Solvabilité II. Ce régime aura des conséquences concrètes sur votre allocation d'actifs. Il a suscité de nombreux débats, nous y avons beaucoup oeuvré par le passé, et il est aujourd'hui en passe d'entrer en vigueur. Alors, vous le savez, nous nous sommes beaucoup engagés pour que ce nouveau régime ne pénalise pas les investissements de long terme, notamment ceux qui permettent d'accompagner la transition énergétique – et ce au-delà des aménagements déjà obtenus par la France dans le cadre du compromis de 2013.
L'Union des Marchés de Capitaux que propose que le commissaire HILL aménage un certain nombre d'évolutions qui vont dans le bon sens. Tout d'abord l'introduction d'une nouvelle classe d'actifs « infrastructures », dont les chargements seront réduits de plus d'un tiers. Ensuite, l'extension aux actions non cotées du régime transitoire favorable, qui était jusqu'ici réservé aux actions cotées. Cette extension devrait notamment bénéficier aux TPE, aux PME et au capital investissement. Ce sont des bonnes avancées parce qu'elles vont dans le sens d'un meilleur financement de la transition énergétique. Et, enfin, l'application du régime transitoire aux actions détenues indirectement via des fonds a été précisée, là aussi dans un sens plus avantageux. Ces modifications doivent encore être avalisées par le Parlement européen mais elles témoignent d'ores et déjà de l'inflexion de la position de la Commission, d'une prise de conscience accrue et la France y a joué un rôle important. Nous continuerons à mener cette action de pression, ces explications qui sont nécessaires pour améliorer ce cadre et favoriser le travail des investisseurs de long terme que vous êtes.
Par ailleurs, la Commission proposera très bientôt un traitement prudentiel plus adapté pour les investissements des assureurs dans les titrisations simples, transparentes et standardisées, et elle a aussi confirmé que le règlement du même nom donnera lieu à des nouveaux amendements au règlement délégué en 2016. Enfin, nous avons obtenu que le traitement de la dette non cotée et du capital investissement soit réexaminé d'ici fin 2017, c'est-à-dire avant même la date-butoir qui était fixée à 2018, pour une révision plus structurelle du règlement Solvabilité II.
Au-delà, au niveau européen toujours, l'émergence des fonds ELTIF – ils apportent là aussi beaucoup d'intérêt en termes de financement, et nous la généraliserons. Cela fait partie des axes de travail que j'ai souhaité pouvoir conduire dans le cadre des nouvelles opportunités économiques.
Au niveau national, nous devons accompagner ce travail et j'ai voulu lancer une réflexion autour de la création de toutes les voies et moyens pour mieux financer notre économie. Pourquoi ? Parce que notre économie n'a pas besoin d'améliorer son financement en dettes : des rapports récents, comme celui conduit par François VILLEROY de GALHAU l'ont rappelé. Nous avons un financement satisfaisant à cet égard. Notre problème, c'est le financement en fonds propres. Notre problème c'est de passer d'un financement d'une économie de rattrapage, en quelque sorte, au financement d'une économie d'innovation, où les choses vont beaucoup plus vite, où la mère des batailles c'est la vitesse, et la vitesse, c'est l'accès au capital. Et donc si nous n'arrivons pas – au-delà des réformes prudentielles que j'évoquais il y a un instant – à accélérer cette transition du financement de notre économie, nous perdrons cette bataille. Elle est fondamentale pour capter de nouvelles opportunités économiques.
J'ai donc souhaité, dans ce cadre, que nous puissions lancer une réflexion sur ce que j'ai appelé des « fonds de pension à la française ». Il faut expliquer l'importance de ces financements par capital parce que c'est l'une des batailles que nous allons faire. Soyons clairs, notre objectif n'est pas de modifier les équilibres entre la retraite par répartition et par capitalisation en France, ni de bouleverser le marché des produits d'épargne retraite. Mais, vous le savez, les activités de retraite professionnelle seront à terme soumises à Solvabilité II. Or, au vu de la spécificité des engagements et des investissements que ces activités représentent, je considère que ce régime n'est pas nécessairement le plus adapté. Il faut que nous permettions que les quelque 130 milliards d'euros d'encours de ces régimes puissent être mobilisés au bon niveau pour le financement de l'économie, et notamment de la transition énergétique.
Aussi, l'objectif que je poursuis à travers cette réflexion, et demain cette réforme, c'est de mettre en place un régime prudentiel ad hoc, qui permette aux structures gérant des engagements de retraite professionnelle d'avoir des allocations d'actifs cohérentes avec les caractéristiques de leur passif – sans évidemment remettre en cause le niveau de prudence vis-à-vis des assurés. Mais on peut le faire beaucoup mieux et beaucoup plus en ayant ce régime ad hoc, qu'en acceptant simplement que ce régime soit soumis à Solvabilité II. Nous avons besoin de ce niveau de prudence, de cette protection, parce que l'activité d'épargne-retraite repose sur une relation de confiance de long terme entre l'épargnant et la société à laquelle il confie ses revenus futurs. Mais nous ne devons pas tomber dans les excès de la régulation que nous avons tant combattue. Et nous devons tout faire pour que, lorsque le profil de risque de l'épargnant le permet, on investisse bien davantage en fonds propres et dans le financement de notre économie. Nous allons discuter des termes de ce régime ad hoc avec vous, et je vous remercie d'ores et déjà d'avoir contribué aux premières réflexions initiées. Je compte sur vous pour rester mobilisés ces prochaines semaines.
La constitution de ces « fonds de pension à la française », elle s'inscrit dans cette dynamique que nous allons poursuivre avec Michel SAPIN de réorientation de l'épargne vers le financement de l'économie réelle. Et cette dynamique doit également concerner l'assurance-vie, dont l'encours ne cesse d'augmenter, alors même que ces produits ne sont que très peu orientés vers le financement de l'économie réelle – pour rester pudique. Il nous faut notamment trouver les moyens de dynamiser les fonds euro-croissance, qui ne sont aujourd'hui que très peu utilisés. Il y a une consultation qui a été lancée il y a plusieurs semaines à ce sujet précisément, pour déterminer les moyens de favoriser les fonds euro-croissance plutôt que les fonds euros. Je sais les réticences, parfois peut-être les incompréhensions devrais-je dire, mais je pense qu'il ne faut pas s'arrêter là, et essayer en respectant toutes les règles – du bon conseil, de la bonne allocation – nous convaincre collectivement pour avancer. Parce que c'est une réforme pour notre économie.
Mesdames et messieurs,
Le défi climatique, c'est un défi total, au sens où il implique une mobilisation générale. Tout ne viendra pas de l'Etat, ni du changement du comportement des consommateurs. Beaucoup viendra des entreprises, de celles qui portent les solutions de la transition, mais aussi de celles qui leur permettent de faire : en les protégeant et en les finançant. C'est pourquoi vous avez un rôle essentiel dans cette transition.
C'est à la fois une urgence et un défi de long terme. Il doit progressivement transformer les esprits, les comportements et en même temps les modèles économiques – c'est ce qui est aujourd'hui à l'oeuvre –, parce que ce défi appelle l'esprit de responsabilité. C'est l'esprit de responsabilité qui seul peut triompher dans une société du risque. Ce n'est ni le déni, ni la peur. Et cet esprit de responsabilité, à certains endroits, dans le bon cadre, il appelle aussi à savoir prendre davantage de risques – pour le long terme, parce que c'est bon pour nous tous, et parce que cela participe de la vitalité et du redressement collectif. Vous êtes une partie de la solution au problème et aux nombreux défis qui nous sont aujourd'hui opposés.
Merci pour votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 8 décembre 2015